Déclaration, en audioconférence, de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les Français à l'étranger et l'économie face à l'épidémie de Covid-19, à l'Assemblée nationale le 1er avril 2020.

Prononcé le 1er avril 2020

Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Circonstance : Audition, en audioconférence devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Pour continuer à faire battre le coeur de notre démocratie, le Parlement doit poursuivre sa mission de contrôle.

Nous menons une forme de guerre. Les quinze jours écoulés ont été difficiles ; la quinzaine qui s'annonce le sera également. Mais la France saura relever ce défi en faisant bloc.

La crise du Covid-19 touche tous les domaines et mobilise l'ensemble des acteurs publics. L'action du ministère des affaires étrangères porte sur l'aide au retour de nos concitoyens, la politique commerciale, le commerce extérieur et le tourisme.

Pour les 130 000 Français en voyage bloqués à l'étranger, l'aide au retour est sans précédent : 124 000 auront ce soir regagné la France, les autres le feront d'ici le 7 avril. Il ne reste plus que sept pays où ils sont plus d'un millier.

Avec Jean-Yves Le Drian, nous travaillons, avec le secrétaire d'Etat chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari et la compagnie Air France : hier, onze vols ont ramené près de 4 000 Français ; aujourd'hui, huit vols atterriront et encore une douzaine demain. Qatar Airways collabore aussi à cette opération.

Celle-ci se déploie sur les cinq continents et implique une logistique très complexe, notamment pour que les Français disséminés rallient les capitales alors que les liaisons intérieures ont été suspendues.

Lorsqu'Air France n'a plus pu maintenir de lignes commerciales, des vols spéciaux à prix modéré ont été ouverts, en obtenant les autorisations nécessaires. Nous avons aussi recouru parfois à des vols militaires, des évacuations sanitaires et des rotations maritimes.

La mobilisation de nos 160 ambassades et de nos 89 consulats généraux est sans précédent, sous l'égide du Centre de crise et de soutien et de la direction des Français à l'étranger.

J'insiste sur la dimension européenne de cette opération, au travers du mécanisme européen de protection civile. Certains Etats ayant quelque peu dévoyé son principe, les vols doivent désormais être constitués pour 50 % de ressortissants de plus d'un Etat membre de l'Union européenne.

Le premier enseignement de cette opération, c'est la valeur d'un réseau diplomatique et consulaire universel. Il faudra s'en souvenir lorsqu'il y aura des choix à faire pour déterminer les moyens à lui consacrer.

Le second enseignement a trait à l'excellent travail interministériel, le troisième à la nécessité pour notre administration de poursuivre sa modernisation numérique et de développer des outils adaptés.

Nous sommes attentifs aux difficultés des 45 000 jeunes détenteurs d'un permis vacances-travail au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, dont ceux qui ont perdu leur emploi et demandent à rentrer.

Enfin, les 3,5 millions de Français résidant à l'étranger doivent, comme nous, respecter les consignes sanitaires, restreindre leurs déplacements et leurs contacts sociaux.

Nous suivons le développement de l'épidémie dans le monde et l'évolution des conditions sanitaires, en particulier en Afrique.

La crise aura des conséquences économiques majeures et entraînera une forte récession. Selon l'INSEE, les mesures de confinement feront reculer le PIB de 3% chaque mois. L'OCDE envisage pour 2020 une récession de l'ordre de 2%. Elle avait été de 1 % en 2009, ce qui avait entraîné une chute de 12% du commerce mondial.

Les chaînes d'approvisionnement, y compris de biens essentiels et stratégiques, seront mises à rude épreuve. Cela nous poussera à nous interroger sur la diversification de nos chaînes de valeurs pour atténuer notre vulnérabilité et renforcer notre indépendance. C'était le sens, hier, de l'intervention du Président de la République.

Tout en se gardant de réflexes protectionnistes, l'Europe doit assurer sa souveraineté sanitaire et économique. Les flux internationaux de marchandises et de matériel de lutte contre la pandémie doivent perdurer, si nécessaire par des ponts aériens.

Les ministres du commerce du G20, réunis lundi, sont convenus que les restrictions aux importations pour des raisons sanitaires devaient rester ciblées, proportionnées, transparentes, temporaires et conformes aux règles de l'OMC. La référence à celle-ci constitue une victoire, compte tenu des positions prises par les Etats-Unis à son égard au cours des derniers mois.

En matière de commerce extérieur, la situation de la France était en voie d'amélioration avant l'apparition de la crise sanitaire. Les effets de celle-ci sont encore inconnus. Son impact est difficile à déterminer puisque l'on peut penser que la baisse de nos exportations sera compensée par une baisse de nos importations.

Nous avons lancé un plan de soutien pour aider les entreprises à conserver leurs débouchés à l'export. Le "bulletin météo" des plateformes régionales de Team France Export concernant l'état de l'économie mondiale permettra d'orienter leur action. Business France organise par ailleurs une série de webinaires.

Nous avons consolidé le soutien à l'export en allongeant d'un an la durée de l'assurance prospection, en renforçant l'assurance-crédit à court terme et en couvrant plus largement les besoins de financement des exportateurs. L'enjeu est de les aider à traverser cette période difficile et à préparer la reprise.

