Texte intégral
Madame la Présidente, chère Marie-France,
Je suis ravi d'être là et de répondre à mon engagement lors de mon déplacement précédent à Toulouse, ravi de vous rencontrer aussi, Mesdames et Messieurs.
Je pense qu'il faut que nous ayons plutôt un échange qu'un exposé magistral et c'est, en tout cas, de cette manière que j'ai conçu notre rencontre pour que nous soyons plus détendus et plus à l'aise les uns les autres sur les grands sujets qui sont aujourd'hui de l'actualité internationale.
Je voudrais commencer par vous dire que j'ai eu, il y a peu de jours, une certaine satisfaction au niveau européen. Vous savez que se réunissent tous les mois l'ensemble des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne. Et nous nous sommes réunis, de manière exceptionnelle, début janvier, parce qu'il y avait l'aggravation de la situation internationale dans le Golfe, parce qu'il y avait des risques, des menaces, des nuages sombres sur la paix. Et, pour la première fois, je suis sorti de cette réunion des ministres des affaires étrangères, pour la première fois depuis que je suis dans ces responsabilités, en disant à la presse, en sortant : j'ai eu l'impression que l'Europe reprenait la main, j'ai eu le sentiment que l'Europe était au rendez-vous. Pourquoi ? Parce que, au cours de cette rencontre, sur les trois sujets majeurs que nous avions à traiter dans l'actualité dense du moment, il y avait à la fois volonté commune et initiative commune européennes.
Ces trois sujets majeurs que sont la crise libyenne, la crise du Sahel et la crise iranienne, ont vu l'Union européenne reprendre l'initiative, pour la première fois.
D'abord - je prends un ordre qui n'est pas un ordre de dramatisation, je prends un ordre qui n'a pas de valeur hiérarchique -, d'abord, la crise libyenne. Vous avez cette situation de dégradation, de déstabilisation, de balkanisation de ce pays depuis l'intervention en 2011. Pour la première fois, les Européens ont dit : nous prenons l'initiative ensemble pour établir un agenda, un calendrier, et faire en sorte que, d'une part, le cessez-le-feu puisse être mis en oeuvre et que, d'autre part, il puisse être engagé un processus de réconciliation interne de longue durée, et permettre aussi qu'il y ait un aboutissement de la crise libyenne par un processus démocratique.
Cela a abouti au fait que, quelques jours après, à Berlin, l'ensemble des acteurs, sur initiative européenne, se sont réunis pour essayer de mettre en oeuvre un processus de paix. Il n'est pas abouti mais, à cette réunion de Berlin, prise par l'initiative européenne, nous avons pu réunir ensemble à la fois les Européens mais aussi le président Poutine, le président Erdogan, le ministre des affaires étrangères américain, M. Pompeo, le président Sissi, les Africains, les voisins de la Libye, pour dire comment est-ce que l'on fait pour établir un calendrier qui nous permette d'aboutir à un processus politique de pacification.
Il faudra maintenant faire en sorte que nous puissions suivre de très près ce processus pour qu'il puisse aboutir, pour que les Européens qui se sont engagés puissent être au rendez-vous permanent de cette crise. Mais il y a là une forme d'espoir même si le cessez-le-feu n'est pas encore traduit en trêve ni encore en processus politique. Au moins, le chemin a été tracé.
Et puis, dans le même temps, les mêmes Européens - là, c'est plutôt à l'initiative de la France, sur Berlin c'était plutôt à l'initiative de l'Allemagne même si nous étions totalement complémentaires et complices dans la mise en oeuvre -, sur l'initiative de la France, a eu lieu ce que l'on a appelé le Sommet de Pau, qui a permis de réunir, là aussi, à la fois les Européens, les Africains, l'Union africaine, l'ensemble des pays concernés, pour mettre en oeuvre un calendrier d'actions et faire en sorte que cette région puisse trouver une forme de pacification, en mettant à la fois en avant la nécessité de maintenir les enjeux sécuritaires, avec un renforcement de notre présence mais aussi un renforcement de la présence européenne, et d'établir un calendrier qui articule la nécessité pour les pays du Sahel de reprendre leur autorité sur l'ensemble de leurs territoires, de faire en sorte que leurs propres forces de sécurité puissent travailler ensemble, mais aussi de faire en sorte qu'il y ait un processus de développement et un processus politique qui permettent d'engager une spirale vertueuse dans cette région très aléatoire, avec les risques majeurs qui peuvent se produire à l'égard de notre propre sécurité.
Et puis, troisièmement, dans la même réunion, nous avons pris les initiatives nécessaires pour essayer d'engager un processus de désescalade dans la région du Golfe, pour éviter que l'aggravation que l'on sentait très sensible s'apaise et qu'un processus politique puisse être engagé pour préserver ce que l'on appelle les accords de Vienne, c'est-à-dire ceux qui ont été signés en juillet 2015 et qui ont permis d'éviter que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire.
Trois événements en même temps qui permettent de dire que l'Europe peut être au rendez-vous de son destin et de la maîtrise de son devenir, sur des sujets sensibles et sur des sujets de confrontation et de conflictualité.
