Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à BFMTV le 30 mars 2020, sur la politique du gouvernement face aux répercussions économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Bruno LE MAIRE

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
En direct évidemment du ministère de l'Economie, vous êtes ministre de l'Economie, l'économie du pays qui est quasiment à l'arrêt, c'est d'abord un drame humain, mais ça aura des conséquences également économiques majeurs, déjà dès aujourd'hui. Une première question sur les pénuries, le gouvernement dit et répète " il n'y aura pas de pénurie", mais quand on voit, notamment l'appel de certains syndicats routiers à exercer le droit de retrait, qui acheminent les denrées, est-ce que ce n'est pas de la méthode Coué de la part du gouvernement de nous dire "il n'y aura pas de pénurie, il n'y aura pas de pénurie", comme on nous disait « il n'y aura pas de fermeture des écoles » ?

BRUNO LE MAIRE
Non, c'est la réalité, il n'y a pas de pénurie aujourd'hui dans les grands magasins, dans les commerces alimentaires, et si demain il devait y avoir une pénurie, comme je le dis depuis le premier jour, je le dirai aux Français, ils seraient informés pour que nous prenions les dispositions nécessaires. Ce n'est pas le cas à l'heure où je vous parle, je fais le point deux fois par jour avec le commerce alimentaire, la grande distribution, avec l'industrie agroalimentaire, pour m'assurer tous les jours, deux fois par jour, que les Français ont de quoi s'approvisionner. Il y a des tensions sur certains produits, je le reconnais bien volontiers, je pense que chacun peut voir dans sa grande surface, ou dans son magasin, qu'il peut y avoir des tensions sur certains produits, il y a moins de variétés sur un certain type de produit, je pense en particulier aux pâtes, vous avez moins de références de pâtes aujourd'hui, dans vos grands magasins, que ce qu'il pouvait y avoir hier, mais je le redis : il n'y a pas de pénurie. Raison de plus, effectivement, pour garantir, comme vous le disiez avec les routiers, la sécurité de la chaîne alimentaire, de l'agriculteur jusqu'au distributeur, en passant par les routiers, qui sont absolument stratégique dans cette chaîne alimentaire, et par l'industrie agroalimentaire.

APOLLINE DE MALHERBE
LA POSTE, par exemple, qui ne distribuera plus le courrier que trois jours par semaine, et plus que trois jours consécutifs, ce ne sera pas un jour sur deux, est-ce que ça vous estimez que c'est un bon signal pour les Français ?

BRUNO LE MAIRE
C'est le signal d'une économie qui, effectivement, tourne au ralenti, tous les secteurs tournent au ralenti, nous le savons bien, on est obligé de faire face à une crise sanitaire qui est sans précédent, et la priorité absolue c'est la sécurité sanitaire des salariés, elle n'est pas négociable, donc c'est la priorité absolue et ça amène à fonctionner, dans beaucoup de secteurs, avec des activités qui sont réduites et avec des effectifs qui sont réduits. Vous avez parlé des routiers, il faut évidemment garantir la sécurité sanitaire des routiers et leur faire le maximum de protections possibles pour qu'ils puissent travailler dans de bonnes conditions, il faut aussi qu'ils soient accueillis correctement, j'insiste là-dessus, dans les usines qu'ils livrent, dans les entreprises qu'ils livrent, dans les magasins de grande distribution qu'ils livrent, il faut qu'ils puissent se laver les mains, se laver, livrer dans de bonnes conditions, être correctement accueillis, se reposer si nécessaire, pour que ça puisse fonctionner correctement. S'agissant de LA POSTE, le choix qui a été fait…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce qui veut dire Bruno LE MAIRE, juste un instant…

BRUNO LE MAIRE
Je finis juste sur LA POSTE, parce que c'est très important, sur LA POSTE il y a 1800 bureaux aujourd'hui qui fonctionnent, mais la continuité du service est garantie.

