Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Inter le 25 février 2020, sur l'augmentation des salaires des enseignants et les restrictions liées au coronavirus à l'école.

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Média : France Inter

Texte intégral

LEA SALAME
Bonjour à vous, Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Léa SALAME.

LEA SALAME
Merci d'être avec nous. Beaucoup de parents d'élèves vont vous écouter avec grande attention ce matin. Il y a beaucoup de questions sur la menace du coronavirus à l'école. Alors, la consigne a été donnée hier que les enfants et les enseignants ayant effectué un voyage en Chine, en Italie ou en Corée du Sud sont priés de rester confinés chez eux pendant 14 jours. D'abord et avant tout, on parle de combien de personnes, est-ce que vous pouvez nous dire ce matin combien d'élèves et de professeurs sont concernés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, alors, il faut dire Lombardie, Vénétie s'agissant de l'Italie. Et c'est pour l'instant quelques dizaines en réalité, il y a notamment dans les Hauts-de-Seine une quarantaine d'élèves qui restent chez eux, dont 5 qui sont à l'hôpital, mais déjà 4 d'entre eux ont un test négatif, donc vont pouvoir rentrer chez eux. Et c'est des mesures de précaution, je dirais naturelles, qui ont été prises, et bien entendu, nous suivons au jour le jour avec le ministère de la Santé l'évolution, de façon à être en mesure de prendre les mesures nécessaires jour après jour.

LEA SALAME
Donc c'est quoi, c'est une quarantaine d'élèves ou élèves et professeurs ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui…

LEA SALAME
On parle de combien de…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Là, en l'occurrence, c'est des élèves qui sont concernés.

LEA SALAME
Une quarantaine d'élèves concernés.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait.

LEA SALAME
Il n'y a pas de professeurs qui sont concernés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Si, il y a, je crois, trois adultes, mais s'agissant de Courbevoie, je ne suis pas sûr du chiffre exact, mais c'est autour de trois, oui.

LEA SALAME
Et ces enfants qui rentrent de Chine ou de Lombardie ou de Corée du Sud, sont systématiquement testés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, après, c'est un sujet qui relève des autorités de santé, bien sûr, et nous, après, on en tire les conséquences sur le fait de fréquenter ou non l'établissement, mais bien entendu, il y a des tests systématiques à chaque fois qu'il y a un doute, oui.

LEA SALAME
Cette consigne n'est-elle pas arrivée trop tard ? Certains chefs d'établissement regrettent qu'elle n'ait pas été prise pour la journée du lundi, de retour de vacances, des élèves potentiellement touchés ont pu contaminer leurs camarades pendant toute une journée, celle de lundi, est-ce qu'il y a eu un petit retard à l'allumage du côté du ministère de l'Education ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, on l'a annoncée dès lundi, et de toutes les façons, le dimanche, les personnes ne sont pas opérationnelles, donc je crois qu'on a fait au contraire les choses en temps et en heure, donc, je pense qu'on ne peut pas dire ça.

LEA SALAME
La fédération des parents d'élèves dit que cette mesure n'est pas efficace, parce que les parents n'ont souvent pas de moyen de garde et qu'ils ne peuvent pas garder leur enfant pendant 14 jours à la maison, même avec des employeurs très bienveillants, ce n'est pas possible. Vous leur répondez quoi ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien, de toutes les façons, on est dans une situation exceptionnelle, si je prends le cas de Courbevoie, j'ai justement vu le cas de l'impact sur les entreprises concernées, puisque c'est vrai que les parents d'élèves, dans ces cas-là, ne vont pas parfois au travail, donc c'est sûr que ça va compliquer la vie des familles, des entreprises, des structures publiques, il n'y a aucun doute là-dessus…

