Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à Europe 1 le 28 février 2020, sur son retour d'Italie, l'épidémie du Coronavirus et le risque de contagion dans les écoles.

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Média : Europe 1

Texte intégral

MATTHIEU BELLIARD
Votre invité, Sonia MABROUK, c'est le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel BLANQUER.

SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous sur Europe 1, Jean-Michel BLANQUER. Pour les auditeurs qui nous écoutent ce matin, je vais décrire ce que j'ai à la main : un masque, un masque de protection. J'ai ce masque de protection parce que vous rentrez d'Italie, Monsieur le Ministre, l'Italie c'est le foyer européen de coronavirus. J'ai ce masque parce que les Français, tout simplement, les Français, les citoyens, se posent beaucoup de questions autour des mesures de précaution. J'ai ce masque, parce qu'à Naples il y a eu trois cas hier confirmés de coronavirus. Est-ce que ce masque, vous, moi, est-ce que vous devez le porter, est-ce qu'on doit le porter, sachant que dans ce studio vous êtes face à moi, à portée de main, et que vous revenez d'Italie, sans inquiéter, mais pour rassurer, quelles mesures de précaution ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, il y a plusieurs choses dans ce que vous avez dit. Parce que si on écoute bien ce qu'a dit le ministre de la Santé ou de directeur général de la Santé, le masque n'est pas l'arme à tout faire, l'outil à tout faire, si vous voulez. Il est très important de rappeler que le sujet majeur c'est de se laver les mains et que c'est par le contact par les mains que cela se transmet le plus, et que le masque est utile dans certaines circonstances, mais que ça ne sert à rien de le voir comme étant un outil absolu. Alors, ensuite vis à vis de moi, eh bien on s'est serré la main tout à l'heure, mais je pense qu'on se les lave régulièrement, et hier j'étais à Naples, qui est dans le Sud de l'Italie, nous étions avec le président de la République et une partie du gouvernement. Naples n'est pas dans une situation spécifiquement problématique, c'est l'Italie du Nord, vous savez, qui est touchée. Justement, c'est l'occasion de dire qu'il faut savoir différencier les lieux. Et puis c'est aussi l'occasion de dire que nous travaillons aussi à l'échelle européenne et internationale sur ces enjeux, et ça a fait partie évidemment des échanges.

SONIA MABROUK
Il faut être évidemment solidaire avec les Italiens, et c'est le sens de la visite hier du président avec de nombreux ministres, mais rien ne garantit que vous n'êtes pas contaminé, c'est vrai, le président de Lombardie s'est mis en quarantaine, le vice-ministre de la Santé iranien est contaminé, ce sont des précautions pour tous. C'est important de le dire aux Français, de manière générale.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, il faut prendre des précautions dans tous les contacts, mais il n'y avait pas plus de risques à être à Naples hier que dans telle ou telle autre ville d'Europe.

SONIA MABROUK
Donc, loin de tout esprit polémique, il y avait véritablement une légitimité à être sur place hier avec le président et de nombreux ministres…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr.

SONIA MABROUK
... même s'il y a une période de crise et une forme de paroxysme en Italie.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Cela montre tout simplement qu'il faut avoir des réactions proportionnées, c'est pour cette raison aussi que le président de la République est allé le matin même dans un hôpital pour saluer les personnels et montrer que bien entendu on ne reste pas, nous tous, toute la France, chez soi à attendre que ça passe, on a simplement des réactions rationnelles, de sang-froid, et proportionnées.

SONIA MABROUK
Certains restent chez soi, justement, Jean-Michel BLANQUER. Depuis lundi, les élèves et les professeurs qui sont rentrés notamment d'Italie du Nord, sont priés de rester à la maison durant 14 jours. Combien d'élèves à ce jour sont en quatorzaine ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, c'est par définition un chiffre qui évolue tous les jours, et qui est relativement faible aujourd'hui parce que nous sommes... parce qu'il n'y a qu'un tiers si vous voulez de la France qui est retourné depuis lundi dernier, c'est l'Ile-de-France et l'Occitanie, donc ça fait à peu près autour de 2 000 élèves. Bien entendu ce chiffre va augmenter la semaine prochaine, quand un deuxième tiers va revenir de vacances, et quand on aura fait les nouvelles évaluations de l'évolution de la maladie.

