Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à Radio Classique le 23 mars 2020, sur la politique du gouvernement face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

RENAUD BLANC
Gérald DARMANIN, le ministre de l'Action et des Comptes publics, en ligne avec nous. Bonjour.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

RENAUD BLANC
Question toute simple : vers un confinement plus long, ça c'est pratiquement acté, vers un confinement plus strict, Gérald DARMANIN ça serait une décision dans les heures qui viennent ?

GERALD DARMANIN
Ecoutez, le gouvernement, depuis le début de cette crise, s'est rangé à l'avis du Comité scientifique. Et il se réunit et donne son avis aujourd'hui, je ne vais pas anticiper cet avis, que je ne connais pas, mais ce qui est certain, c'est que le gouvernement suivra, comme il l'a toujours fait depuis début de la crise, l'avis de nos scientifiques, pour protéger la population.

RENAUD BLANC
Gérald DARMANIN, beaucoup de médecins ce matin réclament un confinement total, en disant que c'est le seul moyen aujourd'hui de lutter contre le virus. Est-ce que vous dites qu'économiquement c'est possible d'aller plus loin dans le confinement ?

GERALD DARMANIN
Non, on ne prend pas des décisions sanitaires en fonction de l'activité économique. Il y a des conséquences évidemment économiques, budgétaires, très importantes à cette crise, bien sûr, d'ailleurs nous avons mis les moyens pour répondre à cela, au moins dans un premier temps, 45 milliards d'euros, vous le savez, mais d'abord nous souhaitons protéger bien évidemment la population. Et nous suivrons, encore une fois, l'avis du comité scientifique, pour savoir ce que nous ferons, indépendamment de toute autre considération.

RENAUD BLANC
Alors, protéger la population, il y a une question autour des tests à grande échelle. A quand ces tests à grande échelle, au moins pour les populations sensibles ?

GERALD DARMANIN
Eh bien vous savez, le ministre de la Santé et des Solidarités a évoqué dans sa conférence de Presse ce week-end, la question du changement de doctrine pour les tests. Vous savez, moi je ne suis pas scientifique, j'ai compris que l'une des difficultés c'était qu'une très grande partie des gens qui avaient le Covid-19, en fait soit n'avaient pas grand-chose, soit avaient une grippe difficile, et qu'une partie très petite de la population, mais très grande en nombre, avait des difficultés respiratoires, qui pouvaient être mortelles pour une partie d'entre elles. Et que le fait de savoir si on est ou pas positif au Covid-19, posait des questions finalement qui avaient peu d'importance dans le traitement médical de ce sujet. Donc le ministre de la Santé vient d'expliquer que nous allons changer de doctrine, notamment pour la sortie du confinement, lorsqu'on en sortira, il n'a pas dit quand d'ailleurs, je lui laisserai le soin de le préciser lorsqu'on sera fin de confinement.

RENAUD BLANC
Une question toujours sur cet aspect santé : la chloroquine, on en parle énormément depuis quelques jours, depuis quelques heures, comme traitement possible. Les labos attendent le feu vert de l'Etat. Quand allez-vous trancher sur cette question ?

GERALD DARMANIN
Eh bien je pense, comme toute autre chose, il faut savoir suivre les process scientifiques de notre pays. Il y a eu effectivement un médecin qui a trouvé manifestement une solution. Il a fait un essai clinique sur 24 patients. Ce qu'a autorisé le ministère de la Santé c'est de le faire ailleurs, de pouvoir regarder comment on peut faire sur un certain nombre de patients supplémentaires, pour pouvoir…

RENAUD BLANC
Elle est utilisée dans d'autres hôpitaux, à l'heure où nous parlons d'ailleurs.

GERALD DARMANIN
Oui oui, c'est ce que je dis, l'autorisation a été donnée par le ministère de la Santé, pour pouvoir le faire sur une partie des autres hôpitaux, une partie des autres patients, et si ces tests sont conclusifs, comme on le fait à chaque fois qu'il y a effectivement ce genre de process scientifique, alors les choses seront généralisées. Mais aujourd'hui, il ne faut pas, même si des solutions sont évidemment à chercher très rapidement, même s'il y a une pression très importante, il ne faut pas louper les étapes scientifiques de contrôle et d'éventuelles conséquences, d'utilisation de tel ou tel médicament. Encore une fois, moi je ne suis pas scientifique, je prends les choses telles qu'elles viennent et telles qu'elles sont décidées par le ministère de la Santé, en lien avec le Comité scientifique.