APOLLINE DE MALHERBE
Deux questions, vous avez évoqué LA POSTE, on va y revenir, mais sur les routiers, vous disiez il faut qu'ils soient bien accueillis, il faut qu'il y ait, sur les aires, par exemple, où ils déchargent, suffisamment de matériel de protection, ce que disent certains syndicats, c'est qu'ils ne trouvent pas justement ce matériel, et que s'ils ne le trouvent pas, ils doivent exercer leur droit de retrait. Est-ce que ça veut dire que vous comprenez que s'ils ne trouvent effectivement pas ce matériel, ils exercent effectivement ce droit de retrait ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, moi je comprends parfaitement que les routiers demandent à avoir les protections nécessaires et ça a toujours été la ligne constante que nous avons adoptée, il faut garantir la continuité économique du pays, il faut garantir ce que j'ai appelé un service économique minimum, tout simplement pour que nous puissions nous nourrir, avoir de l'eau potable, avoir de l'électricité, mais ça ne peut pas de faire au détriment de la sécurité sanitaire des salariés, et s'agissant des routiers, il y a beaucoup de choses qui ont été faites avec Elisabeth BORNE et avec un certain nombre d'autres ministres, pour améliorer la situation, on a beaucoup discuté avec les représentants syndicaux, il y a des hôtels qui ont été réquisitionnés pour pouvoir les loger dans de bonnes conditions, il y a des restos-route qui ont été ouverts pour qu'ils puissent s'approvisionner, s'il y a mieux à faire sur la protection sanitaire des routiers nous ferons mieux et nous devons faire mieux, parce que je pense qu'il est indispensable, pour que l'activité économique se poursuive, même au ralenti, mais garantisse notre sécurité d'approvisionnement et tout simplement la qualité de notre vie quotidienne, il est indispensable qu'on garantisse à chacun sa protection sanitaire. J'insiste aussi sur l'accueil parce que j'ai trop de remontées de certains routiers qui me disent "voilà, quand on arrive dans le magasin, qu'on décharge notre camion, on est mal accueillis, on ne peut pas se laver les mains, on a l'impression qu'on n'est pas les bienvenus", j'invite vraiment chacun à faire preuve, dans ces temps qui sont difficiles, de solidarité à l'égard de tous ceux qui travaillent.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, vous disiez LA POSTE, en même temps le plus important c'est la sécurité des travailleurs, bon on l'entend, mais imaginez que les magasins de denrées alimentaires fassent la même chose et décident tout d'un coup bas qu'ils seront ouverts que 3 jours par semaine, ils pourraient dire exactement la même chose que LA POSTE, vous vous rendez compte du signal ?

BRUNO LE MAIRE
Mais imaginez que demain nous ayons une POSTE qui fonctionne à 100% comme si de rien n'était, on nous dirait mais la sécurité sanitaire des postiers n'est pas garantie, donc on travaille à effectifs réduits, nous garantissons, avec LA POSTE, les services essentiels, je pense à des services qui ne sont pas forcément ceux qui viennent spontanément à l'esprit, mais qui sont très importants, je pense à la livraison des repas à domicile, LA POSTE fait beaucoup ça, pour des personnes qui sont âgées, pour des personnes qui sont isolées, dans des territoires ruraux, tout ça est garanti. il y a d'autres activités, effectivement, qui fonctionnent plus au ralenti, je pense par exemple à la livraison des journaux, nous allons voir comment est-ce que nous pouvons améliorer tout cela, mais que chacun comprenne, dans ces temps qui sont difficiles pour tous, que l'essentiel c'est que les services économiques minimum soient garantis, que la continuité de l'activité économique puisse se faire, mais qu'elle se fera nécessairement à un rythme différent de celui qui est le rythme habituel, lorsqu'il n'y a pas de crise sanitaire. A chacun aussi de faire preuve de sens des responsabilités pour s'adapter à la situation actuelle.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites on essaiera d'améliorer les choses, notamment par exemple sur la question de la distribution des journaux, est-ce que ça veut dire que vous pourriez mettre en place un autre système, essayer de mobiliser d'autres personnes ?

