Texte intégral
Au fond, ce qui s'est joué aujourd'hui, c'était une étape importante, c'était l'unité des Européens, la capacité à avoir un mandat clair, robuste et agréé par tous, qui puisse permettre à notre négociateur, Michel Barnier, de mener cette négociation à partir de la semaine prochaine, dans un esprit où l'on est bien clair entre nous sur le fait qu'il n'y a pas de pression du calendrier, qu'il n'y a pas de petits arrangements, qu'il n'y a pas de compromission et qu'on cherche d'abord à avoir un bon accord et à ne pas céder sur le calendrier pour de mauvaises raisons. Je l'appelle un peu le chantage au calendrier. C'est l'idée que sous prétexte qu'il faudrait rendre absolument immuable cette date du 31 décembre 2020, certains nous disent :
"Voilà, du coup il faut absolument que vous cédiez sur un certain nombre de points" qui, on le sait, sont des points extrêmement importants de protection des Européens : la pêche, la gouvernance de l'accord, les conditions de concurrence loyale et puis, la nature même de l'accord commercial.
On pense aussi qu'il y a des choses à faire sur le domaine de la sécurité intérieure, sur le domaine de la politique étrangère. Tout cela nous semble être des sujets où l'on a à négocier, mais il nous semble que le but, ce n'est pas de signer coûte que coûte, le but c'est d'avoir un bon accord.
Nous avons une forme de devoir vis-à-vis des citoyens à la fois français et européens, qui est que nous devons les protéger. On ne peut pas de bonne foi, en pleine conscience, signer le 31 décembre à 23 heures un accord dont on sait qu'il ne les protégerait pas assez, sous prétexte d'avoir un accord coûte que coûte. Je pense qu'il y a, pour que l'on réussisse en un temps aussi court, avec effectivement aujourd'hui des positions qui sont assez différentes de part et d'autre de la Manche, - je vais y revenir, - si on veut trouver un accord, il y a une chose qu'il faut que l'on réunisse, c'est de la confiance et de la confiance mutuelle à un niveau qui nous permette d'engager des discussions sérieuses et profondes.
Aujourd'hui, la confiance mutuelle, on le voit, est questionnée. Elle n'est peut-être même pas réunie, si on n'arrive pas à avoir très rapidement de la clarté sur la manière avec laquelle le Royaume-Uni cherche à appliquer les engagements qu'il a pris.
Dans l'accord de retrait qui est tout neuf, il date d'il y a quelques mois, un certain nombre de dispositions - le protocole irlandais, la protection des droits des citoyens, les engagements financiers - obligeait le Royaume-Uni à faire un certain nombre de choses, de son propre chef, sous le regard vigilant bien sûr des Européens, mais il y a des actions qui doivent être prises.
Aujourd'hui, on a une forme d'inquiétude sur l'Irlande, en particulier, où l'on voit des déclarations qui semblent officielles et qui sont totalement contraires à l'esprit de l'accord de retrait signé. Il y a une frontière de fait qui va exister, qui existe, entre le marché intérieur d'un côté et le Royaume-Uni de l'autre. Nous devons faire des contrôles, pas seulement dans l'intérêt des Irlandais mais dans celui du marché intérieur dans son ensemble. Il faut aussi avoir en tête qu'il y aura des contrôles quel que soit l'accord trouvé en 2021. A partir du moment où le Royaume-Uni sort du marché intérieur, sort de l'union douanière, il faut qu'il y ait des contrôles à Calais, à Boulogne, dans tous les ports néerlandais et belges, parce que, s'il n'y a pas de contrôle, il ne peut pas y avoir de protection du marché intérieur.
Donc, si on n'arrive pas, dans le cadre de l'accord de retrait, à mettre les contrôles nécessaires en place en mer d'Irlande, comment voulez-vous ensuite qu'on puisse se faire confiance sur notre capacité mutuelle à protéger, dans le futur, ces échanges commerciaux qu'on cherche à avoir.
Je le dis pour conclure, il est très important pour moi qu'on ne mélange pas : zéro tarif douanier zéro quota, cela va avec zéro dumping, et donc avec l'idée que, dans le temps, nous tenons une proximité réglementaire qui parte du point de référence des normes européennes ; il faut que nous nous assurions que dans le temps, nous ne divergions pas pour assurer une concurrence loyale.
Mais zéro tarif, zéro quota avec zéro dumping, cela ne veut pas dire zéro contrôle.
