Texte intégral
ROUX
Bonjour. Oui, Amélie de MONTCHALIN, elle est secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Alors, on va parler de deux sujets ce matin, l'Italie – on l'a dit – est touchée de plein fouet par le coronavirus, mais aussi l'Europe qui peine à parler d'une seule voix quand il s'agit de son budget. Bonjour Amélie de MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Je le disais, en Italie, 52.000 personnes confinées. Troisième décès lié au coronavirus. Le carnaval de Venise interrompu, au total, on parle de 78.000 personnes qui ont été contaminées à l'échelle de la planète. La réponse à la crise du coronavirus, est-ce qu'elle peut être européenne ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, elle est – on le voit dans chacun des pays – extrêmement intensive, vigilante, les Italiens sont en train de prendre des mesures de grande ampleur, nous, en France, par la voix du ministre de la Santé, par la réunion qui s'est tenue hier chez le Premier ministre, on est aussi en grande vigilance, il y a 70 hôpitaux en France qui seront prêts dans les prochaines heures à accueillir si besoin des malades. Et donc on voit bien qu'il y a plusieurs étapes, qui est, d'abord, la préparation, et ensuite, la solidarité, on a été – vis-à-vis de la Chine, maintenant, vis-à-vis de l'Italie – toujours à apporter des solutions, des moyens…
CAROLINE ROUX
Qu'est-ce qu'on a fait vis-à-vis de l'Italie ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On apporte à la fois des expertises, des moyens, on est à leur disposition, on est prêt à les aider s'il y a des besoins. Et puis, ensuite, il y a la…
CAROLINE ROUX
… ça donne le sentiment d'avoir une réponse chacun pour soi à l'intérieur de ses frontières. Vous voyez ce matin Christian ESTROSI qui disait : il va falloir peut-être renforcer la question des contrôles sanitaires à la frontière, on parle du sud-est de la France assez proche de cette région de Lombardie, en Italie. C'est quoi la réponse européenne ?
AMELIE DE MONTCHALIN
La réponse européenne, d'abord, c'est qu'il y a beaucoup de coordination, il y a la coordination au niveau du G7, mais en Europe, Agnès BUZYN a été déjà plusieurs fois, de manière très régulière, en contact avec les 27 ministres de la Santé, il y a eu une réunion la semaine dernière ou il y a dix jours, il y en aura une prochainement, il faut qu'on se coordonne, parce qu'on voit bien que les frontières, par exemple, c'est un sujet qui concerne toutes les frontières italiennes, parce que, sinon, ensuite, les gens, vous voyez bien, contournent. Donc la clef, c'est la coordination. Et la coordination d'abord au niveau sanitaire, au niveau des expertises médicales, et ensuite, bien sûr, toutes les mesures qui devront être prises, eh bien, pourront être prises…
CAROLINE ROUX
Mais on est prêt par exemple au scénario catastrophe d'une épidémie qui touche plusieurs pays européens, on est prêt, on fait des simulations, par exemple ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr. Alors, tous les experts font des simulations d'épidémie, pour voir comment elle pourrait se propager, et c'est pour ça d'ailleurs que – on l'a compris – que le confinement était une bonne mesure, on a compris qu'il fallait absolument réagir rapidement en mettant les malades à l'isolement, donc on est en train, je crois, d'abord, d'apprendre, et puis, surtout, de nous mobiliser. Je crois que la réunion autour du Premier ministre hier extrêmement importante, vous savez que tous les week-ends maintenant depuis plusieurs semaines, il y a des réunions avant chaque semaine pour voir comment nous devons adapter notre dispositif. Je vous rappelle qu'en France, il y a une seule personne qui est décédée, qui était un touriste chinois de plus de 80 ans, et tous les autres – la petite dizaine de cas – qui ont été détectés sont aujourd'hui ou guéris ou vont bien…
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'on a une idée des conséquences économiques, encore une fois, je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, est-ce qu'il y a, je ne dirais pas une angoisse, il ne faut pas exagérer, mais en tout cas, est-ce qu'on a le souci des conséquences économiques que peut avoir la crise du coronavirus à l'échelle européenne ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr, Bruno LE MAIRE, Agnès PANNIER-RUNACHER s'occupent du sujet français, on le partage, bien entendu, au niveau européen, on regarde aussi ce qu'il faut qu'on produise, peut-être, nous, en Europe, parce qu'il y a des choses qui viennent par exemple de Chine, et peut-être qu'on en manquera, donc il faut qu'on reproduise…
CAROLINE ROUX
Par exemple ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Sur le sujet médical par exemple, on prend des initiatives pour qu'au niveau européen, on puisse à nouveau assurer notre souveraineté, notre capacité à apporter aux Européens de la protection, et, eh bien, la réponse qui soit la nôtre, nous, Européens.
