Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il est 8h18 et l'économie française s'est arrêtée, et beaucoup d'entreprises ont fermé le rideau, est-ce qu'on est allé trop loin, le ministre de l'Economie, Bruno LE MAIRE, s'inquiète, il est notre invité sur Good Morning Business avec vous et Hedwige CHEVRILLON.
HEDWIGE CHEVRILLON
Bonjour Monsieur le Ministre, merci d'être avec nous.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Hedwige CHEVRILLON
HEDWIGE CHEVRILLON Pour confinement, vous êtes dans votre bureau à Bercy, la grande question, si vous avez souhaité vous exprimer ce matin, c'est que vous êtes très inquiet par rapport à l'économie, la survie de l'économie, est-ce que l'économie est en danger, est-ce que vous n'avez pas été trop loin, en tous les cas, c'est ce que disait un peu ce matin Patrick MARTIN, le numéro 2 du MEDEF, en disant : tout s'est arrêté, les salariés restent chez eux, est-ce qu'il y a péril en la demeure économique française ?
BRUNO LE MAIRE
Non, il n'y a pas péril en la demeure et je ne suis pas inquiet, et je pense que les décisions du président de la République étaient nécessaires pour garantir la sécurité sanitaire de tous les Français, mais il y a un temps de calage, et ce temps de calage, il doit nous permettre maintenant de procéder à des ajustements. Le président de la République a été très clair, l'une des raisons qui peut vous permettre de sortir de chez vous avec un laissez-passer ou avec votre carte professionnelle, c'est de vous rendre sur votre lieu de travail, et j'invite tous les salariés des entreprises qui sont encore ouvertes, des activités qui sont indispensables au bon fonctionnement du pays à se rendre sur leur lieu de travail. Nous, nous avons une responsabilité, nous en avons discuté hier avec les organisations syndicales, c'est de travailler à la meilleure organisation possible à la sécurité sanitaire sur le lieu du travail, à apporter les barrières de protection nécessaires pour garantir la sécurité sanitaire des salariés, nous y travaillons 24 heures sur 24 depuis 2 jours, nous allons apporter des solutions, mais il faut que tous les salariés dont les secteurs d'activité sont encore ouverts qui ne sont.pas des restaurants des bars, mais des industries, des entreprises de nettoyage, de traitement des eaux de l'industrie agroalimentaire de la grande distribution se rendent sur leur lieu de travail pour assurer la sécurité économique du pays, sécurité sanitaire et sécurité économique doivent aller de paire.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui mais en même temps, c'est un peu contradictoire Monsieur le Ministre, vous voyez bien, on a un peu le sentiment que vous avez joué, pardonnez-moi l'expression, aux apprentis sorciers, c'est-à-dire, crise sanitaire, tout le monde doit rester chez soi, et puis, aujourd'hui, vous vous rendez compte de l'impact gigantesque sur l'économie française, du coup, aujourd'hui, c'est difficile de dire aux salariés : « allez travailler ».
BRUNO LE MAIRE
Il n'y a pas de contradiction, je veux bien redire ce qui a été expliqué très clairement par le président de la République, la sécurité sanitaire, elle passe par le confinement maximum de Français chez eux, d'ailleurs, je veux rendre hommage à la manière dont ces consignes sont respectées aujourd'hui, parce qu'on voit bien que la France aujourd'hui fonctionne différemment et que chaque Français a adapté son comportement à ces exigences de sécurité sanitaire, mais il y a une autre exigence qui est essentielle aussi, c'est la sécurité économique, il faut bien que nous puissions nous nourrir, il faut que les familles françaises puissent se rendre dans les magasins de grande distribution et acheter des produits alimentaires, il faut que de l'agriculteur jusqu'à la grande distribution, aux commerces de détails, aux marchés, les marchandises alimentaires puissent circuler, il faut de l'électricité pour vous éclairer chez vous, il faut qu'il y ait de l'eau potable, il faut que les déchets continuent à être traités. Il faut que les usines électriques continuent de fonctionner.
