Texte intégral
SONIA MABROUK
Invité exceptionnel ce matin, le ministre de la Santé et des Solidarités. Un entretien avec une exigence : la transparence, la pédagogie, la vérité en cette période inédite. Bonjour Olivier VERAN.
OLIVIER VERAN
Bonjour Sonia MABROUK.
MATTHIEU BELLIARD
Votre invité, Sonia MABROUK, c'est Olivier VERAN, le ministre de la Santé.
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1, Olivier VERAN. Au lendemain de l'allocution du président, vos réponses sont attendues. Les Français ont besoin de transparence, d'explications et de pédagogie sur les mesures annoncées. Pour des millions d'entre nous dès ce matin, c'est un quotidien bouleversé totalement, avant la fermeture lundi de tous les établissements scolaires. Combien a minima va, doit durer cette mesure pour être efficace ?
OLIVIER VERAN
La durée m'est inconnue et si je pouvais la donner, je la donnerais. La durée de la fermeture des établissements scolaires, imaginez bien qu'elle sera la plus courte possible. C'est un déchirement que de devoir en arriver à fermer des écoles, fermer des crèches, fermer des universités dans notre pays. Dans les zones d'activation du virus comme l'Oise, le Haut-Rhin, nous avons adopté des périodes de fermeture de quinze jours dans le cadre d'une fermeture nationale de l'ensemble des établissements scolaires. Ce que nous voulons, c'est un coup de frein national massif. Les écoles fermeront la durée nécessaire pour que ce coup de frein massif soit pleinement opérationnel et qu'on puisse protéger nos hôpitaux.
SONIA MABROUK
Au minimum quinze jours.
OLIVIER VERAN
Au minimum quinze jours.
SONIA MABROUK
On a besoin de comprendre ce matin, Olivier VERAN, ce qui a fait évoluer la position d'Emmanuel MACRON, le poussant à généraliser ces fermetures d'écoles alors qu'il y a quelques jours encore, c'était jugé contre-productif par le ministre de l'Education.
OLIVIER VERAN
Ce n'est pas une position qui a évolué, c'est l'arsenal de réponses face à la menace épidémique qui a évolué. Je l'ai toujours dit, le président de la République l'a dit, Jean-Michel BLANQUER l'a également dit : nous anticipons, nous adaptons, nous consultons, nous regardons avec énormément d'attention ce qui se passe sur notre pays et chez les pays voisins. Ce qui est arrivé, c'est l'observation que l'épidémie avait une croissance rapide sur le territoire européen notamment, y compris en France. Ce qui est arrivé, ce sont les conclusions d'experts européens, américains, français réunis hier à l'Elysée pendant plusieurs heures pour ces derniers et qui nous ont dit : « Fermez les écoles, fermez les établissements scolaires. Même si le virus n'est pas dangereux en soi pour les enfants, cela permettra de donner un coup de frein très important à un moment donné où on atteindra une dynamique d'épidémie qui sera trop importante pour que les hôpitaux puissent faire face dans de bonnes conditions à l'afflux de malades. » Et donc cette décision que nous avons prise territoire par territoire depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines : la veille, j'avais demandé la fermeture de toutes les écoles en Corse, de toutes les écoles dans quinze ou seize communes à côté de Montpellier, cette mesure est devenue à ce moment-là la bonne mesure à prendre pour pouvoir anticiper l'augmentation de la circulation du virus. Donc il faut bien comprendre - il faut bien comprendre - qu'au moment où nous prenons des décisions, nous les prenons face à la dangerosité du moment mais dans l'anticipation de la situation virale telle qu'elle peut être dans notre pays à cinq, dix, quinze, vingt jours.
SONIA MABROUK
On va essayer de comprendre justement la portée de ces décisions. Fermeture des écoles, Olivier VERAN, limitation des déplacements et en même temps, pas de mesures dans les transports publics où les Français qui nous écoutent ce matin n'ont d'autre choix que d'être serrés dans un espace confiné. Est-ce que vous trouvez cela cohérent avec les mesures annoncées ?