CAROLINE ROUX
Mais la question, c'était : quel est l'impact économique ? On ne le connaît pas, c'est ça qu'il faut dire ? Pour l'instant, on ne le connaît pas ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, on ne le connaît pas, il y a des estimations, on parle de 0.1 point de PIB en moins, parce que c'est la conséquence des moindres échanges économiques et moindres tourismes aussi, mais c'est des choses sur lesquelles on est vigilant. Et je pense que la clé, ce n'est pas de céder à la précipitation, ce n'est pas de céder à la panique, c'est de se coordonner, de se préparer très méthodiquement. Et Olivier VERAN le fait avec, je crois, beaucoup d'intensité, aussi pour la médecine de ville…
CAROLINE ROUX
Vous la comprenez malgré tout l'inquiétude, Amélie de MONTCHALIN ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr que je la comprends, vous savez, je suis mère de famille, j'ai trois enfants, on vit toute la journée avec beaucoup de monde autour de nous. Donc c'est des choses sur lesquelles il faut qu'on soit vigilant, je crois qu'il y a aussi des gestes qu'on doit faire chacun pour, eh bien, prévenir une épidémie qui – on le voit – sinon, sera bien sûr un défi collectif.
CAROLINE ROUX
Alors on continue à parler de l'Europe, les 27 se sont séparés vendredi sans accord sur le prochain budget pluriannuel de l'Union européenne, qu'est-ce qui a empêché cet accord ? C'est la faute à qui ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, déjà, il faut bien se dire, nous, on y allait pour avoir un accord, on veut un accord parce que c'est un budget pour les sept ans qui viennent, c'est un budget qui est clef pour les agriculteurs, c'est clef pour les élus locaux, c'est clef pour les Outre-mer, c'est clef aussi pour notre industrie, pour notre défense, pour notre espace, bref, c'est un budget qui est clé pour la prochaine décennie européenne, il n'y a pas eu d'accord. Parce qu'il y a une méthode qu'il faut qu'on repense fondamentalement, on ne peut pas arriver dans ces sommets et voir des blocs, des divisions, de la désunion, et puis, un jeu…
CAROLINE ROUX
Ça fait des années que ça se passe comme ça…
AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais surtout derrière le budget, il y a un jeu qui est encore plus dangereux, c'est quand on oppose par exemple, vous voyez, le contribuable néerlandais et l'agriculteur français, les Outre-mer à la Défense, comme si on avait l'impression qu'on pouvait, vous savez, échanger les uns contre les autres. Notre position, c'est qu'il y a une façon, je ne sais pas si elle est simple, en tout cas, elle est essentielle pour avancer, c'est qu'on ne peut pas avoir des priorités du 21ème siècle financées avec les moyens d'il y a vingt ans. Et donc, il nous faut de l'argent, il faut qu'on puisse augmenter nos moyens d'action, parce qu'on a augmenté nos ambitions. Et donc la question, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a des gens aujourd'hui, des gros acteurs, qui bénéficient de l'action européenne, qui bénéficient du marché européen, je pense aux gros acteurs financiers, aux GAFA, aux gros pollueurs, aux gens qui importent du plastique et qui ne le recyclent pas, qui bénéficient de tout et qui ne contribuent pas. Donc notre proposition, c'est qu'on ait des nouvelles ressources qui soient à la fois des armes politiques qui nous permettent d'associer à notre action des gens qui aujourd'hui en bénéficient, vous voyez, un peu comme des passagers clandestins, et qui nous permettent de financer, d'investir…
CAROLINE ROUX
Alors, ça, c'est la position de la France, le problème, c'est qu'on est 27 et qu'on n'est pas tous sur la même ligne, Jean-Louis BOURLANGES ce matin dit : nous sommes plombés par le triomphe de l'individualisme, du localisme, du sectarisme, nous sommes plombés !
