Texte intégral
Q - Le Royaume-Uni est sorti de l'UE depuis le 1er février et souhaite parvenir à un accord sur sa relation future avec les Vingt-Sept avant le 31 décembre. Cela vous semble-t-il possible ?
R - Nous ne sacrifierons pas l'accord sur notre relation future avec le Royaume-Uni - son contenu, ses équilibres et les garanties qu'il apportera - sous prétexte qu'il faudrait signer coûte que coûte avant onze mois. Sur le plan commercial, le degré d'ouverture que nous pourrions consentir dépend du degré de convergence, normative et réglementaire, auquel le Royaume-Uni consentira pour l'agriculture, l'environnement, le social, la fiscalité, les normes sanitaires, les aides d'Etat... Si Londres accepte un alignement réglementaire, on pourra signer avant le 31 décembre. Si l'on nous demande de tout retricoter, alors il faudra prendre le temps nécessaire pour y arriver.
Q - Mais le Premier ministre britannique, Boris Johnson, refuse l'alignement réglementaire et l'idée de négocier au-delà du terme fixé...
R - Le mandat octroyé à Michel Barnier [chargé de négocier pour l'Union européenne] doit dire : d'accord pour zéro tarif et zéro quota, mais alors aussi zéro dumping. Ce qui ne veut pas dire, j'insiste, zéro contrôle douanier. Au-delà du problème commercial, il y a les questions de pêche, de sécurité, de défense, d'énergie, de transport aérien... Nous ne serons d'accord sur rien tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout. Il n'est pas question de saucissonner les négociations.
Q - Et donc de risquer que les Vingt-Sept se divisent, puisqu'ils n'ont pas tous les mêmes intérêts...
R - Des experts des Etats membres se sont déjà réunis et ont permis de recenser les problèmes à résoudre. Il est apparu qu'il y avait très peu de distance entre les Vingt-Sept, ou entre eux et la Commission. C'est notre intérêt, et celui de nos concitoyens, de rester unis et d'être clairs dans ce que nous demandons au Royaume-Uni.
Nous devons surtout conserver l'exigence absolue d'une action européenne qui ne soit pas paralysée par cette négociation sur le Brexit. La Commission doit sortir de la logique de celles qui l'ont précédée : des stratégies et des ambitions qu'on se fixe, mais pas toujours les moyens suffisants pour les atteindre.
Q - Y a-t-il donc, en bout de ligne du Brexit, un risque d'affaiblissement pour l'Union ?
R - Bien sûr. Mais le risque n'est pas vraiment le Brexit, c'est l'incapacité à répondre concrètement aux objectifs fixés : "l'Europe qui protège sa souveraineté", "l'Europe puissance, et puissance industrielle"... Désormais, il faut faire. Il nous faut les résultats concrets de ce que l'on décide. Il faut donc, certes, savoir comment on négociera avec les Britanniques mais également, durant ces onze mois, être capable de dire aux gens que ce qui a pu nourrir la campagne pour le Brexit ne trouvera pas de ferment dans d'autres pays. Le délitement pernicieux peut se produire si nous n'accélérons pas notre capacité à mettre en oeuvre nos projets, nos objectifs et nos ambitions. Le Brexit va alimenter les fantasmes de ceux qui, ici ou là, veulent que leur pays sorte de l'Europe. Si l'Europe est tétanisée, elle leur donnera des arguments.
Q - Les premiers doutes quant à la capacité à mettre en oeuvre le Green Deal apparaissent. À tort ?
R - Ce projet nous oblige à la cohérence. Il faut mettre de l'argent dans le budget pour le climat et l'environnement. Nous devrons être cohérents, aussi, sur le plan commercial : si l'on veut opérer une véritable transition agro-environnementale, on ne pourra pas, sous prétexte d'une prétendue raison supérieure, signer un accord avec les Américains qui voudraient abaisser nos standards.
Q - Pourtant, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, veut se rendre à Washington pour relancer les négociations sur un accord commercial, aujourd'hui à l'arrêt...
R - On ne peut pas applaudir [la militante suédoise] Greta Thunberg le lundi et dire, le mardi, à [le président américain] Donald Trump on va faire un accord. La France est claire sur ce point et il faudra que la Commission européenne reste très vigilante.
Q - Les discussions s'annoncent rudes sur le futur budget européen, pour la période 2021-2027, alors qu'il représentera quelque 1% du PIB des Etats membres. N'est-ce pas ridicule ?
R - Il faudra un budget à la hauteur de nos ambitions. Il est prévu que 25% du budget soit consacré à la lutte contre le réchauffement climatique, ce chiffre doit monter à 30% au moins. Il faut aussi consacrer 10% du budget à la biodiversité et à la lutte contre la pollution. Que fait-on, en outre, pour les revenus des agriculteurs, l'innovation pour la transition écologique, l'intelligence artificielle, le soutien aux PME ?
Q - Où en est le projet de punir budgétairement - en limitant les fonds de cohésion ou régionaux auxquels ils peuvent prétendre - les pays qui ne respecteraient pas l'Etat de droit ?
R - Un budget, c'est un outil politique. La conditionnalité, sur la convergence sociale ou l'Etat de droit, s'inscrit dans cette logique. Il semble assez logique qu'un pays qui ne respecte pas ces conditions ne bénéficie pas de l'intégralité de son enveloppe.
Q - Peut-on vraiment croire à "l'Europe puissance" que vous évoquiez quand on voit les derniers développements à propos de la Libye ou de l'Iran ?
R - Pas de défaitisme ! Sur l'Iran, nous continuons de tenir un discours commun. Sur la Libye, c'est à Berlin que s'est déroulé le récent processus diplomatique...
Q - Qui a prôné un cessez-le-feu, qui n'est pas appliqué...
R - Le sujet, c'est effectivement notre capacité à mettre en oeuvre ce qui est dit, que ce soit la relance de la mission "Sophia" et la nouvelle mission dans le détroit d'Ormuz. La Commission doit nous aider à aller plus vite. Je ne suis pas certaine, par ailleurs, que sur tous les sujets il faille une expression systématique des Vingt-Sept. Un nombre limité de pays peut désormais agir et porter une voix européenne.
Q - La France s'estimait trop seule au Sahel. Est-elle désormais rassurée ?
R - Nous avons prôné une remise à plat et une action plus coordonnée, avec du militaire, du renseignement, de l'humanitaire, des forces spéciales, de l'accompagnement dans la reconstruction des structures étatiques... Chacun viendra désormais avec ce qu'il peut apporter, en vue d'un objectif commun.
Q - La Commission promet un vaste plan pour la migration. Qu'en attendez-vous ?
R - Que l'on sache qui se présente aux frontières, avec une véritable stratégie de lutte contre la migration illégale et économique, et donc contre les passeurs. Deuxièmement, un système d'asile commun qui évite les actuels mouvements entre pays européens. Troisièmement, l'instauration d'une véritable solidarité entre les pays pour l'accueil des personnes en demande de protection, couplée à une politique de renvoi. Quatrièmement, une politique d'aide au développement dans les pays d'origine et de transit.
Q - La solidarité, une série de pays, à l'Est, n'en veulent pas...
R - La discussion a été bloquée par la discussion sur la relocalisation obligatoire, les quotas, etc. Mais personne ne conteste le caractère indispensable de règles communes pour l'asile, et le principe de solidarité doit trouver à s'appliquer dans tous les pays.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2020