Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Info le 23 avril 2020, sur les conséquences économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Vous êtes aujourd'hui le ministre d'une économie en guerre et à terre, 10 millions de Français au chômage partiel, des centaines de milliers d'entreprises fermées, et qui pour certaines n'ont toujours pas d'horizon, des comptes de la Sécu et de l'assurance chômage qui plongent, tout comme la dette publique, après six semaines de confinement est-ce que notre économie a désormais touché le fond ?

BRUNO LE MAIRE
Elle est confrontée à un choc dont nous avons toujours dit qu'il était brutal, qu'il touchait l'économie réelle, les commerçants, les indépendants, toute notre industrie, et que le redressement serait long, difficile et coûteux, et je n'ai jamais changé de langage, j'ai toujours tenu ce langage de vérité aux Français. Nous sortons de la phase de crise, et nous allons aborder une deuxième phase qui va être une phase de transition, dans laquelle l'activité va reprendre, et je souhaite qu'elle reprenne évidemment dans des conditions de sécurité sanitaire qui soient maximales. Et ensuite, dans un dernier temps, il y aura effectivement un retour à la normale pour l'activité économique, mais nous n'y sommes pas. Je voudrais que chacun comprenne bien les temps dans lesquels nous sommes, il y a eu le temps de crise, nous avons fait face, avec le Premier ministre, avec le président de la République, en apportant un plan de soutien à l'économie massif, qui vient d'être rechargé avec l'adoption de ce deuxième projet de loi de Finances rectificative, nous allons entrer, à partir du 11 mai, dans une phase de transition, mais qui sera une phase de transition dans laquelle il faudra adapter les dispositifs de soutien, et puis, dans le long terme, nous retrouverons une économie, qui sera différente, une économie plus durable notamment, mais ça c'est pour le long terme.

MARC FAUVELLE
Est-ce que ça va se passer en une fois, à partir du 11 mai, Bruno LE MAIRE, où est-ce que ce sera comme à l'école, une rentrée économique au compte-gouttes, étalée sur plusieurs semaines ou plusieurs mois ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il faut définir des principes qui soient les plus clairs possibles pour tous les Français. Le 11 mai nous rentrons dans cette phase de transition, de retour progressif à l'activité économique, le premier principe c'est évidemment la sécurité sanitaire, il faut que tous les commerces qui rouvrent, toutes les activités qui reprennent, se fassent dans des conditions de sécurité sanitaire totales, aussi bien pour les salariés que pour les entrepreneurs et les commerçants eux-mêmes. Le deuxième principe c'est un principe de simplicité, c'est-à-dire que ces règles doivent être claires, et c'est pour ça que nous avons travaillé, avec Muriel PENICAUD, sur deux exercices, nous avons déjà commencé ce travail tous les jours depuis maintenant plusieurs jours, un protocole national de déconfinement, c'était la proposition de la CFDT, qui est une bonne proposition, qui a fixé un certain nombre de règles qui peuvent s'appliquer pour tous, et ensuite des guides de bonnes pratiques métier par métier, comment est-ce que les coiffeurs peuvent rouvrir, comment est-ce que les libraires peuvent rouvrir, comment est-ce que les différents commerces peuvent rouvrir, en fonction de ce qu'est l'organisation de ces commerces, et nous avons commencé, avec Muriel PENICAUD, à consulter toutes les filières économiques, et nous consulterons toutes les filières économiques et tous les métiers pour ajuster ces guides de bonnes pratiques, il y en a déjà un certain nombre qui sont adoptés, il faut que tous disposent de ce guide de bonnes pratiques. Enfin, le dernier principe, c'est un principe d'équité, c'est-à-dire que tout le monde doit être traité de la même manière, et nous nous sommes favorables à ce que le 11 mai tous les commerces puissent rouvrir, tous ceux qui ont été fermés par l'arrêté ministériel du 15 mars, je laisse simplement de côté la restauration, les bars, les cafés, on sait que ils feront l'objet d'un traitement spécifique, parce que c'est des lieux de convivialité qui obéissent à des règles spécifiques, mais sinon nous souhaitons que tous les commerces puissent rouvrir le 11 mai, de la même manière, pour un principe d'équité. La seule différence qu'il pourrait y avoir, mais ça, ça n'a pas encore été tranché, il faudra que nous en discutions, ce sera des propositions qui seront soumises au Premier ministre, c'est est-ce qu'on le fait au niveau national, est-ce qu'il faut tenir compte des disparités régionales, ça c'est une évaluation sanitaire qui devrait être faite, évidemment la situation n'est pas la même suivant qu'on est en Aquitaine, où il y a eu moins de cas de Covid, ou si on est en Ile-de-France, où il y a eu beaucoup de cas de Covid et où le virus circule encore beaucoup.

