Déclaration de M. Cédric O, secrétaire d'État au numérique, sur la régulation du numérique, à Paris le 14 janvier 2020.

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  • Cédric O - Secrétaire d'État au numérique

Circonstance : Voeux de l'Arcep

Texte intégral

Je vais peut-être prendre le temps, quand même, en quelques minutes, de vous donner la vision numérique des relations que nous avons avec l'Arcep, parce que je pense que ce qui se joue et ce qui fait que les années que nous vivons sont particulièrement importantes à la fois pour l'Arcep et en même temps pour les autres régulateurs et plus globalement pour la puissance publique, c'est que d'un point de vue du numérique, ce que nous vivons est une période extrêmement à la fois mouvante et compliquée. Mouvante et compliquée parce que je crois que ce qui est en jeu, à travers l'augmentation des défis du numérique, et tu en as cité, cher Sébastien, un certain nombre à la fin, que ce soit la protection des mineurs, la protection des contenus, on pourrait parler de la vie privée, de la protection du consommateur, on voit que la transformation numérique, l'émergence d'un nouveau paradigme avec des acteurs, des règles, une liberté que nous n'avions jamais connue et des défis à la fois juridiques, technologiques mais également ontologiques, on a l'émergence d'un secteur qui met sous tension la puissance publique dans son rôle propre.

Je pense que ce qui est en jeu aujourd'hui, d'un point de vue des citoyens mais qui doit nous mobiliser et nous atteindre, quelque part, en tant que responsables de la puissance publique, c'est que ce qui est en jeu aujourd'hui, et je le sens à travers l'ensemble de mes actions de secrétaire d'État au numérique, c'est la question de la pertinence de la puissance publique. De sa pertinence technologique, avec un développement de complexité d'acteurs du numérique tel que nous n'en avons jamais connu, qui font que le rôle même de la puissance publique qui est de vérifier que la loi et l'intérêt général est respecté par les acteurs économiques, est mis en question. La question se pose dans notre capacité à vérifier ce qui réellement se passe sur les réseaux du fait de cette complexité. C'est un défi que l'Arcep, qui connaît bien cette dimension technologique et la nécessité de maîtriser la technologie ou la dimension technologique pour pouvoir bien réguler, mais également le CSA, la DLC, la CNIL connaissent chaque jour. Et derrière cette question de pertinence qui est aussi une question de pertinence juridique avec des acteurs d'une taille comme nous n'en avons jamais connue, une taille et une complexité juridique du fait de leur côté transnational comme nous n'en avons jamais connu, la question de la pertinence de régulateurs nationaux, européens, se pose et la question de leur capacité à faire respecter la loi et à faire en sorte que ce pour quoi les citoyens ont voté est respecté, est vraiment au coeur de ce qui se passe. Alors, on le voit, je le disais, de manière verticale, la question de la protection des mineurs, la question de la vie privée, la question des contenus, avec la loi Avia qui nous a et qui risque encore de beaucoup nous occuper, cher Roch-Olivier, et on le voit de manière plus transversale avec l'émergence d'acteurs dont la taille est un défi en soi pour la puissance publique. Et je pense que cette question de la régulation d'acteurs structurants est une question essentielle qui va se poser dans les années qui viennent, qui est évidemment dans le champ de l'autorité de la compétence et bien évidemment des autorités européennes. Mais plus globalement, je pense que, au-delà des règles de concurrence, la question de ces acteurs devenus systémiques à la fois pour notre économie du fait de leur capacité à contrôler toute une partie de la chaîne de valeurs, mais également pour nos démocraties, se posent des questions qui vont au-delà du champ économique, puisque l'on pose la question des fausses informations, on pose la question des contenus haineux et donc des acteurs qui sont devenus systémiques nous interrogent sur notre capacité à faire en sorte d'être au niveau. Je sais que c'est quelque chose sur laquelle l'Arcep, depuis très longtemps, y compris sur cette question des plates-formes structurantes, est extrêmement engagée dans cette relation très particulière qu'elle a su développer entre sa fonction de régulateur dans un univers technologique et cette connaissance de la technologie, et je pense qu'il faudra continuer cette année. Et c'est d'autant plus compliqué, cette crise de la régulation et de la puissance publique, qu'elle vient percuter une autre crise qui est une crise sociale et sociétale dans laquelle le numérique joue un rôle particulier, puisqu'on sait aujourd'hui que 13 millions de nos concitoyens s'estiment sans aucune compétence numérique, et donc le développement de ce monde très interconnecté, où tout se numérise, à la fois les services publics comme les services privés, est facteur de violences sociales et d'exclusion, ce qui met sous tension à la fois notre contrat social mais également le rôle de l'État, qui accompagne parfois cette transformation sans l'accompagner de la capacité à mettre à bord tous les Français de cette révolution technologique. C'est un sujet quelque part que l'Arcep connaît bien par le vecteur des tuyaux, de la fibre et du réseau, que les opérateurs connaissent bien également. Mais je pense qu'il ne faut pas nous limiter à cette question des tuyaux. Et on a trop longtemps pensé, en tant que puissance publique, en tant que personnes par essence habituées au numérique, usagers du numérique, que la question du tuyau était l'alpha et l'oméga de la question de l'inclusion numérique. Ce qui émerge aujourd'hui, c'est que la question des tuyaux est indispensable, indépassable, mais que la question des usages, la question des usages évidemment pour les personnes âgées, mais pas que, la jeunesse est également extrêmement touchée, parce qu'il ne suffit pas de savoir aller sur Snapchat ou Instagram pour demain savoir remplir une déclaration d'impôts en ligne, savoir comment marchent les données sur un réseau social ou faire un CV. Cette question-là, qui est la question de faire société à l'heure du numérique dans une société qui, toute une partie de nos concitoyens se sent dépassée et se sent exclue et mise de côté par une société qui va extrêmement vite me semble absolument essentielle. Et je pense qu'il faudra là qu'on travaille, à la fois, il y a une responsabilité de l'État, il y a une responsabilité des collectivités territoriales, bien évidemment, je pense qu'il y a énormément de choses à faire avec les opérateurs qui, pour une bonne partie d'entre eux, même pour chacun d'entre eux sont déjà engagés sur cette question de l'inclusion du numérique. Et je veux saluer cet engagement au-delà de ce qui est fait sur le déploiement des réseaux, mais je pense qu'il y a là un agenda absolument essentiel si on veut continuer à faire société et, encore une fois, ce n'est pas qu'une question de savoir créer une adresse email, puisque dès que vous savez créer une adresse email ou remplir une fiche d'impôts en ligne viennent derrière la question des écrans et des mineurs, la question des données, la question des informations et de la capacité à comprendre la propagation des informations. Et si nous ne sommes pas capables de faire en sorte, ce qui est un projet progressiste, quelque part, de mettre à niveau notre société et nos concitoyens, alors cette fracture que l'on voit se répandre dans la société et la fracture numérique vient s'ajouter à des fractures sociales et géographiques, continuera à s'agrandir et la fin de l'histoire risque de ne pas être extrêmement belle.