HEDWIGE CHEVRILLON
C'est un peu un cri d'alarme que vous lancez ce matin, Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Donc il y a nécessité de l'activité de la vie économique du pays, ce n'est pas un cri d'alarme, cette la nécessité d'ajuster, c'est normal, vous savez, je pense qu'il faut prendre tout cela avec beaucoup de sérénité, c'est normal qu'après le choc qu'a constitué ce passage à une nouvelle étape pour faire face à la crise sanitaire, il y ait un temps de calage et d'ajustement, mais ma responsabilité de ministre de l'Economie et des finances est de dire : nous devons assurer la continuité économique du pays parce qu'il en va de la sécurité d'approvisionnement alimentaire des Français, il en va de la sécurité économique des Français, quand on est confiné chez soi, on veut continuer à avoir de l'eau potable, de l'électricité, des aliments, des produits alimentaires frais ou des pâtes, du riz, des fruits et des légumes, on veut s'assurer que les déchets continuent à être récupérés le matin, il faut une continuité de la vie économique du pays. Et vous me permettrez au passage de rendre un hommage très appuyé à tous ces salariés qui se rendent sur le lieu de travail, qui vont dans leurs magasins de grande distribution, qui continuent à ramasser les déchets et à les traiter, qui continuent à fournir de l'électricité pour les Français, parce que ce sont aussi des héros du quotidien qui assument leurs responsabilités, qui exercent leur travail au quotidien et qui nous permettent à tous d'avoir une vie quotidienne qui soit la moins perturbée possible.
HEDWIGE CHEVRILLON
Mais est-ce que votre appel aux entreprises pour dire, et aux salariés, il dépasse les secteurs dont vous avez parlé ? On voit bien qu'il y a des entreprises, on va en parler dans un instant, Monsieur le Ministre, qui sont en danger, RENAULT, on vient d'avoir les chiffres sur le marché européen, on voit que c'est une catastrophe, AIR FRANCE-KLM aussi, il y a d'autres entreprises, est-ce que vous leur dites : il faut aller travailler ?
BRUNO LE MAIRE
Moi, je passe des messages qui sont très simple, le premier, il faut garantir la continuité économique du pays. Et ça suppose que tous les salariés dans tous les secteurs d'activité qui sont encore ouverts se rendent dans des conditions de sécurité sanitaire maximales, sur lesquelles nous travaillons avec les organisations syndicales sur leur lieu de travail. Le deuxième message, c'est que nous ne pouvons y arriver que collectivement, et c'est ce que nous faisons depuis hier en travaillant avec les chefs d'entreprise, les organisations syndicales, les pouvoirs publics à la meilleure organisation du travail sur le lieu de travail. La troisième chose, c'est qu'il y a évidemment des secteurs qui, de toute façon, sont cloués au sol, sont fermés, ne peuvent pas tourner, aujourd'hui, vous ne vendez pas de voiture, donc on peut comprendre qu'il y ait certaines usines qui soient fermées, aujourd'hui, les avions sont cloués au sol, donc on peut comprendre que les salariés d'AIR FRANCE ne vont pas se rendre sur leur lieu de travail. Tout ça est parfaitement compréhensible, et il faut être dans cette période actuelle serein et pragmatique. Mais il y a toute sorte d'autres activités qui sont absolument essentielles pour notre vie quotidienne, pour chacun d'entre nous, je pense à l'industrie agroalimentaire qui a un rôle absolument stratégique à jouer pour garantir la sécurité d'approvisionnement des Français, je pense à la grande distribution, enfin, aujourd'hui, les seules sorties que font les Français, c'est, se rendre, soit, dans la grande distribution, soit, dans leurs commerces de détail pour s'acheter de quoi manger. Donc je crois que tout cela est absolument vital et que nous nous assurions que ces activités économiques continuent à fonctionner dans de bonnes conditions.
HEDWIGE CHEVRILLON
Maintenant, reste le plan que vous avez annoncé hier, enfin, il y a plusieurs plans successifs, les 45 milliards mensuels que vous mettez sur la table, quand est-ce qu'on aura des précisions, quand est-ce qu'on aura des précisions aussi sur cette garantie de 300 milliards que vous apportez aux banques pour les nouveaux crédits faits aux entreprises, parce que Frédéric OUDEA a dit : nous, nous attendons des précisions, il est président de la Fédération bancaire française ?
