Conférence de presse de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Brexit et l'élargissement de l'Union européenne, à Bruxelles le 3 février 2020.

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Texte intégral

Bonjour, bonjour à toutes, bonjour à tous.


J'arrive du bureau de Michel Barnier qui a eu une journée occupée, moi également. Je suis ici à Bruxelles aujourd'hui parce que c'est la première journée de travail après le Brexit. C'est aussi la journée où la Commission européenne, à travers les mots de Michel Barnier tout à l'heure, a présenté son mandat de négociation et le message clé de ma présence c'est vraiment de nous assurer de l'unité des 27. On a réussi à avoir une sortie ordonnée parce que les 27 ont, pendant ces plus de trois ans de négociations, réussi à tenir un message commun. Et je crois qu'il est maintenant extrêmement important que nous restions unis, ensemble, pour à la fois apporter des protections et des garanties à nos citoyens, à nos entreprises, à nos pêcheurs, à nos agriculteurs, à nos chercheurs, bref à tous ceux qui aujourd'hui ont une activité avec le Royaume-Uni et qui nous demandent également d'être protégés potentiellement de l'action du Royaume-Uni dans les années à venir, si cela doit être le cas.

On voit que Boris Johnson veut affirmer la puissance du Royaume-Uni. Nous aussi, nous avons le devoir, la responsabilité à la fois d'affirmer celle de l'Union européenne et d'accélérer dans notre capacité à apporter des résultats aux citoyens.

Nos deux chemins, celui du Royaume-Uni et celui de l'Union européenne, aujourd'hui, sont séparés. Ils sont séparés parce que la décision souveraine du peuple britannique a été de rompre ce chemin commun que nous avions ensemble.

Nos intérêts, disons-le honnêtement, ne sont pas toujours convergents. En revanche, il faut que nous travaillions à la convergence de nos intérêts à 27. Dans cette négociation, notre unité est la plus grande de nos forces. Nous sommes un marché commun de 460 millions d'habitants. Nous devons, non pas cacher cette force, mais en prendre la mesure et l'affirmer.

Nous sommes assez clairs sur le fait, et les échanges que j'ai pu avoir aujourd'hui avec Phil Hogan, avec Thierry Breton et avec le commissaire à l'agriculture polonais également montrent bien que nous ne voulons pas de mini deal. Nous ne voulons pas faire de concession à la dernière heure, sous la contrainte du temps ou sous la contrainte de la menace de devoir affaiblir le projet européen.

Nous sommes très clairs, l'accord qui devra être signé sera signé parce qu'il sera un bon accord, parce qu'il apportera des garanties, parce qu'il apportera de la visibilité, parce qu'il apportera la capacité à nous projeter dans vingt ans, trente ans, c'est en moyenne le temps que durent les accords, dans vingt ou trente ans de vie avec des chemins qui sont donc maintenant des chemins cohérents et des chemins de réciprocité, d'équilibre et de loyauté.

Cette négociation, c'est une négociation qui va se passer ici à Bruxelles et aussi se passer avec les citoyens. Et demain je serai à Port-en-Bessin sur les pontons parce qu'il est clé, absolument clé que nous comprenions bien que derrière les grands mots, les grands concepts les grandes phrases, il y a la situation très individuelle, très particulière d'acteurs économiques à qui nous devons garantir un futur prévisible. Je pense que c'est cette tension-là qu'il va nous falloir maintenir dans les mois qui viennent, nous assurer que nous savons à la fois entre nous maintenir l'unité, et expliquer sur le terrain ce qu'il y a en jeu. Le mieux, je pense, c'est que je puisse répondre à vos questions mais voilà l'état d'esprit déjà qui était le mien.


Q - Sur cette tension convergences-divergences, qu'est-ce que vous identifiez déjà dans les zones de divergences ? Est-ce qu'on a intérêt aussi à avoir des points de divergence dans certains secteurs ?