OLIVIER VERAN
Ce que nous demandons s'agissant des transports publics, c'est d'en limiter le recours aux cas nécessaires. Non mais attendez, nous demandons de limiter le recours aux cas nécessaires. Je suis fondamentalement convaincu que d'autres modes de déplacement peuvent être organisés, de la même manière que nous allons penser des solidarités sur le territoire pour les parents qui ne peuvent plus aller au travail parce qu'ils doivent garder leurs enfants, pour les personnes âgées qui sont isolées à domicile. Les personnes qui doivent travailler, qui ne peuvent pas bénéficier du télétravail sachant que nous demandons à toutes les entreprises qui le peuvent de libérer le télétravail pour leurs salariés, nous demandons aux Français de commencer à envisager de s'organiser différemment pour les déplacements. Mais supprimer les déplacements, les transports en commun, Sonia MABROUK, c'est empêcher des milliers de soignants d'aller travailler dans les hôpitaux de Paris, dans la région parisienne. C'est empêcher des milliers d'agents de protection, de sécurité, des gens dont nous avons un besoin impérieux, impératif sur tout le territoire national dans la période d'aller travailler. Donc on ne peut pas bloquer un pays. Vous savez, chaque décision que nous prenons, nous avons pleinement conscience qu'elle emporte des conséquences dans le quotidien des Français. Ce n'est pas de gaieté de coeur qu'on ferme des écoles, ce n'est pas de gaieté de coeur qu'on évite et qu'on interdit les rassemblements. Ce n'est certainement pas de gaieté de coeur qu'on demande à des parents de ne plus emmener leurs enfants voir leurs grands-parents. Ce sont des mesures que nous prenons parce qu'elles font sens et le comité d'experts qui a été réuni hier a considéré que les risques que faisaient peser la fermeture complète des transports en commun aujourd'hui à ce stade, en tout cas dans notre pays, étaient supérieurs aux avantages attendus.
SONIA MABROUK
« Cette épidémie est la plus grave crise sanitaire que la France ait connue depuis un siècle » a dit le président. Les mots sont forts, très forts, mais ça ne nécessite pas de report des élections municipales. L'arbitrage a été politique ?
OLIVIER VERAN
Alors l'arbitrage justement n'a pas été politique. Je vais vous dire, instinctivement je me suis demandé hier matin…
SONIA MABROUK
Il n'a pas été que politique peut-être.
OLIVIER VERAN
Quel serait le sort réservé aux élections municipales et on a demandé au conseil scientifique. Vous savez, le président du conseil scientifique, il s'appelle le professeur Jean-François DELFRAISSY. Il est virologue, c'est un cador de l'épidémiologie. Il est aussi le président du Conseil consultatif national d'éthique. Il a réuni une dizaine d'experts, j'ai réuni une dizaine d'experts autour de lui et hier ils étaient à l'Elysée. J'étais avec eux et nous les avons laissé travailler pendant plusieurs heures, confinés, si j'ose dire, dans une grande salle de l'Elysée avec un certain nombre de questions. Quid des transports, quid des écoles, quid des élections municipales. Nous sommes allés les voir lorsqu'ils ont terminé leur travail et leur avons posé la question : faut-il ou non maintenir les élections municipales ? Leur réponse a été très claire. Dans la mesure où nous demandons aux personnes âgées de rester chez elle mais où nous considérons que les personnes âgées, bien qu'elles restent chez elles, soient amenées à sortir pour faire leurs courses, sortir et avoir des déplacements incontournables dans leur quotidien, nous estimons que le temps démocratique, la vie démocratique du pays justifie un déplacement. Et je vais vous dire, Sonia MABROUK, ces élections municipales on va en faire aussi un temps de la prévention et de la santé publique. Il y aura, je vous l'annonce, un mètre d'écart entre les personnes qui iront voter dans la file d'attente ; il y aura des horaires qui seront proposés aux personnes âgées fragiles, par exemple après le déjeuner. On sait qu'après le déjeuner, il y a moins de monde qui vient voter. Vous avez parfois vingt ou trente personnes sur une heure. Chacun pourra venir avec son stylo. Il y aura du gel hydroalcoolique avant/après, des panneaux qui informeront sur les gestes barrières. On va toucher un public qu'on ne touche pas forcément avec votre émission ou avec les émissions que j'ai pu faire auparavant.
SONIA MABROUK
On dit aux Français qui vont aller voter qu'il y aura un mètre de distance avec eux, et on dit aux Français qui prennent les transports ce matin qu'ils n'auront pas le choix parce qu'ils ne peuvent qu'être serrés ou collés dans les transports. Il faut le comprendre.
