Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur l'action de l'Union européenne face à la crise économique et à l'épidémie de Covid-19, au Sénat le 24 avril 2020

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Circonstance : Echange avec la Commission des affaires européennes du Sénat

Texte intégral

Messieurs les Présidents, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je suis très heureuse d'échanger avec vous. Il est important de pouvoir se retrouver au lendemain de la visioconférence des chefs d'Etat ou de gouvernement, qui nous a permis d'échanger sur ce que nous devons encore faire ensemble pour sortir de la crise.

Avant de revenir en détail sur les discussions d'hier et la reprise, il nous faut regarder la situation avec lucidité, non pour tirer tous les enseignements de cette crise, mais pour revenir sur ce qui n'a pas fonctionné, notamment nos capacités d'alerte et de réaction collective, qui n'ont pas été activées suffisamment tôt, sur la fermeture unilatérale de certaines frontières et sur les actes de solidarité tangibles, qui ont pu tarder à se manifester.

Il faut aussi reconnaître que les domaines où l'Europe a su jouer un rôle déterminant méritent d'être valorisés.

Je pense à la réponse de la BCE et au soutien massif à la recherche pour trouver un vaccin. Cent cinquante millions d'euros ont été rapidement déployés, avec une conférence de financement mondiale qui se tiendra le 4 mai prochain à l'initiative de la Commission européenne et le soutien de la France afin que l'OMS, le GAVI et toutes les institutions publiques, parapubliques et privées puissent contribuer à un fonds commun de recherche.

Je pense aussi aux six cent mille Européens qui ont pu être rapatriés grâce à nos efforts coordonnés, dont cinquante-et-un mille avec l'aide de moyens mutualisés sur la base d'un financement européen.

Je pense également à la mobilisation de moyens pour financer les systèmes nationaux de santé au profit des plus fragiles, qui représentent 3,5 milliards d'euros, ou pour aider les secteurs les plus touchés grâce au redéploiement de fonds destinés à financer les dépenses induites par la crise à hauteur de trente-sept milliards d'euros, notamment dans les régions, au titre de l'initiative d'investissement en réaction au Coronavirus.

Enfin, des mesures de marché en faveur du lait et de la viande ont été prises ces derniers jours et des mesures de flexibilité exceptionnelles ont été mises en oeuvre en matière de versement des aides relatives à la politique agricole commune (PAC) et au fonds pêche. La France a pesé de tout son poids. Nous poursuivons le combat avec Didier Guillaume pour aider aussi la filière viticole.

La priorité est maintenant d'élaborer une stratégie de sortie de crise. Une partie de la discussion d'hier était très importante pour acter le fait que nous devons le faire ensemble. Nos destins sont liés, et l'efficacité et la rapidité de la reprise dépendent de notre capacité à définir des réponses communes.

Le premier élément pour réussir la sortie de crise repose sur la coordination des stratégies nationales de déconfinement. La Commission européenne a formulé des orientations de bon sens pour que chaque pays réfléchisse à la sortie du confinement. Le Président de la République a dit hier que le travail que mène Jean Castex sous l'autorité du Premier ministre s'inscrit pleinement dans ces recommandations.

Il ne s'agit pas d'une harmonisation, qui serait illusoire puisque les calendriers et les modalités doivent d'abord dépendre de la situation sanitaire nationale. Il est néanmoins important que nous parvenions à nous coordonner, en particulier sur la question des frontières et de la levée progressive des contrôles en fonction de l'évolution de la situation sanitaire en France, dans les pays qui nous entourent et dans les pays tiers.

Il faut que la levée des contrôles s'effectue de façon progressive C'est le travail que nous conduisons en ce moment avec mes collègues Jean-Yves Le Drian, Christophe Castaner et Laurent Nunez. Nous avons réuni hier le Comité de coopération transfrontalière pour réfléchir à l'ensemble des questions que pose ce déconfinement et qui ont des répercussions des deux côtés de la frontière.