R - Donc, vous parlez de la convergence/divergence entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ce qui est très clair, c'est qu'il y a des sujets, - c'était dans le mandat, c'est extrêmement clair -, par exemple sur les aides d'Etat, il nous faut une convergence absolue, et dans le temps, entre ce qui est pratiqué de part et d'autre de la Manche. Il y a des sujets qui sont au coeur de la politique européenne. Je pense notamment au Green Deal. Si on embarque le continent européen dans une transformation fondamentale de ses méthodes de production, d'alimentation et donc de tout son modèle économique pour le rendre neutre en carbone en 2050, il va falloir que nous ayons là une convergence d'objectifs et donc, ensuite, que nous assurions que les Britanniques se mettent bien sous le même chapeau d'actions. Autre sujet, c'est tout ce qui a trait à la sécurité alimentaire, aux normes sanitaires, aux normes environnementales, agricoles et de production agroalimentaire. Je parle bien de production, le sujet ce n'est pas seulement la qualité du produit tel qu'on le contrôle dans un port, c'est aussi la façon dont il a été produit. Je crois qu'aujourd'hui, sur ces sujets-là, vous le voyez, évidemment, il faut que nous gardions des règles communes.

On ne peut pas jouer de manière réciproque et loyale si on n'a pas les mêmes règles. Dans ces domaines-là en particulier, c'est essentiel. Je peux aussi vous dire, et ça c'est très important à faire comprendre à tous les citoyens européens : le marché unique sera protégé. Un marché avec zéro tarif douanier, zéro quota, pour nous c'est un marché où il y a zéro dumping, mais ce n'est pas un système où il y a zéro contrôle, au contraire. Tout accord de libre-échange, à partir du moment où vous n'êtes plus dans le même espace juridique, à partir du moment où la Cour de justice de l'Union européenne ne s'applique plus, il va falloir des contrôles. Donc, cela veut dire qu'à Calais, il y a aura des contrôles, cela veut dire qu'évidemment en Irlande, tel que c'était prévu par le protocole, il y a aura des contrôles, cela veut dire que les fameux douaniers, les sept cents douaniers français vont avoir un rôle à jouer parce que, je le répète, le libre-échange, ce n'est pas l'absence de contrôle. Libre-échange, cela veut dire qu'on tolère que les flux se fassent sans tarifs douaniers et peuvent se faire sans quotas, sans limitations de volumes. C'est très important parce que justement pour apporter des garanties, la protection aux citoyens, il faut là-dessus qu'on soit extrêmement clairs.

L'accord de libre-échange, ce n'est pas l'Europe passoire. C'est une Europe qui sait définir des engagements, que les parties prennent des engagements et que nous ayons les méthodes et les moyens de faire appliquer ces engagements dans le temps et dans un temps long et d'avoir du coup une gouvernance, des mécanismes de rétorsions ou de sanctions ou de suspensions si les contrôles que nous faisons nous montrent que les engagements pris ne sont pas tenus.

Q - Normalement les Britanniques sont partis pour se séparer de ces normes-là. Allez-vous exiger que ce soient les mêmes normes réglementaires ? Ou bien est-ce que selon les secteurs il y a une marge de manoeuvre dans la négociation ? Avec l'exemple de la sécurité alimentaire, est-ce que ça sera tous les produits alimentaires où vous voulez la même réglementation, ou est-ce que, selon les secteurs, il y aura des négociations pour qu'on se rapproche au plus ?

R - Il y a ce que dit Boris Johnson aujourd'hui, et il y a ce que disent les Européens. Je pense qu'il faut que le mandat qui a été présenté par Michel Barnier soit accepté par le Conseil et les discussions que l'on va avoir entre nous. Ce qui est très clair c'est qu'on a des leviers. Le Royaume-Uni peut de manière souveraine totalement décider qu'il ne veut pas respecter les normes européennes. Cela concerne ce qu'il fait sur l'île du Royaume-Uni. Et d'ailleurs, de manière souveraine, chacun des pays, pas pour l'Union européenne car à l'intérieur nous avons accepté de décider une grande partie de nos normes ensemble, mais tous les pays du monde peuvent décider beaucoup de choses tout seuls, en dehors des traités internationaux. Mais à partir du moment où les biens passent la frontière, la manière dont ils ont été produits, ce qu'ils contiennent et donc leur nature concernent l'endroit où ils arrivent. Donc, ce que je peux vous dire, c'est que sur tous les biens, nous aurons des normes à faire respecter pour qu'à la fois les consommateurs soient dans un espace de sécurité et que les producteurs ne soient pas dans une situation de concurrence déloyale. J'insiste sur ce point.