MARC FAUVELLE
Donc, pour être parfaitement clair, tous les commerces, mais à l'intérieur d'une zone géographique donnée, ça ne se fera pas partout en même temps ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne peux pas vous apporter de réponse précise, je fixe des principes, sécurité sanitaire, simplicité de ce retour à l'activité économique, et équité. Bien entendu il faudra tenir compte, je le redis, des situations sanitaires régionales différentes, est-ce qu'il faut une ouverture différenciée suivant les régions ou pas, ce sera aux autorités sanitaires de nous faire des recommandations, mais du strict point de vue économique, et pour des raisons d'équité, de simplicité, nous souhaitons que tous les commerces, le 11 mai, puissent rouvrir de la même manière, sans distinguer un commerce ou un autre.

RENAUD DELY
Vous évoquiez à l'instant, Bruno LE MAIRE, la nécessité d'édicter des consignes claires, et vous faites des préoccupations sanitaires votre première préoccupation, c'est ce que vous venez de dire, est-ce que ça signifie que vous souhaitez rendre le port du masque obligatoire dans les entreprises et dans les commerces qui rouvriront ?

BRUNO LE MAIRE
Ce sera aux autorités sanitaires, au Conseil scientifique, de nous faire des recommandations. Je pense qu'il est très important de respecter une méthode. le Premier ministre nous a demandé de commencer à défricher les choses, nous avons remis, avec Muriel PENICAUD, de premières propositions hier, nous allons affiner ces propositions dans les jours qui viennent, sur la base de la méthode, qui a toujours été la mienne depuis le début de cette crise, consultation de toutes les fédérations, de tous les commerces, de tous les secteurs d'activité, pour adapter les guides de bonnes pratiques à la réalité de ces commerces. Quand vous êtes chez un coiffeur, il y a forcément un contact, il y a forcément de la proximité, les règles seront différentes de celles qui peuvent s'appliquer, par exemple dans un grand magasin. Sur la question des équipements, des équipements qui devront être portés dans ces commerces ou dans ces magasins, eh bien ce sera aux autorités sanitaires de nous dire ce qui est souhaitable, ce qui est nécessaire, pour la sécurité sanitaire des salariés et des entrepreneurs, et le Premier ministre et le président de la République trancheront sur la base de nos propositions.

RENAUD DELY
L'Académie de médecine préconise déjà ce port généralisé du masque y compris dans l'espace public, ça signifie, si on vous suit bien, que dans certaines activités, par exemple les coiffeurs que vous citiez, le port du masque pourrait être rendu obligatoire du fait de cette proximité justement au sein de ces commerces ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne veux surtout pas vous décevoir, mais je suis ministre de l'Economie et des Finances, je ne suis pas responsable des questions sanitaires, et je ne suis pas un spécialiste des questions sanitaires, donc je ne veux pas vous dire de bêtise, je vous dis que du point de vue économique, il faut que ce soit simple, il faut que ce soit équitable, et il faut que la sécurité sanitaire soit garantie pour les salariés, comme pour les entrepreneurs, c'est ce que nous allons proposer au Premier ministre et au président de la République. Ensuite sur le cadre sanitaire, d'exercice de ces métiers, d'exercice de ces professions, c'est aux autorités sanitaires de les définir, et je pense que ce serait vraiment de mauvaises méthodes que le ministre de l'Economie et des Finances prenne des décisions sanitaires qui ne sont pas de sa compétence, ni de son autorité.