BRUNO LE MAIRE
Nous allons regarder toutes les options, mais prenez LA POSTE, il faut aussi être capable de se dire avec des effectifs réduits, des personnes qui restent confinées chez elles, des problèmes de sécurité sanitaire qui font qu'il y ait davantage d'espacement sur les postes de travail, qu'est-ce qui est aujourd'hui absolument fondamental ? c'est la livraison des plateaux-repas, les aides à domicile dont je viens de vous parler, c'est le paiement des prestations sociales, qui vont intervenir au tout début du mois d'avril, à partir des premiers jours d'avril il y a le versement des prestations sociales, il est vital de garantir cette activité-là, donc nous sommes obligés, LA POSTE comme d'autres secteurs économiques, sont obligés de faire des choix dans leurs activités habituelles, je suis tout à fait prêts à regarder sur la distribution de journaux si on peut améliorer les choses, nous sommes là pour améliorer les choses, vraiment en permanence, en tenant compte des difficultés sur le terrain, mais que chacun comprenne bien aujourd'hui que livrer les plateaux-repas pour les personnes seules, ou garantir le versement des prestations sociales, c'est très probablement la priorité absolue.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, vendredi Aïcha ISSADOUNENE, qui était caissière d'un CARREFOUR de Seine-Saint-Denis, est morte du coronavirus, elle avait 52 ans, on ne sait évidemment pas forcément dans quel cadre est-ce qu'elle a contracté le virus, mais le fait d'exposer comme ça tous ceux qui doivent travailler, et souvent les plus modestes, est-ce qu'il y avait pas d'autre solution, est-ce qu'il y a des aides supplémentaires que vous allez leur apporter ? On a quand même le sentiment que ça crée une nouvelle inégalité, ou que ça réveille des inégalités assez criantes entre ceux qui peuvent télétravailler, qui sont la plupart du temps les cadres, et ceux qui sont contraints d'aller travailler et qui ont souvent des revenus les plus modestes.

BRUNO LE MAIRE
D'abord ce décès d'Aïcha ça a été un choc, un choc pour toute la grande distribution, un choc pour tous ceux qui continuent de travailler, de passer les produits en caisse, de les installer en rayon, de décharger les produits dans les grandes surfaces, je sais que ça a été un choc fort, puissant, pour toutes ces personnes qui continuent ce matin à aller travailler et qui font que lorsque toutes les familles de France vont aller s'approvisionner aujourd'hui, chercher du lait, des oeufs, des pâtes, du riz, des fruits légumes pour nourrir leur famille, ils auront quelque chose à mettre dans leur caddies, c'est parce que derrière il y a toute une chaîne humaine qui continue à aller travailler courageusement, en se disant que leur activité est essentielle, et moi je leur dire ce matin, oui, votre activité est essentielle. Je veux dire aux caissières et aux caissiers, à ceux qui mettent en rayon, à ceux qui déchargent les produits, à ceux qui font les stocks, aux caristes, oui, votre activité est absolument essentielle pour que le pays continue à vivre, et à vivre dignement. Et ma responsabilité, notre responsabilité à tous, c'est de vous garantir votre sécurité sanitaire totale. On discute tous les jours avec la grande distribution, est-ce qu'il y a bien des plaques en Plexiglas aux caisses, pour qu'il y ait la distance nécessaire, la protection nécessaire ? Est-ce que vous avez les équipements nécessaires, est-ce que vous avez le gel hydro-alcoolique qui est absolument indispensable ? C'est ça notre responsabilité, c'est protéger ceux qui travaillent et qui sont aujourd'hui indispensables à la vie de la nation.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous les aiderez encore davantage ? La prime de 1000 euros que vous aviez proposée, elle pourra donc être versée encore par toutes les entreprises jusqu'au 30 juin, est-ce qu'elle pourrait être doublée si le confinement se poursuit au-delà d'un mois ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je suis ouvert à tout ce qui permettra de récompenser les salariés pour leur courage, pour leur professionnalisme et pour leur dévouement, on a déjà prévu que cette prime qui normalement était conditionnée à un accord d'entreprise, ne soit plus conditionnée à rien du tout, vous pouvez la verser, il n'y a pas de charges sociales dessus, il n'y a pas de charges fiscales jusqu'à 1000 euros. Est-ce qu'il faut aller au-delà de ces 1000 euros ? Moi je suis tout à fait ouvert à ce que nous menions cette réflexion avec le Premier ministre, avec le président de la République, et avec le ministre de l'Action et des Comptes publics.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous y êtes favorable ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je suis favorable à ce qu'on récompense, à la fois par notre respect, par notre considération, et c'est peut-être le plus important, mais aussi sous forme salariale et sous forme de récompense monétaire, tous ceux qui aujourd'hui nous permettent de vivre normalement.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc on peut imaginer un doublement de cette prime ?