Dans tous les accords de libre-échange il y a des contrôles. La seule manière de ne pas avoir de contrôle, c'est l'union douanière et le système du marché intérieur. Je pense qu'on voit bien un processus collectif d'appropriation de ce que veut dire, même avec un accord, la situation post 31 décembre 2020.
Q - (Inaudible, a/s Etat de droit).
R - On est en plein soutien avec la Commission. On pense que c'est extrêmement important d'avoir un outil partagé entre les institutions, qui soit une vraie revue annuelle de la situation de l'Etat de droit dans tous les pays, qui puisse s'appuyer, à la fois sur les travaux de la Commission mais aussi sur les sources extérieures. Je pense notamment à tout ce que fait le Conseil de l'Europe dans toutes ses différentes instances de monitoring, que ce soit la protection des démocraties, des systèmes judiciaires avec la commission de Venise, ou les violences.
Il y a énormément de travail qui est fait dans d'autres institutions que l'Union européenne elle-même qui peuvent nous renseigner sur l'état de l'Etat de droit dans les différents Etats membres. Ce que nous cherchons, nous Français, c'est à faire converger tous les différents outils et toutes les différentes propositions. On ne va pas s'en parler, vous voyez, sous plusieurs formats, plusieurs fois dans l'année. On veut qu'il y ait un moment où, la Commission, un peu comme un secrétariat - j'allais dire - mais en commun, permette de faire un bilan de l'Etat de droit dans chacun des pays, et que, sur cette base-là, nous puissions avoir un dialogue entre Etats membres.
L'article VII est un processus qui est déjà ouvert, il doit se poursuivre et nous sommes en plein soutien avec ce qu'a fait et proposé Didier Reynders. Ce sont d'ailleurs des choses sur lesquelles on avait échangé lorsqu'il était ministre au Conseil affaires générales.
Avec Madame Jourová, on a aussi échangé en détail sur la manière de retrouver de l'efficacité, notamment autour de l'article VII, notamment autour de situations comme le droit des personnes LGBT ; sortir des discours et retrouver une sorte d'efficacité collective.
Q - (Inaudible - a/s Etat de droit)
R - On dit qu'il faut retrouver un dialogue qui ne soit pas un dialogue de sourds, c'est-à-dire qu'il faut que d'un côté, dans les différents Etats membres, il y ait une reconnaissance de la valeur du processus d'Etat de droit au niveau européen.
Du côté européen, il faut aussi qu'on puisse mettre à jour aussi nos logiciels. Il y a des choses qu'on a constatées en 2015, il y a des choses qu'on a constatées en 2017. Aujourd'hui, en 2020, il faut qu'on puisse aussi faire évoluer notre lecture en fonction de la réalité des pays.
C'est dans ce cadre-là que les échanges ont eu lieu, et il faut voir comment on peut, sur ces sujets qui sont essentiels pour la crédibilité de l'Union, être certain qu'on travaille bien sur la réalité. Sinon, vous avez des processus qui deviennent un peu des "canards sans tête."
On a lancé des processus, plus personne ne sait très bien comment ils ont été lancés ni de quoi on parle. S'agglomèrent et s'agglutinent des choses qui sont nouvelles, mais qui n'ont pas forcément de valeur juridique. L'idée c'est de garder un processus qui reste très clair sur les raisons de son lancement, très clair sur les choses qui ont pu évoluer depuis, très clair aussi sur les reculs éventuels et très clair sur les faits. Je dis souvent qu'il faut que l'Etat de droit soit assis sur du droit. On n'est pas là pour faire du café du commerce, on n'est pas là pour faire des jugements bilatéraux, on est là pour soutenir les institutions européennes dans leur travail, et il faut que ce travail soit le plus connecté possible à la réalité.
Q - a/s l'Etat de droit
R - Bien sûr, la conditionnalité de l'Etat de droit dans le budget est quelque chose que la France défend très fortement. D'ailleurs quand j'étais à Copenhague, quand on a fait notre réunion Nordiques + France, c'est l'un des points sur lesquels on a un engagement très fort à travailler ensemble. On aura d'ailleurs dans les prochains jours une expression collective France + Nordiques, sur ce sujet. Et la conditionnalité de l'Etat de droit c'est aussi de dire : voilà, l'article II du Traité, ce n'est pas anecdotique, c'est au coeur du projet européen. Vous ne pouvez pas construire un projet si son coeur, quand il est attaqué, vous faites comme si vous ne l'aviez pas vu.