SONIA MABROUK
Il est important, Monsieur le Ministre, ce deuxième tiers, parce qu'il concerne la zone B, notamment l'académie de Nice, toutes les consignes là, sont passées en temps voulu ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, nous faisons tout en lien évidemment avec les autorités de santé. Toutes ces choses-là ne s'improvisent pas, il doit y avoir une unité de commandement, c'est pourquoi le Premier ministre et le ministre de la Santé sont évidemment en surplomb de tout ce que nous faisons, et à l'échelle locale c'est les agences régionales de santé qui sont celles qui décident, qui prennent les grandes décisions, et évidemment les rectorats sont derrière pour accomplir cette décision.

SONIA MABROUK
Vous dites que c'est une bonne mesure, une mesure nécessaire, que ces élèves, ces professeurs restent chez eux s'ils sont venus d'Italie du Nord. Certains parents se sont étonnés d'avoir reçu cette recommandation par mail lundi en fin de matinée ou après-midi, alors que leurs enfants étaient déjà à l'école le matin.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, dès lundi matin on a envoyé cette nouvelle. Il a pu y avoir parfois un certain retard dans la façon dont ça a été transmis, mais de toutes les façons, le dimanche les établissements n'étaient pas joignables, donc on est allé au plus vite lundi. D'ailleurs, de fait on a aujourd'hui les élèves qui ont été dans cette zone, sont réellement restés chez eux, et aujourd'hui ça reste la règle.

SONIA MABROUK
Vous dites, pardonnez-moi, que les élèves sont vraiment restés chez eux, mais ce n'est pas une mesure contraignante, tous les parents dont les enfants ont été dans ces zones-là, peut-être que leurs enfants sont dans les collèges et les lycées ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr.

SONIA MABROUK
Il n'y a rien de contraignant, personne ne peut vérifier.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous ne pouvez pas vérifier chacun de ces détails, tout ceci repose bien entendu sur le civisme de nous tous, et le sens des responsabilités, le sens du discernement aussi, il faut ni sous-réagir ni sur-réagir. Si on prend le cas de ce collège d'Amiens, où il y a eu un professeur qui est décédé et qui était contaminé vers le 10 février d'après ce que nous savons, nous avons pris la décision à la suite évidemment de ce que nous ont demandé les autorités de santé, de fermer cet établissement de lundi à mercredi, parce que c'était la bonne décision à prendre sur le plan de la santé.

SONIA MABROUK
Bien sûr. On va parler justement des fermetures potentielles, nous n'en sommes pas là, des établissements. Est-ce que cette mesure de précaution c'est important pour les auditeurs, les parents d'élèves qui nous écoutent, de rester chez soi si l'on revient des zones à risque, est-ce que ça vaut Jean-Michel BLANQUER pour le personnel encadrant, pour le personnel des cantines, pour le personnel en charge du nettoyage, tous ceux qui côtoient finalement les élèves ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien entendu. Par définition il n'y a pas de différence à faire entre les adultes, selon le statut administratif qu'ils ont, donc…

SONIA MABROUK
Evidemment, mais est-ce que le message est passé auprès d'eux ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, tout se fait en liaison évidemment avec les collectivités locales, qui comme vous le savez ont des personnels dans les écoles, les collèges et les lycées, et les règles qui s'appliquent aux adultes sont les mêmes pour tous, quelle que soit la profession où l'autorité de tutelle.