Les Britanniques sont souverains, sans aucun doute. Ils ont, par le Brexit et par le fait qu'ils ont retrouvé la capacité réglementaire, la capacité de définir chez eux des normes. À partir du moment où les biens qu'ils produisent veulent être exportés, cela ne concerne plus seulement les Britanniques, cela concerne les Européens, en tout cas les gens qui vont acheter leurs produits, et dans ce cadre-là, c'est d'ailleurs pour cela que nous avons des règlements commerciaux, pour définir les moyens, les contrôles et les normes que l'on se fixe pour accepter les produits, non seulement dans ce qu'ils sont, leur nature, ce qu'on peut contrôler en laboratoire, mais également la manière dont ils ont été produits. C'est pour cela que dans certains pays, nous avons des quotas, des interdictions, des tarifs douaniers, car nous considérons que la manière dont ils ont été produits placerait nos propres producteurs dans une situation de concurrence déloyale.

Pour l'alignement dynamique, je prends l'exemple du Green Deal. Nos méthodes de production ne seront pas les mêmes dans vingt ans. Vous imaginez bien que si la seule chose qu'on s'est dite, c'est "vous devez appliquer les normes en vigueur au 1er janvier 2021, et après vous faites ce que vous voulez", on voit bien que ce n'est pas décent et que cela ne peut pas marcher. Evidemment qu'il nous faut un mécanisme de gouvernance dans le temps pour nous assurer que nous continuons de jouer sur un terrain de jeu équitable dans le temps.

Q - On peut imaginer par exemple qu'ils aient deux filières, il y a la filière des produits qui vont dans l'Union européenne et puis qu'ils aient pour eux, pour les Etats-Unis...

R - Nous, vous savez, la souveraineté des Etats nations dans le monde, chaque pays, il y a des traités internationaux. Je prends un exemple pour être concrète : le travail des enfants est banni au niveau international, c'est un traité de l'ONU.

Q - Sur les normes sanitaires...

R - Sur les normes sanitaires, il y a des produits qui sont interdits dans le monde entier. Ça, ce sont des traités internationaux qui s'appliquent à tout le monde. Ensuite, ce que je vous dis, c'est que quand il s’agit d'exporter des produits, c'est là où un pays tiers... Ce que vous dites c'est intéressant, parce qu'on est au coeur, lorsque vous dites qu'il pourrait y avoir deux jeux de normes, on est au coeur de la revendication des entreprises britanniques elles-mêmes. Aujourd'hui, le CBI, les grands industriels de l'automobile ou de l'aérospatial sont très clairs. Ils demandent le fait qu'ils conservent les mêmes règles que celles en vigueur dans l'Union européenne. Pourquoi ? Parce que les fameux cinq millions de camions qui passent chaque année de Calais à Douvres, ils nous disent une chose, ils nous disent que les systèmes productifs de l'Union et du Royaume-Uni sont totalement intégrés. Aucune entreprise, aujourd'hui, ne sait gérer deux jeux de normes. Aucune entreprise ne sait dans la même usine produire des biens pour un marché avec des normes différentes de celles qui est produit pour un autre marché.

Donc ma position, la position des 27 et la position française, ce n'est pas une position émotionnelle, ce n'est pas une position de revanche, ce n'est pas une position de punition. C'est une position économique rationnelle, à tel point que c'est aussi celle des acteurs économiques britanniques. Après, il faut que ces acteurs économiques britanniques soient écoutés par leur gouvernement. J'espère qu'ils le seront, en tout cas, dans leur intérêt, je le leur souhaite. Mais ce que je vous dis c'est que dans le monde économique tel qu'il est avec un partenaire commercial qui est à cinquante kilomètres de nos frontières, les entreprises, de manière évidente, rationnelle, pragmatique, vous disent qu'elles ne sont pas en capacité de gérer la production de biens avec deux jeux de normes différents. D'où le fait qu'elles demandent de conserver les mêmes règles, maintenant et dans le temps. Les mêmes règles maintenant, c'est la déclaration politique. Il est bien écrit que le Royaume-Uni ne retournera pas en arrière. Les règles futures, c'est tout l'enjeu de la négociation de la relation future.