BRUNO LE MAIRE
N'oublions pas, Apolline de MALHERBE, qu'aujourd'hui il y a des millions de Français… mais, je ne sais pas si ce sera un doublement, je ne sais pas si ce sera une simple augmentation, je dis juste reconnaissons ce que nous devons à tous ceux qui travaillent. Reconnaissons tout ce que nous devons d'abord aux personnels hospitaliers, aux aides-soignantes, aux infirmières, aux urgentistes, aux médecins, qui sont dans des environnements où la charge virale est très forte, dans des hôpitaux, des hôpitaux privés, des cliniques, et qui ne comptent pas leurs heures, mais reconnaissons aussi tout ce que nous devons à tous ceux dont on parle moins, qui sont derrière leur caisse, qui conduisent leurs camions pour que les déchets soient traités de manière correcte, qui conduisent leurs 30 tonnes sur les routes pour acheminer les produits, aux agriculteurs qui sont dans les champs, aux salariés de l'industrie agroalimentaire qui transforment les produits pour que vous ayez de quoi manger, aux agents de LA POSTE, aux agents des services bancaires qui vont nous permettre aujourd'hui de pouvoir verser les prestations dans de bonnes conditions et qui nous permettent d'avoir accès à nos liquidités, il y a toute une France du travail qui est digne, qui est solide, qui est courageuse, eh bien elle mérite non seulement notre respect, mais aussi de la récompense.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites elle est digne, clairement, solide, on se le demande sur un certain nombre de secteurs, notamment les restaurateurs, les petites entreprises, certains disent mais où sont les assureurs dans cette période ? Vous, l'Etat, vous mettez beaucoup au pot, on va y revenir, mais est-ce que ce n'est pas le moment aussi de demander aux assureurs de s'asseoir autour de la table et eux aussi d'être présents pour répondre à l'appel ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, ils sont présents puisqu'ils ont accepté de contribuer au fonds de solidarité, à hauteur de 200 millions d'euros, on a engagé aussi une réflexion de long terme, qui me paraît important, sur l'idée de catastrophe sanitaire, aujourd'hui il y a le concept de catastrophe naturelle qui existe, mais on n'a pas prévu, parce que personne ne pensait que pareille chose pouvait arriver, la situation de catastrophe sanitaire. Eh bien nous allons ouvrir cette réflexion avec les assureurs sur la question des catastrophes sanitaires.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ça pourrait fonctionner aussi a posteriori, c'est-à-dire est-ce que ce ne serait pas juste pour l'avenir, mais… ?

BRUNO LE MAIRE
Non, ça ne peut pas fonctionner de manière rétroactive parce que…

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que c'était évidemment imprévisible, mais enfin…