RENAUD BLANC
Plusieurs journaux titrent, ont titré ce week-end, et encore ce matin, sur la faillite de l'Etat concernant les masques. Le premier cas de coronavirus en France est apparu il y a exactement 2 mois, on reproche au gouvernement le manque d'anticipation. Qu'est-ce que vous répondez ce matin, Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
Eh bien l'heure n'est pas à la polémique, et je pense que franchement on ne peut pas dire que l'Etat ne soit pas là. L'Etat est là et les Français voient que leur Etat est organisé, est là, et que ce soit de la Fonction publique hospitalière, à commencer effectivement par les soignants qui sont au premier rang de ce combat, que ce soit les policiers et les gendarmes, les douaniers, les agents du service public de manière générale, les militaires qui aujourd'hui organisent les rapatriements, que ce soit le fonctionnement de notre 'hôpital public, voit que l'Etat là. Et la question des marques ou la question du gel hydro-alcoolique, ou la question des tests, elle se pose dans tous les pays du monde. Regardons autour de nous, regardons ce qui se passe en Italie, regardons ce qui se passe en Espagne, regardons ce qui se passe en Grande-Bretagne, regardons ce qui se passe en Allemagne…

RENAUD BLANC
Si je vous pose, pardonnez-moi, mais si je vous pose la question, c'est parce que vous êtes pointés du doigt par de nombreux médecins, qui disent : on part à la guerre sans munitions, et jusqu'en 2011/2012 il y avait des stocks, alors comment expliquer finalement qu'il y en ait peu aujourd'hui ? C'est la question que beaucoup de personnes se posent ce matin, Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui, nous, en tout cas en ce qui concerne ce gouvernement, nous avons débloqué à la fois l'argent et les moyens pour que les 250 millions de masques soient là. Et il y a déjà une distribution de plus d'une trentaine de millions de masques ces derniers jours, à la fois dans les EHPAD et dans la médecine de ville et à l'hôpital. Ensuite il viendra sans doute le temps, j'ai vu que l'opposition a demandé une Commission d'enquête pour ce qui s'était passé avant, notamment sous le quinquennat de monsieur HOLLANDE. Eh bien viendra le moment de la Commission d'enquête, du contrôle et de savoir qui a mal organisé des choses, si les choses ont été mal organisées. Mais je ne pense pas que pendant la guerre on doit entrer dans les polémiques, en tout cas moi ça n'a jamais été ma volonté.

RENAUD BLANC
Aujourd'hui, Gérald DARMANIN, des millions de Français vont se rendre sur leur lieu de travail, tous ceux qui ne peuvent pas faire du télétravail, je pense notamment aux métiers manuels, aux artisans, aux routiers, aux métiers de l'alimentation, au BTP. Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe à répéter : "confinez-vous", et dire à ces Français "il faut aller travailler" ?

GERALD DARMANIN
Non, il n'y a pas de paradoxe, d'abord parce que nous devons continuer à faire fonctionner notre pays, parce que le système de santé doit continuer à fonctionner, parce qu'on doit continuer à produire des masques, parce qu'on doit continuer à produire des produits agroalimentaires, qu'on doit les acheminer dans les supermarchés, que dans les supermarchés on doit pouvoir les vendre, parce qu'il va falloir continuer à avoir de l'électricité, à ramasser les déchets dans la rue. Donc il y a évidemment un certain nombre de fonctions, de continuité du service public, de continuité des marchés, qui doivent se faire, et ce n'est pas une question de profit. J'entends parfois dire : oui, c'est le profit économique qui engage ça. On n'en est plus du tout là, on a désormais des croissances négatives, on va dépasser 3,9% du déficit, on a mis beaucoup de moyens sur la table en 3 jours, simplement il s'agit d'une question de survie. Et on voit bien qu'il faut que nous puissions continuer à travailler pour tous ceux qui ne peuvent pas télétravailler, pour pouvoir produire. Alors maintenant, il faut le faire dans des conditions sanitaires acceptables. Il faut le faire avec un mètre de distance avec son voisin de travail, il faut se laver sans cesse les mains, il faut que ceux qui organisent de travail puissent faire respecter aux salariés et aux artisans, eh bien un minimum effectivement de protection, et ça je pense que c'est la responsabilité de l'employeur, public, lorsqu'il est à l'Etat ou les collectivités locales, et privé, lorsqu'il s'agit du domaine privé.

RENAUD BLANC
C'est quand même de plus en plus tendu, et ça peut se comprendre dans certaines entreprises.

