Texte intégral
Merci beaucoup et bonjour,
Effectivement le Royaume-Uni quittera l'Union européenne le 31 janvier, dans quelques jours, vendredi à minuit.
Nous le savons, c'est l'aboutissement de plus de trois ans d'intenses négociations qui ont permis d'éviter une sortie désordonnée, et je crois que l'Union a bien montré au cours de cette période sa capacité à parler d'une seule voix, derrière son négociateur en chef Michel Barnier.
Les droits des citoyens européens et britanniques ont donc été préservés, la sortie est ordonnée et c'était la première priorité du gouvernement.
Les citoyens français résidant au Royaume-Uni pourront continuer de vivre, de travailler, d'étudier au Royaume-Uni dans les mêmes conditions que celles qu'ils connaissent aujourd'hui, et réciproquement, les citoyens britanniques résidant sur le territoire français, bénéficieront des mêmes droits qu'aujourd'hui. Cela aura néanmoins quelques conséquences : par exemple, les citoyens britanniques résidant en France ne pourront plus voter ou être éligibles aux élections municipales.
Le 1er février marque donc le début d'une période de transition durant laquelle le droit de l'Union continue de s'appliquer au Royaume-Uni, mais cet Etat devient un Etat à compter de cette date, et donc il ne participe plus au processus décisionnel de Lyon, ni à la Commission, ni au Parlement européen, ni au Conseil des ministres.
Cette période de transition, il faut vraiment la voir comme une période de sécurité pour nos entreprises, pour nos citoyens, et il est prévu, à ce stade, qu'elle s'achève le 31 décembre 2020, sauf si les Britanniques demandent son extension.
Les onze mois à venir seront donc mis à profit pour progresser autant qu'il est possible dans la négociation d'une nouvelle relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. On le sait, cette relation sera différente, différente de ce que nous avons connu jusqu'à présent puisque le Brexit aura des conséquences. Pour autant, nous souhaitons que cette relation soit ambitieuse, équilibrée et fondée sur la réciprocité.
La négociation que nous allons donc mener est globale, elle ne concerne pas seulement les enjeux commerciaux. Elle portera sur des enjeux de sécurité intérieure, de politique étrangère, sur la PESC - je vais y revenir -, sur les mobilités. Ce nouveau partenariat devra respecter des principes clefs essentiels à la protection du projet européen, des intérêts de l'Union. En particulier, nous devons veiller à préserver l'autonomie des décisions de l'Union, l'intégrité du marché unique et l'équilibre entre les droits et les obligations à l'intérieur de l'Union et avec son voisinage.
Dans cette négociation et nous venons d'échanger longuement sur ce sujet lors du conseil des ministres, nous avons plusieurs points de vigilance absolue pour que nous puissions protéger pleinement nos concitoyens, nos agriculteurs, nos pêcheurs et nos entreprises.
En matière commerciale d'abord, nous devons nous assurer de maintenir des conditions de concurrence loyale en matière fiscale, en matière sociale et en matière environnementale.
Le président de la République a insisté sur ce point que nous connaissons et que je rappelle ici : la proximité commerciale que nous développerons avec le Royaume-Uni dépendra de notre convergence réglementaire. Seul un alignement réglementaire suffisant, qui puisse vraiment garantir un zéro dumping, nous permettra d'atteindre l'objectif zéro tarif douanier, zéro quota, qui est l'objectif des Britanniques. Cela veut donc dire que sur les normes sanitaires, sur les normes de production agricoles, nous serons extrêmement vigilants.
Je tiens aussi à dire ici que le libre-échange ne veut pas dire l'absence de contrôle et il nous faudra trouver les mécanismes de contrôle robustes qui pourront être mis en place afin de nous assurer, dans le temps, du respect des engagements pris.
Le secteur de la pêche, vous le savez, est un secteur essentiel qui mobilise toute notre attention et celle de tout le gouvernement. Notre position est ferme, elle est constatée, elle est soutenue par nos partenaires européens : nous devons préserver le meilleur accès aux eaux britanniques pour les pêcheurs français et nous devons maintenir dans ce secteur également une situation de concurrence loyale avec le Royaume-Uni.
Voilà pour les enjeux commerciaux.
On le voit, l'importance des enjeux est majeure et l'urgence, les onze mois du calendrier tel que le souhaitent les Britanniques, ne doit en aucun cas nous conduire à la précipitation, à accepter des compromis qui porteraient atteinte à nos intérêts. Un accord commercial, c'est un accord qui dure sur plusieurs décennies et nous devons nous assurer de faire toujours primer les enjeux de fond, les enjeux de contenu sur les enjeux de calendrier. L'unité des 27 doit être préservée sur les intérêts particuliers.
Le risque existe il est vrai, que les négociations ne soient pas achevées le 31 décembre 2020. Le risque existe également que les Britanniques ne demandent pas une extension pour avoir une période de transition qui puisse durer plus longtemps. C'est pour cela que nous avons également longuement échangé ce matin sur la nécessité de nous préparer à un tel scénario à travers des mesures de contingence qu'il nous faut garder actives pour être prêts à toutes les éventualités.