Cet élément un peu d'optimisme, je l'ai aussi constaté depuis l'arrivée de la nouvelle Commission, depuis le fait que, après les élections européennes, qui ont permis l'affirmation des Européens et leur volonté de saisir ensemble leur devenir. Ce sentiment positif, je l'ai aussi senti dans la définition de l'Agenda stratégique que les Européens ont élaboré ensemble et sur les premières grandes orientations de la nouvelle Commission européenne, du nouveau Conseil européen, visant à ce que l'Europe s'affirme elle-même comme puissance, qu'elle sorte de la naïveté dans laquelle elle pouvait être auparavant et qu'elle détermine son propre projet politique pour que, dans la confrontation à laquelle nous assistons aujourd'hui entre grandes puissances, elle puisse faire valoir sa force, qu'elle soit non plus un terrain de jeux et un terrain d'affrontements pour des puissances extérieures mais qu'elle affirme elle-même sa propre souveraineté.
Des mots qui n'étaient pas employés jusqu'à présent ou qui étaient employés avec beaucoup de parcimonie par les uns et par les autres, tels que la souveraineté européenne, deviennent maintenant au centre du débat politique. Et c'était un élément tout à fait considérable dans la nouvelle donne internationale à laquelle nous sommes confrontés.
Cet élément d'espoir s'est traduit aussi par la volonté de faire en sorte qu'un pacte vert nous permette d'affronter les enjeux écologiques. Ce qui nous permet aussi d'affirmer que l'Europe de la défense, qui affirme son autonomie stratégique, sera aussi au rendez-vous.
Bref, il est en train de se passer toute une série d'éléments qui sont des éléments positifs dans un monde un peu désarçonné et un peu affolé par les risques d'affrontements que vous constatez, que nous constatons les uns et les autres régulièrement. L'Europe, apparaissant désormais non plus comme un grand marché mais comme une volonté politique qui s'affirme progressivement, je l'ai dit pour les crises, je le dis pour le projet politique européen, il y a là de quoi espérer, malgré le Brexit qui est intervenu en même temps, dont nous allons sans doute parler ensemble dans un instant.
Le Brexit, c'est à la fois un grand regret, une tristesse, d'une certaine manière, aussi, un grand gâchis. Mais un élément important dans la résolution provisoire de cette crise et de ce départ des Britanniques, c'est le fait que l'Union européenne soit restée unie pendant cette période. C'est-à-dire, rappelez-vous, au début des discussions qui ont eu lieu après le référendum britannique, on laissait entendre qu'il pouvait y avoir des distorsions européennes, que l'exemple britannique allait pouvoir éventuellement être suivi par d'autres.
En fait, l'Union européenne est restée solide et unie, affirmant sa volonté commune et évitant les risques de fuites que certains pouvaient imaginer et que les Britanniques ont essayé de jouer, à un moment donné.
Pourquoi est-ce que l'Europe est restée unie ? Non pas, d'abord par un sentiment de partage collectif, mais essentiellement parce que chaque pays concerné a considéré que son propre intérêt était de rester fidèle à l'unité européenne, son propre intérêt, c'est-à-dire le fait que l'Europe est un marché unique, qui présente aussi beaucoup d'avantages, pour les uns et pour les autres, et que rompre avec cette unité était néfaste pour chacun des pays pris séparément.
Il y a donc eu la réaffirmation d'une volonté collective qui va, j'en suis convaincu, se traduire dans les actes au fur et à mesure de la discussion qui va s'ouvrir avec le Royaume-Uni pour élaborer nos relations futures.
Je voulais vous dire cela parce que, dans cet ensemble-là, la France joue un rôle majeur, qui est le rôle d'une puissance d'équilibre, comme aime à le définir le président de la République. Puissance d'équilibre parce que dans notre diplomatie, dans notre action internationale, nous avons trois critères majeurs qui définissent notre politique.
D'abord la défense de nos propres intérêts, à la fois sécuritaires, mais aussi économiques, mais aussi sociaux. Mais en même temps, la défense de nos propres intérêts se traduit par la solidarité de la part de nos partenaires, pas là non plus par volonté de partenariat gratuit, mais parce que c'est notre intérêt de faire en sorte que l'Union européenne soit forte, et il n'y a pas de distorsion entre la volonté d'affirmation de la force de notre pays, et la volonté d'affirmation européenne. Les deux sont liées. Le patriotisme est important mais le patriotisme ne peut vraiment s'épanouir et s'affirmer que s'il y a, parallèlement, une souveraineté européenne, sinon nous deviendrons les victimes et les débiteurs d'autres puissances.
Et puis, notre troisième pilier de notre action internationale, c'est la défense de nos valeurs, le fait que nous ayons une histoire dans le monde, que nous soyons membre du Conseil de sécurité et que nous ayons, à ce titre, une responsabilité particulière. Cela se retrouve dans notre volonté d'impulsion européenne et c'est ce à quoi on assiste en ce moment, à un tournant ; tournant, parce qu'il y a une nouvelle Commission, tournant parce qu'il y a une nouvelle donne internationale, tournant parce qu'il y a nécessité, pour les grands enjeux qui sont devant nous, que ce soit l'enjeu migratoire, que ce soit l'enjeu numérique, que ce soit l'enjeu industriel, que ce soit l'enjeu climatique, il y a nécessité de faire en sorte que la force de notre diplomatie puisse se traduire par la force de l'initiative européenne.