MARC FAUVELLE
La profession des bars et des restaurants a cru comprendre que la sortie du confinement ce serait le 15 juin prochain, vous pouvez leur confirmer cette date ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je ne peux pas leur confirmer, aucune date n'a été fixée, nous avons déjà engagé beaucoup de discussions avec les restaurateurs, avec les bars, avec les cafés, d'ailleurs je tiens à remercier les restaurateurs de leur mobilisation parce qu'ils sont tous sur le pont, ils font des propositions, ils ont plein d'idées, je pense que rien ne serait pire, pour cette profession, qui est une des plus touchées, les plus durement touchées, qui voit son commerce aujourd'hui dans l'incapacité de rouvrir, rien ne serait pire que de rouvrir dans la précipitation, parce que ce serait mauvais pour les restaurateurs, ce serait mauvais pour ceux qui travaillent dans la restauration, et puis ce serait mauvais pour les clients et pour tous les Français qui évidemment on a hâte de pouvoir retrouver des restaurants, des bars ou des cafés. Je pense qu'il faut prendre le temps nécessaire.

MARC FAUVELLE
Donc s'il faut attendre jusqu'à la fin de l'été ou à la rentrée, on attendra ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne vous dis pas ça, j'ai parfaitement conscience qu'il y a devant nous la saison touristique, qu'il y a l'été qui arrive et que tout le monde a envie d'avoir une saison touristique qui se passe le mieux possible, donc le plus tôt sera évidemment le mieux, mais la précipitation serait la pire des méthodes en la matière. Donc nous consultons les restaurateurs, nous consultons les fédérations de la restauration, le président de la République recevra demain ces fédérations, de la restauration, de l'hôtellerie, pour regarder avec elles comment est-ce qu'on peut avancer. Il y a deux questions qui vont se poser, comment est-ce que l'on rouvre, dans des conditions de sécurité sanitaire maximales, est-ce qu'on espace les tables, est-ce qu'on fait forcément de la réservation, de quels équipements doivent disposer les serveurs, les cuisiniers, ça c'est la première série de questions que nous allons étudier. Et puis il y a une deuxième série de questions, qui est tout à fait légitime, qui m'a été posée par des centaines et des centaines de restaurateurs sur les réseaux sociaux, la restauration, l'hôtellerie, les bars, les cafés, l'événementiel, auront besoin d'un soutien financier spécifique, et nous serons là pour leur répondre. Ils vont pouvoir rouvrir plus tard, ils ne pourront pas rouvrir avec le même nombre de clients, on le sait bien, chacun a conscience que demain dans les brasseries, où tout le monde était au coude-à-coude collés les uns contre les autres, et d'ailleurs c'était très sympa, malheureusement on ne pourra plus continuer comme cela, donc il y aura de la perte de chiffre d'affaires, donc il faudra un accompagnement spécifique pour cette filière, et nous répondrons présents. Et ce que ça montre, et c'est très important, parce que je voudrais terminer sur le raisonnement, ce que ça montre c'est que nous allons relancer l'économie, avec un virus qui continuera à circuler, et c'est de cela dont chacun doit avoir conscience, et la question qui nous est posée, le défi que nous devons relever, c'est redresser notre économie, avec un virus qui continuera à circuler, ça demande évidemment des dispositions spécifiques.

(…) Point infos.

MARC FAUVELLE
Toujours avec le ministre de l'Economie, Bruno LE MAIRE, qui répondra directement à toutes vos questions à partir de 9h00, 01 56 40 41 11. Bruno LE MAIRE, les caissières, à qui le gouvernement avait promis une prime défiscalisée versée par leur employeur le mois dernier pour toutes celles qui étaient restées au travail tous les jours, affirment aujourd'hui qu'elles n'en n'ont toujours pas vu la couleur, est-ce que vous avez un moyen de faire pression aujourd'hui sur les grandes surfaces ?

BRUNO LE MAIRE
Alors j'ai appris effectivement hier que ces primes n'avaient pas encore été versées, donc j'ai appelé le président de la Fédération de la grande distribution, Jacques CREYSSEL, avec lequel je suis en contact quotidien pour assurer la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, et il m'a confirmé que les engagements pris par les enseignes, que ce soit AUCHAN ou d'autres, seraient tenus.

MARC FAUVELLE
A quelle échéance ?

