Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur le Brexit, à Bruxelles le 25 février 2020.

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Circonstance : Conseil affaires générales

Texte intégral

Ce qui se joue aujourd'hui, je crois que c'est vraiment une des étapes les plus importantes de cette relation future. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est l'unité des vingt-sept pour que nous ayons, avec Michel Barnier, un mandat clair, un mandat robuste pour que nous puissions créer une relation équilibrée, une relation loyale avec le Royaume-Uni dans les prochaines années.

Aujourd'hui donc, à vingt-sept, nous confions cette mission à Michel Barnier pour que nous puissions, dans les mois, les semaines, les mois qui viennent, trouver un accord avec le Royaume-Uni. Il est important pour nous tous que nous soyons bien clairs que ce que nous cherchons c'est un bon accord, ce n'est pas de céder à la pression du calendrier, ce n'est pas de chercher des petits arrangements, ce n'est pas de faire des compromissions, c'est de protéger les intérêts des Européens et d'être très clairs, très fermes sur la voie que nous allons tracer dans ce cadre.

Il y a, pour la France, et ce sont des points qui sont pleinement portés par Michel Barnier, un certain nombre de thématiques où nous avons une vigilance absolue. La première, c'est de bien lier les quatre sujets : la pêche, l'accord commercial, les conditions de concurrence loyale, le level playing field comme on dit en anglais, et la gouvernance.

Sur la pêche, ce que l'on veut, c'est pouvoir maintenir un accès réciproque aux eaux britanniques pour nos pêcheurs européens dans les conditions que l'on connaît ; c'est de pouvoir préserver la ressource, c'est-à-dire s'assurer que non seulement il y a du poisson aujourd'hui mais qu'il y en aura aussi dans les années à venir, et donc avoir une gestion durable de la ressource ; et puis, c'est conserver les clés de répartition qui prévalent aujourd'hui pour qu'entre Européens ces eaux soient accessibles à tous, mais dans un cadre organisé.

Sur l'accord commercial et le fameux level playing field, les conditions de concurrence loyale, il nous semble extrêmement important, et c'est ce qui est écrit dans le mandat, que nous puissions sur la base des normes européennes, dans le temps, maintenir des conditions réciproques sur les aides d'Etat, sur les normes sociales, fiscales, environnementales, agricoles, sanitaires, pour nous assurer que nous continuions, de part et d'autre, à avoir un cadre économique équilibré et loyal.

Et puis, vient le point de la gouvernance. La gouvernance est clé parce que c'est la clé de la crédibilité : comment nous nous donnons les moyens dans le temps de nous assurer que les engagements pris sont des engagements tenus ? J'insiste parce qu'il y aura des contrôles. Zéro tarif, zéro quota, c'est possible s'il y a zéro dumping, j'en ai parlé, mais cela ne veut pas dire zéro contrôle. Nous aurons, bien sûr, un mécanisme, potentiellement, avec des clauses de sanction, de rétorsion, de sauvegarde, si nous voyons que les engagements pris ne sont pas tenus.

On va rentrer dans une phase où il va falloir créer de la confiance mutuelle pour signer un nouvel accord. La clé pour avoir de la confiance mutuelle, c'est de s'assurer déjà que les engagements qui ont été pris dans le cadre de l'accord de retrait soient pleinement tenus. Cela concerne bien sûr les questions budgétaires, évidemment, et c'est une priorité vous le savez : la question des citoyens, la protection du droit des citoyens européens notamment au Royaume-Uni et la question de l'Irlande. Il est essentiel que ce que nous avons acté à vingt-huit, ce qui a été ratifié et à Westminster et au Parlement européen et par tous les chefs d'Etat et de gouvernement soit pleinement appliqué.

Donc, vous le voyez, il y a du travail, mais je crois que la clé c'est de bien mettre autour de la table ce qui aujourd'hui fait notre unité. C'est que nous cherchons un accord qui protège les intérêts des Européens. Nous avons un mandat clair. Nous sommes en plein soutien avec Michel Barnier qui a une tâche objectivement difficile. Nous savons que nous devons d'abord chercher un bon accord plutôt que de céder à la pression du calendrier.

Q - Vous avez évoqué ce besoin d'une confiance mutuelle et la France dans le même temps a aussi poussé pour un level playing field plus fort. Est-ce que c'est une impression qu'à ce moment avec les membres du Royaume-Uni, qu'on ne va pas faire de contrôle dans la mer irlandaise etc, que vous n'avez plus cette confiance dans les Britanniques en ce moment ?