Q - a/s Brexit
R - Ce que je crains, c'est que l'on prenne des décisions pour des mauvaises raisons. Ce que je crains, c'est que la pression du calendrier nous amène à faire des concessions, des compromissions qui mettent en danger l'intérêt des Européens.
C'est le non-accord. Quand Boris Johnson nous parle d'un accord de libre-échange à l'australienne. Il n'y a pas aujourd'hui d'accord de libre-échange avec l'Australie. Cela s'appelle l'OMC. Je ne sais pas si un accord qui s'appelle l'OMC à l'australienne, cela s'appelle un accord ou si ce n'est pas un accord. Je pense que cela ressemble plutôt à pas un accord ; cela ressemble même à une absence d'accord. Moi, ce que je redoute, si j'ai une crainte, c'est que notre grille de lecture s'éloigne de la protection des intérêts des Européens. Le choix du Brexit, c'est un choix britannique souverain.
Il serait incompréhensible que j'aille voir les pêcheurs français, les agriculteurs français, les entreprises françaises et les PME, et leur dire "Ecoutez, pour un choix qui n'a pas été le nôtre, nous avons pris des décisions qui vous mènent aujourd'hui à une situation de concurrence déloyale que nous n'accepterions d'aucun autre pays. Mais vous comprenez, comme il fallait qu'on ait un accord le 31 décembre on a signé".
Moi, ce que je crains, c'est plutôt cela, et je crois que la discussion qu'on a eue aujourd'hui est très intéressante, parce qu'il y a une unité objective forte sur la protection d'une concurrence loyale, sur ce fameux "level playing field."
L'intégralité des pays comprend bien qu'ils ne peuvent pas, politiquement, aujourd'hui et dans le temps, justifier auprès de leurs acteurs économiques, - agricoles, pêche et autres - qu'ils ont vendu une partie de leurs intérêts ou sacrifié une partie de leurs intérêts, ou perdu une partie de leur capacité à agir parce qu'il fallait, à un moment donné, avoir un accord alors que l'on savait, à ce moment-là, que ce n'était pas un bon accord.
Je vais aussi revenir sur des éléments de positionnement des Britanniques.
En ce moment, on voit beaucoup que Boris Johnson fait monter l'idée que l'objectif premier des Britanniques, eux-mêmes, ne serait pas forcément de signer un accord, mais que ce serait de protéger la souveraineté, l'indépendance du Royaume-Uni. Alors, je vais être très claire avec vous, cette indépendance et cette souveraineté, elle est totale. Elle est totale depuis le 31 janvier, puisque politiquement, le Royaume-Uni est un pays qui est commercialement seul et libre, qui est économiquement seul et libre. Vous voyez d'ailleurs, avec les décisions sur le budget, qu'il s'éloigne en tout cas et qu'il prend une direction qui est la leur et qui n'est pas celle des règles européennes.
Personne ne remet en cause la souveraineté et l'indépendance des Britanniques. Ce que nous disons en revanche, c'est que librement et souverainement ils peuvent faire des choix. Ils peuvent choisir librement et souverainement de donner à leurs entreprises accès au marché intérieur et à 500 millions de consommateurs. Ils peuvent aussi librement et souverainement décider qu'ils préfèrent restreindre l'action de leurs entreprises, d'abord aux 65 millions de Britanniques.
C'est libre et c'est souverain. C'est leur choix, c'est leur responsabilité de prendre telle ou telle décision. Les entreprises britanniques, - je les entends, je les vois, je les rencontre-, me disent toutes : "nous voulons garder les règles européennes parce que nous voulons être certains de pouvoir avoir accès aux 500 millions de consommateurs européens".
Moi, je ne suis pas à convaincre. Cela montre bien, d'ailleurs, que la position française n'est pas une position de revanche, n'est pas une position punitive. C'est une position qui est économiquement rationnelle. Aucune entreprise aujourd'hui ne sait fonctionner avec deux jeux de normes. Aucune entreprise britannique ou européenne ne sait produire des biens avec telle ou telle norme. Par contre, toutes les entreprises, - je vois les agriculteurs, y compris Britanniques - voient bien que pour continuer à exporter, tout ce qu'ils pourront faire pour avoir la proximité réglementaire qui leur permettra d'avoir accès au marché intérieur sera bon pour eux.
C'est un choix libre et souverain des Britanniques. Donc je tords le cou et je vous le dis fortement, à l'idée selon laquelle, sous prétexte de vouloir un accord, nous serions en train de vouloir limiter la souveraineté et l'indépendance du Royaume-Uni. Tout ce qu'ils font chez eux les regarde. A partir du moment où cela passe les frontières, cela nous regarde. Donc, on a là des choix à faire. On fait nos choix et ils feront les leurs.