GERALD DARMANIN
Je comprends tout à fait que les Français sont inquiets, tout le monde est inquiet de ce qui se passe pour leur famille, de ce qui se passe pour notamment leurs personnes âgées, mais pas simplement, je le comprends mille fois, vous savez, quand on est en guerre, ça ne se passe pas facilement. Nous avons une importante difficulté à vivre, celle d'une pandémie que nous n'avons pas vu venir, parce que ce n'était pas l'objet principal des enjeux du monde aujourd'hui. On voit bien qu'aujourd'hui les épidémies peuvent faire écrouler nos certitudes, et sans doute c'est une réflexion à avoir pour la suite.

RENAUD BLANC
Gérald DARMANIN, vous parliez du déficit qui devrait être supérieur à 4%. Le "quoi qu'il en coûte", est-ce qu'il a une limite tout de même, à un moment ou à un autre ?

GERALD DARMANIN
Vous savez, la France est dans la même situation que tous les grands pays occidentaux. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, et évidemment toute l'Europe est touchée, donc lorsque nous avons une solidarité dans la difficulté, un peu comme dans la guerre, évidemment les règles d'hier, les règles de temps de paix ne sont plus les règles de temps de guerre. Donc je remercie la Commission européenne d'avoir suspendu effectivement les règles budgétaires, qui étaient celles qui existaient jusqu'à aujourd'hui, et quoiqu'il en coûte, eh bien oui, oui, quoi qu'il en coûte il n'y a pas de plafond. Il n'y a pas de plafond parce qu'il faut protéger nos populations. Et la santé passe avant la santé de notre économie. Donc aujourd'hui nous sommes au rendez-vous des moyens que nous devons mettre pour faire passer à notre population, ce moment très difficile en sauvant le maximum de vie.

RENAUD BLANC
Alors, quand on aura passé ce moment très difficile, on l'espère dans quelques semaines, se posent évidemment des questions concernant la reprise école. Les congés payés réduits, vous pensez qu'il n'y aura pas d'autre solution que de travailler, de prendre un peu moins de vacances et de travailler un petit peu plus à partir même de cet été ?

GERALD DARMANIN
Regardez de quoi nous parlons. On vient d'expliquer qu'il y avait des enjeux de gens qui étaient entre la vie et la mort, d'aides-soignants qui risquaient leur vie, des difficultés très fortes, notamment quasiment un reproche du fait qu'on n'en fasse pas assez, et qu'on ne soit pas en confinement total, et puis on se pose des questions de savoir si on doit prendre quelques jours de congés payés ou pas. Evidemment, il faut revenir à l'essentiel, qui est sauver les vies humaines. Si pour sauver les vies humaines, et si pour pouvoir éviter qu'il y ait 20, 25% de chômage dans notre pays, à la reconstruction après ce temps de guerre, nous devons chacun faire des efforts. Tout le monde doit faire des efforts. L'Etat en fait, nous avons demandé aux banques et aux assurances d'en faire, elles doivent être au rendez-vous, je salue les dernières décisions de monsieur OUDEA, et notamment de la Fédération bancaire, après avoir eu des prêts garantis par l'Etat. Les assurances doivent le faire désormais, le patronat doit évidemment le faire, et puis chacun doit pouvoir apporter sa pierre et notamment lorsqu'on peut prendre les jours de congé pour pouvoir refaire vivre notre pays de manière différente, au lendemain de cette crise économique qui va arriver, eh bien je pense que ce sera effectivement une pierre à l'édifice que chacun doit avoir.

RENAUD BLANC
130 000 Français, Gérald DARMANIN, se retrouvent bloqués aujourd'hui à l'étranger. Qu'est-ce qui se passe concrètement pour eux ?

GERALD DARMANIN
Alors, beaucoup de Français ont été rapatriés grâce au Quai d'Orsay. Il y a encore beaucoup de Français, vous l'avez dit, à peu près, un peu plus de 100 000, en effet, qui sont bloqués, qui souhaitent revenir. Il y a aussi des Français qui sont installés à l'étranger et qui ne souhaitent pas revenir. Et donc nous essayons d'organiser, pays par pays, sous l'autorité de Jean-Yves LE DRIAN, le rapatriement. La difficulté parfois c'est que les vols ont été coupés entre les pays, c'est notamment le cas du Maghreb, et la France. Donc je sais que la cellule de crise du Quai d'Orsay travaille pour aider ces Français, à soit vivre sur place et à patienter, soit être rapatriés. C'est un travail très important qui est fait par les Consulats et par le ministère des Affaires étrangères.

RENAUD BLANC
Merci beaucoup Gérald DARMANIN, d'avoir été en ligne ce matin sur l'antenne de Radio Classique. Je rappelle que vous êtes ministre de l'Action et des Comptes publics. Très bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 mars 2020