OLIVIER VERAN
Nous demandons aux personnes âgées de soixante-dix ans et plus de ne pas prendre les transports. Nous demandons aux personnes âgées de soixante-dix ans et plus ne pas sortir de chez elles. Nous demandons aux personnes âgées de soixante-dix ans et plus de ne pas faire de repas de famille ce qui est, encore une fois, un déchirement. On a tous des personnes dans notre famille qui sont concernées, dans notre proche entourage qui sont concernées. Il y a parfois des décideurs publics, des acteurs importants pour la Nation qui pourraient demain être concernés. Nous faisons ce choix. Les personnes de soixante-dix ans et plus sont, Sonia MABROUK, les personnes les plus fragiles, celles qui font le plus de complications, celles dont on voit qu'elles sont le plus souvent hospitalisées dans des conditions très compliqués dans les pays qui nous ont précédés en termes d'épidémie. Donc nous protégeons ces personnes, elles n'ont pas… Je leur demande solennellement de ne pas envisager de prendre les transports en commun. Il y a les gens pour lesquels le virus peut être dangereux.
SONIA MABROUK
Et de ne pas aller voter dimanche également.
OLIVIER VERAN
Non. Elles peuvent sortir faire leurs courses, elles peuvent sortir faire un tour au parc, elles peuvent sortir. Elles ne se rassemblent pas à proximité. La question, c'est un mètre-quinze minutes ; moins d'un mètre-quinze minutes. Le risque de contamination est considéré comme un risque de contamination réel.
SONIA MABROUK
Dans un souci de pédagogie, Olivier VERAN, dans cet entretien, expliquez-nous. Des pays ferment leurs frontières et pendant ce temps, la France laisse entrer les Italiens sans contrôle alors que l'Italie est en confinement et nous bloque à la frontière. Où est là encore la cohérence des mesures ?
OLIVIER VERAN
L'Italie a mis en place ses propres frontières ; l'Italie a mis en place ses propres frontières. Les frontières ne sont pas aujourd'hui entre l'Italie et la France, elles sont au sein de l'Italie. C'est l'Italie du Nord. Vous avez des régions…
SONIA MABROUK
L'Italie se protège.
OLIVIER VERAN
Non, non. L'Italie se protège de ses propres régions les plus actives en termes de circulation virale.
SONIA MABROUK
Et nous ?
OLIVIER VERAN
Donc la question n'est pas de savoir si on met une frontière entre l'Italie et la France, un virus n'a pas de frontières, je l'ai déjà dit, et le virus circule en France. Nous avons moins de malades que l'Italie mais le virus circule en France. Il circule en Espagne, il circule en Allemagne, il circule même dans des Etats qui ont déjà des frontières. J'étais avec le ministre suisse hier au téléphone qui est frontalier avec l'Italie et avec la France, qui n'a pas fermé davantage ses frontières. Les frontières, l'Italie les a mises dans son propre pays pour les populations qui sont confinées.
SONIA MABROUK
Mais vous n'excluez plus de le faire comme l'a dit hier Emmanuel MACRON là encore. Vous avez réévalué la situation.
OLIVIER VERAN
Non, la question n'est pas dans le cadre des frontières européennes, dans l'espace Schengen, parce que les pays communiquent. Vous avez des dizaines, des centaines de milliers de personnes y compris des Français d'ailleurs qui circulent en Allemagne, qui circulent en Espagne, qui circulent en Italie ou qui circulent en Suisse. Je veux dire, aller aujourd'hui en Allemagne ou aller dans des territoires français dans lesquels le virus va circuler, on n'est pas dans des situations qui sont si différentes que cela. Par contre, la question se posera vis-à-vis de la France qui prend des mesures difficiles, difficiles pour sa population…
SONIA MABROUK
La question se posera.
OLIVIER VERAN
Vis-à-vis de pays qui n'ont peut-être pas pris pleinement conscience de la menace virale et qui n'ont peut-être pas mis en place toutes les mesures. Mais cette réflexion, Sonia MABROUK, ce n'est pas une réflexion franco-française, ça n'aurait pas de sens. Je suis un Européen convaincu. Cette réflexion, elle est européenne. Si elle doit avoir lieu, elle sera européenne. Je suis ministre de la Santé.