Par ailleurs, les applications mobiles pourront contribuer à rétablir dès que possible une forme de liberté de circulation. Nous cherchons à faire en sorte que ces applications respectent les règles européennes sur les données personnelles et à les rendre interopérables. Il existe un projet franco-allemand très avancé à ce sujet. Il est extrêmement utile que le débat se poursuive au niveau européen. Le Parlement européen s'est saisi du sujet. La France a demandé une réunion des ministres chargés du numérique pour avancer ensemble.

Le deuxième enjeu est celui de la relance économique, principal sujet au coeur des discussions d'hier entre chefs d'Etat ou de gouvernement. La question est de savoir comment reconstruire ensemble notre économie, et surtout comment faire en sorte que le marché intérieur demeure un bloc cohérent, sans distorsion majeure.

Deux principes guident notre position dans la manière de penser les outils de la relance et ce qu'ils doivent financer.

Le premier principe est celui du renforcement de notre autonomie stratégique et de notre capacité à produire sur notre sol des biens stratégiques en matière économique, industrielle, alimentaire et de défense. Le fonds européen de défense reste donc une priorité de la France.

Le deuxième principe repose sur la solidarité. Le virus a frappé les pays aveuglément, avec des intensités différentes, mais personne n'est responsable. Il est donc très important d'être solidaires, car nous sommes extrêmement interdépendants les uns des autres et aucun pays, si riche soit-il, ne peut se relever seul. Sans client ni fournisseur, les usines ne tourneront pas.

La situation dans laquelle nous nous trouvons est inédite. La récession prévue à ce stade se situe autour de 9%. Le taux de chômage pourrait doubler mais les évaluations montrent que ce peut être encore plus profond. Nous évaluons l'ensemble des mesures budgétaires déjà annoncées dans la zone euro à 3% du PIB et les garanties de liquidité à 16%.

Beaucoup de choses ont été faites depuis le 26 mars. L'Eurogroupe a pu, grâce à un travail franco-allemand, sous la houlette de Bruno Lemaire et d'Olaf Scholz, proposer un compromis sur la protection des travailleurs. Ajoutés au mécanisme SURE de financement du chômage partiel, la mobilisation de la BEI en faveur des entreprises et le recours possible au MES sans réelle conditionnalité, avec les mêmes conditions pour tous les Etats membres, représentent 540 milliards d'euros. Ces mesures d'urgence ont été validées hier et devront être effectives au 1er juin.

La situation exige cependant que nous allions plus loin, d'où l'idée française d'un fonds de relance, véritable outil de solidarité financière destiné à faire en sorte que la reprise puisse se produire le plus rapidement possible.

Nous défendons quatre priorités.

La première concerne le montant. Les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne elle-même prévoient à ce stade des fonds de relance massifs. L'Europe ne peut se placer elle-même en situation de déséquilibre ou de désavantage.

Deuxième priorité : chercher à financer l'investissement et à rester compétitifs en cohérence avec l'agenda vert ou les activités numériques. Le but est de préparer l'avenir, de protéger notre capacité à exporter et de faire en sorte que la consommation des citoyens et des entreprises soit basée sur la production européenne afin de ne pas perdre en compétitivité. Il nous faudra naturellement soutenir les secteurs les plus touchés - aérien, automobile - qui, si nous ne les relançons pas par l'investissement, ne seront plus en capacité d'être compétitifs.

Troisième priorité : le mode de financement. Nous cherchons à agir vite et massivement. Nous pensons pouvoir nous appuyer sur le budget européen, les garanties des Etats ou les ressources propres pour lever de l'argent sur les marchés financiers et obtenir ainsi un effet très en amont. C'est pourquoi l'endettement commun, avec des modalités à définir, est une option que nous défendons.

