Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Info le 24 mars 2020, sur la politique du gouvernement face aux répercussions économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19.

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Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

MARC FAUVELLE V
ous répondrez tout à l'heure à toutes les questions des auditeurs de France Info à partir de 09h : 01.56.40.41.11 pour interroger directement le ministre de l'Economie sur la crise que nous traversons, sur les entreprises, sur les salariés, sur la prime que vous demandez aux entreprises de leur verser à ceux qui continuent à travailler en tout cas, mais d'abord, la question du confinement, parmi les mesures annoncées hier par Edouard PHILIPPE, il y a la fermeture de tous les marchés à partir d'aujourd'hui en France, il y aura tout de même des dérogations locales lorsqu'un maire le demande au préfet, mais est-ce que vous ne craignez pas que les agriculteurs en payent d'abord le prix ?

BRUNO LE MAIRE
Ceux qui auraient pu en payer le prix, c'est d'abord les Français qui se rendent sur des marchés où il y a encore trop d'attroupements, c'est la raison pour laquelle le Premier ministre a décidé de fermer les marchés, ce qui est des comportements irresponsables sur un certain nombre de marchés, même en nombre limité, en particulier dans les grandes villes, je pense à Paris qui nous a amené à prendre cette décision de fermeture des marchés. Alors je vois bien à quel point elle est dure cette décision de fermeture des marchés en plein air, elle est dure pour les producteurs, elle est dure pour les agriculteurs, elle est dure pour les marchés en plein air eux-mêmes, et je pense que c'est une décision de responsabilité, ensuite, je veux dire tout de suite qu'il y a des options complémentaires, d'abord, un certain nombre de communes, si elles arrivent à s'organiser, à mettre la distance nécessaire entre les étals, à respecter la distance sanitaire entre les clients peuvent garder ouverts leur marchés avec l'autorisation du préfet, je le vois dans ma circonscription, vous avez des marchés qui sont des petits marchés, comme à Nonancourt, comme à Damville, ils peuvent s'organiser différemment, et je suis persuadé que les maires peuvent essayer de s'organiser différemment pour qu'il y ait la sécurité sanitaire avec l'accord du préfet. Il y a d'autres plus grands marchés comme à Verneuil-sur-Avre, le maire, qui est un homme pragmatique, saura peut-être, ce sera sa décision évidemment, organiser différemment le marché pour que la sécurité sanitaire puisse être respectée ; et dans toutes ces communes, en particulier les communes rurales, je sais à quel point ces marchés sont vitaux et à quel point il faut essayer de s'organiser pour obtenir cet accord du préfet. La deuxième chose sur laquelle je veux insister, c'est que j'appelle tous les grands distributeurs, qui jouent parfaitement le jeu depuis le début de cette crise, je vraiment leur rendre hommage, parce que je trouve que la grande distribution a été exemplaire dans cette crise pour garantir la sécurité d'approvisionnement des Français, mais j'appelle les grands distributeurs à un nouvel effort : approvisionnez-vous en produits français. Quand je vois INTERMARCHE qui fait une opération par exemple sur les asperges et sur les fraises françaises, c'est une excellente décision, j'appelle d'autres enseignes – je sais qu'elles le feront, elles le suivront, parce qu'elles sont solidaires dans cette crise – à acheter des produits français aux agriculteurs français, que ce soit du lait, des fruits, des légumes, de la viande ou du poisson pour la marée française, de façon à ce que nos agriculteurs ne soient pas pénalisés par cette décision.

