Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à France Info le 14 avril 2020, sur la politique du gouvernement face aux conséquences économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19.

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Média : France Info

Texte intégral

LORRAIN SENECHAL
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

LORRAIN SENECHAL
Le chef de l'Etat a annoncé hier soir la levée du confinement, progressivement, à partir du lundi 11 mai, c'est dans moins de quatre semaines, est-ce que la France sera prête ?

GERALD DARMANIN
D'abord le plus important c'est que sanitairement la France soit prête, le président de la République a bien expliqué pourquoi nous faisions encore un mois de confinement, c'est quand même long un mois, pour les Français qui nous écoutent, qui vivent sans doute dans des conditions pas faciles ce confinement, c'est bien normal, il faut que l'hôpital puisse continuer à soigner les gens qui sont très atteints du Covid, dans les formes les plus sévères, mais il faut aussi pouvoir redonner des moyens, des médicaments, pouvoir organiser le déconfinement, pour pouvoir regarder aussi ce que font nos voisins étrangers, et donc ce mois, qui est un objectif, le président l'a bien dit, il a dit si nous allions dans de bonnes conditions dans le déconfinement, s'il y avait toujours une petite baisse, chaque jour, du nombre de personnes qui rentraient en réanimation, alors nous pourrions déconfiner.

LORRAIN SENECHAL
Ça fait plusieurs "si", d'ailleurs votre collègue, le ministre de l'Intérieur, Christophe CASTANER, évoque ce matin sur France Inter "un objectif" seulement, à propos de ce 11 mai.

GERALD DARMANIN
Ecoutez, les certitudes sont très difficiles, et puis je pense qu'il ne faut pas avoir d'idéologie lorsqu'il s'agit de la santé des Français, ça je pense que le président de la République a mille fois raison de donner un objectif, je pense que ça donne, pour plein de personnes, pour les gens qui gardent leurs enfants chez eux évidemment, pour ceux qui veulent reprendre le travail, pour les élus locaux qui doivent organiser la vie locale, pour les entrepreneurs qui se demandent comment ils vont reprendre leur activité, je pense qu'avoir un objectif était une bonne chose, et en même temps il faut avoir l'honnête de dire, comme nos voisins européens, que nous n'avons pas de certitude absolue. Le président de la République, d'ailleurs, l'a rappelé.

RENAUD DELY
Le prolongement de ce confinement pour un mois annoncé par Emmanuel MACRON va évidemment avoir un impact sur les prévisions économiques et financières du pays, le gouvernement, depuis déjà un mois, débloque des dizaines de milliards d'euros pour essayer de limiter l'impact économique de la crise. Vous évoquiez déjà, Gérald DARMANIN, il y a quelques jours, des niveaux de déficit et de dette publique records, prévus pour la fin de l'année, vous êtes contraint aujourd'hui de revoir ces prévisions ?

GERALD DARMANIN
Chaque jour, chaque semaine de confinement qui est appliquée au pays fait effectivement aggraver ce qu'on pourrait appeler les finances publiques, même si j'ai déjà eu l'occasion de le dire, avec le ministre de l'Economie, ce n'est pas parce qu'il y a un incendie qu'il faut qu'on rationne les litres d'eau, on n'en est pas là, mais on doit tenir les comptes, les présenter au Parlement, et bien sûr mettre les moyens. Donc, effectivement, les annonces du président de la République vient aggraver, parce que le confinement va durer plus longtemps que prévu, va aggraver les chiffres des comptes publics, on va passer par exemple de -7,6 % de déficit, c'était ce que je devais présenter mercredi en conseil des ministres, à -9, -9 % de déficit effectivement depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais notre pays n'a connu cela.

RENAUD DELY
C'est du jamais vu depuis 1945, -9% de déficit à la fin de l'année 2020 ?

GERALD DARMANIN
Et -115 % de dette très certainement, on était à peu près à 111, 112, quand on a construit le projet de loi de finances rectificative qu'on présente mercredi avec Bruno LE MAIRE. On a, avec Bruno LE MAIRE, corrigé par 2 fois un budget en 3 semaines et rajouté 110 milliards, c'est énorme évidemment, 110 milliards d'euros, pour soutenir l'économie, et pour soutenir les salariés Français. La France met en place ce qu'aucun autre pays ne met en place dans ces conditions, un chômage partiel qui nous coûte 24 milliards d'euros, en tout cas c'est la prévision que l'on prévoit d'ici la fin du confinement, mais ça a de grands avantages, même si les finances publiques sont évidemment très touchées, de pouvoir garantir le pouvoir d'achat des Français, garantir la reprise économique, lorsqu'il y aura la reprise économique, au lieu de licencier des millions de personnes, on le voit dans d'autres pays, ces personnes pourront reprendre le chemin du travail et l'entreprise pourra redémarrer, si j'ose dire, plus vite, que si nous n'avions pas pris ces amortisseurs.