SONIA MABROUK
Mais je ne vous pose pas la question sous l'angle politique justement, je pose la question au ministre de la Santé. Est-ce que ces fermetures de frontières peuvent être efficaces pour freiner la propagation du coronavirus ? D'autres pays l'ont fait. La Chine l'a fait et la Chine connaît une décélération aujourd'hui de l'épidémie.
OLIVIER VERAN
Nous avons posé la question au conseil scientifique des frontières comme nous avons posé toutes les autres questions. D'ailleurs vous aurez des réponses écrites et je souhaite les rendre publiques, toujours dans un souci de transparence. Et ça, ce sera assez nouveau aussi, je peux vous le dire, dans la gestion d'une épidémie. La réponse des scientifiques c'est : scientifiquement, ça n'a pas d'intérêt
SONIA MABROUK
Olivier VERAN, merci déjà d'avoir répondu à cette série de questions, vous restez avec nous. Beaucoup de questions sur les hôpitaux français. Est-ce que vous pouvez nous assurer ce matin qu'au plus fort de l'épidémie, les médecins français n'auront pas de choix à faire ? On va revenir également sur les tests de dépistage, c'est important, pourquoi les avoir limités ? On va revenir sur les masques de protection, les médecins libéraux vous envoient un signal d'alerte. Beaucoup de questions, les nôtres, et évidemment celles des auditeurs.
MATTHIEU BELLIARD
Hashtag #maquestionauministre. Olivier VERAN qui reste avec nous sur Europe 1.
- Beaucoup de questions, Monsieur le Ministre Olivier VERAN, hashtag #maquestionauministre jusqu'à 08 heures 40, un petit peu plus. Vous répondrez à ces questions que se posent les Français. Beaucoup de doutes et d'interrogations alors d'abord des professions médicales. Je ne peux pas tous et toutes les lire évidemment, mais Emmanuelle ou encore Rachel nous écrivent. Elles sont toutes les deux infirmières libérales. « Quelles protections mises en place pour nous ? Est-ce que nous serons réquisitionnées par des hôpitaux ? »
OLIVIER VERAN
Plusieurs questions en une. D'abord oui, les protections. Nous devons la protection à ceux qui nous protègent. Il faut armer les médecins, les infirmières mais aussi les kinés, les dentistes, tous les acteurs de santé en ville. Jusqu' ici, si je puis dire, la ville était un peu en deuxième rideau par rapport au virus. Progressivement elle va passer en premier rideau. Il leur faut donc des armes dans cette bataille contre le virus et nous devons les protéger. Donc oui, je suis en train de rendre publique la doctrine d'utilisation des masques. J'ai informé par exemple hier soir tous les leaders syndicaux des médecins libéraux ainsi que le président du Conseil national de l'Ordre des médecins qu'ils auraient des masses FFP2, c'est-à-dire les masques à haut niveau de technicité qui leur seront donnés et qui, maintenant, ne répondent qu'à un objectif de logistique.
SONIA MABROUK
Dans quel délai, Olivier VERAN ? Parce que c'est un cri d'alerte d'urgence que vous lancez aux professionnels. Immédiat ?
OLIVIER VERAN
C'est immédiat. La logistique part d'abord en direction des sites où la circulation du virus est la plus active et où nous avons commencé, où nous commençons à faire appel à la médecine de ville en premier rideau et sur tout le territoire national très progressivement. C'est uniquement aujourd'hui une question de logistique, Sonia MABROUK, c'est important de le dire. C'est important de protéger encore une fois ceux qui nous protègent tout simplement. Il n'y a pas à discuter. Et quant à savoir si on peut faire appel demain à du personnel de ville pour renforcer les hôpitaux, je crois sincèrement que nous allons avoir besoin de toutes les volontés, en ville comme à l'hôpital où nous allons avoir besoin de faire appel aux internes de médecine, nous allons devoir faire appel aux jeunes retraités – aux jeunes retraités - nous allons avoir besoin de la réserve sanitaire. Nous avons la chance d'avoir des professionnels de santé en ville comme à l'hôpital qui ont une vocation admirable, permanente, constante et qui même se transcendent encore davantage dans l'effort et dans la difficulté. Nous allons avoir besoin de tout le monde.
SONIA MABROUK
Monsieur le ministre, on entend cette annonce importante, décision importante avec ces masques de protection, ces garanties de protection donc immédiatement. On l'a bien compris, ce sera aujourd'hui. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Il y a eu un cri d'urgence, d'alerte de ces professionnels libéraux qui se sont même demandé où est passé le stock stratégique de notre pays en masques chirurgicaux et en masques FFP2. Nous avons bien des stocks.