BRUNO LE MAIRE
Parce que les contrats ont été signés, ce serait compliqué parce que c'était imprévisible. Mais je vais vous dire très franchement, est-ce que les assureurs peuvent faire encore davantage ? Oui, oui je suis convaincu que les assureurs peuvent faire encore davantage. ils ont fait, ils ont fait beaucoup en contribuant au fonds de solidarité, ils font aussi en acceptant d'ouvrir cette réflexion sur l'idée de catastrophe sanitaire, mais je pense qu'ils peuvent faire encore plus, et je suis convaincu qu'on ne se sortira de cette crise sanitaire, qui est aussi une crise économique d'une violence inouïe, j'ai fait la comparaison avec 1929, je maintiens cette comparaison avec la grande récession de 1929, tout en en tirant les leçons, c'est-à-dire qu'il faut réagir vite, réagir fort, comme nous l'avons fait, et avoir une intervention publique massive, ce que nous avons fait. Mais nous ne sortirons de cette crise nationale, européenne, mondiale, que si chacun fait preuve de solidarité et comprend qu'il doit changer ses comportements, qu'il ne peut pas faire comme avant, tous ceux qui disent on va faire comme avant, on va passer entre les gouttes, personne ne pourra passer entre les gouttes, personne ne doit passer entre les gouttes, tout le monde doit changer son comportement, faire preuve de solidarité, participer à la solidarité nationale, pour que notre économie puisse se relever et que cette crise sanitaire ne se solde pas par une crise économique encore plus brutale.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, justement, cette crise économique, le FMI a annoncé l'entrée de l'économie mondiale en récession, pour la France la question ne se pose plus, vous l'avez vous-même évoqué. Vous tabliez il y a 10 jours sur une baisse de 1% du PIB, est-ce que vous avez revu ces prévisions, est-ce qu'il ne faut pas imaginer que ce soit pire que 1% ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai revu ces prévisions depuis très longtemps, puisque depuis le début de cette crise nous avons pris toutes les mesures nécessaires, je pense que nous avons pris la mesure de cette crise économique depuis le premier jour, j'ai proposé dès le 6 mars dernier, au président de la République, un plan d'urgence économique, nous travaillons sur une réponse européenne, donc je pense que nous avons pris, depuis le début, toute la mesure de ce choc économique. Ce sera beaucoup plus que -1%. L'INSEE dit 3 points de PIB par mois de confinement, ça me paraît une évaluation raisonnable, l'OFCE, un autre institut, dit un peu moins de 3 points de richesse nationale, mais c'est à peu près équivalent, donc ce sera beaucoup plus. Mais à partir du moment où nous ne savons pas quand est-ce que le confinement sera terminé, je ne ferai pas de nouvelles prévisions, parce que je pense que ça ne serait pas responsable et pas crédible. je dis juste aux Français ce choc économique il bouleverse notre vie quotidienne, il a un impact sur des millions d'entrepreneurs, restaurateurs, entrepreneurs individuels, micro-entrepreneurs, c'est très dur pour eux tous, parce que c'est l'économie réelle qui est touchée, nous sommes là pour vous soutenir, et nous vous soutiendrons pendant toute la durée du confinement et à la sortie de cette crise pour rebondir plus vite, mais ne nous livrons pas à des spéculations sur le taux de croissance de 2020, je pense qu'aujourd'hui ce serait trop hasardeux, il faut juste retenir ce chiffre, 3 points de richesse nationale en moins par mois de confinement, ça me paraît un chiffre raisonnable.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc pour l'instant c'est un mois, mais ce sera sans doute, peut-être en tout cas, prolongé selon les demandes des médecins. vous avez dit il faudra être là pour aider tous ceux qui en auront besoin, vous avez mis en place un fonds de solidarité pour aider les petites entreprises les plus touchées par la crise, 1500 euros, parfois jusqu'à 2000 euros pour les pertes les plus sévères pour le mois de mars, est-ce que cette aide sera prolongée, voire renouvelée, en avril ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, cette aide sera renouvelée en avril, et j'irai plus loin, le fonds de solidarité sera maintenu tant que durera l'état d'urgence sanitaire, ce fonds de solidarité il est vital. Tant qu'il y a confinement, tant qu'il y a état d'urgence sanitaire…

APOLLINE DE MALHERBE
Pour qu'on comprenne bien, ça veut dire juste, pour ceux qui nous entendent, 1500 ou 2000 euros par mois ?