BRUNO LE MAIRE
Ça va de soi que nous sommes là… c'est une affaire de jours ou de semaines, mais il est évident que les engagements qui ont été pris par la grande distribution de verser des primes à des salariés qui sont venus courageusement au travail depuis des semaines et qui nous ont permis de nous alimenter dans des conditions satisfaisantes, ces primes elles ont été promises, elles doivent être versées.

RENAUD DELY
Parmi les difficultés, Bruno LE MAIRE, auxquelles se heurtent aujourd'hui les commerces, les magasins, qui sont fermés, il y a la question des loyers, évidemment la question des loyers qu'ils ne peuvent plus payer, vous avez d'ores et déjà annulé certains loyers pour les TPE, mais qu'en est-il pour les commerces, les magasins, de plus de 10 salariés ? Le président de la région Hauts-de-France, Xavier BERTRAND, vous a adressé un courrier hier justement, pour vous inciter à renforcer ce dispositif d'aides aux commerces qui ne peuvent plus payer leurs loyers aux bailleurs.

BRUNO LE MAIRE
Oui, il a raison, je pense qu'il faut aller plus loin, mais la méthode que nous avons toujours suivie c'est d'aller pas à pas en consolidant à chaque fois les dispositifs, en améliorant les dispositifs.

RENAUD DELY
Comment aller plus loin ?

BRUNO LE MAIRE
Nous avons déjà obtenu des grandes foncières qu'elles annulent 3 mois de loyer pour les très petites entreprises, moins de 10 salarié, qui ont été obligés de fermer, c'est un geste important…

MARC FAUVELLE
Annulé, pardon, ou reporté ?

BRUNO LE MAIRE
Annulé, annulé, je veux vraiment insister là-dessus, le report n'était pas suffisant, parce que quand on a fermé votre commerce, vous allez retrouver une activité qui va être forcément un peu dégradée, parce qu'il y aura moins de clients, vous aurez du mal à rembourser ce loyer, surtout quand vous êtes un très petit commerçant, donc l'effort qui a été fait par les grandes foncières, je le salue…

RENAUD DELY
Mais annulé pour 3 mois seulement…

BRUNO LE MAIRE
Il est annulé pour 3 mois.

RENAUD DELY
C'est-à-dire que l'activité elle va redémarrer très progressivement dans ces commerces, on peut imaginer qu'ils vont peut-être avoir du mal encore à payer leur loyer au cours des semaines et des mois suivants.

BRUNO LE MAIRE
Nous verrons là aussi s'il y a des adaptations possibles, il y a le fonds de solidarité qui permet justement de prendre en charge, au moins en partie, les loyers, mais moi je salue quand même ce geste qui a été fait par les grandes foncières d'annuler 3 mois de loyer pour les plus petits entrepreneurs qui ont été obligés de fermer. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? Oui. Est-ce qu'il faut ouvrir une négociation entre les grandes foncières, les grands bailleurs, je ne parle pas des petits propriétaires, je parle bien des grands bailleurs, et les autres commerçants, ceux qui ont par exemple des chaînes et des franchises ? Ma réponse est oui. Et comme la discussion va être difficile, parce que c'est une discussion, il y a des enjeux financiers qui sont extrêmement élevés, j'ai décidé de nommer une médiatrice, qui va faire cette médiation entre les grandes foncières et les chaînes commerciales, les franchisés, cette médiatrice c'est Jeanne-Marie PROST, qui connaît très bien ce domaine, et très bien ce sujet, et elle devra, d'ici quelques semaines, nous apporter des solutions pour que effectivement on allège la charge des loyers pour les commerçants, de taille moyenne ou de taille plus importante, qui vont avoir un mal fou à faire face à ces échéances, parce que, si le niveau de loyer reste le même, alors qu'il y a moins de clients, et un commerce qui fonctionne moins bien, ça va vite devenir intenable. Donc il faut qu'on trouve un compromis, et c'est ce compromis que Jeanne-Marie PROST doit nous proposer dans les semaines qui viennent. De ce point de vue-là j'estime que le courrier adressé par Xavier BERTRAND et par deux autres présidents de région est tout à fait bienvenu et est parfaitement légitime.