Le dernier élément que je voulais évoquer en parlant de régulation, c'est que, et je sais que Sébastien et l'Arcep sont extrêmement engagés dans cette réflexion, c'est que la régulation ne doit pas être contraire à l'innovation. Et nous vivons dans un monde où, on aime ou on n'aime pas, mais le leader, ou en tout cas, le monde numérique, le leader fixe les standards. Il n'y a qu'un seul réseau social, il n'y a qu'un seul moteur de recherche, il n'y a quasiment qu'un seul, peut-être pas une seule place de marché, mais en tout cas, elle tend à devenir hégémonique. Et donc, bien sûr, il y a une question de régulation. Et si nous voulons défendre ce que nous sommes, défendre nos valeurs et faire en sorte que nous aussi nous fixions les règles et nous fixions les standards, alors il faut faire en sorte que nous soyons capables de faire émerger en Europe des entreprises qui ont cet ADN européen et qui sont capables de concurrencer les leaders américains et chinois. Et dans ce rôle de faire émerger des acteurs économiques, bien sûr il y a une responsabilité du gouvernement pour créer l'environnement fiscal, réglementaire, qui fait en sorte que ces entreprises peuvent se développer, mais il y a un rôle de régulateur, puisqu'il est important de tenir la ligne de crête, si je puis l'appeler comme cela, entre la nécessité de laisser l'innovation émerger (je sais que Sébastien, tu t'es beaucoup engagé sur la notion de bac à sable) et la nécessité de laisser l'innovation émerger. Et l'innovation, par essence, émerge essentiellement par transgression, c'est l'histoire des systèmes innovants, mais dès lors que cette innovation veut rentrer dans la vie commune et prendre de l'ampleur, être capable, à ce moment-là, de la réguler. Mais j'insiste sur cet élément : il n'y aura pas de barrage contre le Pacifique. C'est-à-dire que prendre la question du modèle et du modèle européen dans un monde qui est de plus en plus mouvant et de plus en plus dangereux, j'allais dire, avec des volontés hégémoniques des Etats-Unis et de la Chine, la régulation ne nous protégera pas de cela. La seule manière de nous protéger de cela, c'est d'être capables, nous, en France et en Europe, mais la France a un rôle en la matière, et on voit que l'écosystème numérique français se développe, de mettre tous les ingrédients tout en assurant les citoyens que leur intérêt est protégé, que l'intérêt général est protégé, de faire en sorte que les acteurs du numérique puissent émerger ici en France.


En tout cas, très bonne année à toutes et à tous, et merci encore à l'Arcep pour sa contribution à ce débat.


Source https://www.arcep.fr, le 11 février 2020