Le tourisme est un secteur stratégique : la filière génère pas moins de 7 % de notre PIB et soutient 2 millions d'emplois directs ou indirects. Elle est très durement frappée par la crise : si tout s'arrête durant un trimestre, la perte sera de 40 milliards d'euros !

Les entreprises du tourisme peuvent bénéficier des mesures exceptionnelles comme le report des échéances fiscales et sociales, le dispositif de garantie des prêts, l'activité partielle et le fonds de solidarité pour les indépendants et les petites entreprises.

Je réunis régulièrement le comité de filière tourisme pour expliquer ces mesures et le cas échéant les adapter aux spécificités de la filière. Nous avons ainsi fait évoluer les conditions de remboursement des voyages et des séjours : afin de protéger aussi bien les consommateurs que les entreprises, un avoir, valable dix-huit mois, sera proposé aux clients.

La reprise des échanges ouvrira une période d'intense concurrence, avec de vives tensions sur les prix et un changement probable de comportement des touristes, qui partiront moins loin et auront plus d'exigences de sécurité sanitaire.

(Interventions des parlementaires)

S'agissant du tourisme, la contribution des assurances à hauteur de 200 millions d'euros au fonds de solidarité n'épuise pas le sujet. Les bailleurs publics vont prendre des dispositions plus favorables pour les loyers ; les bailleurs privés discuteront de gré à gré avec certains acteurs du tourisme. Nous pourrions réfléchir à la création d'un médiateur des loyers.

Les prêts garantis par l'Etat se déploient depuis quelques jours, en particulier à destination du tourisme. Le prêt tourisme de la BPI a été abondé de 50 millions par la Caisse des dépôts et consignations. Le dispositif des avoirs met les organisateurs de vacances scolaires en bonne position juridique pour négocier avec les établissements, que le ministère de l'éducation nationale a incité à rembourser les familles. Enfin, auto et micro-entrepreneurs sont bien concernés par le fonds de solidarité.

80 % des établissements de notre réseau d'Alliances françaises et d'Instituts sont fermés et une dizaine de ces derniers ont du mal à payer leurs salariés. Les petites Alliances risquent de ne pas survivre à la crise. La direction de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau, le ministère et le groupe de contact doivent travailler ensemble, dans un cadre global.

Nous suivons la situation du Zaandam, qui a passé le canal de Panama, grâce aux démarches de Jean-Yves Le Drian. Cent Français sont sur le Zaandam et le Rotterdam, qui a recueilli les passagers sains. Nous poursuivons notre action diplomatique, afin que les Etats-Unis accueillent les paquebots, fassent débarquer les passagers ne présentant pas de symptômes et prennent en charge les malades. Deux autres paquebots, avec 1 100 Français à bord, nous mobilisent. Ils vont faire route vers le canal de Suez et la Méditerranée. La cellule interministérielle examine les dispositions à prendre. Nous avons déjà fait débarquer des passagers à Marseille, dans des conditions sanitaires très strictes, et organisé le retour en charter des passagers étrangers.

Le modèle commercial doit évoluer : le monde d'après ne pourra pas être le monde d'avant. Cela fait deux ans et demi que la France se bat pour passer du libre au juste échange et mettre les objectifs de développement durable au centre de la politique commerciale. Les efforts ont commencé à porter leurs fruits : la Commission nous soutient à présent dans notre combat pour que l'engagement à respecter l'Accord de Paris devienne une clause essentielle dans les accords de commerce. Il faudra aussi prendre en compte les biens publics mondiaux.

L'accord entre l'Union européenne et le Vietnam a conduit ce pays à ratifier plusieurs conventions de l'Organisation internationale du travail, tirant ses normes sociales vers le haut.

Les crises géopolitiques ne sont pas en quarantaine, on le voit en Libye ou au Mali. Nous devons rester vigilants.

L'Union européenne est-elle à la hauteur des enjeux ? La solidarité s'est tout de même manifestée : l'Allemagne et le Luxembourg ont mis 132 lits à notre disposition ; la France et l'Allemagne ont donné plus de masques à l'Italie que la Chine ; bien que l'Union ne jouisse pas de la compétence sanitaire - il faudra y réfléchir - le Conseil a lancé des appels d'offres européens conjoints pour du matériel médical ; le mécanisme européen de protection civile a été enclenché.

Des actions bilatérales de l'Agence française de développement et des dépenses des fonds multilatéraux verticaux sont réorientées vers l'aide sanitaire à l'Afrique. La France, l'Union européenne et le G20 préparent aussi des réponses.

Il n'y a pas de raison que la crise fasse évoluer notre politique de visas.

La solidarité du secteur Hôtels Cafés Restaurants est à souligner. Grâce à des conventions, plusieurs milliers de chambres ont été mises à la disposition des soignants. Des travaux seront lancés pour la création d'un état de catastrophe sanitaire, mais cela ne vaudra que pour l'avenir.