LORRAIN SENECHAL
Gérald DARMANIN, la croissance est également revue à la baisse avec une contraction du PIB de 8%, c'est ce qu'annonce Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie. Gérald DARMANIN, il va falloir des années pour rattraper finalement ce retard.

GERALD DARMANIN
Il va falloir du temps, bien évidemment, comme après chaque crise, même si cette crise-là est particulière. D'ailleurs je voudrais souligner le fait qu'on n'est pas arrivé à la fin de cette crise du Covid-19, les chiffres que je vous donne, et que donne le ministre de l'Economie, sont indicatifs.

RENAUD DELY
Ils sont provisoires, vous pourriez à nouveau les revoir, malheureusement, dans les semaines qui viennent.

GERALD DARMANIN
C'est tout à fait possible, d'abord parce que nous ne connaissons pas exactement la fin du confinement, même si on a un objectif donné par le président de la République, on ne connaît pas exactement la façon dont on va déconfiner, pardon pour ce mot, comment l'activité économique va être touchée par cela…

LORRAIN SENECHAL
C'est-à-dire que l'activité ne va pas repartir d'un coup en fait !

GERALD DARMANIN
En tout cas c'est certain que le 11 mai après-midi on ne va pas retrouver le pays comme il était il y a 3 mois, ça je pense que chacun le comprend, on va mettre du temps, c'est normal, il y a des fournisseurs, il faut des matières premières, il y a des gens qui ont perdu des compétences, il y a sans doute des gens qui connaissent des difficultés économiques très fortes, il y a des gens qui sont malades bien évidemment, donc évidemment les habitudes de consommation, de production, d'exportation, d'importation, ne seront pas les mêmes qu'il y a 3 mois, ça va prendre du temps, et puis par ailleurs nous sommes très touchés par toutes les autres économies. Nous avons des partenaires économiques qui sont eux-mêmes très touchés. Regardez la Grande-Bretagne, regardez l'Allemagne, regardez des Etats-Unis, la première économie du monde connaît des difficultés sanitaires et économiques très fortes, ça a des conséquences évidemment pour de longs mois sur notre économie.

RENAUD DELY
Pour combler un niveau de déficit tel que celui, record, que vous nous annoncez Gérald DARMANIN, il n'y a pas 36 solutions, il y a évidemment l'outil fiscal, est-ce que vous excluez toute hausse d'impôts d'ici la fin du quinquennat ?

GERALD DARMANIN
Non, mais la solution ne peut pas être dans l'augmentation des impôts parce qu'elle viendrait d'abord contredire profondément ce qu'a fait le président de la République depuis les trois premières années de son mandat et qui marchait, le chômage baissait extrêmement fortement, le pouvoir d'achat des Français remontait, notre économie était plus forte que les économies européennes…

RENAUD DELY
Mais est-ce que ça peut être un outil aujourd'hui dans ce contexte particulier, la hausse d'impôts ?

GERALD DARMANIN
Mais vous savez, l'avantage ce que nous proposons, je le dis parce que c'est très important, c'est ce que les économistes appellent l'effet "one of", c'est-à-dire c'est le fait que c'est pour une fois, ce n'est pas structurel. Nous on pense effectivement que le chômage partiel, les 24 milliards que nous y mettons par exemple, s'effaceront en très très grande partie, puisque les gens reprendront le travail, ce n'est pas structurellement des chômeurs par millions qui resteront dans les chiffres de l'UNEDIC et de l'Etat. Lorsque nous faisons des décalages de charges et d'impôts, d'abord ce sont en grande partie des décalages, par ailleurs, quand il y aura une reprise économique, évidemment les gens pourront de nouveau payer leurs impôts et payer leurs charges, donc nous ne pensons pas, c'est ce qu'on a défendu auprès de la Commission européenne, qui l'a accepté, que ces -9% de déficit seront structurellement -9% pendant des années, nous pensons que très rapidement nous retrouverons le chemin de la production et de l'économie, et nous n'aurons évidemment pas ces chiffres à traîner pendant de très nombreuses années, même si évidemment notre économie aura été très bousculée, très violentée, et qu'il y aura sans doute un petit peu de temps pour s'en remettre.