RENAUD DELY
Bruno LE MAIRE, parmi les mesures qui font partie de l'état d'urgence sanitaire du projet de loi qui a été adopté par le Parlement, il y a la possibilité, en cas d'accord de branche ou d'accord d'entreprise, qu'un employeur demande à ses salariés de poser des congés, jusqu'à 6 jours pendant cette période de confinement, est-ce que vous demandez, vous, Bruno LE MAIRE, aux salariés de poser leurs congés pendant cette période de confinement, pour travailler davantage à  l'issue de cette crise ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que c'est préférable pour que notre économie redémarre au lendemain de la crise, je redis à quel point cette crise économique va être violente sur l'économie française et violente sur les économies européennes. Donc nous aurons besoin de toutes nos forces pour redémarrer. Et je parie sur l'esprit de responsabilité, celui des entreprises et celui des salariés, ça ne peut se faire – vous l'avez dit vous-même – que par accord, il faut qu'il y ait un accord d'entreprise, il faut qu'il y ait accord de branche, il faut qu'il y ait des discussions, il faut qu'il y ait un dialogue social qui soit plus intense que jamais.

MARC FAUVELLE
S'il n'y a pas d'accord, il n'y a pas d'obligation de le faire, aucun chef d'entreprise ne peut l'imposer…

BRUNO LE MAIRE
Non, ce n'est pas le moment d'avoir des obligations, de forcer et de contraindre, c'est un moment où le dialogue social, la discussion, les accords doivent l'emporter sur tout le reste, parce que c'est en étant solidaire et uni qu'on fera face à cette crise, et ça vaut aussi pour les congés. Bien sûr que je préférerais que des salariés, qui ont jusqu'au 31 mai pour poser leurs congés, trouvent un accord avec leur chef d'entreprise ou avec leur branche pour poser leurs vacances avant le 31 mai et qu'on puisse redémarrer le travail ensuite, pour qu'on ne soit pas pénalisé, que notre économie redémarre, et que donc l'emploi soit protégé derrière, donc là aussi, j'appelle au sens des responsabilités de chacun, mais ça ne peut se faire que par le dialogue et par un accord.

MARC FAUVELLE
C'est une forme de patriotisme économique à laquelle vous en appelez ?

BRUNO LE MAIRE
On aura besoin de patriotisme économique, on en a toujours besoin, on en a besoin, là, plus que jamais, quand je dis que l'Etat sera disposé à monter au capital de certaines entreprises industrielles pour les protéger, voire à engager des nationalisations si nécessaire, c'est du patriotisme économique. Quand nous dégageons 300 milliards d'euros de garanties d'Etat pour que les entreprises puissent emprunter, avoir la trésorerie nécessaire, c'est du patriotisme économique, oui, nous avons besoin de patriotisme économique, et il vaut du chef d'entreprise au salarié en passant par chaque citoyen.

RENAUD DELY
Justement Bruno LE MAIRE, les salariés, il y a encore beaucoup de salariés, 30% peut-être, qui se déplacent hors de chez eux pour continuer d'aller travailler, qui donc prennent des risques, vous avez appelé les secteurs essentiels qui participent à la vie de l'économie à verser à ces salariés des primes, mais on voit que si ça a déjà été décidé dans la grande distribution, eh bien, nombre de secteurs et d'entreprises aujourd'hui, faute de trésorerie, ne sont pas en mesure peut-être de verser cette prime à ces salariés, est-ce que vous allez simplifier le dispositif, en revenir peut-être à la prime Macron qui avait été décidée à l'issue de la crise des gilets jaunes ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, nous allons simplifier le dispositif, puisque beaucoup d'entreprises, je pense en particulier à beaucoup de petits entrepreneurs qui m'ont dit : voilà, on aimerait bien verser une prime à nos salariés qui se rendent sur le lieu de travail, et c'est difficile aujourd'hui de se rendre sur son lieu de travail, ça demande aussi qu'on garantisse votre sécurité sanitaire, c'est un acte de courage qui mérite d'être d'abord salué, reconnu, et le cas échéant, récompensé, donc nous suspendrons l'obligation d'avoir un accord d'intéressement pour bénéficier de cette prime défiscalisée et désocialisée jusqu'à 1.000 euros, concrètement, si vous êtes une TPE de 10 ou de 15 salariés, si vous voulez remercier les salariés qui sont restés pour assurer un service économique minimum, vous pourrez verser une prime jusqu'à 1.000 euros totalement désocialisée et totalement défiscalisée sans obligation d'avoir un accord d'intéressement, personnellement, je préfère toujours qu'il y ait toujours un accord d'intéressement, parce que je pense que c'est bon pour notre économie, et c'est bon pour la solidarité à l'intérieur de l'entreprise, mais nous allons suspendre cette condition pour faciliter la vie des entrepreneurs.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, vous restez avec nous, on s'interrompt quelques instants pour le fil info. Toujours avec le ministre de l'Economie et des finances, Bruno LE MAIRE, est-ce que l'Etat va donner l'exemple sur le versement de cette prime, Bruno LE MAIRE, est-ce que vous l'offrirez aussi à tous les fonctionnaires qui sont mobilisés en ce moment ?

