Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Info le 16 mars 2020, sur le maintien des examens au mois de juin et la possibilité d'autres "scénarios" en cas d'aggravation de l'épidémie.

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Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE

Bonjour Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Après l'Oise, après le Haut-Rhin, c'est la Corse à son tour donc qui ferme toutes ses écoles pour freiner l'avancée du coronavirus. On a parfois du mal à y voir clair dans les consignes qui sont données aux parents, aux élèves, et aux personnels de l'Education nationale. Quelle est la règle pour décider qu'on ferme un établissement scolaire, par exemple ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
La règle, elle est évidemment définie par les autorités de santé, et de manière à la fois proportionnée et pratique, c'est-à-dire en regardant ce qui se passe concrètement, et à partir d'un certain seuil en général, les Autorités de santé décident qu'un territoire correspond à une nécessité de fermeture. C'est comme ça qu'on a commencé avec l'Oise, qu'on a ensuite élargi à tout le département de l'Oise ultérieurement, le Morbihan. Aujourd'hui on regarde Ille-et-Vilaine d'ailleurs, plus particulièrement, il y a le Haut-Rhin vous le savez, qui a été fermé entièrement, aujourd'hui la Corse, et puis aussi une partie de l'agglomération de Montpellier, de même qu'une partie de la Haute-Savoie et c'est encore une fois à partir d'une analyse concrète du taux de contamination que les Autorités de santé nous proposent des fermetures.  

MARC FAUVELLE
Donc ça reste du cas par cas, parfois on ferme une classe, parfois une école, parfois tout un groupe scolaire, et parfois un département tout entier.  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Voilà, c'est ciblé et proportionné, en fonction de la contamination, de manière à stopper le progrès du virus. Vous savez, le virus, il y a ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Le virus il est là, c'est un phénomène naturel et bien entendu nous savons bien qu'il se répand, la question c'est notre capacité à le freiner, et à le freiner de manière appropriée, et à ne pas paralyser le pays non plus, parce que paralyser le pays pourrait être contre-productif pour soigner les malades. Donc c'est cette articulation à laquelle nous procédons.

MARC FAUVELLE
Tout ça se fait donc au jour le jour, Jean-Michel BLANQUER, on en est à quatre départements qui ont fermé l'ensemble des établissements scolaires. Est-ce qu'il est envisageable, envisagé, possible dans les jours qui viennent, que cette liste s'allonge encore ou qu'on ferme toutes les écoles de France ?
 
JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, la liste va nécessairement s'allonger, c'est évident, ça concerne plus de 400 000 élèves au moment où je vous parle, on est à 420 000. Il faut rappeler qu'il y a 12 millions d'élèves en France, et donc il y aura certainement d'autres territoires qui sont concernés. Nous n'avons jamais envisagé la fermeture totale, parce qu'elle nous semble contre-productive. Quand vous fermez les écoles de tout un pays ça signifie que vous paralysez en bonne partie ce pays, et notamment, prenez les enfants de soignants, de médecins par exemple, déjà quand nous fermons ça pose des problèmes à des infirmières, à des médecins, à toutes sortes de personnels de l'hôpital, et donc c'est évidemment quelque chose qui doit être regardé avec beaucoup de finesse, pour ne pas être contre-productif.

MARC FAUVELLE
C'est inenvisageable la fermeture généralisée, comme l'ont fait certains pays, la Corée du Sud, l'Italie, pour l'instant ce n'est pas dans les plans, même si on passe au stade 3 ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui. Ce n'est pas notre modèle, et d'ailleurs on me cite souvent l'Italie, mais en réalité la très grande majorité des pays européens font ce que nous... sont dans une stratégie comparable à la nôtre. Aujourd'hui d'ailleurs j'aurai une visioconférence avec l'ensemble des ministres de l'Union européenne, de l'Education, pour bien articuler nos stratégies, mais pour l'instant c'est vraiment une stratégie du ciblage, parce que c'est cette stratégie qui permet d'éviter d'avoir trop tôt un grand pic du virus, mais plutôt d'étaler, c'est celle-là qui nous permet d'étaler les choses, et donc d'avoir aussi un étalement du bon soin porté à chacun.  