Quatrième priorité : l'utilisation du budget pluriannuel de l'Union européenne, encore en négociation. Il nous semble important de rendre le fonds de relance et le budget cohérents. Ce fonds de relance constitue une poche d'argent. Il serait intéressant que le budget de la zone euro ou la politique de cohésion contribuent à le déployer. Il est très important de renforcer les outils les plus efficaces. Il faut donc établir une connexion entre le budget lui-même, qu'il nous faut renforcer notamment dans le domaine agricole et celui de la défense, et le fonds de relance, qui peut utiliser les canaux déjà existants dans le budget européen.

Les discussions d'hier ont ouvert toutes ces possibilités. Nous allons continuer à y travailler dans les prochaines semaines avec la Commission européenne, l'Eurogroupe, ainsi qu'avec Charles Michel et les chefs d'Etat ou de gouvernement.

Nous cherchons à préserver les trois impératifs que sont l'ambition, la solidarité, et l'effet de levier. Nous ne voulons pas d'un accord au rabais.

Il existe encore des désaccords - c'est normal -, mais je suis relativement optimiste. Nous n'avons pas le choix si nous voulons être crédibles. La solennité des discussions qui ont eu lieu hier montre bien que nous devons avoir un dialogue technique sur les meilleurs outils et sur la façon de rembourser les sommes qui auront été levées.

Vous l'avez dit, ce système ne peut reposer que sur des prêts. Les pays qui en ont le plus besoin risquent de se retrouver, à terme, avec des remboursements trop élevés.

Je voudrais, pour conclure, aborder deux sujets qu'on ne peut mettre de côté.

Le premier concerne le respect de l'Etat de droit et des libertés fondamentales. Les mesures d'urgence sont légitimes, la situation étant exceptionnelle, mais nous ne voulons pas que ces mesures mettent en danger les valeurs fondamentales de protection des citoyens contre des jugements ou des positions arbitraires.

C'est pourquoi nous cherchons à soutenir autant que possible les efforts de la Commission européenne autour du commissaire Reynders, pour qu'elle puisse examiner les mesures d'urgence prises par les Etats membres.

J'ai demandé hier que le Conseil des affaires générales, où je siège, soit régulièrement informé du suivi de ces mesures, de leur mise en oeuvre et que la discussion puisse rapidement s'engager sur le sujet si des manquements sont constatés.

Par ailleurs, comme le président de la République nous y a invités, au niveau national comme au niveau européen, nous devons réfléchir à l'après-crise et à la refondation européenne. Ce que nous vivons ne peut être qu'une simple parenthèse. Les citoyens européens ne le vivent pas comme tel, nous le voyons bien. Une réflexion stratégique s'impose.

La conférence sur l'avenir de l'Europe, que la France a initialement proposée, offre un cadre à une réflexion sur nos compétences, nos modes de décision, notre souveraineté et sur la façon d'être plus solidaires et réactifs en y associant les citoyens, qui demandent plus d'Europe.

Ce qui compte, c'est que nous puissions avancer rapidement, pour montrer à nos concitoyens que l'Europe n'esquivera pas le débat d'après-crise, mais qu'elle cherche avant tout à être utile. C'est plus un débat sur l'utilité et la crédibilité de l'Europe que nous devons lancer plutôt qu'un débat existentiel, qui peut rester très conceptuel et très détaché de la vie quotidienne. Le "monde d'après" doit se construire avec les citoyens et, bien sûr, avec les représentants que vous êtes.

Quant à l'Afrique, Monsieur le Sénateur Poniatowski, il s'agit d'une priorité que nous portons au niveau national mais également à l'échelon de l'Union européenne, avec nos partenaires africains et l'ensemble de la communauté internationale. Vous l'avez vu hier, les chefs d'Etat ou de gouvernement se sont mis d'accord sur une aide renforcée à hauteur de 16 milliards d'euros. Le but est d'avoir une action en matière sanitaire, humanitaire, économique et en matière de recherche. Nous devons en effet inclure le continent africain dans le développement d'une protection à long terme contre le virus.

