Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'action du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, à Paris le 29 janvier 2020.

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Circonstance : Voeux aux agents du ministère

Texte intégral

Madame et Monsieur les Secrétaires d'Etat, chère Amélie de Montchalin, cher Jean-Baptiste Lemoyne, il n'est pas loin, il va arriver, je viens de le quitter,
Monsieur le Secrétaire général, cher François Delattre, pour qui c'est la première cérémonie des voeux,
Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames les Directrices, Messieurs les Directeurs,
Chères auditrices et chers auditeurs du Collège des hautes études de l'Institut diplomatique,
Mesdames et Messieurs,


Le mois de janvier touche déjà à sa fin, mais heureusement il est encore temps pour moi, de vous présenter, avec mon épouse, tous nos voeux de bonheur, de santé et de réussite pour 2020. À vous-mêmes, qui êtes réunis ici, ainsi qu'à l'ensemble des agents de ce ministère, qu'ils soient en poste à Paris, à Nantes ou à l'étranger.

Différents et complémentaires, vous incarnez les mille visages du Quai d'Orsay. Et cette année encore, je tenais à vous dire à quel point je suis fier d'être à la tête de cette belle maison.

Mille visages, oui, car notre ministère n'a pas seulement le don d'ubiquité. Un don qui, bien sûr, tient moins à une vertu magique qu'à la force de notre réseau universel. Il a aussi, pour remplir les nombreuses missions qui lui sont confiées, le talent de rassembler une très large palette de compétences, les vôtres.

Tisser des liens de confiance avec nos partenaires, les préserver, parfois contre vents et marées.

Négocier pour défendre les intérêts de nos concitoyens, quand leur sécurité, leurs emplois, leur avenir sont en jeu.

Porter haut une certaine idée de la culture et, dans les batailles nouvelles de l'influence, faire de notre modèle humaniste une main tendue en direction des sociétés civiles et de leurs jeunesses.

Soutenir nos compatriotes à l'étranger, en toutes circonstances, comme nous le faisons en ce moment en organisant le rapatriement des Français de Wuhan, ceux qui le souhaitent, en lien avec d'autres ministères.

Accompagner nos entreprises dans la grande aventure de l'export, promouvoir nos destinations touristiques.

Voilà le quotidien de ce ministère, et je ne parle là que des jours calmes...

Voilà ce qui nous autorise à revendiquer le titre de service public des Français à l'international et à trouver, chaque jour, dans la certitude qu'ils comptent sur nous et que nous leurs sommes utiles, la force de braver toutes les tempêtes. Y compris d'ailleurs celles qui nous touchent au coeur, j'ai à ce moment une pensée particulière pour notre collègue, Marie-Anne Mortelette, en poste à Canberra qui a trouvé la mort dans un terrible accident.

Chers amis, je me trouvais hier à La Haye, où j'ai eu le grand plaisir, le grand honneur, de participer à la Conférence des ambassadeurs néerlandais. Ce qui m'a frappé, c'est que - comme nous - ils se posent une question très simple et pourtant fondamentale : comment expliquer à nos concitoyens le sens de notre action diplomatique ?

C'est une question absolument légitime, essentielle, car les enjeux nationaux et internationaux sont désormais de plus en plus imbriqués.

Et c'est une question qui peut et qui doit nous servir de boussole, dans un monde dont la correspondance diplomatique permet d'apprécier la vertigineuse complexité.

Ce monde, nous sommes aux premières loges pour en suivre les évolutions et pour l'expliquer aux Français. Afin d'en pointer les menaces, elles sont nombreuses, mais aussi les opportunités. Ce rôle de vigie est essentiel. Mais notre mission est loin de s'y résumer.

Ce que les Français attendent de nous, c'est que nous conservions, en plus de cette capacité à penser le monde, une véritable capacité à tenter de le transformer. Et, dans un monde lui-même en plein bouleversement, je crois que cela suppose de ne pas hésiter à bousculer quelques habitudes pour inventer, sous l'autorité du président de la République, la diplomatie la mieux adaptée au moment que nous vivons.

Cette diplomatie du XXIe siècle, c'est d'abord une diplomatie agile et réactive.

2019 nous a vus multiplier les initiatives face aux crises. Pour garantir notre sécurité, pour prévenir l'escalade, pour restaurer des espaces de négociation à chaque fois que c'est nécessaire.