BRUNO LE MAIRE
Alors, d'abord pourquoi ces 300 milliards, qui sont une mesure exceptionnelle dans l'histoire de notre économie, c'est pour garantir que les prêts vont continuer à fonctionner et que lorsqu'une PME, TPE, un commerçant va venir demander un prêt dans sa succursale bancaire, on va lui dire : oui, pour ça, il faut que l'Etat garantisse les prêts des banques, parce que, évidemment, les banques, elles disent : prendre un prêt supplémentaire dans les conditions actuelles avec la fragilité économique, c'est trop risqué pour notre activité, donc nous garantissons, nous l'Etat, à hauteur de 300 milliards d'euros les prêts bancaires. Deuxième précision que je veux apporter, c'est que ce sont les nouveaux prêts bancaires, c'est ce qui doit permettre justement à l'économie de continuer à fonctionner, si une entreprise aujourd'hui, parce qu'elle est à court de trésorerie, a besoin d'un nouveau prêt bancaire, elle va s'adresser à sa banque, et comme ils sont couverts à hauteur de 300 milliards d'euros par une garantie d'Etat, c'est-à-dire, la garantie la plus solide que nous puissions donner, il n'y a aucune raison que cette PME ne trouve pas le crédit dont elle a besoin. Troisième chose, c'est que je tiens à saluer l'engagement de la Fédération bancaire française à travers son président, Frédéric OUDEA, qui a pris l'engagement de garantir que, effectivement, ces prêts seraient bien accordés, je dis d'ailleurs au passage que les banques ont accepté de reporter de 6 mois le paiement d'échéances de crédits sans frais, je pense que c'est aussi un des témoignages de cette solidarité économique dont nous avons impérativement besoin aujourd'hui ; le pays ne se relèvera économiquement que si nous faisons preuve d'une solidarité totale, les entreprises, les banques, les services financiers, l'Etat, les collectivités locales qui jouent le jeu dans le cadre du fonds de solidarité sur lequel nous avons travaillé hier, la solidarité doit être totale à tous les étages pour tout le monde.
HEDWIGE CHEVRILLON
Justement pour tout le monde à tous les étages et quoi qu'il en coûte, pour reprendre l'expression, ou alors les litres d'eau qu'il faut mettre sur l'incendie qui est en train de saisir notre économie française. Bruno LE MAIRE, que faire pour que ça ne reste pas au niveau des entreprises du CAC40, des grandes entreprises en Ile-de-France, mais que ça irrigue l'ensemble industriel du territoire français ?
BRUNO LE MAIRE
Eh bien, il faut que les donneurs d'ordre jouent le jeu, aujourd'hui, j'aurai une discussion avec le président de RENAULT, avec le président de PSA, Carlos TAVARES, pour m'assurer que dans l'industrie automobile, pour vous donner cet exemple-là, les sous-traitants de premier et de deuxième rang sont traités correctement, aujourd'hui, le secteur automobile est à l'arrêt. Donc il faut qu'on trouve des solutions qui soient imaginatives. Mais nous, notre préoccupation première, c'est de nous assurer effectivement que les PME sont correctement traitées, que les délais de paiement sont respectés, que les plus petites entreprises survivent à cette crise.
HEDWIGE CHEVRILLON
Le crédit interentreprises, Patrick MARTIN, ici-même, donc le numéro 2 du MEDEF, nous disait que c'est très important, c'est plus important pour les PME françaises presque que les banquiers, qu'est-ce que vous pouvez faire, est-ce qu'il y a une garantie de l'Etat qui peut être apportée ?
BRUNO LE MAIRE
On va regarder toutes les solutions, mais il a raison de souligner que ce crédit interentreprises est très important, et ma secrétaire d'Etat, Agnès PANNIER-RUNACHER, reçoit chaque filière l'une après l'autre, l'aéronautique, l'industrie agroalimentaire, l'industrie automobile, pour nous assurer justement que les donneurs d'ordre jouent le jeu vis-à-vis des sous-traitants, solidarité, là encore, d'une filière de la grande entreprise vis-à-vis de ses sous-traitants de premier et de deuxième rang, c'est vital pour passer cette crise dans les meilleures conditions possibles, l'Etat, il est là pour assurer avec toute sa force de frappe le soutien à l'économie, mais dans la vie quotidienne et dans la vie concrète, il est essentiel que les grandes entreprises soient solidaires de leurs sous-traitants.