Le Royaume-Uni restera bien entendu pour la France un partenaire majeur, avec lequel nous entretenons et continuerons d'entretenir des liens profonds sur le plan bilatéral. Je pense, en particulier, au domaine de la sécurité et de la défense. 2020 est, vous le savez, l'anniversaire, les dix ans de l'accord de Lancaster House qui définit, dans ce cadre, une relation très proche.
Nous aurons aussi à travailler de manière très rapprochée avec le Royaume-Uni sur les enjeux climatiques car le pays accueillera à Glasgow la COP26 en 2020, qui sera un moment très important.
Dans les prochains jours, le président de la République recevra vendredi Michel Barnier, et je serai dès lundi à Bruxelles, à nouveau avec Michel Barnier, pour évoquer avec lui et tous les commissaires thématiques, l'ensemble des points d'attention que je viens de vous présenter, pour que nous puissions entrer dans cette nouvelle phase de négociation.
Ce sera également l'occasion de préparer une réunion que le Premier ministre souhaite tenir avec les ministres concernés, en présence de Michel Barnier, au cours du mois de février, pour que nous ayons, là aussi, l'occasion de pouvoir échanger avec le négociateur en chef de manière interministérielle.
Dès mardi, nous serons, avec Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, à Port-en-Bessin, avec les pêcheurs, en Normandie, signe, je vous le dis, de l'engagement très fort que le gouvernement continuera d'avoir pour toute la filière. Et je crois qu'il y a là non seulement un sujet d'intérêt géographique, mais on voit bien que c'est la protection de nos citoyens, la protection de nos intérêts que nous devons faire valoir dans une négociation qui sera donc majeure pour les onze prochains mois. Et s'il faut que cela dure un peu plus longtemps, comme je vous l'ai dit, nous y sommes prêts.
Je suis donc prête à répondre à vos questions, si vous en avez.
Q - Est-ce que vous ne craignez pas que, finalement, le Royaume-Uni ne devienne un paradis fiscal ? C'est que, en tout cas, certains Britanniques visiblement espèrent. Est-ce que c'est un sujet pour vous ?
R - On est au coeur de ce que je viens de vous dire. Nous voulons maintenir une relation équilibrée et loyale. Nous voulons protéger nos entreprises, nous voulons protéger leur capacité à exporter et nous devons aussi nous protéger des importations qui se feraient dans des conditions déloyales.
Evidemment, les sujets réglementaires, les sujets fiscaux, environnementaux, sociaux, seront au coeur des négociations à venir.
Il y a un autre sujet que le sujet fiscal, qui est le sujet des aides d'Etat. Nous avons en Europe tout un cadre qui encadre, qui réglemente les aides publiques que nous pouvons délivrer à nos entreprises, à des secteurs économiques, nous avons par exemple créé une alliance sur les batteries, eh bien, nous devrons être extrêmement vigilant sur les aides d'Etat potentielles que le gouvernement britannique voudra lui-même mettre en oeuvre.
Donc, sur tous ces enjeux-là, nous sommes au coeur de ce que j'appelle la protection des intérêts et la construction d'une relation forte ; aucune raison que l'on cherche à la réduire en tant que telle, mais nous devons nous assurer de conditions d'échanges loyaux, équilibrés et réciproques. Donc, le point que vous soulevez est bien évidemment au coeur de ce sujet.
Q - Sur la période de transition, vous avez dit que vous étiez ouverts à une prolongation. Les Britanniques s'y opposent. Est-ce que vous pensez que c'est déraisonnable de leur part de ne pas se donner quelques mois de plus pour arriver à un accord un peu plus complet ?
R - Ce qui est clair, c'est qu'il faut une cohérence. Les Britanniques nous disent : "on est prêt à négocier pendant onze mois". Et par ailleurs, pour le moment, ils ne sont pas extrêmement clairs sur l'alignement réglementaire qu'ils sont prêts à consentir.
Pour le président de la République, les choses sont très claires. Si on veut conclure un accord rapidement, c'est possible, nous respectons les mêmes normes, nous continuons, sur le commerce des biens, en particulier, à avoir un alignement réglementaire. Et, dans ce cas, nous sommes prêts à signer très rapidement.
À partir du moment où nous ne sommes pas clairs sur cet alignement, sur cette capacité à créer de la réciprocité, nous devons nous mettre en position de protéger nos concitoyens, nos entreprises, nos agriculteurs, nos pêcheurs.
Donc, ce que je dis, c'est que nous n'avons, de notre côté, aucune raison de vouloir précipiter les choses. Un accord commercial, je vous le dis, cela nous embarque pour vingt ans, trente ans. Et on ne va pas signer, le 31 décembre à 23h, un mauvais accord à contre coeur. Il nous faut d'abord être certains de ce qu'il y a dans l'accord. Et la période de transition, si elle dure six mois, douze mois, vingt-quatre mois de plus, ne pose aucun problème puisque nous avons, dans ce cadre, la garantie que nous travaillons avec des échanges réciproques.