OLIVIER VERAN
J'ai déstocké deux fois quinze millions de masques. J'ai déstocké, c'est-à-dire que j'ai envoyé depuis les centres de Paris deux fois quinze millions de masques par camions dans toutes les officines de France. Ces masques, la première fois ils ont été fortement consommés y compris de par des gens qui ne relèvent pas du port de masque. Maintenant la doctrine a été très claire, elle a été dit, je le rappelle : ne portez pas de masque si on ne vous demande pas expressément d'en porter. Ensuite, il y a eu la question de l'acheminement, de la consommation des masques et il a fallu que nous fassions… Nous sommes le seul pays à avoir fait une réquisition nationale de toutes les capacités de production de tous les stocks. Pas un masque en France ne quitte le pays. Ça nous a permis d'avoir, de faire ce qu'on appelle un monitoring, c'est-à-dire d'aller regarder quelles étaient nos capacités de production pour aujourd'hui et les semaines à venir. Nous sommes en train d'acheter massivement des masques partout où nous le pouvons - partout où nous le pouvons - et il y a une gestion de ces masques dans la durée qui doit s'opérer. J'ai demandé au Haut Conseil de santé publique. Encore une fois, chaque fois que je prends une décision, il y a une recommandation scientifique en bloc derrière. Le Haut Conseil de santé publique m'a transmis ses recommandations avant-hier soir à minuit sur qui devait porter des masques, dans quelle quantité et sur quelle période. Dès lors, je peux débloquer la situation et je veux dire encore une fois tout mon soutien aux professionnels de santé en ville. Par ailleurs, ils auront aujourd'hui ce qu'on appelle des guides de décision pour savoir comment se protéger, protéger leurs confrères et les gens qui travaillent avec eux. Quels sont les signes cliniques quand ils seront face à un malade du coronavirus qui doit les alerter, les inquiéter et les inciter à hospitaliser leurs malades. Donc nous les accompagnons. J'ai tout simplifié. La télémédecine, la production de gel hydroalcoolique par les pharmaciens. Tout ce qui peut être fait est fait. Donner des armes à ceux qui nous protègent.
MATTHIEU BELLIARD
Alexandre nous demande sur le hashtag #maquestionauministre : les services de santé français peuvent-ils se retrouver dans le cas de l'Italie, jusqu'à devoir sélectionner les patients qui ont le plus de chances de s'en sortir ?
OLIVIER VERAN
Je ne fais pas de scénario catastrophiste mais je prépare, nous préparons notre hôpital, nos services de réanimation pour faire face à toute éventualité. Matthieu BELLIARD, j'ai appelé hier en conférence téléphonique tous les directeurs des agences régionales de santé du pays et je leur ai demandé sans délai d'annuler toute activité non programmée hospitalière dans tous les hôpitaux du pays - dans tous les hôpitaux du pays - de manière à libérer les ressources, libérer les plateaux techniques, permettre de réorienter du personnel compétent vers des activités urgentes de prise en charge des malades. Cet arrêt de l'activité programmée nous permet de déclencher ce qu'on appelle le plan blanc maximal, de manière à augmenter…
MATTHIEU BELLIARD
Il est déclenché ?
OLIVIER VERAN
Bien sûr. De manière à anticiper, à déterminer par anticipation les places de soins intensifs et de réanimation qui pourraient être nécessaires.
SONIA MABROUK
Monsieur le ministre, la question était plus précise. Est-ce que vous pouvez nous assurer ce matin qu'au plus fort de l'épidémie, les médecins français n'auront pas à faire de choix ? N'auront pas ce terrible dilemme que connaissent les médecins italiens : choisir entre les malades ? C'est ça la question qu'on se pose.
OLIVIER VERAN
Sonia MABROUK, un virus est un phénomène naturel qui circule de personne en personne. Ce virus, 98 à 99 % des gens qui l'attrapent en guérissent. 98 à 99.
SONIA MABROUK
Non mais je ne vous ai pas posé… La question est plus précise.