Q - (inaudible)

R - Il y a eu des groupes techniques, d'experts techniques qui ont eu lieu déjà depuis plusieurs semaines. Ce qu'on voit c'est qu'il y a énormément de sujets où la convergence est assez évidente, assez naturelle. Il y a certains sujets, je pense aux sujets sur la sécurité par exemple, au transport aérien, où aujourd'hui les approches doivent encore être discutées. Mais ce que je vois, vous savez, quand on regarde ce qui s'est passé pendant trois ans, certains ont été étonnés de voir que nous arrivions à rester aussi unis.

La conclusion des groupes techniques qui ne sont pas des négociations entre nous, qui sont juste un endroit où chacun a pu dire ce qu'il pensait des différents enjeux, montre que, j'allais dire, sur 70-80% de sujets au moins, il y a un alignement parfait entre les 27 avec la Commission.

Sur les sujets ensuite, il y a à la fois des sujets qui sont des sujets de compréhension, il y a des sujets de curseur, il y a des sujets tactiques, et c'est là-dessus qu'il faut qu'on discute. Je ne pense pas que le mandat va changer profondément à mon avis. On est déjà très proches de ce qui est la voix des 27.

Q - Vous avez des sujets par exemple ? De transport ou [inaudible]

R - On le sait, par exemple, le système d'information Schengen, c'est un sujet qui cristallise beaucoup de débats parce qu'il n'y a pas de régime "pays tiers" pour les pays non membres de Schengen. Il y a une question à la fois de contenu : quels échanges d'informations on veut avoir avec les Britanniques comme on les avait avec le système d'informations Schengen. Ensuite, il y a un sujet juridique : comment on organise cette question, sachant que le statut "pays tiers" n'existe pas. Donc, là vous voyez, il peut y avoir des divergences sur la manière d'y arriver, sur les outils juridiques. Fondamentalement, évidemment, aucun Etat - ni les Britanniques ni sur le continent européen - n'a envie de jouer avec la sécurité de leurs citoyens. Donc, c'est une question où à la fois, oui, il y a des enjeux politiques, mais ensuite il y a des enjeux de mise en oeuvre, il y a des enjeux sur la manière d'y arriver qui ont ensuite un sens politique parce qu'il y a des façons différentes d'organiser les choses.

Q - Sur l'élargissement, la méthodologie de la Commission européenne devrait être publiée mercredi, je suppose que vous avez déjà une idée du contenu. On n'aura pas de gros psychodrame en mars comme on en a eu en octobre ? Est-ce que, de ce que vous avez vu jusqu'ici, vous êtes satisfaite ?

R - Il y a plusieurs choses dans votre question. D'abord la France a toujours dit trois choses.

Un, les pays des Balkans occidentaux ont une perspective européenne indéniable. C'est un engagement pris, c'est une évidence géographique, c'est la suite d'une histoire partagée. Cela ne change pas.

La deuxième chose, c'est que cela fait des années que la France a demandé à la Commission de trouver une méthode de négociation qui soit plus utile sur le terrain, et que cette méthode de négociation non seulement soit moins frustrante pour les pays qui négocient de part et d'autre de la table. Elle est frustrante pour les pays européens car elle est extrêmement longue et technique, et elle n'est pas pilotée politiquement. Et elle est frustrante pour les pays des Balkans occidentaux car elle n'apporte pas sur le terrain de bénéfice concret à la population. Et on voit donc que le sentiment pro-européen recule.

Troisième enjeu pour nous, c'est que les réformes demandées depuis déjà plusieurs années puissent bien être maintenues, on ne fait pas de pause dans les réformes sous prétexte qu'il y a des discussions à Bruxelles, et surtout qu'on ait un agenda économique partagé plus fort. Les influences étrangères, dont tout le monde craint l'existence dans cette région, la meilleure façon de les combattre, ce n'est pas les grands débats juridiques, c'est en investissant des moyens économiques forts sur le terrain.