En ce début d'année très mouvementé, depuis le 3 janvier, nous avons été partout à la manoeuvre. Et je tiens à souligner l'extraordinaire détermination de ceux qui, au sein de ce ministère, proposent sans cesse, parce qu'ils refusent de baisser les bras et de se résoudre au pire. De ceux qui inventent sans cesse, parce qu'ils croient qu'il existe toujours, quelles que soient les situations, un chemin de négociation. Parce qu'ils croient, tout simplement, en la diplomatie et en sa puissance.

Partout, donc, nous avons été à la manoeuvre, en suivant une même méthode : conjuguer l'agilité de coalitions d'action rassemblant, au cas par cas, les Européens les plus volontaires, conjuguer cela avec la force de frappe de nos institutions communes.

C'est ainsi qu'en quelques semaines, avec nos partenaires, nous avons, à la Conférence de Berlin, établi un cadre en vue d'un processus politique en Libye. Nous avons proposé, au Sommet de Pau, sur l'initiative du président de la République, le lancement d'une Coalition internationale pour le Sahel. Nous avons fait entendre, alors que le Golfe menaçait de s'embraser, une voix européenne pour appeler à la retenue et à la désescalade, à la poursuite du combat contre Daech et la préservation de l'Accord de Vienne.

Tout cela, bien sûr, reste à consolider. Et nous allons nous y employer tout au long des semaines qui viennent. Mais il était important de prendre ces initiatives maintenant, car la diplomatie, entre bien d'autres belles choses, c'est aussi l'art de saisir les occasions.

La diplomatie du XXIe siècle, c'est aussi une diplomatie ambitieuse.

Dans bien des domaines, il y a besoin de faire bouger les lignes. Car nous ne saurions vraiment défendre les intérêts des Français, dans la durée, en nous accommodant du monde, tel qu'il va.

C'est pourquoi nous agissons pour une mondialisation mieux régulée et plus juste.

Nous l'avons fait l'an dernier, vous l'avez rappelé, Monsieur le Secrétaire général, en plaçant la lutte contre les inégalités mondiales au coeur de la présidence française du G7 et du Sommet de Biarritz. Je crois que ce fut un réel succès, qui n'aurait pas été possible sans l'engagement de nombreuses directions de cette maison, que je tiens à féliciter et à remercier.

Et c'est un combat que nous poursuivrons en 2020.

Avec le Forum Génération Egalité. Ce sera la plus grande conférence internationale de l'année et nous serons très fiers de l'accueillir à Paris en juillet, cinquante ans après la première conférence internationale sur les Femmes à Mexico et vingt-cinq ans après la conférence de Pékin sur les droits des Femmes. Ce sera une occasion historique de poursuivre la mobilisation mondiale pour l'égalité de genre.

Nous poursuivrons ce combat en 2020 avec le Sommet Afrique-France pour les villes et les territoires durables. Il se tiendra à Bordeaux du 4 au 6 juin prochain. Nous y avons convié les chefs d'Etat et de gouvernement de cinquante-quatre pays africains, mais aussi des entrepreneurs, des élus locaux, des représentants des sociétés civiles. Nous voulons, avec eux, trouver des solutions concrètes pour répondre aux défis de l'urbanisation à travers ce continent, un défi, vous le savez, qui ne va cesser de croître dans les années et décennies à venir.

Avec, la présentation au Parlement de la loi de programmation sur le développement que nous préparons depuis des mois. "Enfin", diront certains ! Et ils n'auront pas tout à fait tort. Mais nous avons fait preuve d'une endurance collective et cela a fini par payer et le projet de loi sera normalement bientôt soumis au Conseil des ministres. Ce sujet constituera en tout cas l'une de mes priorités en 2020.

Ce projet de loi fixera la trajectoire budgétaire qui nous permettra de tenir l'engagement pris par le président de la République de porter notre APD à 0,55% de la richesse nationale en 2022, sera aussi l'occasion de rénover en profondeur notre approche de la politique du développement avec des priorités claires, un pilotage politique de nos opérateurs à Paris comme dans les postes, avec une association de tous les acteurs pertinents que Jean-Baptiste Lemoyne a récemment rencontrés dans le cadre du CNDSI et, enfin, avec des dispositifs d'évaluation indépendants pour mesurer l'impact réel de cette politique.

Défendre les intérêts des Français dans la durée, c'est aussi porter une certaine vision des relations internationales. Une vision fondée sur la conviction que la coopération vaut mieux que le chacun pour soi et le droit vaut mieux que les purs rapports de force.

C'est d'ailleurs pourquoi nous avons entrepris de renforcer la coordination entre les divers pôles juridiques du Département, autour de la Direction des affaires juridiques, pour accorder une place plus importante aux compétences en droit dans nos recrutements, identifier les postes juridiques d'influence dans les grandes organisations internationales et favoriser les mobilités de nos diplomates juristes.