SONIA MABROUK
Est-ce que tous les élèves qui doivent rester chez eux, sont examinés, suivi par la médecine scolaire, est-ce qu'ils sont ou seront testés au coronavirus ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, là c'est vraiment un sujet qui relève de la médecine, et typiquement les questions sur lesquelles je préfère laisser s'exprimer à chaque fois les responsables de santé, de façon à ce qu'on n'ait pas de messages qui partent dans tous les sens, mais oui, il y a des protocoles qui sont prévus. Et je sais qu'évidemment la manière de procéder évolue en fonction du stade de la maladie.

SONIA MABROUK
Et à partir de quel moment, à partir de combien d'élèves priés de rester chez eux, vous déclenchez l'enseignement à distance qui peut être massif d'ailleurs ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, ça c'est un des points les plus importants, parce que là pour le coup on est sur un sujet qui dépend strictement de l'Education nationale. Nous nous y sommes préparés depuis plusieurs semaines. En réalité, dès que le coronavirus a commencé à se déclarer en Chine, nous avons préparé avec le CNED, donc notre opérateur d'enseignement à distance, qui s'est beaucoup modernisé tous ces derniers temps, nous avons donc préparé tout un système pour que les élèves français, en Chine, puissent bénéficier de cet enseignement à distance. C'est donc très opérationnel depuis ce moment-là. Nous avons élargi le système, ce qui fait que par exemple pour les élèves de ce collège d'Amiens, donc, dont je vous parlais, ou pour ceux qui sont obligés de rester chez eux, eh bien nous avons mis sur pied ce système qui permet, de la grande section de maternelle jusqu'à la classe de terminale, d'avoir les cours et même les devoirs à faire qui sont, avec une assistance aux devoirs, qui est faite à distance, grâce au CNED.

SONIA MABROUK
Et s'il y a plus d'élèves qui doivent rester chez eux, est-ce que vous êtes aujourd'hui en capacité, est-ce que vous pouvez nous le dire, de déployer ce dispositif de manière plus large encore ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, le dispositif…

SONIA MABROUK
Pourquoi certains syndicats en doutent ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien c'est un peu leur métier, si je puis dire, c'est-à-dire qu'il est normal qu'on formule des doutes, mais voilà, je peux vous le dire, nous avons notre dispositif qui est prêt, je l'ai testé moi-même, nous avons aussi prévu les connexions nécessaires, il peut y avoir 7 millions de connexions en même temps, et donc nous sommes prêts, et nous sommes d'autant plus prêts que cela a commencé. Nous sommes prêts même le cas échéant à faire des classes virtuelles, c'est-à-dire un système qui permet à un professeur d'être en visio avec l'ensemble de sa classe, à distance. Ce que nous avons préparé permet de faire cela.

SONIA MABROUK
Qui paie l'absence de 14 jours de travail d'un parent qui doit rester avec son enfant en quatorzaine à la maison ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, là aussi c'est un travail qui a été fait à l'échelle interministérielle, qui ne relève pas de ma compétence, mais ça a été évidemment prévu, avec un système avec les caisses d'assurance-maladie.

SONIA MABROUK
Parce que vous comprenez évidemment les difficultés de ces parents…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ben sûr, c'est un véritable sujet, d'ailleurs…

SONIA MABROUK
... que ce soit le privé ou des fonctionnaires.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Le problème a déjà commencé à se poser, quand par exemple je pense à des familles à Courbevoie, dont les élèves ont dû rester à la maison et les parents n'ont pas pu aller au travail, mais vous avez justement encore aujourd'hui une réunion à Bercy, j'en parlais avec Bruno LE MAIRE hier et avec la ministre du Travail, pour traiter ces questions-là.

SONIA MABROUK
Certains se demandent, Jean-Michel BLANQUER, ce qu'on attend, ce que vous attendez pour fermer des écoles. L'Italie ça y est, le Japon c'est fait, la Grande-Bretagne, selon le Guardian, y pense.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais voyez, je parlais de ça hier avec la ministre de l'Education d'Italie, les choses se sont passées d'une certaine manière en Italie, mais de manière un peu peut-être, je dirais, enfin, je n'en jugerai pas, mais en tout cas peut-être massive…

SONIA MABROUK
On dirait que vous pensez à « précipitée ».