BRUNO LE MAIRE
Par mois, mais je vais être très précis, 1500 euros c'est la somme forfaitaire pour tous ceux qui ont perdu 70 % de chiffre d'affaires entre le mois de mars 2020 et le mois de mars 2019, ou tous ceux, ils sont très nombreux, c'est des centaines de milliers de personnes dont le commerce a été fermé, les restaurants, les théâtres, les cafés, les cinémas, tout ceux-là c'est forfaitaire, 1500 euros, leur activité est fermée, ils peuvent le toucher, et tous ceux dont l'activité a baissé de 70 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce chiffre de 70 %, je le dis, il sera ramené à 50 % de perte de chiffre d'affaires au mois d'avril, pour couvrir un nombre encore plus important de personnes. Et puis au-delà de ces 1500 euros il y a aussi, au cas par cas, la possibilité de compléter avec 2000 euros, ça fait 3500 au total, pour tous ceux qui seraient menacés de faillite, je suis prêt, dans le réexamen que nous ferons de ce fonds de solidarité au début du mois d'avril, avec les organisations professionnelles, avec les régions, à aller au-delà de ces 2000 euros, parce que nous avons conscience que 2000 euros, même ajoutés aux 1500, ça peut être un peu court pour quelques commerces, quelques indépendants, qui ont des salariés, qui ont des charges peut-être plus importantes et qui seraient menacés de faillite, donc je suis prêt à ce que nous allions au-delà des 2000 euros pour la somme complémentaire qui s'ajoute à la somme forfaitaire. Donc c'est les points qui sont vraiment importants à retenir, fonds de solidarité qui durera pendant toute la durée de la période d'état d'urgence sanitaire, nous sommes prêts à aller au-delà des 2000 euros, pour le cas par cas, qui va être mis en place avec les régions, et le seuil de perte de chiffre d'affaire passera à 50 % à partir du mois d'avril.

APOLLINE DE MALHERBE
Une question sur les privatisations ou les étatisations, est-ce que vous allez renoncer définitivement à la privatisation d'AEROPORTS DE PARIS, est-ce que d'ailleurs, à l'inverse, vous n'iriez pas jusqu'à nationaliser, au moins partiellement certaines entreprises, soit comme AIR FRANCE, qui sont évidemment très impactées par la crise, soit comme l'usine FAMAR, qui est l'usine française, la seule aujourd'hui, qui produit de la chloroquine et qui est dans une situation très fragile ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, nous, nous sommes prêts à soutenir toutes les entreprises industrielles qui pourraient être en difficulté, absolument toutes, ça peut passer par prise de participation en capital, ça peut passer par une montée au capital, ça peut passer aussi, le cas échéant, par des nationalisations, alors bien sûr elles devront être temporaires, l'Etat n'a pas vocation à diriger les entreprises à la place d'entrepreneurs privés sur le long terme, mais si, sur une période bien définie, il faut que l'Etat monte au capital ou devienne majoritaire au capital pour protéger ces entreprises et leur permettre de se redresser, nous le ferons. S'agissant de FAMAR nous regarderons le dossier, comme beaucoup d'autres dossiers que nous regardons actuellement, je ne peux pas donner de réponse définitive là-dessus, mais nous protégerons toutes les activités stratégiques, sans exception, par de la montée au capital, éventuellement par des nationalisations temporaires, pour permettre à ces entreprises de traverser ce moment difficile, se consolider et redémarrer du bon pied. On ne va pas laisser nos entreprises les plus stratégiques à la merci de n'importe quel investisseur venu qui pourrait faire des profits considérables au détriment de notre souveraineté économique et de notre souveraineté industrielle.

APOLLINE DE MALHERBE
Avec évidemment la situation en Bourse. Juste, AEROPORTS DE PARIS du coup, pour l'instant évidemment pas question de le privatiser, est-ce que ça veut dire que vous vous enterrer ce projet ?

BRUNO LE MAIRE
Vous savez ma priorité, ma seule priorité, c'est faire face à cette crise économique, soutenir les entrepreneurs, redémarrer le plus vite possible, et je n'ai pas l'habitude d'avoir deux priorités à la fois.