MARC FAUVELLE
Si j'apprends, Jean-Michel BLANQUER, que la classe de mon fils ou de ma fille est fermée, demain, qu'il faut donc le ou la garder à la maison, je fais quoi ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Eh bien vous allez être joint par le chef d'établissement, directeur d'école ou le principal ou le proviseur, pour vous proposer le système d'enseignement à distance que nous avons mis sur pied avec le CNED, parfois nous le faisons aussi au travers de nos environnements numériques de travail, et cela... D'ailleurs c'est l'occasion vraiment de rendre un hommage à nos professeurs qui sont déjà impliqués dans la gestion de cette crise, puisqu'on a déjà des premiers retours d'expériences, je pense à l'Oise, au Haut-Rhin ou à la Bretagne.

MARC FAUVELLE
Le système tient le coup ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Le système tient le coup...

MARC FAUVELLE
Il est prévu pour combien de...

JEAN-MICHEL BLANQUER  
A ce stade, nous l'avons prévu pour 7 millions d'élèves, mais nous sommes capables de monter en puissance si nécessaire, mais en tout cas nous avons, dès le début de la crise, bon d'abord nous avions préparé ce système depuis un certain temps, et puis nous l'avons ajusté au moment du début de la crise, dès le moment où elle s'est déclarée en Chine, parce que nous avions besoin de suivre des élèves français en Chine. Et puis nous l'avons préparé pour monter en puissance, je serai d'ailleurs à Poitiers aujourd'hui, au CNED, pour être avec les personnels et voir ce qu'il en est. Mais ce que je voudrais dire, c'est qu'on voit aujourd'hui comment nos professeurs sont absolument remarquables. Vous savez, on souligne toujours les problèmes de l'Education nationale, mais en réalité quand il y a des crises comme ça, vous voyez tout le monde capable de beaucoup de civisme, et en ce moment, de même qu'on peut se féliciter d'avoir les médecins et les personnels soignants que nous avons, on peut se féliciter d'avoir les professeurs que l'on a, qui sont en train de contacter personnellement leurs élèves, de faire des classes virtuelles au travers de ce système qu'on appelle « Ma classe à la maison », et donc ce travail-là il est en train de s'accomplir et il montre une un bel esprit de service public.

MARC FAUVELLE
Pour les parents qui travaillent, Jean-Michel BLANQUER, et qui doivent donc garder un enfant à la maison, il y a un mot d'excuse à fournir à l'employeur. Qui le fournit ? C'est l'Education nationale ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
L'Education nationale peut évidemment donner toutes les attestations nécessaires dans...

MARC FAUVELLE
Donc dans ce cas-là on se tourne vers l'école de ses enfants ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Bien sûr, quand il y a fermeture...

MARC FAUVELLE
Il y a un formulaire tout prêt dans ces cas-là ? Comment ça se passe ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui, et puis c'est une fermeture administrative, donc on peut aussi l'invoquer en tant que telle, elle est constatable par tout le monde, on peut aussi télécharger les actes administratifs qui font ces fermetures, et ça...

MARC FAUVELLE
Et dans ce cas-là, l'employeur évidemment ne peut pas sanctionner le père ou la mère qui reste à la maison.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Bien sûr, dès le début le gouvernement a mis en place les mesures qui permettent de faire qu'il n'y ait pas de pertes financières pour ceux qui sont obligés de rester à la maison, pas de jour de carence non plus, nous sommes évidemment conscients que dans un moment comme ça c'est la bienveillance de tous vers tous, qui doit prévaloir.

MARC FAUVELLE
On sait que les dernières épreuves du bac anticipées de français que vous avez mis en place, Jean-Michel BLANQUER, ont été perturbées dans certains lycées, les prochaines épreuves doivent débuter pour les 1ère dans un peu plus d'un mois. Est-ce qu'elles auront lieu partout, ou là encore est-ce qu'on peut envisager au cas par cas de les reporter ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Nous ne sommes pas là dans l'hypothèse du report, même si on travaille sur tous les scénarios. Ce qui est important c'est qu'hier on a tenu ce qu'on appelle le Comité de suivi du baccalauréat, et vous savez il y avait des discussions, parfois des débats, autour de...

MARC FAUVELLE
Parfois vifs.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Parfois vifs, parfois pas vifs, mais en tout cas il y avait du débat autour des modalités de ce contrôle continu.