OLIVIER VERAN
Laissez-moi terminer, s'il vous plaît. Il y a 5 % des gens qui font des formes graves. Des formes graves, ça peut conduire les gens en réanimation et parfois même à mourir. Le nombre de formes graves qui arriveront à l'hôpital va dépendre du nombre de gens qui attraperont le virus. Les mesures que nous mettons en place visent à faire en sorte que ce nombre soit le plus réduit possible. Si ce nombre devait être important… Vous savez, nous sommes au début d'une épidémie d'un virus qui est inconnu. Je ne peux absolument pas vous affirmer les yeux dans les yeux aujourd'hui que je sais exactement quelle sera l'ampleur de l'épidémie. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons pris toutes les mesures adaptées, conformes aux données actuelles de la science, révisées, territorialisées, proportionnées qui permettent de faire face à cette épidémie dans les meilleures conditions possibles et que nous préparons nos hôpitaux comme si l'épidémie était déjà là et qu'elle était déjà à un niveau élevé. C'est-à-dire que par anticipation, je laisse de la place en réanimation même si nous n'en avons pas besoin aujourd'hui mais pour que ces places soient prêtes dès lors que nous en aurions besoin dans trois, dans quatre, dans cinq jours. C'est la première fois. D'habitude on active ce genre de plan quand on est face à la détresse. Je l'active par anticipation - par anticipation – partout, y compris là où le virus ne circule pas encore pour que nous puissions faire face à toute situation et que nous ne soyons pas pris à la gorge de l'urgence, comme ç'a pu être le cas dans d'autres régions européennes.
MATTHIEU BELLIARD
Je quitte l'hôpital avec une question qui est revenue à plusieurs reprises. Marion, Isabelle notamment : les écoles étant fermées, qu'en est-il des enfants qui sont déposés chez des assistantes maternelles ?
OLIVIER VERAN
La question des assistantes maternelles. Les crèches sont fermées, les crèches sont fermées. Les assistantes maternelles avec des petits nombre d'enfants, la question doit être arbitrée dans la journée.
MATTHIEU BELLIARD
Ce n'est pas encore fait.
SONIA MABROUK
Pourquoi, Olivier VERAN, le nombre des tests de dépistage - c'est aussi une question qui revient très souvent - pourquoi ce nombre de tests de dépistage du coronavirus est limité en France ? Pourquoi une telle décision ?
OLIVIER VERAN
Alors quel est l'intérêt d'un test de dépistage ? Le test, il a pour but de confirmer un diagnostic clinique de maladie. C'est fondamental de le faire quand le virus n'est pas là, quand le virus commence juste à circuler, pour pouvoir le repérer, faire ce qu'on a fait depuis des semaines, des enquêtes cas contact, pour confiner le virus et l'empêcher de circuler. Lorsque vous êtes dans une zone active du virus, que vous avez des centaines de malades qui sont déjà malades, vous pouvez commencer à envisager un diagnostic clinique. Lorsque les patients ont un état sévère, qu'ils sont à l'hôpital, que ce sont des soignants ou des personnes qui travaillent avec des publics fragiles, le test restera indispensable. Lorsque ce sont des gens qui peuvent être confinés et qui ne présentent pas de signes graves, on les renvoie à la maison et on a ce qu'on appelle des réseaux sentinelles à l'instar de ce qui existe pour toute épidémie depuis que les épidémies existent.
SONIA MABROUK
Donc ces personnes-là n'ont pas de test. Alors pourquoi le ministre de la Culture Franck RIESTER a fait l'objet de tests alors qu'il avait des symptômes faibles ? Pourquoi la garde des Sceaux - on est en situation de se poser ces questions – a été testée alors qu'elle avait une simple fièvre et que d'autres Français ne pourront pas le faire ?
OLIVIER VERAN
Oui, vous pouvez poser la question. Il y a énormément de Français qui ont des tests parce qu'ils ont parfois une profession sensible ou qu'ils sont en contact avec beaucoup de personnes. La plupart des gens qui aujourd'hui ont besoin des tests ont déjà des tests. Ensuite vous avez des diagnostics cliniques qui peuvent être faits et confirmé quand il y a une notion de comptage infectieux. Ce qui est important, c'est que les gens soient confinés chez eux. Moi j'ai été testé, je me suis fait tester, je l'ai dit la semaine dernière parce que j'avais un début de rhume et que je vais dans les hôpitaux. Je suis allé dans une école, que je serre la main – je ne serre plus la main aujourd'hui - mais que j'étais en contact rapproché dans des réunions avec des gens qui sont indispensables au fonctionnement du pays et aux décisions que nous prenons. Je crois vous avez eu un exemple hier du côté indispensable des décisions que nous prenons dans la période. Mais vous avez raison de souligner que nous sommes des Français et des citoyens à part entière. Il y a dix députés qui sont malades du coronavirus, ils sont pris en charge par les agences régionales de santé de la même manière que n'importe quel Français malade le serait.