Il est très important d'adopter un consensus sur la nécessité d'un fonds de relance qui puisse agir rapidement et massivement, face à une crise qui nous surprend tous et qui demande des réponses très créatives.

(Interventions des parlementaires)

Monsieur Gattolin, le filtrage des investissements étrangers est en effet déterminant. Les mesures qui sont décidées nous semblent suffisantes. La Commission européenne a encouragé tous les pays à les mettre en oeuvre dès à présent, ce que la France fait pour sa part.

Nous avons, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui a été approuvé hier en commission mixte paritaire, validé le fait que la France mette de l'argent sur la table pour pouvoir prendre des participations dans des entreprises considérées comme stratégiques. Nous défendons l'idée qu'il convient d'interdire les participations étrangères dans les actifs stratégiques et de permettre aux Européens de prendre des positions dans ces entreprises. Si celles-ci ont besoin d'argent, il faut en effet qu'elles le trouvent quelque part. Ce règlement est une étape majeure pour protéger notre autonomie et notre souveraineté.

Madame Garriaud-Maylam, s'agissant des équipements médicaux, des médicaments, de la sécurité sanitaire et de la coordination en cas de seconde vague, les enjeux sont à présent considérés comme stratégiques. La Commission européenne propose aujourd'hui des achats groupés de matériels, ainsi que la mise en oeuvre d'une réserve stratégique d'équipements médicaux. Elle achètera pour le compte des Etats un certain nombre d'équipements qui seront ensuite répartis sur le territoire comme des réserves pouvant notamment servir en cas de crise sanitaire, car nous voyons bien aujourd'hui les manquements et les leçons à tirer de ce qui s'est passé. Ce sont là les prémisses de ce qui nous permettra de réagir ensemble à court ou moyen terme.

Concernant le Brexit, à propos duquel j'ai eu ces derniers jours encore des échanges avec Michel Barnier, les discussions se poursuivent dans un cadre qui, compte tenu de la pandémie, n'était pas initialement celui qui était prévu. Nos priorités européennes demeurent inchangées, je le répète.

Nous pensons qu'il ne peut y avoir d'accord si nous ne nous sommes pas entendus sur les conditions de concurrence entre le Royaume-Uni et le marché intérieur, les questions de gouvernance et la façon dont nous gérons les éventuels manquements, la question de la pêche et, plus largement, les conditions commerciales. Les Vingt-Sept partagent l'idée qu'il ne peut y avoir d'accord sans tout cela. Notre position reste ferme. Les travaux consistent à comparer les textes juridiques qui ont été produits de part et d'autre. Michel Barnier, au cours du Conseil affaires générales auquel je participais mercredi, a demandé que nous puissions être informés de la conduite de ces négociations afin de pouvoir donner des orientations politiques si les choses n'avancent pas comme nous le souhaitons. La négociation est certes importante, mais ce sont les Britanniques qui en ont la clé. Il est nécessaire que nous donnions leur chance aux négociations, car on risque un choc supplémentaire lié au Brexit dans le contexte actuel de la crise. Les Britanniques sont probablement ceux qui en souffriraient le plus. Je rappelle que l'accord de retrait qui a été adopté protège beaucoup de secteurs. Il reste un enjeu en matière de pêche, à propos duquel nous avons une position très ferme.

Enfin, s'agissant des migrations, question qui fait le lien avec celle de Mme Jouve, nous travaillons très activement avec la Grèce pour lui apporter toute l'aide possible en matière de gestion de la situation migratoire, notamment sur les îles. Nous continuons à travailler avec la Commission européenne et le commissaire Schinás sur la préparation du nouveau pacte migratoire qui aurait dû être dévoilé dans les tout prochains jours si l'épidémie ne nous avait pas touchés. Nous voyons bien l'importance d'une véritable solidarité et la nécessité de coordonner nos moyens. Il ne s'agit ni d'être une forteresse ni d'ouvrir totalement nos frontières, mais il faut que nous puissions nous organiser, notamment en termes humanitaires, pour accueillir les migrants dans de bonnes conditions et combattre autant que possible toutes les filières migratoires illégales, alors qu'il existe des voies officielles pour l'immigration économique vers l'Europe.