LORRAIN SENECHAL
Gérald DARMANIN, ministre de l'Action et des Comptes publics, on continue de parler des conséquences économiques de cette crise sanitaire dans un instant.

(…) Infos

LORRAIN SENECHAL
On parlait des conséquences économiques de cette crise du coronavirus, vous le disiez, les hausses d'impôts ne peuvent pas être la solution pour éponger le déficit qui est en train de se creuser largement, 9 % du PIB, c'est ce que vous nous annonçait ce matin. Est-ce que le report de certaines mesures, comme par exemple l'annulation de la taxe d'habitation, peut être imaginée ?

GERALD DARMANIN
Ecoutez, le président de la République et le Premier ministre ne m'ont rien demandé de travailler sur ce genre d'hypothèse, d'ailleurs il y a deux budgets rectificatifs en 3 semaines, et nous ne revenons pas sur ces baisses d'impôts prévues, votées et appliquées pour une très grande partie des Français.

RENAUD DELY
Mais y compris donc pour les catégories les plus favorisées, qui elles continuent de payer aujourd'hui la taxe d'habitation, ça ne sera pas remis en cause, la suppression ?

GERALD DARMANIN
Moi je relativiserais vos propos. Vous dites les catégories les plus favorisées, il s'agit de quoi ? Il s'agit que les gens qui ont plus de 2500 euros par mois, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui habitent dans les grandes villes qui peuvent avoir ce genre de salaire, ne bénéficient pas encore de la baisse de la taxe habitation, je ne peux pas considérer que ce sont des gens très aisés, quand vous avez 2501 euros à Paris, je ne suis pas tout à fait certain que ce soit des catégories aisées.

LORRAIN SENECHAL
En tout cas c'est toujours sur les rails. Le chef de l'Etat a annoncé hier soir le déblocage de deux nouvelles aides d'urgence, alors une pour les familles les plus défavorisées, et l'autre pour les étudiants les plus précaires. Est-ce qu'on a une idée des montants et surtout du nombre de personnes qui seraient concernées, on parle de 4 millions de personnes à peu près ?

GERALD DARMANIN
Eh bien écoutez, ce matin, juste après vous, je vais faire une réunion avec le Premier ministre et les ministres concernés pour définir exactement le soutien que l'Etat va accorder effectivement aux familles les plus modestes. vous savez, moi je le vois parce que c'est ma terre d'élection et c'est ma sociologie, si j'ose dire, à Tourcoing, des difficultés sociales extrêmement fortes, des gens qui évidemment doivent vivre parfois dans des passoires thermiques, c'est-à-dire des endroits où ils dépensent beaucoup d'électricité, ou beaucoup de chauffage, même s'il fait un petit peu meilleur, évidemment, qu'il y a quelques semaines, les enfants qui ne mangent plus à la cantine, à Tourcoing on mange pour 1 euro, bon eh bien voilà, faire à manger tous les midis à ses enfants c'est une chose différente quand on les a évidemment chez soi. C'est sans doute aussi des dépenses qu'on ne soupçonne pas lorsqu'on a la chance d'avoir une vie un peu plus meilleure, si j'ose dire, dans sa vie de tous les jours, le confinement il n'est pas usé pareil, si j'ose dire, par les gens qui connaissent des difficultés sociales.

LORRAIN SENECHAL
Mais on n'a pas encore d'idée du montant de cette prime, de cette aide ?

GERALD DARMANIN
Non, mais il faut effectivement que notamment, le président l'a dit hier, ça touche particulièrement les familles avec enfants. Et je crois que les étudiants, c'est effectivement une question très importante, il y a plein de gens, peut-être vous et moi, quand nous étions plus jeunes, nous faisions des études et en même temps nous travaillions, eh bien là les étudiants ils ne peuvent plus travailler en même temps qu'ils font des études pour rembourser leurs prêts étudiants, leur loyer, il y a une précarité très particulière des étudiants qu'il faut soutenir.

RENAUD DELY
Comment et quand ces aides seront-elles versées ?

GERALD DARMANIN
Le plus vite possible, nous sommes en train de définir cela, et je vous dis, je ne vais pas faire les arbitrages du Premier ministre à la place du Premier ministre, je crois que dans quelques heures, dans quelques jours, vous aurez le retour.