HEDWIGE CHEVRILLON
Monsieur le Ministre, une question très importante, puisque vous rencontrez le patron de RENAULT et aussi de PSA, nationalisation, vous avez dit hier que vous pourrez utiliser tous les outils possibles pour sauvegarder nos fleurons français, qui – on le voit – on peut les ramasser très facilement en Bourse, RENAULT est en tête de liste avec AIRFRANCE-KLM ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas vous donner de noms, mais… les choses sont extrêmement claires.
HEDWIGE CHEVRILLON
Il suffit de regarder…
BRUNO LE MAIRE
Vous avez une crise, qui est une crise conjoncturelle, et qui, j'espère, dans quelques semaines, pourra être dépassée, il ne faut pas que ça laisse de la casse sur le bord du chemin, et il n'est pas question de voir des grandes entreprises françaises, des fleurons industriels disparaître, donc nous avons toutes sortes d'instruments à notre disposition pour soutenir ces fleurons industriels français, et s'il faut, à un moment donné, aller jusqu'à la nationalisation de certains fleurons industriels, nous irons jusqu'à la nationalisation, nous protégerons notre patrimoine industriel et si pour protéger notre patrimoine industriel, il faut aller jusqu'à la nationalisation de certaines entreprises parce qu'elles seraient attaquées sur les marchés, et qu'à cause d'une crise conjoncturelle, nous courrions le risque de perdre ce patrimoine industriel, ce patrimoine technologique et ce savoir-faire, eh bien, nous irions effectivement jusqu'à la nationalisation.
HEDWIGE CHEVRILLON
Vous en avez identifié combien ?
BRUNO LE MAIRE
Mais je ne peux pas vous donner pour le moment ni de noms, ni de chiffres, je dis simplement que nous avons un arsenal de mesures à notre disposition, et que, croyez-moi, je n'aurai aucune hésitation à employer tout cet arsenal de mesures qui est à la disposition de la puissance publique.
HEDWIGE CHEVRILLON
Toute dernière question, Bruno LE MAIRE, ce soir, se réunit le Haut Conseil de stabilité financière, sous votre égide et celui du gouverneur de la Banque de France, certains économistes disent qu'il faut un soutien plus direct de la Banque centrale européenne aux États européens, qui sont effectivement victimes de cette crise économique ; quelle est votre réponse ?
BRUNO LE MAIRE
Ma réponse est que nous travaillons au quotidien avec Christine LAGARDE, la présidente de la Banque centrale européenne, et que nous examinons toutes les options complémentaires qui sont à notre disposition, quant au Haut Conseil de stabilité financière, vous savez qu'il devait prendre, le 1er avril, un certain nombre de mesures pour renforcer les règles prudentielles, ce qui aurait eu des conséquences sur les fonds propres des banques, et qui aurait empêché les banques d'accorder suffisamment de crédits, nous allons reporter ces mesures prudentielles supplémentaires pour permettre aux banques d'accorder plus de crédits à notre économie.
HEDWIGE CHEVRILLON
Rachats de dettes directes de la Banque centrale européenne sur des dettes émises par les Etats européens et par les banques, est-ce que vous y êtes favorable ?
BRUNO LE MAIRE
Nous, nous sommes favorables à tout ce qui permettra à l'économie européenne de passer dans de bonnes conditions un cap qui est un des caps les plus difficiles de l'histoire de l'économie européenne, depuis la création de l'Union européenne.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, sans aucune limite…
BRUNO LE MAIRE
Donc toutes les options doivent être sur la table, et nous examinerons favorablement, sans aucune limite, toutes les options qui permettent à l'économie européenne de se consolider et de sortir en bon état de cette crise économique qui, je le redis, est violente, massive et touche tous les Etats membres de la zone euro.
HEDWIGE CHEVRILLON
Merci beaucoup Monsieur le Ministre d'avoir été en direct de votre bureau à Bercy.
BRUNO LE MAIRE
Merci Hedwige CHEVRILLON.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mars 2020