MARC FAUVELLE
Des centaines de milliers d'entreprises, Bruno LE MAIRE, bénéficient aujourd'hui de l'argent public, notamment à travers la mesure du chômage partiel, qui concerne aujourd'hui 1 salarié du privé sur 2, il y a des contreparties à cet argent public, ou c'est un chèque en blanc ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a évidemment des contreparties lorsque vous bénéficiez du soutien de la trésorerie de l'Etat. Le soutien de la trésorerie de l'Etat, c'est d'abord les prêts garantis par l'Etat, si jamais vous allez à votre banque, vous avez un prêt, parce que l'Etat est derrière, qui garantit que le remboursement aura lieu quelles que soient les circonstances. L'allégement des charges sociales et fiscales, le report, c'est aussi de l'aide de trésorerie qui est apportée par l'Etat. Donc la condition, lorsque vous bénéficiez des deux dispositifs de trésorerie de l'Etat, c'est que vous ne versez pas de dividendes à vos actionnaires et vous ne faites pas de rachat d'actions, c'est les deux conditions qui ont été fixées. J'entends qu'il y a un débat…

MARC FAUVELLE
Et sinon il se passe quoi ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien sinon vous remboursez les allégements de charges dont vous avez pu bénéficier, ou sinon vous n'avez pas accès au prêt garanti par l'Etat, et il m'est déjà arrivé de refuser un prêt, pour des entreprises importantes, parce que ces entreprises avaient versé des dividendes. Si vous avez de la trésorerie pour vos actionnaires, eh bien vous ne pouvez pas demander de la trésorerie à l'Etat, l'Etat n'est pas pour financer la trésorerie pour les actionnaires.

MARC FAUVELLE
Lesquelles, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne vous donnerai pas de noms, mais je pense que c'est un signal clair, pour toutes les grandes entreprises qui veulent avoir accès à un prêt garanti par l'Etat, il faut évidemment qu'elles ne versent pas de dividendes à leurs actionnaires.

RENAUD DELY
On sait, Bruno LE MAIRE, que le groupe VIVENDI a annoncé qu'il allait augmenter de 20 % le montant des dividendes qu'il va verser, le groupe VIVENDI n'a eu recours à aucune aide publique, pas même en termes de chômage partiel, y compris pour ses filiales ?

BRUNO LE MAIRE
Surtout, le groupe VIVENDI, pour ses activités en France, ne verse pas de dividendes, il verse des dividendes pour ses activités aux Etats-Unis, donc je pense qu'il faut bien faire la distinction. Je vois aussi qu'il y a un débat qui est né, qui est un débat parfaitement légitime, sur ce que font d'autres pays européens qui refusent le soutien de l'Etat lorsque l'entreprise a son siège fiscal dans un paradis fiscal…

MARC FAUVELLE
C'est le cas du Danemark notamment, je crois.

BRUNO LE MAIRE
Par exemple, mais il va de soi que si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, je veux le dire avec beaucoup de force, elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l'Etat, ça va de soi qu'il y a des règles qu'il faut respecter. Si vous avez bénéficié de la trésorerie de l'Etat, vous ne pouvez pas verser de dividende, et vous ne pouvez pas racheter des actions, et si jamais votre siège social est implanté dans un paradis fiscal, il est évident que vous ne pourrez pas bénéficier du soutien public.

(…) Point infos.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, dans l'effort de guerre demandé en ce moment à notre entreprise, est-ce que vous demandez aussi aux grands patrons d'entreprises privées, comme publiques, de baisser leur rémunération ?

BRUNO LE MAIRE
Je vois que beaucoup l'ont fait, qu'il y a un certain nombre de patrons qui ont annoncé qu'ils allaient réduire leur rémunération, c'est vrai dans des entreprises publiques, par exemple ça Ben SMITH à la tête d'AIR FRANCE, c'est vrai aussi dans des entreprises privées, j'ai vu la décision qu'a pris par exemple le président du CREDIT AGRICOLE, je pense que c'est une très belle décision, il a reversé une partie de sa rémunération, la sienne et d'autres dirigeants de l'entreprise, à l'AP-HP, et plus il y aura de gestes de solidarité comme ceux-ci, de la part des chefs d'entreprise, de la part des entrepreneurs, plus nous construirons cette solidarité, qui est indispensable pour faire face à la crise. Donc je ne suis pas pour des obligations, je pense que ce n'est pas ça qui fonctionne, en revanche je crois à l'exemplarité, et je voudrais saluer ces gestes de solidarité qui sont faits par un certain nombre de chefs d'entreprise, plus ils seront nombreux, mieux ce sera pour le pays.