Monsieur le Sénateur Collin, vous m'avez interrogé sur l'endettement et la meilleure façon de convaincre nos partenaires de lever de l'argent pour bénéficier d'une capacité d'investissement maximale à court terme.

Le budget européen offre un certain nombre de possibilités pour le faire. C'est là un élément rassurant pour nos partenaires, qui voient que la méthode communautaire, reposant sur un contrôle par le Conseil et le Parlement européen, peut constituer une voie de compromis pour avancer dans un cadre plus organisé.

La Commission européenne propose de lever elle-même de l'argent dans un cadre communautaire qui ne soit pas un fonds dédié, mais qui puisse inclure les transferts vers les Etats les plus touchés. Cette capacité d'investissement et d'action rapide nous semble intéressante.

Notre proposition initiale présente des avantages, mais aussi des inconvénients. L'un d'eux réside dans le fait que la ratification des 27 parlements est nécessaire pour créer un tel mécanisme, qui constituerait un nouvel instrument, ce qui demande du temps. C'est pourquoi le budget européen présente le double avantage d'apporter des garanties de contrôle, de supervision et de prévisibilité, et de permettre d'aller plus vite.

Je ne commenterai pas ici la politique monétaire de la BCE. Ce qui compte pour la France, c'est sa capacité d'action massive. Elle a permis de maintenir un écart entre les taux de financement qui reste gérable. Bien sûr, nous aimerions que l'Italie puisse se financer dans des conditions les plus avantageuses possible étant donné la situation économique. C'est pourquoi nous soutenons l'action de la BCE, qui a pris par ailleurs des mesures très importantes sur l'élargissement des titres éligibles en collatéral dans les opérations de refinancement des banques. Ce sont des mesures très ambitieuses, qu'il faut soutenir.

Enfin, les fonds structurels constituent en effet un mécanisme de diffusion important de l'action européenne. Je rappelle que je me suis personnellement engagée à simplifier l'accès de notre pays à ces fonds européens, sous le contrôle des autorités de gestion que sont les régions mais aussi de l'Etat. Les procédures actuelles génèrent beaucoup de complexité. Nous réalisons actuellement, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires, dans le cadre d'une mission d'inspection placée sous l'autorité du Premier ministre, un énorme travail avec les régions et les autorités de gestion afin de simplifier l'accès à ces fonds. Ils étaient utiles avant, ils le sont encore plus aujourd'hui, les instruments de relance et de soutien économique au développement des territoires étant plus que jamais nécessaires.

Madame Jouve, concernant les questions de dépendance vis-à-vis de puissances extérieures à l'Union européenne, je tiens à être ici extrêmement claire : la Chine a demandé à l'Union européenne son soutien fin janvier-début février parce qu'elle manquait d'équipements de protection médicaux au moment où elle a été frappée par la crise. Nous avons pleinement joué le jeu de la solidarité internationale.

En retour, nous avons eu, à un moment donné, besoin de soutien, les stocks d'équipements médicaux s'étant trouvés sous tension. Nous avons considéré cet acte de solidarité comme un acte de réciprocité.

Bien sûr, la solidarité aurait pu et aurait dû s'exprimer plus massivement. Encore faut-il en avoir les moyens. Toute l'ambition que nous portons est de pouvoir relancer une production, des réserves stratégiques, au niveau national et au niveau européen, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour pouvoir faire preuve de solidarité.

Il est vrai que nous n'avons pas eu la capacité d'appuyer l'Italie à un moment donné, mais nous avons ensuite activé tous les mécanismes européens. C'est pourquoi l'avancée sanitaire dont vous parlez est au coeur de nos ambitions.