BRUNO LE MAIRE
Ça, je ne peux pas vous répondre, ce que je peux vous dire simplement, c'est qu'on l'a prévu pour le personnel hospitalier, puisque Gérald DARMANIN a présenté un projet de loi la semaine dernière où il y a 2 milliards d'euros qui sont spécifiquement prévus pour le soutien aux personnels hospitaliers et aux hôpitaux. Donc ce sera le cas en tout état de cause pour les personnels hospitaliers, c'est-à-dire ceux qui sont aujourd'hui le plus exposés durement à la crise du coronavirus.

RENAUD DELY
Au total, vous avez d'ores et déjà une estimation du coût, Bruno LE MAIRE de l'ensemble de ces dispositifs ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, l'ensemble du dispositif, c'est 45 milliards d'euros, et je vais être très clair avec vous, comme point de départ, le chômage partiel, les derniers chiffres qui sont tombés montrent qu'il y a une utilisation massive du chômage partiel, 730.000 salariés pour 2,2 milliards d'euros après quelques jours seulement, quelques jours de démarrage du dispositif, on provisionné 8,5 milliards d'euros, ce sera davantage, le report des charges sociales et fiscales, on a aussi provisionné une somme qui sera très probablement dépassée, chaque semaine de confinement ajoute un coût pour les finances publiques qui se chiffre en milliards d'euros.

RENAUD DELY
Et à l'heure qu'il est, Bruno LE MAIRE, nous n'avons aucune idée du montant, de ce que sera le montant total de l'addition ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je vais vous dire, ce n'est pas le sujet, l'addition, le sujet, c'est comment est-ce que nous préservons nos capacités de production, nos usines, nos entreprises, nos commerces, nos artisans, nos professions indépendantes, c'est ça aujourd'hui, quand vous livrez une guerre, il ne faut livrer qu'une seule bataille, moi, ma bataille, elle est pour notre économie, pour notre tissu industriel, pour notre tissu économique, pour préserver le maximum de ce tissu économique, et nous verrons ensuite, à un moment donné, il sera bien temps de faire les comptes, nous faisons attention évidemment ce que l'argent aille à ceux qui en ont le plus besoin, mais aujourd'hui, la mobilisation, elle est totale pour sauver notre appareil de production et garantir qu'il y ait le moins de faillites possible dans notre pays.

MARC FAUVELLE
Je rappelle ce chiffre, que vous venez de nous donner, 730.000 salariés désormais au chômage partiel, au pire de la crise de 2008, 2009, 300.000 Français avaient profité de ce dispositif. Bruno LE MAIRE, vous venez de demander aux salariés un effort sur leurs congés, est-ce que vous demandez également aux grandes entreprises un effort sur le versement des dividendes aux actionnaires, est-ce qu'il vous semble envisageable qu'elles en distribuent cette année vu l'état des finances et vu les aides dont elles vont sans doute profiter ?

