Entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, dans "Le Figaro" du 19 février 2020, sur les négociations autour du budget européen.

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Texte intégral

Q - Un accord à vingt-sept est-il possible au cours de ce sommet extraordinaire?

R - Les positions sont encore éloignées et je ne sais pas si nous y arriverons. Mais il y a des domaines dans lesquels le consensus est possible. Charles Michel a aussi su conserver des flexibilités et des marges de manoeuvre qui pourraient être bien utiles au cours des négociations. À défaut d'accord, ce sommet doit permettre de rendre un certain nombre de principes irréversibles.

Q - Quelles sont les revendications de la France?

R - Nous serons très attentifs à la politique agricole commune. Notre objectif est d'avoir au minimum la même enveloppe en euros courants sur la période de 2021-2027 que celle dont nous disposons dans le budget actuel. On ne peut pas demander aux agriculteurs d'innover, de modifier leurs méthodes de production et d'investir tout en leur donnant moins. Sur la cohésion, nous aurons une attention particulière sur les régions ultrapériphériques (les territoires d'outre-mer) où les moyens envisagés sont insuffisants. Plus largement, nous n'accepterons pas d'avoir un fonds européen de défense à 7 milliards d'euros. Sur le changement climatique, nous souhaitons aussi augmenter la part des dépenses dédiées, au-delà de 25%, contre 20% aujourd'hui. Il faut également flécher davantage de moyens vers la biodiversité et la lutte contre la pollution.

Q - Faut-il, comme le propose Charles Michel, forfaitiser et rendre dégressifs les rabais dont bénéficient l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède?

R - Les rabais représentent au total 40 milliards d'euros. Il est inimaginable que l'on reparte pour sept ans avec ces rabais. La France ne va pas indéfiniment payer ces ristournes et indéfiniment accepter un système qui conduit à rester dans une logique de strict retour monétaire où chacun considère qu'il doit retrouver son chèque, comme disait Margaret Thatcher. Derrière ces rabais, il y a la vision d'une Europe à la carte dans laquelle chacun fait son marché.

Q - Ces pays disent que la charge serait trop lourde, sachant qu'il faut aussi absorber les 75 milliards d'euros de pertes budgétaires liés au départ des Britanniques. Que répondez-vous ?

R - Quand la Commission explique que l'Europe doit être géopolitique, tout le monde applaudit des deux mains. Quand il faut mettre de l'argent pour cela, certains sont aux abonnés absents. L'Europe qui fait des discours sans avoir de résultats à la fin, c'est l'Europe qui se détruit. J'appelle cela le délitement pernicieux. Les pays dits frugaux (Pays-Bas, Suède, Danemark et Autriche) veulent limiter l'enveloppe globale à 1% du revenu national brut européen. Sous prétexte que le Royaume-Uni a quitté l'Union, ils proposent d'être moins ambitieux et nous expliquent qu'il faut moderniser le budget en réduisant ce qu'ils appellent les "anciennes" politiques. La PAC n'est pas une ancienne politique. C'est une politique de souveraineté car aucune puissance digne de ce nom n'imagine importer sa nourriture. La France ne veut pas d'un projet européen au rabais. L'Europe ne peut être moins ambitieuse, moins souveraine et moins solidaire. La France, qui est un contributeur net, est prête à participer à cette ambition et à y mettre les moyens. Ce sera le discours que tiendra le président lors de ce sommet.

Q - Paris n'a jamais donné le moindre chiffre sur l'enveloppe globale souhaitée...

R - Parce que ce chiffre ne veut rien dire si les rabais subsistent comme aujourd'hui.

Q - Notre pays ne risque-t-il pas d'apparaître encore comme celui qui ne se soucie pas des déficits et de la dette?

R - Si notre seule boussole collective, c'est 1% sur le budget européen, 3% sur les déficits publics et 60% sur la dette, alors le XXIème siècle ne sera pas européen, nous passerons à côté de notre histoire et l'Europe sortira du tableau. Il n'est pas question d'augmenter les impôts des Français. C'est pour cela que nous soutenons le principe des ressources propres qui nous permettrait de sortir de nos chicaneries comptables et de faire payer des acteurs qui échappent aux taxes, notamment les importateurs de plastique non recyclable ou les géants du numérique. Nous pouvons aussi utiliser d'autres leviers de financement, comme la BEI (Banque européenne d'investissement), comme le propose Charles Michel, ou la mobilisation de l'épargne privée. Le débat sur le budget ne doit pas se limiter aux chiffres, nous voulons une vraie stratégie pour l'investissement en Europe.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2020