RENAUD DELY
Bruno LE MAIRE, la dette publique va s'envoler, elle est estimée d'ores et déjà autour de 115 % du PIB à la fin de l'année, avec le coût de cette crise, qui va la payer, comment la rembourser, est-ce que vous écarté l'idée de lancer un grand emprunt national auprès des Français ?

BRUNO LE MAIRE
Les solutions sur la relance, sur les finances publiques, viendront le moment venu, je pense qu'il est trop tôt pour en parler, et que là encore tout est question de temporalité. Aujourd'hui nous faisons face à une crise qui a un impact social, économique, sur l'emploi, sur nos entreprises, extraordinairement brutal, c'est violent pour des millions de Français, notre responsabilité, celle du président de la République, du Premier ministre, de tout le gouvernement, c'est de faire face, les finances publiques tiendront, l'Etat tiendra, et l'Etat tient, y compris sur le plan financier. Viendra le moment, plus tard, où il faudra regarder comment est-ce que nous remboursons cette dette, moi j'ai toujours été convaincu que c'était la croissance, l'activité économique, le travail de chacun, qui permettrait le remboursement de cette dette, mais je pense que rien ne serait plus contre-productif que de dire, voilà, on apporte les soutiens publics, mais dès maintenant il faut commencer à regarder comment est-ce que nous allons rembourser, je pense que c'est une question qui se posera, mais qui se posera plus tard. Et pour l'actualité, pour vous donner des chiffres qui sont très simples, nous faisons des levées de dette régulière, de 10 milliards d'euros sous une forme hebdomadaire, ou tous les 15 jours, pour le moment nous n'avons aucune difficulté de financement, et les taux d'intérêt restent bas.

RENAUD DELY
Vous dites, Bruno LE MAIRE, c'est la croissance, le travail, qui nous permettront de relancer l'économie et de rembourser cette dette, est-ce qu'il faut que les Français envisagent de travailler davantage à l'avenir, le chef de file des sénateurs LR, Bruno RETAILLEAU, estime qu'ils devraient accepter de travailler jusqu'à 37 heures par semaine ?

BRUNO LE MAIRE
Enfin, si je peux me permettre, ce n'est pas le problème qui va se poser, il faut être lucide, le problème qui va se poser c'est le risque de voir demain des commerces qui tournent à moitié, qui vont dire « qu'est-ce que je fais, dans un restaurant, de mes serveurs ? », c'est des industries qui vont tourner à 60 ou 70% de leur régime et qui vont nous dire « qu'est-ce que je fais de mes ouvriers, de mes ouvriers qualifiés, de mes ingénieux ? », c'est ça la question qui va se poser, donc je pense qu'il est bon de poser les bonnes questions. La bonne question c'est comment est-ce qu'on maintient l'emploi, ce n'est pas comment est-ce qu'on fait travailler plus les Français, c'est comment est-ce qu'on arrive à faire travailler tous les Français, et c'est ça ma préoccupation. Ma préoccupation c'est que notre économie, qui a tout pour réussir, j'en suis convaincu, elle réussissait très bien avant la crise, elle réussissait mieux que la moyenne de la zone euro, puisse redémarrer, et redémarrer, je le dis vraiment avec beaucoup de force là aussi, en garantissant une croissance durable, la relance doit être une relance verte, respectueuse de l'environnement, c'est ma première préoccupation. Ma deuxième ce n'est pas de faire travailler plus les Français, c'est que tous les Français puissent travailler, c'est que le jeune qui va arriver demain sur le marché du travail, vous ne croyez pas que ses parents sont inquiets et se demandent s'il va arriver à trouver une activité dans une économie qui va forcément tourner au ralenti dans la reprise, parce que le virus continue à circuler, parce que les règles de production seront différentes, parce que forcément le rythme sera plus lent, parce que les espaces de production seront plus espacés, c'est ça la vraie question qui se pose, donc je crois que dans cette période de crise il faut garder son sang-froid, garder sa raison, et bien voir que le problème n'est pas de faire travailler plus les Français, mais d'arriver à trouver un travail pour chacun, et croyez-moi, ça va être un sacré défi.