BRUNO LE MAIRE
Je demande à toutes les entreprises, notamment les plus grandes, de faire preuve de la plus grande modération sur le versement des dividendes. C'est un moment où tout l'argent doit être employé pour faire tourner votre entreprise, pour s'assurer qu'elle redémarre dans de bonnes conditions et pas pour verser des dividendes, donc je les appelle à la plus grande modération sur le versement des dividendes. Je les appelle aussi à respecter rigoureusement leurs délais de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs, j'ai installé hier un comité de crise sur les délais de paiement avec le médiateur du crédit et le médiateur des entreprises, avec la DGCCRF, et nous veillerons scrupuleusement et rigoureusement au respect de délais de paiement par les grandes entreprises, et, je vais aller plus loin, vous savez que nous avons mis en place une garantie sur les prêts bancaires, une garantie d'Etat, de 300 milliards d'euros, ce qui est un soutien très important que nous apportons aux entreprises, notamment aux plus grandes d'entre elles qui auraient besoin d'un crédit bancaire, toutes les entreprises, en particulier les plus grandes, qui ne respecteraient pas leurs obligations en termes de délais de paiement, n'auront pas accès à cette garantie de l'Etat pour leurs crédits bancaires. Pour toutes les plus grandes entreprises, celles qui ont plus de 1,5 milliard d'euros, c'est le Trésor public qui accorde ce prêt, cette garantie de l'Etat, donc c'est le ministre de l'Economie et des finances lui-même qui signe cette garantie pour les prêts les plus importants, si une entreprise venait réclamer un prêt sans respecter ses délais de paiement avec ses fournisseurs, je ne signerai pas la garantie de l'Etat, et ces entreprises n'auront pas accès aux garanties de l'Etat pour leurs prêts…

RENAUD DELY
Très concrètement, Bruno LE MAIRE, une TPE, une très petite entreprise ou un indépendant, qui subit justement de la part d'un plus gros groupe, d'une plus grande entreprise, des délais de paiement excessifs, comment doit-il se manifester, il doit saisir ce comité de crise ?

BRUNO LE MAIRE
Il doit saisir immédiatement le comité de crise sur les délais de paiement, s'il s'agit d'une très grande entreprise, une fois encore, je bloquerai son accès à la garantie de l'Etat pour un crédit bancaire, s'il s'agit d'une plus petite entreprise, chiffre d'affaires inférieur à 1,5 milliard d'euros, et moins de 5.000 salariés, le nom de cette entreprise sera donné au réseau bancaire pour que le réseau bancaire refuse lui aussi un prêt bancaire garanti par l'Etat ; il n'y aura aucune garantie de l'Etat pour des entreprises qui se comporteraient mal en termes de délais de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs. Je reviens cette idée simple de solidarité, nous y arriverons si chacun fait preuve de solidarité, la grande distribution vis-à-vis des agriculteurs, les très grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants et de leur PME, l'État vis-à-vis de l'ensemble du système économique, et permettez-moi, parce qu'on insiste sur les mauvais comportements qui peuvent apparaître ici ou là, mais dans leur immense majorité, les entrepreneurs, les chefs d'entreprise, l'économie française jouent parfaitement le jeu dans cette situation de crise, moi, je veux mettre en avant un certain nombre de comportements exemplaires de certaines entreprises, quand vous voyez EMINENCE, qui transforme sa chaîne de production pour faire des masques pour les pompiers et les forces de l'ordre. LVMH qui produit des masques et du gel, LUMITUBE, qui transforme sa chaîne de production, d'habitude, elle fait des coques en plexiglas pour les bateaux, elle le fait pour faire des barrières en plexiglas pour les caissières et les caissiers dans les supermarchés, pour qu'ils soient protégés sanitairement, RICARD qui fait de l'alcool pour les gels, L'OREAL également ; il y a une mobilisation de toute l'économie française, il y a partout en France des comportements exemplaires de solidarité et de soutien à l'économie, et je tiens à les saluer.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises et les indépendants qui sont nombreux à s'inquiéter en ce moment, parce qu'ils ont dû baisser le rideau, vous avez annoncé une aide forfaitaire de 1.500 euros, quand vont-ils la toucher ?