S'agissant du faible retour d'expérience de la Chine, nous disposons des éléments fournis par les autorités, parfois confirmés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Je ne me prononcerai pas sur l'activité de l'ambassade de Chine sur les réseaux sociaux. Ce qu'il faut souligner, c'est le partenariat, visible dans le pont aérien. En janvier, nous avions expédié du matériel à la Chine, elle répond présente à son tour.

Les acomptes versés aux organisateurs de voyages permettront, sous la forme d'avoirs, d'acheter un voyage ultérieur.

Nos postes diplomatiques appliquent un plan de continuité renforcé, essentiellement en télétravail. Les personnels sur le terrain ont été dotés de protections.

À propos du doute qui pourrait tenailler les peuples européens, nous sommes à un moment clé. Il faudra en tirer les leçons et passer d'une union institutionnelle à une union des Européens, de sorte que chacun se sente appartenir à l'Europe.

Nous travaillons avec l'Agence française de développement pour réorienter l'aide publique au développement afin d'aider nos frères africains à prévenir et traiter l'épidémie. Un plan prendra prochainement forme.

Le risque de restrictions commerciales est bien réel. Union européenne et G20 doivent se coordonner pour que les flux continuent à circuler et éviter que de nouvelles barrières ne pèsent sur la reprise.

La question de M'jid El Guerrab me permet de remercier nos conseillers consulaires, très actifs, notamment en Italie, et très dévoués à nos communautés.

Le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est singulièrement touché par la fermeture de ses écoles. La continuité du service pédagogique est assurée en ligne et nous renforçons les bourses. Le directeur de l'AEFE dresse chaque jeudi un état des lieux très précis avec les parlementaires représentant les Français de l'étranger. Nous devrons réfléchir à la relance de notre réseau. Il est important de continuer à s'acquitter des frais de scolarité : un seul trimestre non assumé le priverait de 800 millions d'euros. Je souscris à l'idée d'aider les familles qui en auraient besoin et de préparer la sortie de crise.

Hier, lors du G20 Finances, la France a défendu le principe d'un moratoire sur la dette des pays les moins avancés. Nous comptons sur le G20 pour proposer un paquet Afrique significatif.

L'Union européenne est au rendez-vous avec plusieurs dispositifs : 37 milliards ont été mis sur la table. Des fonds structurels ont été fléchés vers les systèmes de santé, les PME et les secteurs économiques vulnérables. En matière de solidarité financière, la France croit à l'utilité d'un instrument de dette, émis par une institution européenne, au profit de tous les Etats membres. Le débat se poursuit.

Concernant les espèces protégées, la réunion prévue en juin, en France, du Congrès mondial de la nature sera sans doute différée. Nous ne renoncerons pas pour autant à nos objectifs ambitieux.

Je me félicite qu'Instex ait pu être utilisé pour la première fois en Iran, à l'occasion d'une transaction de matériel de santé. Je me réjouis de la libération de Roland Marchal. Nous continuons nos appels à libérer Fariba Adelkhah.

Au Sahel, nous restons à l'initiative. La Task Force Takouba a été constituée hier.

Les filiales à l'étranger des groupes français pourront bénéficier des aides, via leur société mère. Les sociétés de droit étranger ne pourront pas bénéficier d'aides directes.

En matière de données de santé, nous devons affirmer la souveraineté européenne. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) nous offre un cadre de protection unifié. À côté de la vision asiatique, parfois dirigiste, et de celle, très libérale, des Etats-Unis, la vision humaniste européenne prend en compte des enjeux éthiques, particulièrement importants en matière de santé.

Le quai d'Orsay alloue à l'Institut Pasteur de Paris 2 millions d'euros, que celui-ci répartit en fonction de ses priorités au sein de son réseau international. Notre ministère prend en charge cinq postes de directeurs à l'étranger, ainsi qu'un poste de chercheur, à Wuhan. La crise rappelle l'importance du travail de ces laboratoires. Les Instituts sont très mobilisés, notamment en Afrique, pour la prévention et le traitement de l'épidémie.

Les fonds structurels dédiés aux PME seront utilisés pour le soutien de l'Union européenne au tourisme. Il y a peu de contacts entre les différents ministres du tourisme, cette compétence étant essentiellement nationale. Le tourisme de proximité sera moteur en sortie de crise, aussi devrons-nous travailler sur nos clientèles respectives - italienne, espagnole, allemande et belge, pour la France.

Alors qu'aux termes du droit européen les compagnies aériennes sont tenues de rembourser les billets, certaines ont émis des avoirs. Je me félicite qu'Air France ait trouvé des accommodements avec les voyagistes français. Un équilibre est indispensable : si un seul maillon lâche, c'est l'ensemble qui risque de lâcher. Les entreprises du voyage ont saisi à ce sujet Alexandre de Juniac, président de l'Association internationale du transport aérien.

Une nouvelle souveraineté économique et stratégique européenne était nécessaire dès avant l'épidémie. Le lancement d'une filière de batteries, partagée entre la France et l'Allemagne, était le signe de cette intuition de réduction de notre dépendance en éléments critiques.

L'export peut demeurer un moteur pour nos entreprises, d'autant qu'une partie du monde commence à sortir de l'épidémie. La Team France Export fait preuve d'une réactivité précieuse.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 2020