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, en tout cas il faut du discernement dans ces matières-là. Moi, je m'en remets aux professionnels de santé, on sait qu'il y a, comme l'a dit le Premier ministre hier, de manière très claire, trois stades de l'éventuelle épidémie, en tout cas nous sommes à un stade où la bonne mesure c'est de demander aux personnes de rester chez eux quand elles sont contaminantes. Ensuite on peut éventuellement fermer des lieux, mais il faut le faire avec discernement, parce qu'il y a de bonnes raisons de le faire, et dans ces cas-là être bien organisé. Vous voyez, aujourd'hui on est très bien organisé pour cet enseignement à distance dont je vous parlais, eh bien précisément on le fait, parce qu'on fait les choses à la fois dans le calme et avec discernement.

SONIA MABROUK
Mais vous envisagez quand même le scénario de fermeture d'écoles.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ah, on envisage, tous les scénarios sont sur la table pour être prêt en cas de nécessité, mais on ne précipite pas les choses, parce que le remède parfois peut être pire que le mal. Si vous vous mettez à paralyser la France, eh bien vous aurez toute une série d'inconvénients, je ne parle même pas seulement des inconvénients économiques, mais des inconvénients pour le fonctionnement normal du pays, et du coup ce serait même contre-productif pour la gestion de l'épidémie. Donc nous sommes aujourd'hui, je vous dis, en train de, d'abord, tous unis derrière les autorités scientifiques et de santé, pour agir de manière appropriée et ensuite développer des protocoles, s'agissant de l'éducation c'est notamment l'enseignement à distance qui est la bonne réponse.

SONIA MABROUK
On l'a compris, enseignement à distance pour le moment, mais il peut y avoir une hypothèse de fermeture d'écoles. Dans ce cas-là, Monsieur le Ministre, ce sera une consigne générale, chaque recteur d'académie ne va pas décider de ce qu'il va faire, il y aura des choses claires au niveau national, sur chaque territoire ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. D'abord il y a des règles claires à l'échelle nationale, et ensuite une déclinaison territoriale, c'est pourquoi chaque recteur d'académie travaille avec le préfet et l'Agence régionale de santé, et c'est pour ça que les mesures, ensuite, de décision par exemple de fermeture d'une école ou d'un établissement, elles sont prises évidemment à partir de l'analyse des autorités de santé, localement, et c'est ce qui se passe pour le collège d'Amiens, et qui pourrait se passer pour certains établissements ou écoles dans les temps qui viennent, au cas par cas, sur la base d'analyses locales.

SONIA MABROUK
On va finir par ce que vous avez dit, c'est un appel au civisme, les personnes susceptibles de contaminer, qui risquent d'être contaminantes, il faut véritablement qu'elles restent chez elles, ça il faut le répéter…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, tout à fait.

SONIA MABROUK
C'est un message de bon sens également.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, c'est un message de bon sens. Je voudrais rappeler une des rares bonnes nouvelles qu'on a sur le sujet, c'est aussi que jusqu'à présent il n'y a eu aucun mort de moins de 15 ans dans le monde entier, y compris en Chine, c'est un point à rappeler, et de façon là-aussi à prendre la juste mesure des choses.

SONIA MABROUK
Merci Jean-Michel BLANQUER. Qu'est-ce que je fais de ce masque ? Je vous le donne quand même ? Vous revenez d'Italie.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Gardez-le... Non, gardez-le…

SONIA MABROUK
Ça reste un foyer européen de coronavirus.

JEAN-MICHEL BLANQUER
En tout cas, il ne faut pas qu'il y ait de gaspillage, en tout cas de ce type de matériel.

SONIA MABROUK
C'est important, ils sont précieux.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ils sont précieux, et encore une fois, je pense sang-froid, discernement, civisme, sont les mots-clés dans une telle période.

SONIA MABROUK
Merci Jean-Michel BLANQUER, invité ce matin sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2020