R - Moi je suis aujourd'hui à vous dire ce que je viens de vous dire. Je le dirai bien sûr autour de Michel Barnier tout à l'heure. Je serai vendredi à Londres. Ce que nous avons à dire, c'est d'abord que le mandat est clair, il est robuste, il est complet il est précis, il s'inspire bien sûr de la déclaration politique de l'accord de retrait, il s’inspire aussi de ce qui avait été la déclaration du Conseil européen. Donc, nous avons un cadre clair pour opérer. Nous avons un négociateur commun qui a une grande expérience, et donc je crois que la confiance entre Européens est totale, l'unité entre nous est totale.

Ensuite, ce que je dis effectivement, c'est que pour prendre de nouveaux engagements, pour signer un nouvel accord, il faut déjà que ce que nous avons fait jusqu'à maintenant, c'est-à-dire avoir déjà un premier accord qui est l'accord de retrait, il faut que ce premier accord soit pleinement respecté. Cela concerne, effectivement, la mer d'Irlande, la protection du marché intérieur, le mécanisme qu'a proposé Boris Johnson et qui a permis de trouver une avancée, il faut qu'il s'applique. On ne peut pas recommencer des négociations si ce sur quoi nous nous sommes mis d'accord il y a quelques mois n'est pas déjà lui-même en bonne voie d'application. Cela concerne les droits des citoyens, j'y reviens, vous savez que les Européens ont des démarches à faire, il y a une commission indépendante qui doit s'assurer que ce qui a été prévu s'applique bien, là-aussi on est extrêmement vigilant. Et puis, il y a les questions financières, là-aussi il y a des engagements qui ont été pris. Et on voit bien que l'on veut une relation forte avec le Royaume-Uni. On la veut parce qu'elle est d'évidence : ce pays est un pays qui est proche de nous, avec lequel pendant 47 ans on a fonctionné au sein du même marché. Maintenant il est clair que nous voulons un accord équilibré donc il faut que nous puissions travailler en bonne intelligence, avec confiance. Je tiens à insister là-dessus : notre position ce n'est pas une position ni de revanche, ni de punition, ni de sanction, c'est une position qui est économiquement rationnelle. J'entends d'ailleurs les entreprises britanniques dire vouloir continuer à avoir un plein accès au marché intérieur et elles savent bien que cela suppose notamment de respecter des mêmes normes, à la fois sanitaires, mais également des normes de production et que les entreprises britanniques aimeraient avoir accès au marché intérieur, où on est près de 500 millions de consommateurs, et pas seulement au marché britannique, où aujourd'hui il y a 65 millions d'habitants.


Q - (Inaudible)

R - Je ne sais pas s'il faut partir du statu quo comme point de référence. Le point de référence que nous voulons, c'est d'abord de la prévisibilité. Il faut que les pêcheurs, les filières économiques, que ce soit en France, dans les Hauts-de-France, en Normandie, en Bretagne mais aussi dans les huit pays qui sont concernés, que nous puissions donner de la visibilité. Et donc, le principe d'un accord annuel où l'on renégocierait tout tous les ans, je pense que ce n'est pas forcément une bonne voie pour avancer. Ensuite, nous voulons maintenir un accès aux eaux. Vous avez bien vu que d'ailleurs la France avec Guernesey autour des îles anglo-normandes, avec la Commission a beaucoup oeuvré pour que cette continuité de l'accès soit maintenue. Nous avons à travailler sur la gestion de la ressource, je vous l'ai dit, comment on protège les stocks de poissons, et donc, comment on se donne des règles communes de gestion de la ressource. Et ensuite il y a la question de la clé de répartition. Donc est-ce que c'est un statu quo total ? Je ne sais pas, ce qui est certain c'est que nous devons absolument donner de la visibilité à nos pêcheurs : ils ne sont pas la variable d'ajustement et c'est pour ça qu'en liant les quatre sujets, qu'en disant "nous ne serons d'accord sur rien si nous ne sommes pas d'accord sur tout" sur pêche, accord commercial, conditions de concurrence loyale et gouvernance, je pense que nous mettons sur la table un cadre de négociation qui nous renforce.