Q - a/s l'élargissement de l'UE
R - Je vais vous dire la même chose que le président. Ces rapports sur la situation en Macédoine du Nord et en Albanie ne sont pas publiés. Le commissaire Várhelyi aujourd'hui nous a parlé de trois choses. Il nous a dit sur l'avancée des réformes, "je vous remettrai dans les prochains jours, dans les prochaines semaines la vision qu'à la Commission sur ce qui se passe sur l'Etat de droit, sur les réformes judiciaires, sur les réformes électorales dans les deux pays".
Nous attendons ces rapports. Il a dit : "voilà la méthodologie de négociation que je vous propose". Là-dessus, la France est très satisfaite, c'est un processus plus crédible, plus réversible, qui est politiquement plus piloté, qui est beaucoup plus graduel, qui nous semble être un bon outil. Cela correspond au changement de paradigme que j'avais moi-même proposé au Conseil des affaires générales du mois de novembre.
Troisième point, il a dit "il nous faut une feuille route qui fasse que les liens entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux dépassent la seule question de l'élargissement". Il nous faut un réinvestissement économique, culturel, éducatif, potentiellement en termes de sécurité, de défense, des choses qui ne sont pas liées à l'élargissement en lui-même.
Cela, c'est majoritairement l'agenda du Sommet de Zagreb au mois de mai. Sur ces trois points là, on avance. La position française, elle est très simple. Si on a un accord à vingt-sept sur la méthodologie et si les rapports que nous présente la Commission nous disent que nous pouvons à la fois constater les progrès par rapport aux réformes que nous avons notamment demandées en juin 2018, alors nous pourrons prendre des décisions dans un cadre différent du cadre qui prévalait en octobre.
Q - Une question sur le climat, il y a un rapport aujourd'hui d'une ONG britannique qui, je crois d'ailleurs, a été remis au Quai d'Orsay, qui montre qu'en matière de neutralité carbone l'objectif 2050, les entreprises européennes, - c'est un rapport qui porte sur 830 entreprises européennes - que l'effort n'est pas à la hauteur de l'enjeu, notamment en matière d'investissement, avec des investissements plutôt consacrés à la réduction des gaz à effet de serre, à hauteur de 12%. Ce rapport propose de multiplier par deux cet effort. Je voulais avoir un premier commentaire de votre part. Derrière tout cela, on a, à nouveau, sur la table l'idée d'avoir un prix du carbone élevé, qui est effectivement la solution.
R - Plusieurs choses, le prix du carbone, c'est un outil essentiel pour que les entreprises aient de la visibilité, de la sécurité, et surtout qu'elles puissent intégrer le sujet climat dans leur décision d'investissement. La France aimerait déjà que nous ayons un prix plancher. Aujourd'hui, le prix du carbone est environ à 25 euros la tonne, il a longtemps été beaucoup plus bas, 25 euros c'est un niveau avec lequel d'ailleurs vous voyez que les entreprises aujourd'hui fonctionnent très bien. Personne ne vous dit qu'il y a un problème. Elles fonctionnent avec ce niveau-là. On pense que c'est important qu'on ne recule pas, et qu'on établisse un plancher à un moment donné. C'est une demande assez forte que nous exprimons dans ce débat. Là où vous avez et ce que montre, je n'ai pas lu ce rapport, mais en général sur les entreprises privées, nous avons besoin effectivement d'investissements privés massifs. On parle souvent du fonds de transition, on parle souvent de l'investissement public, mais il est tout petit comparé à ce que les entreprises elles-mêmes doivent consentir, notamment dans les produits qu'elles vendront.
Si on change les bâtiments et si on change la mobilité, il faut qu'ensuite les produits que produisent les entreprises et qu'elles vendent soient cohérents avec un objectif de neutralité carbone. Dans ce cas, la taxonomie est un sujet majeur, le suivi de tout le reporting non financier est un sujet majeur, parce qu'une entreprise qui ne fait pas les efforts qu'elle devrait faire doit pouvoir, à un moment donné, être différenciée pour les investisseurs, pour les actionnaires.