LEA SALAME
Et le ministère peut les aider ou pour l'instant…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, bien entendu, alors le point majeur, si vous voulez, le point sur lequel on est préparé, c'est notamment l'enseignement à distance, nous avons toute une série de formules de CNED, d'enseignement à distance, qui sont déclenchables au cas par cas. Et alors, je ne vais pas rentrer peut-être dans tous les détails, mais si vous voulez, il y a maintenant les environnements numériques de travail dans les établissements qui permettent déjà d'envoyer aux élèves des éléments à distance, et puis, si ça devait prendre des proportions plus importantes avec par exemple des territoires entiers concernés, alors, on serait capable de déclencher de l'enseignement à distance massif, on est préparé pour ça.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, vous conseillez aux parents d'acheter des masques pour toute la famille ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez, je ne suis pas le ministre de la Santé, je crois qu'on peut le conseiller, mais ce n'est pas à moi de le faire en tout cas.

LEA SALAME
Vous êtes inquiet ou vous n'êtes pas inquiet, le ministre de l'Education, il est…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je pense qu'il faut rester tout à fait serein, conformément à ce qu'a dit d'ailleurs très bien le ministre de la Santé. Elle n'a ni exagéré ni minimisé, comme à chaque fois d'ailleurs, c'est une maladie qui n'est pas… enfin, voilà, dont on connaît le taux de mortalité, ça reste relativement faible, mais c'est quand même quelque chose à regarder de très près, et il est évident que notre premier souci, c'est de protéger les enfants.

LEA SALAME
La réforme des retraites, la réforme des retraites, beaucoup de questions encore ce matin, vous avez annoncé ce week-end une revalorisation de 100 euros nets par mois pour les enseignants primo arrivants dès 2021, on parle de combien de personnes qui seront concernées ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, d'abord, ce n'est pas seulement la réforme des retraites, c'est aussi une politique de revalorisation des rémunérations, à la fois dépendantes et indépendantes de la réforme des retraites, il y a une double dimension. Comme je le dis depuis plusieurs semaines, il y a une négociation sociale actuellement qui dure jusqu'au mois de juin pour justement définir et répondre précisément au type de questions que vous venez de poser, ce que j'ai déjà annoncé, c'est qu'on faisait une marge de 500 millions d'euros supplémentaires en plus de l'augmentation, je dirais, normale du budget prévu en 2021, et que nous ferons année après année des marges supplémentaires, ce qui permet d'avoir une stratégie pluriannuelle d'augmentation des professeurs avec une vision qui est clairement affirmée, qui est de faire du professeur français l'un des professeurs les mieux payés d'Europe, on se compare notamment souvent à l'Allemagne, et c'est ce but-là qu'on doit poursuivre tout au long de la décennie en mettant, si vous me permettez l'expression, le paquet, puisque ce sont des sommes très importantes qui sont en jeu…

LEA SALAME
Oui, alors, une fois que vous avez dit ça, combien de primo-arrivants vont toucher l'augmentation ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Et donc voilà, alors, donc, à partir de là, on est devant un champ d'hypothèses, et justement, on est dans le dialogue social, et on en parle avec les syndicats, et donc, c'est au cours des prochaines semaines que ça va se préciser, néanmoins, quelle que soit l'hypothèse, ça va aboutir à – j'ai donné cet exemple-là, mais il y aura bien entendu d'autres conséquences – à au moins 100 euros pour les primo-arrivants, sachant que c'est un de mes premiers buts que d'augmenter les débuts de carrière, et puis, ensuite, les milieux de carrière, parce que c'est là qu'il y a les plus grands rattrapages à faire, et qu'on doit renforcer l'attractivité du métier.