APOLLINE DE MALHERBE
Chaque chose en son temps, mais quand même, on commence à anticiper un peu l'après, même si on ne sait pas exactement quand ce sera. Est-ce que vous vous dites parfois, en ce moment, il faudra faire différemment, on s'est quand même trompé dans les priorités et on le voit aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
On peut toujours améliorer ce qui a été fait, mais je pense que cette idée de souveraineté économique ça fait longtemps que nous la défendons avec le président de la République. L'idée qu'il faut être plus indépendants, regardez ce que nous avons fait sur les batteries électriques, c'est une idée que nous avions développée, simplement maintenant elle doit prendre beaucoup plus d'ampleur. Oui, il faut garantir notre souveraineté technologique, oui en matière de médicament il faut être beaucoup plus indépendant, oui en matière de recherche biologique il faut être beaucoup plus indépendant, oui la souveraineté industrielle ça compte. Ça me confirme, je vais vous dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ça vous bouscule, vous qui êtes un homme politique depuis très longtemps ?

BRUNO LE MAIRE
Ça me confirme, dans les intuitions que nous avons défendues depuis maintenant plusieurs mois, il faut un nouveau capitalisme, qui soit plus respectueux des personnes, qui soit plus soucieux de lutter contre les inégalités et qui soit plus respectueux de l'environnement, et il faut bâtir la souveraineté industrielle et technologique de la France, et de l'Europe. Je pense que s'il peut sortir quelque chose de bon de cette crise, c'est une accélération de cette prise de conscience et de cette transformation, qui était pour le moment un peu en pointillé, qui était très discutée, sur laquelle la France avait pris, depuis très longtemps l'initiative, et qui maintenant doit se transformer concrètement, au niveau national comme au niveau européen. Que ça va changer un certain nombre d'attitude, regardez la position que nous avons prises sur les dividendes, j'ai dit très clairement que nous interdirions tout accès au soutien de la trésorerie de l'Etat à ceux qui verseraient des dividendes, on ne peut pas à la fois dire je n'ai pas assez de trésorerie et j'ai besoin du soutien de l'Etat pour reporter mes charges sociales, reporter mes charges fiscales ou avoir accès à une garantie de l'Etat sur mes prêts, et en même temps j'ai de la trésorerie pour mes actionnaires, ça ce n'est pas possible.

APOLLINE DE MALHERBE
Y compris le recours au chômage partiel ? Est-ce que les entreprises qui recourront au chômage partiel pourront quand même verser des dividendes ?

BRUNO LE MAIRE
Je les invite à faire preuve, pour toutes les entreprises qui ont accès aujourd'hui au chômage partiel, c'est-à-dire qui ont leurs salariés payés par l'Etat, à faire preuve de la plus grande modération en matière de versement de dividendes, et j'irai plus loin, soyez exemplaires. Si vous utilisez le chômage partiel ne versez pas de dividendes. Je pense que c'est quelque chose que chacun peut comprendre et que chacun doit être exemplaire. Beaucoup de grandes entreprises l'ont compris, ont déjà pris la décision de ne pas verser de dividendes, parce qu'elles vont avoir besoin de cette trésorerie demain pour investir, pour payer leurs charges, pour relancer leur activité, donc j'invite toutes les entreprises qui bénéficient du chômage partiel, soit faire preuve de modération, soit mieux, donnez l'exemple et ne versez pas de dividendes. J'ajoute un point sur ce sujet, qui est très important, c'est que nous ne tolérerons pas, non plus, que des entreprises fassent des rachats d'actions et versent des dividendes à leurs actionnaires, les rachats d'actions ils ne doivent pas être possibles quand on veut verser des dividendes, parce que c'est une façon d'augmenter les dividendes de manière artificielle, donc les rachats d'actions ne seront pas compatibles avec le bénéfice du soutien de la trésorerie de l'Etat.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci beaucoup, merci Bruno LE MAIRE, d'avoir été en duplex avec nous, ministre de l'Economie.

BRUNO LE MAIRE
Merci Apolline de MALHERBE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 mars 2020