RENAUD DELY
Il y a un secteur, Gérald DARMANIN, qui ne connaîtra pas lui le déconfinement dès le 11 mai, c'est celui des cafés, de la restauration, de l'hôtellerie, des salles de spectacles aussi, qui resteront fermés au-delà de cette date du 11 mai, c'est ce qu'a annoncé hier soir Emmanuel MACRON. Vous aviez initialement accordé des reports de charges à toutes ces entreprises qui ne peuvent plus fonctionner normalement, ces reports deviennent des annulations, des suppressions définitives de charges ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui il y a plus de 60% des hôtels, restaurants, qui ont demandé le report de charges. C'est quoi le report de charges ? C'est ne pas payer ses charges sociales et on leur dit vous paierez dans 3 mois. Alors, pour l'instant on est dans le report. Le président de la République hier a évoqué, pour ces secteurs, qui sont particulièrement touchés, et je voudrais souligner d'ailleurs qu'il ne l'a utilisé que pour ces secteurs-là, il y a plein de gens qui peuvent encore payer leurs charges en France, c'est le cas notamment de la grande distribution, je prends un exemple, de la possibilité des annulations. Donc, nous allons faire ce qu'a dit le président de la République, qu'il faut qu'on fasse attention, parce que constitutionnellement, je sais que c'est très juridique, mais enfin ça a son importance évidemment, on ne peut normalement pas annuler par secteurs, mais nous allons évidemment appliquer ce qu'a dit président de la République, et nous mettons en place, avec les URSSAF, puisque j'en ai la responsabilité, la mise en place d'une possible effectivement annulation de charges pour ces secteurs qui ont été fermés à la demande du gouvernement et qui continueront à être fermés à la demande du gouvernement.

RENAUD DELY
Concrètement, comment ça va se passer, ça signifie que les cafés, les restaurants, doivent s'adresser à Bercy pour demander l'annulation définitive de ces charges ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui il faut toujours continuer sur le report, c'est extrêmement important, vous savez tous les 5, tous les 15, tous les 20 du mois il y a des appels aux charges, si j'ose dire, donc il faut qu'ils les appliquent, on les applique d'ailleurs en très grande partie de manière automatique, notamment pour les indépendants, et nous allons travailler avec les URSSAF pour aller, comme nous le faisons depuis le début, et comme le fait le Trésor public, aller vers les entreprises pour leur expliquer comment cela fonctionne, le plus simplement possible, donc sous 10 jours je reviendrai, avec les URSSAF, auprès des entreprises, pour appliquer la décision du président de la République.il est certain que le restaurant ne va pas reconnaître au lendemain de sa reprise, peut-être au mois de juillet, peut-être, je ne sais pas, un peu plus tard, ne va pas récupérer les repas que vous n'avez pas été manger au restaurant pendant 3 mois… logique normale de cette annulation.

LORRAIN SENECHAL
Gérald DARMANIN, hier soir Emmanuel MACRON a appelé les banques et les assurances a également être plus solidaires avec toutes ces petites entreprise, et tout à l'heure sur France Info Xavier DENAMUR, un restaurateur parisien bien connu, nous expliquait que la banque lui faisait payer très cher les reports des traites, est-ce que vous demandez, vous aussi, à ce que les banques se mobilisent, surtout comment faire pour amener les banques et les assurances à concrètement aider les petites entreprises ?

GERALD DARMANIN
Chacun de faire des efforts dans cette crise qui touche tous les Français. Alors, le président de la Fédération bancaire, Monsieur OUDEA, est un homme de grand bien, et il travaille beaucoup avec le gouvernement, on le remercie, mais il y a encore quelques pratiques bancaires qui effectivement font payer. Ça a été le cas aussi d'autres experts du chiffre, on va dire ça comme ça, qui font parfois facturer ce que l'Etat fait gratuitement et sur lequel ils s'assoient sur des recettes, c'est quand même, normalement, pas à la tradition des impôts que de ne pas toucher les impôts et même de reverser de l'argent sur les comptes, donc chacun doit faire des efforts, c'est le cas des banques, elles doivent continuer à faire ces efforts, surtout que l'Etat a garanti 300 milliards d'euros de prêts, donc il n'y a aucune raison que les choses ne fonctionnent pas bien dans l'économie française, et c'est le rôle des banques de prêter pour la trésorerie. Et les assurances connaissent aujourd'hui un système qui est particulier puisque personne n'avait prévu le risque pandémique, si j'ose dire, et donc ne peut pas demander le remboursement de son chiffre d'affaires du fait de la pandémie, chacun le comprend, mais les assurances aujourd'hui connaissent sans doute moins de sinistralité, par exemple il y a beaucoup moins d'accidents de voitures, chacun le comprend également, donc les assurances doivent jouer le jeu et renvoyer vers la puissance publique, renvoyer… de l'argent.