LEA SALAME
Mais pour les autres, si je suis né en 1982, je ne suis pas primo arrivant comme enseignant, mais je suis concerné par la réforme des retraites puisque je suis né après 75, est-ce que je vais être augmenté dès l'an prochain ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, encore une fois, c'est ce dont on doit discuter, on doit faire des grands choix de répartitions plus ou moins fortes selon les générations, mais oui, vous allez être concerné par une augmentation à un moment donné, et vraisemblablement en 2021, ça, c'est des choix que l'on va devoir faire…

LEA SALAME
Mais de combien, ça, vous ne pouvez pas me le dire ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien, c'est forcément… alors année après année, ça va devenir assez significatif, c'est forcément quelque part entre 50 et 100 euros mensuels, c'est quelque chose de cet ordre. Mais ça, encore, c'est des grands choix qu'on doit faire en responsabilité ; c'est pour ça que ce dialogue social, il est très important, parce que c'est comment on décide dans le temps de répartir finalement des moyens importants supplémentaires, mais qui, à la fin, vont se traduire évidemment en des sommes assez importantes pour tout le monde, notamment ceux nés après 1975, qui représentent à peu près la moitié des professeurs, mais même avant 75, nous ferons des revalorisations.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, vous parlez de mérite pour ceux qui vont être augmentés, ça veut dire quoi, parce que, là, les profs, ils ont peur qu'en gros, le deal, ce soit : vous travaillez, vous êtes augmenté. Ça veut dire quoi ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce n'est pas du tout aussi schématique que ça. Et moi, ce qui me frappe – et je vais répondre à votre question – mais ce qui me frappe sur ce sujet, c'est qu'en réalité, je suis en train de dire quelque chose d'extrêmement important pour la profession, et en réalité pour le pays, parce qu'en fait, ce que je suis en train de vous dire, et que j'ai déjà un peu dit, mais que je dis de manière de plus en plus précise de janvier à juin, puisque la discussion avance, c'est quelque chose de totalement inédit, c'est-à-dire : la France va investir, va réinvestir massivement dans son Education, sujet pour lequel je plaide non seulement à l'échelle nationale, mais même à l'échelle européenne, parce que c'est le sens du 21ème siècle que de faire plus. Donc on va voir…

LEA SALAME
Vous avez l'impression d'être incompris, pour être claire, parce que…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je n'ai pas du tout l'impression d'être incompris, parce que je vois beaucoup de professeurs, qui ont très bien compris, par contre, j'ai l'impression que toute la journée, des gens s'emploient à envoyer des messages pour essayer absolument d'édulcorer ça, j'entends des tas de choses totalement fausses, des calculs erronés, pour essayer de minimiser ce message. Mais ce message, je le redis très clairement : on organise pour l'ensemble des prochaines années une augmentation très significative des rémunérations, et c'est ça…

LEA SALAME
Mais y a-t-il un échange ? Faudra-t-il travailler plus pour être augmenté ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce n'est pas aussi schématique que ça, j'ai parlé d'une évolution systémique, c'est l'ensemble des ressources humaines du ministère qui va changer, parce qu'on ne se plaint pas que de la faiblesse des rémunérations des professeurs, on se plaint aussi du caractère trop anonyme, on se plaint parfois du fait que, dans la carrière, le mérite n'est pas reconnu, c'est-à-dire, vous faites plein de choses, vous avez des compétences, par exemple, vous savez parler très bien une langue étrangère, mais vous enseignez une autre discipline, on n'en fait rien dans le système, on n'a pas une vraie gestion humaine des ressources humaines…

LEA SALAME
Mais donc ce sera des augmentations au mérite ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Il y a deux dimensions, il y a une dimension universelle, donc des augmentations pour tout le monde…

LEA SALAME
Pour tout le monde, et un peu plus pour ceux qui le méritent plus, c'est ça…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Et puis, d'autres éléments d'incitation pour certaines choses pour reconnaître le mérite, parfois, pour rendre visible l'invisible, vous avez des gens qui travaillent énormément, et c'est bon de reconnaître cette chose.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, il y a le dialogue social, vous en parlez, il y a autre chose que vous lancez ce matin, c'est une grande consultation des profs.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, on lance une grande consultation, là aussi, pour tenir compte justement du ressenti des professeurs, par exemple, quand on fait des enquêtes, on voit souvent que les professeurs ne sont pas du tout hostiles à la notion de mérite, en tout cas, c'est intéressant de le voir, et donc on va faire quelque chose, là aussi, qui est complètement inédit, au mois de mars, on lance une grande enquête donc par Internet qui va nous permettre auprès des 850.000 professeurs de connaître à la fois leurs ressentis, leurs préconisations, leurs idées, leurs volontés pour l'avenir…