Un actionnaire, c'est tout le débat sur les actifs qui perdent de la valeur à long terme, les investisseurs qui vont bien voir qu'entre l'entreprise A et l'entreprise B, il y en a une qui s'est mise en cohérence avec l'objectif de neutralité carbone et une qui ne s'est pas mise en cohérence. Donc il doit pouvoir avoir les informations. Toute la directive du reporting non financier, c'est un sujet que la Commission va présenter dans les prochaines semaines, c'est tout le sujet de la taxonomie. C'est un sujet qui a été porté très fortement après la COP21, notamment par le président, dans le cadre du "One Planet Summit" : comment les entreprises peuvent-elles s'engager dans la transition, comment elles peuvent faire du reporting, comment elles peuvent le faire savoir et comment ensuite le milieu financier peut les différencier ? Parce qu'il faut qu'il y ait un bonus, j'allais dire, notamment en financement, en actionnariat auprès de ceux qui font les efforts. Evidemment, il faut qu'on fasse beaucoup plus et votre question, je la trouve très pertinente, parce qu'elle nous montre que trop souvent sur les sujets climatique, on oublie que le sujet clé, c'est la cohérence. Et au coeur du Green deal, on a ce postulat de cohérence, sur le plan commercial, sur le plan industriel, sur le plan financier, c'est tout cela que l'on doit construire, parce que la neutralité carbone, si c'est uniquement le sujet des Etats, on n'y arrivera pas. Cela doit être le sujet des Etats, des acteurs privés, l'Etat peut être un régulateur, l'Etat peut faire des incitations mais effectivement, on a beaucoup de cohérence à construire.
Q - a/s Brexit
R - Le sujet ce n'est pas le passé. Dans le passé, on était tous sous l'ombrelle, la protection, la Cour de justice de l'Union européenne, les procédures de la Commission, et donc le même cadre. Le sujet, c'est le futur. Si demain, dans trois ans, dans cinq ans, dans dix ans, le Royaume-Uni de manière volontariste cherche à soutenir avec de l'argent public des secteurs entiers, qui l'amènent ensuite à pouvoir vendre 10%, 20%, 30% moins cher que ce que nous produisons sur le continent européen, c'est là que l'on a un problème. Le sujet du Brexit et le sujet de la négociation future, ce n'est pas de régler le passé, ce n'est pas de solder nos comptes, c'est de nous assurer que dans le temps, nous pouvons protéger nos entreprises, nos acteurs et nos pêcheurs contre une concurrence déloyale.
Je fais le lien avec la question qui vient d'être posée. Le Green deal en Europe, on va imposer de manière volontaire et positive un certain nombre de restrictions à nos industriels, à nos entreprises. On va leur dire "tel produit n'est plus acceptable, telle méthode de production n'est pas acceptable, tel usage des pesticides dans l'agriculture n'est plus acceptable, etc.". On ne peut pas, d'un côté, nous-mêmes faire ces choses-là pour nous, et considérer que, sans aucun tarif douanier, sans aucune limite en volume, viendraient d'un pays, qui est à 50 km de nos côtes de Douvres jusqu'à Calais, des biens qui seraient produits avec des normes totalement différentes, y compris en aides d'Etat.
Nous, on a fait une alliance européenne des batteries, encadrée dans un cadre spécifique. Le Royaume-Uni peut bien entendu investir dans les batteries mais s'il le fait avec des montants 10 fois, 100 fois, 1000 fois supérieurs à ce qu'on fait en Europe, là on aura un problème. Donc, le sujet n'est pas de solder le passé. Sur le passé, effectivement, s'il y avait eu des sujets qui avaient amené la Cour de justice de l'Union européenne, ou la DG concurrence, ou la Commission européenne à considérer que des pratiques au Royaume-Uni ne correspondaient pas au cadre européen, elles l'auraient fait. On parle de l'avenir.
Q - a/s Brexit
R - Non, c'est au coeur de la déclaration sur la relation future. Cela a été signé, ratifié au parlement européen, à Westminster, à la chambre des Lords. Le "level playing field" dynamique dans le temps continu sur les aides d'Etat, ce n'est pas une lubie de M. Barnier ou des Etats membres aujourd'hui. C'est dans la déclaration sur la relation future. La déclaration politique aujourd'hui qui permettrait de penser que nous pouvions trouver un accord commercial très profond, très large, qui pouvait nous amener à penser que nous pourrions même faire zéro tarif douanier, zéro quota. Si aujourd'hui Boris Johnson nous dit "écoutez, ce que j'ai signé au mois de novembre ne correspond plus à ce que je veux faire aujourd'hui pour mon pays", cela a des conséquences.