Enfin, un dernier point avant que nous puissions échanger ensemble sur tous ces points, je voudrais faire une ou deux remarques sur les questions liées au multilatéralisme, parce que ces questions sont nécessairement articulées à ce que je viens de dire. Nous avons vécu depuis la fin de la dernière guerre mondiale sur une forme d'organisation du monde qui était à peu près respectée par les uns et par les autres et qui se traduit par le fait qu'il y ait une organisation internationale qui s'appelle les Nations unies, avec un certain nombre d'organismes qui sont parallèles et articulés avec l'Organisation des Nations unies.
Ce multilatéralisme-là est aujourd'hui en voie de dégradation, parce que, d'abord, les Etats-Unis considèrent que ce multilatéralisme ne sert pas leurs propres intérêts. Ils envisagent les relations dans le monde essentiellement sous la forme de rapports de force et sous la forme d'additions de relations bilatérales. Et ce multilatéralisme-là n'est pas vraiment le multilatéralisme du droit que nous avons construit ensemble, à la fin de la dernière guerre. La posture américaine aboutit au fait que l'on détricote progressivement l'ensemble des accords sur lesquels il y avait eu un consensus international depuis plusieurs années, plusieurs dizaines d'années, que ce soit le dé-tricotage de l'Organisation Mondiale du Commerce, que ce soit le dé-tricotage des accords internationaux qui ont été passés par les uns et par les autres, que ce soit le désengagement de solidarités mondiales comme, par exemple, le désengagement de l'UNESCO. La posture américaine est une posture qui transforme le multilatéralisme, essentiellement, en intérêts de puissances.
A côté de cela, il y a la Russie qui, dans son isolement de départ, a essayé, par sa présence au Conseil de sécurité, de bloquer toute évolution possible sur l'action des Nations unies et qui a un rôle de gel des situations, ce qui, indirectement, permet aux Etats-Unis de développer leur propre logique unilatérale.
Enfin, le troisième partenaire est la Chine, qui affiche une volonté multilatérale très forte, mais dont on sait qu'elle est destinée à provoquer un nouveau multilatéralisme qui serait basé sur les Routes de la soie et sur l'Empire du milieu. Et donc, ce détournement de la fonction multilatérale par cette grande puissance est aussi très préoccupant.
Face à ces trois logiques-là, il nous faut recréer un multilatéralisme qui respecte le droit, qui fasse en sorte que chaque pays ait sa propre souveraineté et doive être respecté en tant que tel, qui évite la confrontation et qui privilégie la coopération, qui fasse en sorte que ce nouveau multilatéralisme soit en mesure de relever les grands défis de notre époque. C'est de notre responsabilité, Français et Européens, que d'agir en ce sens. C'est pourquoi, nous avons pris une initiative avec nos amis allemands de renouveler le multilatéralisme, de rassembler autour de grands sujets des biens communs de l'humanité le maximum de participants, que ce soit les pays, que ce soit les organisations non gouvernementales, ou que ce soit les entreprises, pour faire en sorte que sur la régulation du numérique, sur l'ensemble des enjeux de l'éducation, sur l'ensemble des enjeux de santé, on puisse avoir des rassemblements de coalitions qui permettent de peser pour que le multilatéralisme, un peu caduc aujourd'hui, puisse se revivifier, sous notre impulsion. C'est aussi la responsabilité de la France et c'est dans cette direction que nous travaillons ; c'est tout à fait articulé avec ce que je viens de dire sur les enjeux européens.
Voilà quelles sont les stratégies, quels sont les enjeux essentiels, qui sont devant nous et c'est sur ces enjeux-là que je passe, pour ma part, l'essentiel de mon temps, sous la responsabilité et l'orientation du président de la République.
Ces dimensions-là sont d'autant plus essentielles aujourd'hui que, vous le savez, il y a des liens très forts, de plus en plus forts, entre l'action internationale et l'action nationale. Chaque acte a des conséquences sur notre propre territoire et chaque acte sur notre territoire a des conséquences au niveau international. Tout cela nécessite que nous renforcions ce que nous appelons notre diplomatie d'influence, faire en sorte que la France soit, en plus d'être une puissance d'équilibre, une puissance qui affirme ses valeurs, qui affirme son histoire, qui affirme ses propres priorités. Dans cette diplomatie d'influence qui se traduit par le développement de la langue française, mais qui se traduit aussi par les enjeux culturels qui sont aujourd'hui essentiels, on voit bien que la conflictualité et les rapports de force s'exercent, aussi, dans beaucoup de territoires, par la présence culturelle, la présence de la langue, qui est aussi un de nos enjeux prioritaires.
Tout cela est un ensemble qui fait, je crois, la force de notre diplomatie et aussi la force de la France dans le monde et la manière dont elle est respectée.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2020