LORRAIN SENECHAL
Alors comment faire pour les pousser à jouer le jeu ?

GERALD DARMANIN
D'abord Bruno LE MAIRE les a forcées, si j'ose dire, mais les assurances ont répondu présent à cet appel pour le fonds des indépendants, va mettre 7 milliards d'euros pour les indépendants, c'est aujourd'hui plus de 840.000 indépendants qui ont demandé cette aide, on a demandé aux assurances de contribuer, elles ont commencé à verser cet argent, et puis par ailleurs il faut aller sans doute plus loin, il faut que les assurances, encore plus, participent à la reconstruction économique de notre pays, même si ce n'était pas prévu dans les contrats, je pense que le président de la République a eu raison de rappeler les assurances à leur devoir.

RENAUD DELY
Donc il va falloir prendre des mesures contraignantes, il va falloir leur tordre le bras aux assurances ?

GERALD DARMANIN
Eh bien le mieux c'est d'abord de discuter sans mesures contraignantes, et puis s'il le faut, et je mets bien du "si", et je laisserai au ministre de l'Economie qui a la tutelle, si j'ose dire, sur les assurances, c'est le ministre de référence, si le ministre de l'Economie juge qu'il faut prendre des mesures plus coercitives pour faire participer tout le monde à la solidarité nationale, il trouvera évidemment, comme toujours d'ailleurs, Bruno Le Maire auprès de lui.

(…) Infos

LORRAIN SENECHAL
Hier soir Emmanuel MACRON, le chef de l'Etat, a rendu hommage aux personnes qui sont, dit-il, mal payées, les aides-soignants, les infirmiers surtout, qui sont en première ligne, "notre pays tient grâce à eux " dit-il, il a fait une sorte de mea culpa en s'engageant à les réhabiliter, autrement dit il ne l'aurait pas fait auparavant. Comment passer de la parole aux actes ? C'est ce que vous demande le secrétaire général de la CGT, Philippe MARTINEZ, invité tout à l'heure de France Info.

PHILIPPE MARTINEZ, SECRETAIRE GENERAL DE LA CGT
C'est des actes qu'il faut, et des actes concrets. Alors, il faudra nous rappeler, oui, comme il a dit, qu'il y a des gens qui sont mal payés dans ce pays et qui ont des tâches essentielles, et on le voit dans la période, et donc c'est pour ça que la CGT, par exemple, demande rapidement l'augmentation du SMIC, comme elle avait demandé déjà fin décembre.

LORRAIN SENECHAL
Gérald DARMANIN, comment faire pour répondre à ce problème soulevé par Emmanuel MACRON lui-même ?

GERALD DARMANIN
D'abord ce qu'a dit le président de la République, il a évidemment parlé des soignants, mais il n'a pas parlé que des soignants, j'ai cru comprendre aussi dans son intervention qu'il y avait des tâches, faites y compris dans le monde privé, où les gens étaient mal payés et pourtant on voit bien combien ils sont essentiels à la vie de tous les jours, c'est le cas des caissières et des caissiers par exemple, tout le monde sait qu'une caissière ou qu'un caissier n'est pas extrêmement bien payé, et pourtant c'était bien la personne qui a pris aujourd'hui, par exemple, l'exemple de la grande distribution, le plus de risques, et dans des conditions pas faciles.

LORRAIN SENECHAL
Et ça veut dire qu'il faut augmenter le SMIC, comme le demande Philippe MARTINEZ ?