BRUNO LE MAIRE
Ils pourront la toucher dès le début du mois d'avril, sans doute, vers le 4 ou le 5 avril, toute entreprise qui a un chiffre d'affaires inférieur à un million d'euros et qui, soit, est fermée, c'est le cas d'un bar,d'un restaurant, d'un théâtre, d'une salle de cinéma, soit, a perdu 70 % de son chiffre d'affaires entre mars 2019 et mars 2020, on comparera ces deux mois, bénéficiera automatiquement de ces 1.500 euros…

MARC FAUVELLE
Pour chaque salarié ?

BRUNO LE MAIRE
Pour chaque entreprise, c'est-à-dire, c'est l'entreprise qui en bénéficiera, les salariés bénéficient du chômage partiel, et ce fonds de solidarité, lui, il vise à offrir un filet de sécurité à tous ceux qui justement ne sont pas dans les…

MARC FAUVELLE
Pardon, je précise ma question, euros versés à l'entreprise mais par salarié ?

BRUNO LE MAIRE
1.500 euros versés à l'entreprise, qui est pour l'entrepreneur, une TPE, un indépendant, le salarié, lui, il va pouvoir bénéficier du chômage partiel, mais si vous êtes par exemple une profession libérale, vous êtes kinésithérapeute, il n'y a plus un client, vous êtes géomètre, votre chantier est fermé, vous n'avez plus un client, de quoi vous vivez, vous n'avez plus rien pour vivre. Donc nous, nous avons voulu trouver un filet de sécurité et le construire pour tous ceux qui aujourd'hui ont zéro recette, et donc ne peuvent pas s'en sortir sans ce filet de sécurité, 1.500 euros automatiques pour toutes très petites entreprises, micro indépendants, professions libérales, de façon à ce que chacun ait de quoi vivre pendant cette crise.

MARC FAUVELLE
Et le versement donc dans une dizaine de jours, automatique ?

BRUNO LE MAIRE
Versement automatique par la DGFIP à partir de début avril.

RENAUD DELY
Dans le cadre des dépenses contraintes qui tombent régulièrement sur les Français, Bruno LE MAIRE, il y a la question des emprunts immobiliers, 9 millions de Français remboursent chaque mois un crédit immobilier, est-ce que dans cette période exceptionnelle, vous appelez aussi les banques à faire un effort particulier, à accorder des reports de mensualités pour permettre aux Français qui ont ces emprunts à rembourser de franchir cette période difficile ?

BRUNO LE MAIRE
Alors les banques ont déjà accordé – c'est un point important, là aussi, c'est un geste de solidarité qui est bienvenu – un report de 6 mois sur les crédits des entreprises sans frais. Et je tiens à saluer cette décision, après, s'agissant des particuliers, ce sera du cas par cas, mais nous, ce que nous avons voulu faire, c'est mettre en place des dispositifs, notamment de chômage partiel, qui font perdre le moins d'argent possible aux salariés, quand on est au niveau du Smic, c'est 100 % de remboursement de votre salaire, au-delà, c'est 84 %, donc il y a une petite perte de salaire, je le reconnais bien volontiers, il y a 16 points de perte de salaire, donc les banques pourront au cas par cas, s'il y a certains salariés qui sont en difficulté, apporter une réponse, ou certains indépendants, qui sont en difficulté, apporter une réponse, mais nous n'avons pas prévu de dispositif, spécifique, global, pour le remboursement des échéances d'emprunts.

MARC FAUVELLE
Donc du cas par cas, on peut aller voir son banquier, et dans de nombreux prêts immobiliers, il est d'ailleurs spécifié qu'on peut suspendre pendant 1 mois, 2 mois, ou parfois 6 mois ses mensualités, c'est le moment de rappeler son banquier…

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, si vous vous retrouvez dans une situation difficile, c'est le moment d'appeler son banquier. Je suis en contact avec la fédération bancaire française tous les jours pour regarder justement comment est-ce que les choses se passent, le médiateur du crédit est là pour ça aussi, on doit faire preuve, je le redis, de solidarité, et c'est le cas, je veux insister là-dessus, dans l'immense majorité des situations.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, vous restez avec nous, 08h50, le fil info. Vous avez évoqué, il y a quelques instants, Bruno LE MAIRE, la possibilité de nationaliser certains grands groupes qui seraient en danger aujourd'hui, est-ce que la liste de ces entreprises est déjà prête ?