Q - (Inaudible)

R - Le Royaume-Uni est un pays, bien sûr, souverain. Le Brexit est un changement, c'est un changement parce qu'effectivement le Royaume-Uni peut, dans un certain nombre de domaines, choisir totalement ses règles. Tout ce qui se passe au Royaume-Uni dépend des Britanniques. Bien sûr, il y a les traités internationaux, mais le Royaume-Uni peut souverainement changer beaucoup de choses. D'ailleurs on le voit sur les questions migratoires, la proposition qui est faite, elle se fait en dehors du cadre qui prévaut, dans un certain nombre de sujets, en Europe. A partir du moment où les produits sortent du Royaume-Uni, alors on rentre dans une négociation commerciale et c'est là qu'est le point. Dans ce cadre-là, l'Union européenne peut décider si le bien qui rentre doit être assorti d'un tarif douanier, doit être assorti d'une limitation de volume, doit être assorti potentiellement même d'une interdiction. Et donc, la souveraineté britannique est totale pour ces activités sur les îles britanniques et ensuite, à partir du moment où les produits sortent et passent les frontières, eh bien, cela nous concerne. Donc, ce que nous disons c'est qu'il y a un certain nombre de produits qui peuvent rentrer sans tarif douanier, sans limitation de volume si nous nous assurons qu'il n'y a pas de dumping c'est-à-dire si nous nous assurons que les conditions de concurrence sont respectées. Maintenant, si ce n'est pas le cas, s'il y a une forme de divergence qu'il nous semble devoir être corrigée pour préserver une concurrence loyale en Europe, eh bien, il peut y avoir des tarifs douaniers, il peut y avoir des quotas. Vous savez, le régime de l'OMC c'est un régime qui regarde assez peu les normes mais qui corrige par les tarifs douaniers et par la limitation de volumes les éventuelles divergences. Voilà.

Q - Comment est-ce que vous voyez la future négociation sachant justement que Londres a dit qu'il ne voulait pas d'alignement ?

R - Il y a un sujet de cohérence et le mandat là-dessus est très clair, il est très robuste. Il nous dit "nous pouvons avoir un accord avec zéro tarif douanier et avec zéro limitation en volume à partir du moment où nous pouvons, dans le temps, être certains que nous avons des règles communes ou en tout cas un contrôle de notre proximité réglementaire sur la base des règles européennes". Si nous n'arrivons pas à maintenir dans le temps cette proximité réglementaire, eh bien nous devons alors tirer les conséquences de cette divergence ou de cet écart qui pourrait exister, et donc appliquer des tarifs douaniers ou des limitations de volumes. C'est une question de cohérence. Moi, je sais très bien demain signer rapidement un accord avec les Britanniques, à partir du moment où il y a un engagement sur le fait que, quand les produits sortent du Royaume-Uni, j'ai une garantie pour que nos entreprises, nos pêcheurs, nos agriculteurs voient bien qu'ils restent dans une situation de concurrence loyale. Tant que cela est préservé, les choses peuvent aller très vite. Si maintenant on nous dit, sur les aides d'Etat, sur les questions sociales, sur les questions fiscales, sur les questions environnementales... Vous voyez bien, on fait un Green deal en Europe. On ne peut pas demander à nos agriculteurs, à nos entreprises, d'avoir un prix du carbone, de diviser ou de limiter l'usage des pesticides, de changer leurs pratiques et en même temps d'accueillir sans aucune limitation des biens qui seraient produits dans des conditions très différentes. Donc, ce que je dis, c'est que c'est une question de cohérence. Zéro tarif, zéro quota, d'accord, mais du coup zéro dumping. J'insiste sur le fait que cela ne veut pas dire zéro contrôle. L'idée d'un frictionless trade qui a prévalu, il faut bien avoir en tête qu'à partir du moment où nous n'avons plus le même organisme de gestion des différends et que nous avons du coup une gouvernance qui sera bilatérale Royaume-Uni - Union européenne, il y aura des contrôles, des contrôles sanitaires, des contrôles aux frontières pour nous assurer que les engagements pris sont bien tenus. Alors, ensuite, ils seront plus ou moins volumineux, ils seront plus ou moins précis. Mais j'insiste sur ce point des contrôles parce que sinon on a une idée faussée. Un accord de libre-échange n'est pas la libre-circulation. Un accord de libre-échange, ça concerne les tarifs douaniers.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2020