Avec le commissaire Várhelyi, on a de très bons échanges de travail sur la base de la proposition que j'avais pu présenter au Conseil affaires générales, à savoir un processus graduel, concret, qui apporte des bénéfices sur le terrain, réversible, et qui soit politiquement tenu. Je pense que les communications qui seront faites mercredi par le commissaire montreront que nous avons sur tous ces domaines-là un changement de méthodologie, de paradigme même. Le but n'est pas de négocier pendant quinze ans et de laisser tout le bénéfice concret à la fin. C'est bien, par étapes, d'ancrer de plus en plus cette région dans l'espace européen.

Sur cette base, il faut encore qu'il puisse y avoir un accord entre Etats membres, il faut que cela puisse être validé. Il y aura forcément une discussion entre les Etats membres. Il faut s'assurer sur la base du rapport de situation que fera la Commission au mois de mars, que les conditions sont remplies et que le diagnostic soit positif. Et il faut s'assurer qu'il y ait une vraie feuille de route économique. On ne peut pas donner le monopole aux questions juridiques et de négociations administratives dans une région où nous voulons peser. Il faut que la feuille de route économique soit crédible, sinon tout cela n'est que la politique du signal, une politique où on se sent moralement bien et où rien ne se passe sur le terrain. C'est le pire. C'est comme cela que l'Europe perd à la fois de l'influence et de la crédibilité. Donc on travaillera ensemble mercredi, et ce qui est clé, pour moi, c'est qu'on puisse avoir après, entre Etats membres, une discussion qui permette collectivement, si cette méthodologie doit changer, qu'elle soit acceptée par tous. Dans ce cas-là, cela pourra permettre que le débat évolue dans les conclusions que nous pourrons tirer ensemble.

Q - Si cette méthodologie est acceptable, alors vous donnerez le feu vert ?

R - Ce n'est pas automatique. Je vous ai parlé du rapport de situation du mois de mars et ensuite il faut qu'il y ait un dialogue, il n'y a pas d'automaticité. Mais il y a des choses que la France demande depuis des années et nous voyons que la Commission a pu travailler de manière assez concrète sur ce sujet.

Q - Inaudible - Balkans occidentaux

R - Alors non, on va reprendre les choses. Je pense qu'il est extrêmement important si nous voulons, pour le mois de mars en vue du Sommet de Zagreb, préparer un moment positif comme l'a dit le président de la République, il faut que les Etats membres rapidement donnent la validation ou pas - et dans ce cas-là nous déciderons ce que nous faisons - sur la méthodologie. Je m'explique : le président de la République, il y a quelques mois, a dit "moi, je ne suis pas prêt à donner un mandat d'ouverture des négociations sur la base d'un mandat qui n'apporte pas de bénéfices concrets, qui n'est pas réversible, qui n'est pas tenu politiquement". Cette position ne changera pas. Ce n'est pas parce qu'un processus est engagé, si on n'a pas la certitude qu'il aboutisse, je ne vois pas pourquoi on changerait de position.

Q - Si on voit plus de réformes, cela ne vous suffit pas ?

R - Je vous parle de la réforme de la méthodologie. Ce que je dis c'est que, pour que la France puisse faire changer ou faire évoluer sa position, il faut que le cadre dans lequel elle prenne sa décision ait évolué. Il faut donc qu'il y ait eu un accord entre Etats membres sur le mandat de négociation que nous voulons avoir avec les pays candidats.

Q - Sur le Brexit, la Commission a aujourd'hui dit que tout cet accord de future relation sur le commerce, la pêche, la sécurité, etc., tout soit ratifié comme un accord [inaudible] les parlements nationaux même s'il y a des compétences mixtes là-dedans et.....