BRUNO LE MAIRE
La liste des entreprises industrielles qui doivent être soutenues par l'Etat est prête, elle est prête à la demande du président de la République. Donc elle reste évidemment confidentielle, mais chacun voit bien qu'il y a des secteurs, je pense à l'aéronautique, je pense à l'automobile, qui ont besoin de soutien aujourd'hui, quelle forme est-ce que ça prendra, ce ne sera pas systématiquement des nationalisations, ça peut être une recapitalisation, ça peut être des prises de participation au capital, la nationalisation est évidemment le dernier recours, mais c'est un recours que nous n'excluons pas.

MARC FAUVELLE
C'est une liste fournie ?

BRUNO LE MAIRE
C'est une liste importante.

MARC FAUVELLE
Plusieurs entreprises, plusieurs dizaines ?

BRUNO LE MAIRE
Plusieurs entreprises, je ne vous donnerai pas de chiffres, ni de noms…

MARC FAUVELLE
On les a un peu en tête, Bruno LE MAIRE, on pense évidemment à certains grands constructeurs automobiles…

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais je ne donnerai pas de noms, parce que ça fragiliserait ces entreprises, mais elles savent qu'elles peuvent compter sur le soutien total de la puissance publique française, nous n'allons pas laisser des fleurons industriels, sur lesquels nous avons investi des milliards d'euros, sous des formes diverses, qui peuvent être des crédits d'impôt recherche, qui peuvent être des soutiens financiers, qui peuvent être des prises de participation au capital, partir en fumée, parce qu'il y a une crise économique d'une violence qui est sans doute sans précédent depuis 1929 dans les pays occidentaux ; donc ça demande une mobilisation à la hauteur de ce que nous vivons, ce que nous vivons n'a pour moi pas d'autre comparaison que la Grande Dépression de 1929, donc il faut être capable de faire front et de soutenir dans ces moments difficiles des fleurons industriels qui, non seulement font notre puissance économique, mais font aussi notre identité économique.

RENAUD DELY
Cette crise économique sans pareille depuis 1929, comme vous le disiez à l'instant, Bruno LE MAIRE, elle vous conduit donc à prendre de nombreuses mesures exceptionnelles, notamment pour secourir les plus fragiles, les salariés ou les Français les plus fragiles, dans le cadre de ces décisions, le gouvernement a décidé de suspendre, de reporter à l'automne l'entrée en vigueur des nouvelles règles de l'assurance-chômage, est-ce qu'il ne faudrait pas tout bonnement enterrer cette réforme une bonne fois pour toute, cette réforme de l'assurance-chômage ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que la décision qui a été prise est une décision de justice, le principe de la réforme de l'Assurance-chômage, c'était d'inciter le plus grand nombre de demandeurs d'emploi à revenir sur le marché du travail pour ne pas rester longtemps au chômage, on sait bien que c'est la durée de la période de chômage qui après peut vous conduire dans une situation dont il est très difficile de sortir, ce mécanisme de fonctionne que lorsque l'économie tourne à plein régime et qu'il y a beaucoup de créations d'emplois ; ce qui était le cas, je le rappelle, jusqu'à janvier, février de cette année, où nous créions des emplois par dizaines de milliers, où nous avions une vraie dynamique économique et qui était très satisfaisante…

MARC FAUVELLE
Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui et ce qui ne sera plus le cas dans les mois qui viennent ?

BRUNO LE MAIRE
Ce qui n'est plus le cas, non, la situation a changé, la situation a radicalement changé, nous sommes dans une situation radicalement différente, je pense qu'on peut reconnaître au gouvernement la capacité justement à changer de pied, à comprendre très rapidement que nous sommes entrés dans une situation économique et financière radicalement différente, et d'avoir été capable par conséquent d'adapter radicalement ses politiques...