En 2020, soixante-quinze ans après la création des Nations unies, nous continuerons à affirmer notre attachement au système multilatéral, à défendre ses institutions historiques et à mobiliser nos partenaires de l'Alliance pour le multilatéralisme en soutien à des projets collectifs innovants, notamment en matière de droit humanitaire, d'accès à l'éducation et de régulation de l'espace numérique.

Et, cinquante ans après la création de la Francophonie multilatérale, que le Sommet de Tunis célébrera en décembre, nous continuerons à défendre et à promouvoir les valeurs portées par la langue française - la diversité culturelle, le plurilinguisme - et notre modèle éducatif unique. Un modèle ouvert, un modèle qui, partout dans le monde, attire les talents, et que le Plan de développement de l'enseignement français à l'étranger que nous avons préparé avec Jean-Michel Blanquer et Jean-Baptiste Lemoyne permettra de renforcer.

Diplomatie féministe, diplomatie solidaire, diplomatie multilatérale, notre diplomatie globale, pour être à la hauteur du moment que nous vivons. Mais l'ensemble de cette diplomatie doit être aussi une diplomatie verte. C'est ce que nos concitoyens attendent de nous. Et ils nous le font savoir sans ambiguïté.

Je l'ai déjà dit, et je veux le redire aujourd'hui devant vous : 2020 ne doit, à aucun prix, rester dans l'histoire comme l'année des rendez-vous manqués.

Du Congrès de la Nature de l'UICN à Marseille à la COP15 de Kunming, en passant, bien sûr, par la COP26 de Glasgow, nous plaiderons pour le climat et la biodiversité avec une détermination sans faille.

Et, dans le même temps, nous continuerons à agir pour que les Européens montrent la voie. Nous soutiendrons le "Pacte vert" proposé par la Commission et ses propositions très fortes.

L'instauration d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières pour empêcher le dumping écologique - c'est une question d'efficacité et c'est une question et de justice.

L'alignement de notre politique commerciale sur notre engagement environnemental - car il faut de la cohérence.

La création d'une Banque du climat pour investir massivement dans la transition. Nous devons impérativement nous donner les moyens de nos ambitions.

Enfin, pour nous, chers amis, la diplomatie du XXIe siècle sera européenne ou ne sera pas.

Qu'est-ce à dire, une "diplomatie européenne" ? C'est tout à la fois une diplomatie qui prend appui sur l'Europe pour agir et une diplomatie qui agit pour l'Europe.

L'un ne va pas sans l'autre et c'est pourquoi, si nous voulons continuer à faire entendre une voix autonome, et à conserver une capacité d'action propre sur la scène internationale, nous devrons absolument nous employer à bâtir une véritable souveraineté européenne. C'est l'axe majeur de la politique menée par le président de la République.

Certains jalons ont déjà été posés en matière de défense, en matière de politique commerciale. Mais nous devons aller plus loin et montrer aux puissances qui rêvent de prendre notre continent pour terrain de jeu que les Européens sont toujours là et que personne, personne, n'écrira leur histoire à leur place.

Cette exigence de souveraineté européenne vaut aussi, et je vous remercie, M. le Secrétaire général de l'avoir citée, dans le domaine numérique. C'est d'ailleurs le message que je suis allé porter hier aux Pays-Bas, après l'avoir fait à Prague il y a quelques semaines.

Ce qui rend cette question particulièrement emblématique, c'est qu'elle se situe très précisément au point d'intersection des besoins nouveaux de nos concitoyens, dont les vies sont désormais traversées de part en part par le numérique, et des formes nouvelles de la compétition internationale.

Il y a là, pour la diplomatie du XXIe siècle que nous devons inventer ensemble au service des Français, quelque chose comme une épreuve de vérité. C'est pourquoi j'ai tenu à m'impliquer personnellement sur ce sujet.

En 2020 je continuerai donc à m'engager pleinement, avec la complicité active d'Amélie de Montchalin à mes côtés, dans la construction de l'Europe souveraine que le président de la République appelle de ses voeux, en gardant à l'esprit qu'au premier semestre 2022, notre pays aura une immense responsabilité, celle de présider le Conseil de l'Union européenne. Ce sera un moment majeur pour notre pays, que nous devons commencer à préparer très sérieusement, dès maintenant.

Sur le plan consulaire, notre ministère poursuivra, en 2020 et au cours des prochaines années, des réformes structurelles de grande ampleur, afin de moderniser et d'améliorer le service rendu aux Français de l'étranger. Plusieurs directions sont pleinement mobilisées, et notamment la DFAE à Paris et à Nantes et la DSI. Réformes dont les agents vont aussi bénéficier, puisqu'elles vont leur permettre de se libérer des tâches les plus fastidieuses et de faire face, par ailleurs, à une activité qui a doublé en dix ans.