Comment y parvenir ? C'est la question que pose Yannick Vaugrenard. L'équipement médical est au nombre des secteurs que nous cherchons à développer dans le cadre de la relance, par le biais de fonds européens, nationaux, et aussi privés.

M. Vaugrenard m'interroge également sur les ressources propres. Ce débat est plus que jamais d'actualité. Des ressources propres nouvelles sont nécessaires pour générer de vrais transferts grâce à ce fonds de relance et pour que le budget européen puisse jouer un rôle dans de nombreux domaines, alors que les moyens de tous les Etats sont limités.

Nous soutenons la taxe sur les transactions financières, ainsi qu'un mécanisme carbone aux frontières qui puisse à la fois assurer une plus grande compétitivité des biens produits et surtout une plus grande efficacité sur le plan climatique. C'est aussi une source de financement évident pour la transition écologique et, plus largement, pour les ambitions européennes. Nous soutenons également le principe d'une taxe sur le plastique et le fait que l'Emission Trading Scheme (ETS) puisse servir de source financement.

Sur le plan de la coopération et de la coordination fiscale, la France joue un rôle moteur. Les annonces faites par Bruno Le Maire dans le cadre du PLFR à propos du fait que nous n'octroierons pas d'aides publiques aux entreprises qui ne jouent pas le jeu fiscal et qui ont des établissements dans les paradis fiscaux sont cohérentes en ce sens.

Enfin, Christine Lavarde m'a demandé ce que nous allions financer avec le fonds de relance. Nous allons financer à la fois le redémarrage des secteurs les plus durement impactés, un plus large verdissement d'un certain nombre d'activités et une numérisation plus importante de certains secteurs.

Ce fonds de relance nous permettra aussi de financer des investissements qui garantiront notre compétitivité en matière de recherche et d'infrastructures, afin d'abaisser les coûts de production, mutualiser nos moyens et ainsi continuer à vendre aux Européens tout en exportant.

(Interventions des parlementaires)

Monsieur Rapin m'interroge sur le MES et les conditionnalités.

Ce qui comptait pour nous, comme pour l'Italie et pour beaucoup de pays, c'était de ne pas mettre en place une conditionnalité ad hoc. Aujourd'hui, la conditionnalité porte sur le respect des règles européennes. Cela va de soi puisque, a priori, lorsqu'on fait partie de l'Union européenne, on respecte les règles européennes.

Le MES permet en effet une forme de mutualisation de la dette, avec un effet de levier : les garanties sont mises en commun pour permettre de lever de la trésorerie à destination des Etats. Néanmoins, il repose sur un système de prêts et un remboursement par l'Etat bénéficiaire. Son intérêt est d'offrir à des pays dont l'accès au marché financier est détérioré une capacité de refinancement à de meilleurs taux, mais sans transfert. C'est plus une ligne de survie qu'un réel mécanisme de solidarité. C'est pourquoi nous cherchons à aller plus loin.

Votre remarque au sujet du populisme dans certains pays qui n'auraient pas bénéficié de suffisamment de solidarité, mais également dans ceux qui pourraient considérer que cette solidarité est imposée, est très pertinente. La Chancelière Merkel a toutefois souligné que l'Allemagne ne pouvait aller bien que si l'Europe allait bien.

Ce débat politique est une étape importante pour rentrer dans une discussion plus technique respectant la demande des uns et des autres, notamment de la Finlande, et permettant de convenir d'un calendrier pour le plan de relance. Le temps que nous nous donnons est essentiel pour trouver un compromis respectant les sensibilités nationales. C'est là toute la complexité de l'Europe. La meilleure réponse à apporter aux populistes est de construire des solutions efficaces qui soient le fruit d'un compromis respectant les nécessités de chacun.