R - On est dans un monde très hypothétique, parce qu'on est en train de préempter à la fois le moment, le contenu et ce sur quoi nous nous serons mis d'accord. Il y a des sujets qui sont de compétence exclusive, ce n'est pas un scoop, c'est tous les enjeux commerciaux. Il y a des sujets comme la sécurité où une grande partie de ce dont nous parlons sont de compétence exclusive. Il y a des sujets qui sont des sujets mixtes. Bien sûr que l'enjeu de la mixité, ce n'est pas un enjeu détaché du contenu. C’est-à-dire que pour ratifier un accord, il faut savoir ce qu'il y a dedans. Et donc, pour savoir si c'est un texte mixte ou un texte de compétence exclusive, si c'est un accord à la majorité qualifiée ou si c'est un accord à l'unanimité, il faut que nous regardions déjà ce sur quoi nous devons nous prononcer. Donc, évidemment, cette question de la mixité ou de la compétence exclusive va rester un sujet de débat. Cela va dépendre de ce sur quoi nous nous mettons d'accord avec les Britanniques.

Q - (inaudible)

Déjà, le fait que l'Europe ait à se réformer de l'intérieur, notamment en vue d'un projet d'élargissement, je pense que la Conférence sur l'avenir de l'Europe pose énormément de questions utiles. Ce travail est lancé et, évidemment, la France, dans ces travaux, va peser de tout son poids pour que nous soyons cohérents et si nous sommes en train de négocier les procédures d'élargissement, ce qui ne veut pas dire adhésion, mais si nous sommes en train de négocier ce genre de choses, il faut qu'on puisse en tirer les conséquences de manière anticipée. Donc, ce travail-là, il a commencé. C'est ce que la Commission a présenté avec Mme Suica, c'est ce que le Parlement européen a voté, ce sont les premières discussions qui ont eu lieu au Conseil des affaires générales la semaine dernière. Donc ce travail, il a commencé.

Par ailleurs, sur la méthodologie, ce que je vous dit, c'est que le Commissaire Várhelyi présente mercredi une nouvelle manière d'envisager ces négociations, et c'est extrêmement important pour nous que cette nouvelle manière soit comprise, qu'elle puisse ensuite être adoptée, qu'elle soit cohérente avec ce que nous avons demandé depuis maintenant plusieurs années. Je vous rappelle les principes : graduel, concret, réversible, piloté politiquement. Donc, si nous avons cela et que cela fait accord, alors le cadre de la décision que nous avons à prendre - d'ouvrir ou non les négociations - se pose de manière très différente de ce qui se passait au mois d'octobre. Donc, nous verrons à ce moment-là si les choses peuvent évoluer.

Q - Autrement dit, si tout le monde est d'accord sur la proposition de la Commission, la réforme de l'Union ne sera pas comprise dans le papier ?

R - La réforme a commencé et aujourd'hui aucun pays n'est prêt à l'adhésion. Ce que nous disons c'est qu'il y a "négocier vers l'adhésion" et puis ensuite, il y a "prendre la décision de l'adhésion". Et nous disons que pour négocier il nous faut une méthodologie rénovée et pour prendre la décision de l'adhésion, ce qui ne se pose pas aujourd'hui, il faudra d'ici-là que l'Union européenne se soit réformée. C'est l'importance et l'intérêt de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

Q - (inaudible)

R - Il n'y a pas de piège dans ce que je vous dis. Le président a dit deux choses. Sur l'élargissement j'ai deux demandes : un, que l'Europe fasse son travail interne, à savoir qu'elle se réforme. Deux, que la négociation se passe avec une méthodologie qui soit utile au pays, et qui ne soit pas frustrante pour les deux parties. Il a posé deux conditions.

La première : réforme de l'Union. Nous lançons la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Aucun pays n'est prêt à adhérer au Conseil de l'Union européenne dans les deux prochaines années. Donc, si un pays se présente pour adhésion ce sera après la conclusion de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, et vous pouvez compter sur l'ambition française pour porter, dans le cadre de cette conférence, des vraies ambitions de réforme.

Sujet deux : pour ouvrir les négociations, nous demandons à ce que le cadre des négociations soit concret, graduel, réversible et piloté politiquement, et donc nous attendons que M. Várhelyi le présente et nous attendons surtout que cela soit accepté, car si cela n'est pas accepté vous voyez bien que la France reviendra bien à son point de départ.