Donc, je ne vous dis pas, d'emblée, qu'il faut que cela dure plus longtemps. Je vous dis qu'il y a des conditions qui permettront d'aller vite et puis il y aura des demandes qui, si elles ne sont pas cohérentes, eh bien, nous demanderons plus de temps et de notre côté on règlera le problème. Ensuite, si nous n'avons pas d'accord le 31 décembre 2020 et que les Britanniques n'ont pas demandé d'extension, le point que nous avons fait avec le Premier ministre et le président aujourd'hui c'est de bien rappeler que nous devions être prêt à cette éventualité, nous ne la recherchons bien entendu pas, mais nous devons bien sûr activer nos mesures de contingence, à la fois douanières, portuaires, les services vétérinaires, bref, tout ce que vous connaissez.
Q - Comme vous le soulignez, les prochains mois vont être occupés à Bruxelles par ces négociations qui risquent d'être ardues. Est-ce que vous craignez que cela reporte une nouvelle fois l'agenda européen, et notamment de tous les projets du président, en matière d'Union européenne ?
R - Je ne le crains pas, parce que depuis neuf mois, vous savez, le Brexit était attendu le 29 mars 2019, il aura finalement lieu le 31 janvier 2020. Au cours des neuf derniers mois, l'Europe a passé beaucoup d'étapes importantes. La commission s'est mise en place, énormément de nouvelles propositions sont maintenant sur la table, et nous sommes au travail, maintenant, pour avoir des accords, des majorités, et faire que nos intentions, nos idées, deviennent réalité.
Nous avons ici, en France, un point de rendez-vous essentiel, ce sera la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022. Nous aurons dans les prochaines semaines, au conseil des ministres, une communication dédiée sur ce sujet, donc je serai ravie de vous en reparler à ce moment-là. Mais, il est bien entendu, aujourd'hui même, la commission européenne présentait son agenda pour 2020. Je vous invite à le consulter. Vous y verrez sur les grandes thématiques de l'agenda stratégique qui a fait l'unanimité au conseil européen, le programme de travail extrêmement rempli, scandé, dense, sur les enjeux de souveraineté.
Comment on crée une Europe-puissance, dans le domaine du numérique, dans le domaine, bien sûr, des questions spatiales, industrielles, des PME. Vous y verrez des ambitions très fortes pour tout ce qui a trait au climat, que ce soit pour la neutralité carbone en 2050, le rendez-vous de 2030 et la COP de Glasgow. Si vous consultez ce document, vous voyez que l'Europe n'est pas en panne, et que nous avons bien, dans l'organisation même de la commission, c'est pour cela que la position de Michel Barnier est essentielle, une organisation qui nous permet d'avoir un travail extrêmement important sur le Brexit, et des résultats.
Pourquoi est-ce important ? Et je conclurai là-dessus. Si le Brexit nous met dans une position d'hébétude collective et que nous arrêtons de faire ce pour quoi les citoyens nous demandent d'agir, à savoir faire que nous soyons plus puissants, qu'il y ait plus de convergence, plus de solidarité, et qu'il y ait plus de résultats, alors oui, le Brexit deviendra très pernicieusement une source d'affaiblissement.
Donc, notre volonté française, c'est d'arriver à avoir des majorités, des accords et des résultats, et le point de rendez-vous de 2022 sera pour nous, à ce titre, très important. Ce sera la "mi-mandat" d'ailleurs de Mme Ursula von der Leyen et du parlement européen. On voit bien qu'on a un moment de rendez-vous à ce moment-là.
Q - Un mot sur les retraites des Français qui ont travaillé ou qui travaillent actuellement au Royaume-Uni. Est-ce que le Brexit, cumulé à la réforme actuelle en France, est-ce que cela met en danger les retraites des Français qui ont travaillé, ou qui travaillent au Royaume-Uni ?
R - Sur tous les droits sociaux, les choses qui prévalent aujourd'hui pour les citoyens qui sont actuellement au Royaume-Uni ou qui s'y installeraient jusqu'à la fin de la période de transition, à ce stade la fin de l'année 2020, le Brexit ne change rien. Donc, les règles qui s'appliquent pour ces personnes, dans la réciprocité des droits, dans la prise en compte de leurs droits à la retraite, sont maintenues. En revanche, pour le futur, cela fait partie des nombreux points qu'il nous faudra discuter. Tout ce qui a trait à la relation réciproque de reconnaissance, par exemple, sur ces sujets-là, sera discuté dans le cadre de la relation future. Mais, pour les gens qui sont actuellement au Royaume-Uni, les droits acquis, la manière de fonctionner, pour eux, les choses ne changent pas. C'est l'avantage de cet accord de retrait ordonné. Nous avons d'ailleurs passé beaucoup de temps, à l'Assemblée nationale, sur ces sujets, quand il a fallu préparer les choses ; nous assurer que les droits sociaux, dans le cadre d'une sortie ordonnée, soient maintenus et qu'il n'y ait pas de question sur ces sujets.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2020