Monsieur le Sénateur Poadja, vous m'avez interrogée sur la souveraineté. En France, l'autonomie stratégique est considérée comme une nécessité depuis bien longtemps. Nous savons, parce que nous sommes une puissance nucléaire et que nous siégeons au Conseil de sécurité des Nations unies, qu'il est nécessaire de faire entendre plus fortement la voix de l'Europe. Quand le Président de la République en parlait il y a trois ans, ce thème était considéré comme une lubie française. Nous avons franchi hier une grande étape : la Commission européenne a en effet été mandatée par l'ensemble des chefs d'Etat ou de gouvernement pour proposer des actions concrètes pour résorber les poches de dépendance là où elles existent. Il faut cependant être vigilant sur la mise en oeuvre et avoir les moyens de le faire. Il faut être dans la réalité et non dans l'habillage.

Dans quels domaines cherchons-nous à prendre des mesures ? D'abord dans celui des investissements stratégiques, mais aussi dans celui de la sécurité alimentaire, des équipements médicaux, des médicaments, de certains biens sur lesquels nous voulons définir nos propres normes, comme la 5G, dans le respect du règlement général pour la protection des données (RGPD). Nous avons réussi, peut-être parce que la crise a agi comme un révélateur, à convaincre nos partenaires qu'il en allait de notre crédibilité et de notre utilité, dans un monde où la Chine et les Etats-Unis ne se privent pas d'imposer leurs normes.

Madame la Sénatrice Goulet, je ne reviendrai pas ici sur les discussions qui ont eu lieu en CMP. Il serait malvenu que l'exécutif commente le travail des parlementaires.

Pour ce qui est de l'évasion fiscale, la France a beaucoup oeuvré au sein de l'OCDE pour que la liste des pays non coopératifs soit mise à jour régulièrement et qu'il existe une certaine cohérence à ce niveau avec les travaux de l'Union européenne. Il faut que nous arrivions à faire suivre cette voie à l'ensemble des pays qui nous entourent.

Il est important de conserver un marché intérieur. Nous parlons beaucoup de mesures de relance et d'aides d'Etat, et il est certain que des distorsions de plus en plus importantes pourraient voir le jour au sein du marché intérieur. L'enjeu fiscal est également un sujet où des distorsions peuvent apparaître. Il est donc important que nous continuions à travailler pour les éviter, et vous pouvez compter sur notre engagement. Je serai ravie de poursuivre cette discussion technique dès que nous pourrons nous retrouver.

Monsieur le Sénateur Yung, si l'on compte ce que chaque pays a mis sur la table, c'est plus de 3% du PIB européen et trois mille milliards d'euros qui ont déjà été activés. Nous cherchons à mettre sur la table un volume d'environ mille milliards d'euros supplémentaires au niveau européen au titre du fonds de relance. Je pense que nous pouvons y parvenir. Il faut montrer, secteur par secteur et région par région, pourquoi nous avons besoin de cet argent. Thierry Breton travaille en ce sens pour consolider tous les besoins qui remontent des différents pays.

Quant au Brexit, dont vous évoquez le report, nous n'avons pas à dicter leur conduite aux Britanniques. Néanmoins, la France essaye de trouver un bon accord, en particulier sur les questions de pêche, que nous savons extrêmement sensibles, pour assurer des conditions de concurrence loyale.

Je terminerai par les questions du sénateur Marie. La proposition espagnole tient en trois points. Nous sommes d'accord pour ce qui est du volume et de la capacité d'endettement afin de favoriser un effet de levier et une action rapide. Pour ce qui est de la durée perpétuelle des titres de dettes proposés, nous pensons qu'il y a là un point de crispation potentiel. Nous défendons donc une maturité longue qui permette d'étaler le coût de la reprise dans le temps. Il nous semble donc important de pouvoir soutenir les principes de la proposition espagnole, tout en recherchant les voies d'un compromis. Ceci permettrait de financer un véritable transfert avec une clé de remboursement qui dépend du poids économique de chacun.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2020