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je vous dis que c'est effectivement… comment dire… on est dans une forme d'impasse, parce que d'un côté, on parle beaucoup d'Europe, et la France d'ailleurs alimente cette ambition européenne, et je pense que les Européens l'ont en partie validée, même grandement validée aux élections européennes, et de l'autre, on a une vision comptable, une vision de juste retour, je donne, mais je veux recevoir autant…
CAROLINE ROUX
Mais comment on fait pour changer ça ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien, c'est là où on pense qu'il faut un sursaut, c'est de dire : on arrête de faire nos petits chèques et nos petits comptes d'apothicaire, on se donne des vrais moyens, des vraies ressources, et je vous dis, les GAFA, les acteurs financiers, les gros pollueurs, ceux qui importent du plastique, ce sont des gens qui bénéficient de l'Europe et qui n'y contribuent pas, et donc c'est là-dessus qu'il faut qu'on continue notre travail, ça fait des mois et des mois qu'on essaie de convaincre…
CAROLINE ROUX
Mais le travail, ça peut être quoi, ça peut être la discussion tranquillement, de manière bien élevée ou est-ce qu'à un moment donné, ça peut être le rapport de force ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, il y a déjà eu des rapports de force, le président de la République, il a dit : il est hors de question que je sacrifie les agriculteurs français, c'est un rapport de force de dire : ce n'est pas les agriculteurs qui vont payer le Brexit, c'est un rapport de force d'assumer ça, de dire : on ne veut pas un accord au rabais, on ne veut pas d'une Europe au rabais ; vous savez, on aurait pu se mettre d'accord sur un tout petit budget, on n'aurait pas fait…
CAROLINE ROUX
Oui, ça aurait été difficile à vendre au Salon de l'Agriculture après quand même…
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, et c'est un renoncement. L'Europe ne doit pas renoncer à des choses qui sont utiles, qui sont d'ailleurs au coeur de son projet depuis des décennies…
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il y a une échéance sur le budget, il faut aller vite ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien, ce qu'il faut, c'est qu'au 1er janvier 2021, il y ait un budget, et une Europe ne peut pas fonctionner sans budget…
CAROLINE ROUX
Bon, ça laisse un tout petit peu de temps. Un mot quand même sur le Brexit, les discussions reprennent demain, on a vu que c'était un petit peu tendu ces derniers temps, Emmanuel MACRON a dit : ce n'est pas sûr qu'on ait un accord d'ici à la fin de l'année, c'était tendu entre les services du Premier ministre britannique et Michel BARNIER, ils se sont échangés des amabilités sur le projet qui aurait évolué. Quelle est la tonalité des discussions, rapidement ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien, ce qui se passe, c'est que, demain, moi, je vais à Bruxelles, et tous les ministres des Affaires européennes, on retrouve Michel BARNIER, on veut lui confier une mission. Maintenant, cette mission, elle est très claire, on ne sacrifie, là, non plus, pas nos agriculteurs, pas nos pêcheurs, pas nos entreprises. Vendredi, je serai à Londres, parce que dans cette négociation, il faut aussi qu'on fasse bien comprendre aux entreprises britanniques ce qu'elles ont à perdre d'un mauvais accord, après, ce qui est certain, c'est qu'on ne cédera ni au chantage, ni au calendrier. Ce n'est pas parce que Boris JOHNSON veut un accord coûte que coûte le 31 décembre, qu'on signera sous la pression un mauvais accord. Les pêcheurs, ils ont besoin d'être protégés, mais ils savent très bien que si on signe un mauvais accord, ils y perdront énormément, nous, notre bataille, c'est les pêcheurs, les agriculteurs et les entreprises.
CAROLINE ROUX
C'est dit. Amélie de MONTCHALIN, le calendrier c'est important aussi quand on parle de la réforme des retraites, le 49.3, ça ne serait pas grave de dégainer un 49.3 ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je sais, c'est qu'il faut d'abord travailler au Parlement pour que la députée que j'étais, vous voyez, quand je regarde les débats, ça me semble être très étrange parce qu'il y a très peu de discussions de fond, et il y a beaucoup, beaucoup, vous savez, de procédures, de règlements, on est dans l'obstruction. Donc je pense qu'il faut qu'on dépasse ça, et des décisions, eh bien, ce seront, en fonction de ce qui se passera, qu'elles pourront être prises.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Amélie de MONTCHALIN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 février 2020