GERALD DARMANIN
Ça veut dire qu'il faut sans doute se poser des questions sur le fonctionnement de notre économie, je pense qu'effectivement les choses peuvent être vues différemment, le président de la République d'ailleurs l'a dit, en citant d'ailleurs les phrases et les interventions des révolutionnaires de 1789, et je crois qu'il a eu totalement raison. Après je pense que la reconstruction du pays se passe après avoir gagné la guerre. Moi j'entends beaucoup de gens qui ont des idées sur après, le jour d'après, très bien, mais il y a beaucoup de gens qui meurent encore aujourd'hui à l'hôpital, il y a beaucoup de difficultés encore d'acheminement, il y a encore un mois de confinement, on espère que d'ailleurs ce mois ce sera le dernier, mais ce n'est pas sûr, donc je crois qu'il faut d'abord gagner la guerre et après il y a la reconstruction.

RENAUD DELY
Et sur la reconstruction Gérald DARMANIN, vous venez de dire à l'instant qu'il fallait se poser des questions sur le fonctionnement de notre économie, est-ce que ça veut dire qu'il faut en quelque sorte peut-être inverser l'échelle des valeurs qui pouvait exister jusque-là, et peut-être mettre moins l'accent sur ceux qu'on appelait les premiers de cordée, ou sur la "startup nation" dont on a beaucoup entendu parler au cours du début du quinquennat, et maintenant effectivement réhabiliter et mettre l'accent, la priorité, sur ces métiers mal rémunérés, qu'il convient, qu'il faut réhabiliter et mieux rémunérer, il faut changer de priorité ?

GERALD DARMANIN
Mais moi je ne partage pas votre opinion sur le fait qu'il y a un changement, alors peut-être qu'il faut traduire plus en actes, pour reprendre les mots de Monsieur MARTINEZ, mais la philosophie, la réflexion, était celle du président de la République. Quand le ministre de l'Economie, il y a 6 mois, dit il faut augmenter les salaires, tout le monde dit non ce n'est pas le moment, en tout cas le ministre de l'Economie avait raison, notamment dans la production industrielle. Lorsqu'on dit il faut supprimer des impôts de production pour produire en France, pour retrouver le chemin de la production française, c'est le gouvernement qui le dit depuis plus d'un an…

RENAUD DELY
Mais on voit aujourd'hui dans la crise, dans la crise, Gérald DARMANIN, excusez-moi, on voit aujourd'hui que les premiers de cordée ne sont peut-être pas ceux auxquels vous pensiez au début du quinquennat.

GERALD DARMANIN
Mais c'est tout à fait faux. vous savez, moi j'ai été le ministre des Comptes publics qui a augmenté l'allocation adulte handicapé comme personne l'a fait, à la demande du président de la République, on a augmenté le minimum vieillesse comme personne ne l'a fait depuis que Emmanuel MACRON est président de la République, par rapport à ce qui s'est passé dans la République, nous avons remis les heures défiscalisées pour les ouvriers, nous avons augmenté, de façon considérable, ce que touchaient les salariés, avec la prime d'activité, qui coûte quasiment 10 milliards d'euros au budget des Français. Je crois que ce qu'a fait le président de la République c'est à la fois une politique économique réaliste, qui a permis de remettre de l'argent et du capital en France pour baisser de manière considérable, et ça se voit, et ça s'est vu, le chômage, et en même temps le soutien de ceux qui travaillent… il faudra sans doute accélérer cela…

LORRAIN SENECHAL
Ça veut dire quoi justement accélérer Gérald DARMANIN, parce que, là manifestement, Emmanuel MACRON s'engage sans le dire, sans le chiffrer, mais il s'engage à augmenter manifestement considérablement les aides-soignants, les infirmiers, les caissiers, les livreurs ?

GERALD DARMANIN
Alors d'abord il faut savoir raison gardée, les caissiers et les caissières doivent être payés par ceux qui les embauchent, ce n'est pas l'Etat qui va augmenter le salaire des caissiers et des caissières, il faut que chacun se pose la question de la répartition.

LORRAIN SENECHAL
Vous pouvez augmenter le SMIC.

GERALD DARMANIN
Non, mais il faut que chacun se pose la question de la répartition de la valeur dans une entreprise, c'est un grand débat, très intéressant, qui a d'ailleurs été lancé il y a plus d'un an et demi, je rappelle d'ailleurs que nous nous sommes posés la question de l'utilité sociale de l'entreprise…

RENAUD DELY
Mais l'Etat, lui, peut augmenter le SMIC, Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
L'Etat peut prendre des dispositions, dedans il y a l'augmentation possible le SMIC, il faut faire attention, moi je n'ai pas à préempter des décisions, il faut faire attention, quand on augmente trop de manière unilatérale des salaires on peut détruire aussi de l'emploi, donc il faut faire très attention à ça, sinon beaucoup de gens l'auraient fait évidemment avant nous, en même temps la question posée par la crise, c'est une question sans doute de l'accélération du modèle de société qu'avait initié le président de la République, qui est fondé sur le travail, plus d'argent à la fin du mois quand on travaillait, moins d'impôts, et qu'on puisse enfin voir que le chômage avait baissé en France, cette stratégie elle fonctionnait.