MARC FAUVELLE
L'OFCE, Bruno LE MAIRE, chiffre déjà à un demi-million le nombre de chômeurs supplémentaires, on ne parle pas des chômeurs partiels, ceux qui bénéficient aujourd'hui des aides publiques, des chômeurs supplémentaires, dans les semaines qui viennent, est-ce que c'est un chiffre que vous confirment également vos services à Bercy ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je ne confirmerai aucun chiffre, mais je vous confirme la préoccupation dont je viens de faire part, il faut faire redémarrer notre économie, elle va forcément redémarrer à un rythme différent, parce que la crise sanitaire n'est pas derrière nous, et qu'il faudra concilier activité économique et protection contre le virus, et le risque est effectivement de voir demain le chômage repartir à la hausse dans notre pays, nous le savons tous. Donc ça veut dire qu'il va falloir…

MARC FAUVELLE
L'objectif des 7% de chômage, Bruno LE MAIRE, à la fin du quinquennat, c'était le monde d'avant ?

BRUNO LE MAIRE
Mais le monde dans lequel nous sommes, que personne n'a choisi, et auquel il faut faire face, c'est le monde d'une dépression économique comme nous n'en avons pas connue depuis près d'un siècle, c'est ce monde-là, c'est le monde dans lequel des entreprises, contraintes et forcées, peuvent n'avoir pas d'autre choix que de licencier leurs salariés, tout simplement parce que l'économie n'est pas au rendez-vous, l'activité n'est pas suffisante, c'est un monde dans lequel les difficultés seront durables, parce que je l'ai toujours dit, ce sera une affaire de plusieurs années, c'est à ce monde-là qu'il faut faire face, et c'est ça qui va nous obliger à penser, au moment de la relance, les dispositifs les plus efficaces possibles. Comment est-ce qu'on accompagne les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, comment est-ce qu'on forme les salariés qui peuvent être licenciés pour qu'ils puissent retrouver une activité ailleurs, comment est-ce qu'on met le paquet sur cette formation pour que chacun puisse retrouver un travail le plus vite possible ? Comment est-ce qu'on maintient des dispositifs de soutien adaptés, nous avons déjà adapté par exemple le chômage partiel pour qu'il puisse être individualisé, de façon à répondre aux besoins de souplesse des entreprises ? C'est à tout cela qu'il faut réfléchir, avec un objectif, je le redis, de la croissance durable et de l'emploi pour tous.

RENAUD DELY
Et comment on relocalise certaines productions, y compris d'abord des productions stratégiques, Bruno LE MAIRE, ça c'est urgent et essentiel pour ce monde d'après ?

BRUNO LE MAIRE
On les relocalise d'abord en définissant qu'est-ce qui est stratégique, oui il est stratégique, par exemple en matière de médicaments, en matière de principes actifs de médicaments, d'être plus autonomes, oui il est stratégique, comme l'avons déjà fait avant la crise, d'être producteurs nous-mêmes de batteries électriques, parce que si nous produisons des véhicules électriques, et ce sera le cas, il vaut mieux que nos batteries soient produites en Europe plutôt qu'elles viennent de Chine ou de Corée du Sud, mais si nous voulons relocaliser, il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en disant « relocalisation, relocalisation, relocalisation, », il faut être attractif, il faut donc être compétitif, il faut avoir des filières industrielles de formation, de qualification, qui nous permettent de garantir cette production sur notre territoire, et la troisième condition c'est qu'il faut être capable de mettre une taxe carbone aux frontières, pour que tous les produits qui viennent de l'étranger, qui sont produits en émettant plus de carbone, soient taxés à l'entrée du territoire européen, parce que si vous relocalisez avec des coûts de production, qui sont forcément plus élevés, parce que c'est une production plus durable, il faut qu'en compensation les produits importés soient soumis à une taxe carbone aux frontières.

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, on va poursuivre cette discussion, si vous voulez bien, mais cette fois avec les auditrices et les auditeurs de France Info qui sont nombreux à nous appeler, à vouloir vous interroger ce matin, au standard 01 56 40 41 11, on poursuit dans moins de 5 minutes.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 avril 2020