Voilà le cap que je vous propose pour 2020. Il est dense, et je serai là, à vos côtés, à chaque étape, pour m'assurer qu'il soit bien maintenu.

Je serai aussi à vos côtés, vous le savez, pour que ce ministère et ses agents conservent les moyens de remplir leurs missions. Vous le savez bien, les batailles budgétaires sont de rudes batailles. On y passe beaucoup de temps. Mais, vous savez aussi, au moins je le pense, que les Bretons ont la réputation d'être têtus et cette réputation est amplement méritée ! J'essayerai de le prouver encore cette année.

En 2020, vous me trouverez aussi à vos côtés à chaque fois que vos droits seront remis en cause. Cela ne changera pas.

Comme vous, j'ai ressenti comme une injustice les attaques contre le système de rémunération à l'étranger et j'ai tenu à y répondre en rappelant que la diplomatie n'est pas seulement un métier, mais un véritable choix de vie, qui peut être lourd de conséquences, tant pour soi-même que pour ses proches.

C'est d'ailleurs pourquoi je me suis aussi battu pour obtenir, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF 2020), des crédits supplémentaires pour couvrir les effets de l'inflation mondiale sur les indemnités de résidence des agents expatriés et sur la rémunération des agents de droit local.

Et c'est pourquoi je me bats actuellement pour que la rémunération des agents de catégorie C en poste à l'étranger soit revalorisée.

C'est pourquoi je me bats aussi actuellement pour que les spécificités des fonctions des agents de ce ministère et de leur carrière soient pleinement prises en compte dans le cadre de la réforme en cours du système des retraites. J'ai écrit récemment à ce sujet au Premier ministre, en mentionnant notamment mon attachement au dispositif des bonifications pour services rendus hors d'Europe. Je connais vos préoccupations et je resterai pleinement mobilisé. Ces spécificités qui nous sont propres, qui ne sont pas du corporatisme mal pensé, doivent également être prises en compte dans le cadre de la réflexion conduite par M. Thiriez sur la réforme des concours d'accès à la haute fonction publique.

2020 sera aussi l'année du lancement du Plan parité, dont je présenterai les détails le 9 mars prochain. Pourquoi pas le 8 mars, parce que le 8 mars est un dimanche, cette année. C'est aussi cela, la diplomatie féministe : encourager les femmes de talent de ce ministère, et elles sont nombreuses, à se porter candidates aux postes de responsabilité, agir dans la durée pour élargir notre vivier de recrutement féminin, élargir la discussion à toutes celles et à tous ceux qui peuvent nous aider à avancer dans le bon sens, les directions concernées, l'association "Femmes et diplomatie" et bien sûr les organisations syndicales. C'est le sens de la démarche inclusive engagée à ma demande par la Haute fonctionnaire à l'égalité.

Chacun doit comprendre que la féminisation de notre diplomatie est l'affaire de tous et qu'elle est une chance pour l'ensemble de notre ministère. Parce que nous devons être à la hauteur des exigences fixées par la loi, mais aussi parce qu'une administration qui reflète la réalité de notre société est à l'évidence mieux à même de servir les Français, tous les Français et donc les Françaises.

Des avancées significatives ont déjà été actées, grâce à votre mobilisation, M. le Secrétaire général, à la mobilisation de la Direction générale de l'administration et de la Direction des ressources humaines. On en reparlera plus longuement, le 9 mars.

Je voudrais toutefois rappeler que je veillerai à ce que la lutte contre le fléau du harcèlement se poursuive. Le 8 mars dernier, j'ai annoncé la création d'une cellule d'écoute et de suivi des victimes de violences sexuelles et sexistes. Et, depuis le premier décembre, une cellule spécifique de lutte contre le harcèlement moral a été mise en place. Ma position est très claire sur ce sujet : tolérance zéro. Nous ne laisserons rien passer.


Mes chers amis,

Tout ce que nous faisons, c'est au nom des Français et pour les Français.

Si je voulais commencer l'année en le rappelant, c'est parce que je ne connais pas de meilleure façon de nous inciter, tous, à continuer à donner le meilleur de nous-mêmes, jour après jour. Je sais que vous le faites, que vous continuez à le faire. Et je vous en suis très reconnaissant.

Bonne année 2020 à la diplomatie française et à toutes celles et tous ceux qui la font vivre à travers le monde ! Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2020