MATTHIEU BELLIARD
Marie-Ange, une question presque pratique : pourquoi ne pas prolonger à six mois les ordonnances pour les traitements courants pour ne pas encombrer les cabinets médicaux ? Aujourd'hui si elle doit être renouvelée, il faut y aller, encombrer, parfois être contaminé.
OLIVIER VERAN
Ça fait partie des très bonnes questions qui me sont posées auxquelles je veux apporter de très bonnes réponses. Donc tout ça est mis aujourd'hui à analyse. J'y réponds très vite. Quand les pharmaciens m'ont demandé du gel hydroalcoolique pour pouvoir produire, dans les quarante-huit heures je l'ai autorisé, ce qui n'a jamais été fait.
MATTHIEU BELLIARD
Des témoignages édifiants aussi venus d'Italie, on en a diffusé beaucoup. Les médecins appellent à l'aide. On est juste à côté, pourquoi est-ce qu'on ne les aide pas ?
OLIVIER VERAN
On les aide.
MATTHIEU BELLIARD
On les aide ?
OLIVIER VERAN
On les aide.
MATTHIEU BELLIARD
Des médecins français sont sur place pour aider les Italiens ?
OLIVIER VERAN
Croyez-moi, on aide les Italiens ; peut-être pas suffisamment aux yeux des Italiens parce que nous sommes aussi dans une situation de niveau de prétention qui est élevé, mais nous tenons la main aux Italiens. Vous savez, j'étais le premier ministre étranger à aller en Italie, à Rome, deux jours après les premiers cas là-bas et j'ai le ministre italien en ligne au moins quatre à cinq fois par semaine.
SONIA MABROUK
Olivier VERAN, nous faisons tous face à une situation inédite, exceptionnelle. Sans être alarmiste, on essaye chacun à nos niveaux, à nos postes de responsabilité d'avoir ce souci de pédagogie que vous avez eu ce matin, de transparence on l'espère. Quand on ne sait pas, il faut dire qu'on ne sait pas. Justement, quelle est l'incertitude, l'inconnue qui vous taraude le plus ? Qui vous empêche peut-être de dormir car vous êtes en charge de la santé des Français et que chacune de vos décisions, les décisions évidemment du président de la République, a un impact sur nos vies aujourd'hui, sur notre quotidien ? Quelle est cette inconnue ?
OLIVIER VERAN
En tout cas, l'heure n'est pas au bilan mais je souhaite qu'il ait lieu en toute transparence comme je le fais depuis le début. J'ai tellement… Enfin, et comme médecin et comme passionné de santé publique, j'ai suivi le déroulé des prises en charge de crise sanitaire dans notre pays. Nous sommes un pays qui a été marqué dans son histoire par des crises sanitaires qui n'ont pas été gérées en transparence. Nous sommes le pays du sang contaminé, le pays de l'amiante, le pays de la vache folle, le pays des grippes avec des gestions parfois compliquées à faire entendre et accepter. Cette transparence est indispensable. J'ai beaucoup de questions, les Français ont beaucoup de questions mais j'ai l'avantage de pouvoir trouver des réponses. Et ces réponses, je ne les trouve pas dans un coin de ma caboche : je les trouve en concertant ceux qui savent, à l'étranger massivement, en France massivement, avec des experts qui travaillent en collectif pluriprofessionnel, qui nous font des recommandations qui évoluent chaque jour. Hier je me suis réveillé, vous savez, j'avais quatre modélisateurs mathématiciens, deux Suisses et deux Français, qui m'avaient adressé des messages avec des courbes, des schémas, des prévisions. Je vis entouré de données, je vis entouré de sciences et je crois que c'est ce qui nous permet de prendre des décisions qui sont rationnelles et que nous prenons au bon moment pour les bonnes personnes.
SONIA MABROUK
Merci Olivier VERAN.
MATTHIEU BELLIARD
Merci beaucoup. Le ministre de la Santé ce matin pour répondre à vos questions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 mars 2020