Q - J'ai une question des cabinets et portefeuille, est-ce que vous êtes satisfaite de la place que la France a eue ?

R - Ce que je sais, c'est que la France est le premier pays en termes de nationalité et de présence dans les cabinets. Je pense que l'influence française, c'est une question à la fois d'idées, d'hommes et de femmes. Et je pense que nous avons aujourd'hui une équipe, si je peux parler comme cela, qui correspond aux idées que nous voulons porter, qui correspond au mandat politique que le président de la République avait reçu des Français quand il a fait campagne. Et donc, maintenant l'enjeu c'est que tout ce monde-là travaille à avoir des résultats concrets et que sur le terrain, partout en Europe, les citoyens voient qu'il y a eu un débat, il y a eu une élection et qu'aujourd'hui on leur apporte sur le terrain du concret, du tangible et du visible.

Q - Sur la pêche, au-delà des sept ou huit pays, dont le nôtre, qui ont un véritable intérêt commun, est-ce que vous avez l'espoir d'entraîner ou de créer une masse critique chez les 27 qui permettrait de peser ?

R - Alors, cette négociation, ce n'est pas une négociation qui serait une somme de négociations bilatérales. Donc, ce que nous devons faire, c'est que la voix autour de Michel Barnier soit unie. Ce que je peux vous dire, j'étais à Copenhague jeudi et vendredi, pour une réunion avec les pays nordiques, Finlande, Suède, Danemark. Le Danemark est dans la même situation que la France : 40% du poisson pêché au Danemark est pêché dans les eaux britanniques. Je peux vous dire que la situation est la même qu'en Normandie, que dans les Hauts-de-France et qu'en Bretagne, c'est vital. S'il n'y a plus d'accès aux eaux britanniques, cette filière de pêche-là, la filière de transformation est par terre. Donc, nous avons des intérêts très convergents.

Ce que je peux vous dire avec les pays qui sont, comme l'Autriche ou la Roumanie, pas du tout concernés pour des raisons évidentes par les sujets de pêche dans la Manche ou autour des îles britanniques, il y a un intérêt très clair, c'est ce que je vous disais : c'est que chacun dans ces négociations a des intérêts particuliers mais nous avons, je crois, la certitude que la meilleure façon de défendre chacun des intérêts des 27, c'est que nous défendions, ensemble, les intérêts de chacun. Donc, les Roumains, les Autrichiens ont bien compris que pour nous c'est essentiel, et ils voient bien pourquoi. Inversement, il y a des sujets qui sont importants pour les Roumains, pour les Autrichiens, que nous, France, nous défendrons avec la même vigueur vis-à-vis de Michel Barnier, parce qu'on sait que c'est en partageant nos intérêts particuliers que nous arriverons chacun à les défendre. Donc, on a une unité formelle.

Je crois que le groupe technique sur la pêche, - ça n'a pas duré très longtemps, la réunion, parce qu'a été présentée ce qui était l'ambition par les pays les plus concernés, l'intégralité des présents ont dit "évidemment". Evidemment que vous ne pouvez pas politiquement accepter que 40%, 50% de l'activité d'une filière qui pour vous est créatrice de dizaines de milliers d'emplois soit du jour au lendemain rayée de la carte parce qu'on n'arrive pas à se mettre d'accord. Le fait que l'accord commercial dépendra à la fois du niveau d'équité des normes, de convergence, d'alignement, on peut dire beaucoup de mots différents, des règles communes qu'on pourra maintenir et de la qualité de l'accord sur la pêche, ce triangle-là, commerce, pêche, règles équitables, c'est pour tous les Etats membres, les 27, indissociable.

Donc, je ne sais pas s'il faut que je sois confiante. En tout cas, ce que je sais, c'est que nous sommes extrêmement alignés, c'est que Michel Barnier portera notre voix sur ce sujet et sur les autres avec beaucoup de vigueur et que ce n'est pas une somme de négociations bilatérales. Donc, il y a des pays qui dont la voix va être naturellement portée avec le poids qui est celui des 27, même s'ils n'ont pas d'intérêt particulier à ce débat. Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2020