MARC FAUVELLE
Il est donc probable, Bruno LE MAIRE que la suspension dure un peu plus longtemps sur cette réforme ?

BRUNO LE MAIRE
Sans idéologie et sans fermeture d'esprit, nous avons été ouverts d'esprit, nous avons été lucides sur le changement radical de la situation économique et financière pour adapter nos dispositifs, on l'a fait pour l'Assurance-chômage, nous verrons d'ici 3 ou 4 mois où en est la situation économique du pays.

RENAUD DELY
Ce pragmatisme il vaut aussi, Bruno LE MAIRE, sur la lutte contre les déficits publics, la règle des 3 % a été suspendue hier par les 27 membres de l'Union européenne, les 3% de PIB, qui était le fameux seuil jusque-là qu'il fallait atteindre, est-ce qu'il ne faut pas là aussi enterrer beaucoup plus longuement, voire définitivement cette règle, c'était un débat d'un autre âge disait, il y a quelques mois, le président MACRON ?

BRUNO LE MAIRE
C'est encore plus un débat d'un autre âge, le seul débat qui compte, c'est comment est-ce que nous faisons face ensemble à cette crise économique qui – je le redis – n'a pas de comparaison depuis 1929, et ensuite, comment est-ce que nous garantissons la relance économique des pays européens, en particulier la relance des pays de la zone euro. C'est ça la question, nous aurons aujourd'hui une réunion des ministres des Finances de la zone euro, je plaide depuis plusieurs jours pour que, au-delà des décisions, qui sont de bonnes décisions, qui ont été prises sur le pacte de stabilité, au-delà des bonnes décisions prises par la Banque centrale européenne, 750 milliards d'euros qui ont été mis sur le marché, au-delà des souplesses qui ont été données sur les aides d'Etat par Margrethe VESTAGER, qui sont aussi les bienvenues, je plaide maintenant pour qu'on mette encore de nouvelles mesures de soutien aux Etats qui en ont besoin et qu'on fasse preuve de solidarité, et puis, il viendra le moment où il faudra réfléchir à un plan de relance pour relancer l'économie européenne, c'est encore trop tôt pour le faire ; aujourd'hui, il faut encore apporter des dispositifs de soutien financier aux Etats qui en ont le plus besoin.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, j'imagine que vos journées sont un peu compliquées en ce moment à Bercy, c'est un euphémisme, je ne suis pas sûr que vous ayez le temps de jeter un oeil ou une oreille en ce moment aux réseaux sociaux, je voudrais tout de même vous faire entendre une toute, toute petite chose, si vous le permettez, c'est ça…

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr.

/// Chanson de Jean-Jacques GOLDMAN ///

MARC FAUVELLE
Vous l'avez reconnu, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Jean-Jacques GOLDMAN, dont j'ai toujours été un bon fan, et j'ai trouvé le temps d'écouter cette chanson, quand je vous dis que je trouve que les Français sont exceptionnels dans cette crise, exceptionnels de responsabilité, exceptionnels de générosité, exceptionnels d'engagement. Je trouve que cette chanson de Jean-Jacques GOLDMAN, c'est un témoignage supplémentaire.

MARC FAUVELLE
Ça fait du bien en ce moment ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, même si, je ne vous cache pas, en restant confiné, comme tous les Français, H24 ou quasiment, et ayant malgré tout la chance de pouvoir venir à Bercy, si jamais j'avais une chanson de Jean-Jacques GOLDMAN à retenir, ce serait plutôt « Envole-moi »…

MARC FAUVELLE
Ou « Je marche seul ».

BRUNO LE MAIRE
Oui, ou « Envole-moi », on a un peu envie de s'envoler en ce moment.

MARC FAUVELLE
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE, vous restez avec nous, vous allez répondre dans un peu plus de 5 minutes maintenant à toutes les questions que les auditrices et les auditeurs de France-Info souhaitent vous poser.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 mars 2020