RENAUD DELY
Pour la reconstruction que vous évoquiez, Gérald DARMANIN, le MEDEF, lui, dit que les Français vont devoir renoncer à certains jours de congés payés, ou de RTT, et que les Français vont devoir travailler davantage, est-ce que vous aussi, Gérald DARMANIN, vous dites aux Français il va falloir travailler davantage ?

GERALD DARMANIN
Moi je dis d'abord aux Français qu'il faut qu'on sorte de la crise sanitaire, parce qu'on a l'air d'oublier qu'il y a des centaines de morts tous les jours dans les hôpitaux et dans les EHPAD en France, avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de détresse de la part de ces familles, et il faut ensuite qu'on gagne la guerre économique, et d'ailleurs elle ne se gagnera pas juste en France, elle se gagnera en Europe et dans le monde, avec sans doute des traités qu'il faudra en partie revoir, sur les questions budgétaires, sur la relance, décidés par le monde et sans doute par le G7, ou les pays en tout cas les plus touchés, et nous verrons bien… de la reconstruction. Aujourd'hui il me semble que, à la fois ce que dit la CGT et ce que dit le MEDEF, est tout à fait intéressant, n'est pas le coeur du sujet d'aujourd'hui puisque nous devons gagner des vies, gagner du temps, et gagner sans doute la bataille économique.

RENAUD DELY
Ça intéresse les Français de savoir s'ils devront renoncer à des jours de congés payés ou à des RTT, vous dites ils ne devront pas renoncer ?

GERALD DARMANIN
Mais, aujourd'hui, excusez-moi, nous sommes dans la guerre sanitaire et nous sommes dans la guerre pour soutenir l'économie, on n'en n'est pas au jour d'après. Je comprends que chacun a une idée du jour d'après. Il y a encore un mois de confinement, ce confinement il n'est pas totalement sûr qu'il soit fini le 11 mai, le président de la République l'a dit, il y a beaucoup de "si", on doit soutenir nos personnels soignants, on doit faire, et c'est très difficile vous savez, organiser l'arrivée des matières premières dans les entreprises, permettre aux chauffeurs routiers de pouvoir livrer les légumes et les viandes que vous mangez, dans les supermarchés, on doit pouvoir faire fonctionner ces supermarchés, vivre pour l'Etat, qui a débloqué 110 milliards d'euros sans beaucoup de recettes, c'est quand même une gageure, et nous devons travailler au niveau international pour pouvoir relancer à la fois le traitement médical contre le Covid-9, et en même temps pour pouvoir fonctionner économiquement tous ensemble. Nous poserons demain des questions qui relèvent de demain.

LORRAIN SENECHAL
Gérald DARMANIN, le patron de la majorité à l'Assemblée, Gilles LE GENDRE, a laissé entendre que la réforme des retraites était pour l'instant mise de côté, est-ce que vous confirmez que cette réforme des retraites n'est plus à l'ordre du jour ?

GERALD DARMANIN
Je confirme, je confirme ce qu'ont dit le président de la République et le Premier ministre, c'est que les réformes, et singulièrement celle des retraites, est suspendue, il ne m'appartient pas, je ne suis pas le président de la République, je ne suis pas le Premier ministre, d'évoquer autre chose, la liberté de ton du président de groupe de l'Assemblée nationale, de la République en marche, et son opinion est tout à fait respectable, mais j'appartiens à un gouvernement qui applique ce que décide…

RENAUD DELY
Donc elle reviendra dans le débat la réforme des retraites ?

GERALD DARMANIN
Je pense vous avoir dit de façon assez… que je n'étais pas le président de la République.

LORRAIN SENECHAL
C'est suspendu jusqu'à nouvel ordre, c'est ce qu'on retiendra.

GERALD DARMANIN
Le président de la République prendra les décisions qu'il souhaitera prendre.

LORRAIN SENECHAL
Merci beaucoup Gérald DARMANIN, ministre de l'Action et des Comptes publics, d'avoir été l'invité de France-Info ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 avril 2020