Cela a des conséquences, notamment sur notre capacité à assurer zéro tarif douanier, zéro quota. Il y a une forme de réciprocité dans les engagements. Ce qui nous perturbe, c'est que cet accord a été ratifié, il a été signé, il a valeur de droit international. Le protocole irlandais, l'idée que sur les aides d'Etat, on ait un "level playing field", donc une loyauté, une réciprocité totale, ce n'est pas une lubie des Européens.
Certains vous demandent pourquoi le mandat est aussi différent entre le mandat des Britanniques et le mandat des Européens. Peut-être que nous, on est un peu restreint dans notre approche, mais on a une déclaration politique, on a un cadre qui a été ratifié au parlement européen, à Westminster, à la chambre des Lords, approuvé par le gouvernement britannique. On est parti de là. Et donc, on a écrit ce qui nous semblait être les conséquences de cette déclaration politique.
Q - a/s Brexit
R - Michel Barnier a dit qu'il était prêt à commencer les négociations dès la semaine prochaine. Ce que nous disons, et les Irlandais notamment, - ce que Simon Coveney qui était présent au Conseil des affaires générales dit très clairement -, c'est qu'il y a un protocole sur l'Irlande. Ce protocole doit s'appliquer. Il ne peut pas s'appliquer le 31 décembre à minuit. Il est question d'avoir un comité mixte, il est question d'avoir même un certain nombre de procédures, de réunions. Si ces réunions ne se tiennent pas, vous imaginez bien que la confiance aura du mal à s'instaurer.
C'est la même chose sur le droit des citoyens. Il y a une autorité indépendante qui doit s'assurer que les citoyens présents au Royaume-Uni ont une forme de capacité de recours collective si un certain nombre de droits ne leurs sont plus garantis. Sur tout cela, il faut qu'on ait des avancées. Il ne faut pas qu'on ait juste des déclarations.
Vous savez, le Conseil européen de juin permettra de faire un point, une espèce de conférence de haut niveau sur où nous en sommes. Si d'ici le mois de juin, sur ces sujets-là, on n'a pas une avancée significative, vous imaginez bien que cette confiance ne sera pas au rendez-vous pour que l'on puisse par ailleurs, discuter de la confiance qu'on souhaite créer sur le futur.
Q - a/s méthodologie d'élargissement
R - Je n'ai pas entendu aujourd'hui de choses qui m'inquièteraient sur la capacité des vingt-sept à se mettre d'accord sur cette méthodologie. Certains ont des questions, certains ont des clarifications, c'est normal. C'est la première fois que le commissaire présentait les choses à ce groupe de ministres du Conseil. J'ai une exigence, c'est qu'on puisse l'accepter à vingt-sept et que ce cadre nouveau se retrouve juridiquement dans le cadre des négociations. Ce n'est pas une présentation conceptuelle, on n'est pas sur une grande vision et puis on en resterait là. Donc, il y a tout un travail d'écriture plus fine sur lequel j'imagine bien que les Etats membres auront probablement un travail d'écriture ensemble commun à faire, pour que ce sur quoi nous nous sommes mis d'accord se retrouve dans le cadre des négociations.
Q - a/s Brexit
R - Le risque, c'est que l'on cède à la pression du calendrier. C'est que sous prétexte que Boris Johnson nous dit "je veux un accord absolument, absolument, avant le 31 décembre", on soit prêt le 30 décembre à se dire "comme il faut un accord, signons".
Le mandat que l'on a confié aujourd'hui a l'avantage de ne pas nous faire entrer dans une telle logique. Il dit très clairement ce qu'il doit y avoir dans l'accord pour qu'on puisse le signer à vingt-sept. Il dit très clairement que sur les services financiers, ce n'est pas négociable. Il dit très clairement que les accords d'équivalence sur les données personnelles, ce n'est pas négociable. Donc, cela permet de sortir de la logique où certains, notamment Britanniques, voulaient nous emmener, à savoir faire un accord a minima qui serait une forme de compromission. L'équivalence financière, cela ne se négocie pas. L'équivalence sur les données personnelles, cela ne se négocie pas. Ma crainte, c'est une crainte un peu rhétorique. Le mandat que l'on a aujourd'hui permet de clarifier, ce qui nous permettra de dire que nous avons respecté le mandat et donc que nous pouvons signer, mais cela nous permettra aussi de dire que si le mandat n'est pas respecté, nous ne sommes pas en capacité de signer. Cela nous donne un cadre que j'appelle robuste, il permettra de tenir, même si la situation devient difficile ou même si nous sommes sous pression, notamment sous pression du calendrier.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2020