LEA SALAME
Donc c'est ce que vous nous annoncez ce matin, entre le 3 et le 17 mars, tous les profs pourront dans un questionnaire qui est anonyme et confidentiel, je le précise, il n'y a pas besoin de mettre notre nom…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Absolument, tout à fait…

LEA SALAME
Dire ce qu'ils attendent du ministre de l'Education…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, et ce qu'ils attendent de l'évolution de la gestion des ressources humaines du ministère. Il faut qu'on passe à quelque chose d'autre…

LEA SALAME
Cette grande consultation, c'est une manière de court-circuiter les syndicats ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ah, non, il n'y a pas de court-circuit puisque nous nous voyons quasiment tous les jours de janvier à juin, simplement, il est normal de compléter cela par une discussion directe, je crois d'ailleurs que les organisations syndicales ne voient pas ça d'un mauvais oeil, que je sache.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, depuis leur lancement le 20 janvier dernier, les épreuves de contrôle continu du bac, les fameux E3C, suscitent la colère de plusieurs syndicats qui font barrage, plusieurs établissements ont été bloqués…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Pas tous…

LEA SALAME
J'ai dit « certains ». Il y a des lycées où la première session n'a pas pu être organisée, quand les élèves vont rattraper cela, quand est-ce qu'ils vont passer la première session ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
En ce moment même, puisque la région Ile-de-France est la plus concernée par ce phénomène, je rappelle qu'il y a un peu plus de 1.600.000 de copies qui étaient attendues, et aujourd'hui, plus de 1.500.000 sont faites. Il manque entre 50 et 70.000 copies aujourd'hui, c'est assez peu finalement sur le 1.600.000 et c'était surtout en Ile-de-France, notamment Paris d'ailleurs, et la région Occitanie. Et donc en ce moment même, E3C est passé, il y a encore eu quelques incidents hier, mais ça reste marginal.

LEA SALAME
Et les épreuves vont évoluer, elles vont être simplifiées pour la deuxième session, c'est ce que vous avez annoncé, parce qu'ils ont dit que c'était trop lourd…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, oui, j'entends ces critiques. Et vous savez, les critiques, il faut toujours les entendre dès lors que c'est constructif et qu'on ne fait pas de blocage et qu'on ne fait rien qui nuise aux élèves, et donc, il y a un comité de suivi du baccalauréat. Et pour la deuxième session qui aura lieu dans quelques mois, il y aura certainement encore quelques changements liés aux discussions et aux écoutes que nous avons actuellement des retours de terrain, et ça va sans doute aller beaucoup dans le sens de la simplification pour que ce soit le moins lourd possible.

LEA SALAME
Toute dernière question, hier, le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée, le député Nicolas TURQUOIS, a lancé à l'attention des députés de l'opposition – je le cite – : certains ont dit la République, c'est moi, eh bien, moi, je vous le dis : la République, c'est nous, les députés de la majorité, et vous, vous n'êtes rien, à l'attention des députés de l'opposition. C'est normal cette phrase ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ah, je n'ai pas les éléments de contexte, vous savez, qu'il y ait un peu de fatigue dans les débats parlementaires, on peut le comprendre, et…

LEA SALAME
Il a perdu ses nerfs de dire : l'opposition, vous n'êtes rien ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Je ne sais pas, écoutez, moi, je ne juge pas les choses sans avoir les éléments de contexte. Dit comme ça, effectivement, ce n'est pas la meilleure phrase, mais ça mérite surtout d'être regardé, et puis, quand vous voyez, parfois, à la fois l'attitude d'une partie de l'opposition, vous pouvez vous dire qu'au contraire, on a une majorité qui, la plupart du temps, garde bien son calme.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER était notre invité. Merci et belle journée à vous.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2020