MARC FAUVELLE
Plusieurs syndicats vous demandent de revoir votre copie, en expliquant que ces épreuves seraient, soit trop stressantes, soit qu'elles pousseraient certains à bachoter toute l'année plutôt qu'à à se plonger dans le fond des programmes. Est-ce que vous allez les modifier, ces E3C ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Comme promis, ce Comité de suivi permet d'ajuster les choses, c'est exactement ce que nous sommes en train de faire, donc aujourd'hui même j'écris à l'ensemble des acteurs concernés, à la suite des réunions que nous avons eues, et notamment d'une réunion d'hier avec les organisations syndicales, l'évolution de ces E3C. Il faut d'abord souligner que les E3C ont été passé presque partout, il ne reste que quelques milliers de copies, à peine une dizaine de milliers de copies, sur 1,7 million, elles sont presque toutes corrigées aussi. Elles vont être disponibles sur Internet pour les élèves, après les Commissions d'harmonisation, donc tout le monde va pouvoir regarder sa note. C'est un progrès extrêmement intéressant. On a aussi beaucoup de retours positifs de ce qui s'est passé, mais on a aussi des critiques et on les prend en compte pour faire évoluer le système.

MARC FAUVELLE  
Qu'est-ce qui va changer ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, ce qui change c'est déjà la banque de sujets sera publique, elle sera tout un chacun pourra avoir les sujets qui peuvent tomber. Comme il y en a des dizaines, ça n'est pas un problème, d'ailleurs ça résout le sujet des fuites et autres. Ce qui est important, vous savez, ce n'est pas piéger les élèves, c'est que les élèves puissent se préparer et donc qu'ils puissent un peu, comme il y avait les annales autrefois, travailler en fait sur des annales, mais qui peuvent tomber. Donc l'objectif, et vous le savez, avec le contrôle continu, c'est que les élèves travaillent en continu et donc c'est évidemment un des points majeurs. On va aussi assouplir le calendrier.

MARC FAUVELLE
C'est-à-dire ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
La deuxième session commence en avril, comme prévu, mais elle pourra s'étendre jusqu'au mois de juin, ce qui permet à chaque établissement de le faire de façon très souple. Et puis on va aussi créer des modalités de passation de plus en plus simples, ça doit être intégré dans l'emploi du temps des élèves, on n'est pas obligé d'avoir des convocations comme pour une épreuve du baccalauréat. Tout ça est fait  dans l'esprit initial d'ailleurs, pour que tout ceci se passe de manière naturelle dans le cadre de la vie de l'établissement.

MARC FAUVELLE
Est-ce qu'il faudra continuer à numériser les copies, ce dont certains enseignants se plaignaient, en disant : ça prend beaucoup de temps ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Je pense que là on s'est bien rodé sur cette question, mais c'est une innovation extrêmement intéressante, parce que la numérisation des copies, d'abord c'est très pratique pour...

MARC FAUVELLE
Donc on continue.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui on continue, parce que c'est un gain pour les élèves parce qu'ils peuvent voir leurs copies sur écran, ça n'est jamais arrivé, on est d'ailleurs je pense que le premier pays au monde à faire ça, c'est-à-dire numériser autant de copies et faire en sorte qu'un élève et sa famille puissent voir la correction dans des délais très courts, et ainsi progresser grâce à la correction.

MARC FAUVELLE
Donc on modifie, mais le principe même de ce nouveau bac reste en place, il n'est pas question de passer par exemple au contrôle continu complet comme le demandent certains.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Certains le demandent et je continue à les écouter et ce ne serait pas... on peut toujours imaginer des évolutions pour l'an prochain, mais là les évolutions dont je vous parle sont celles qui ont lieu dès maintenant pour ce qui se passe entre avril et juin, et on continue à discuter sur ce qui pourrait se passer l'an prochain. En tout cas le principe du contrôle continu n'est pas en cause, parce qu'il est positif pour les élèves.

MARC FAUVELLE
Un tout dernier mot Jean-Michel BLANQUER. Vous êtes sûr qu'il y a du savon aujourd'hui dans toutes les écoles de France, pour se laver les mains ?

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, nous y travaillons, c'est une compétence des collectivités locales...

MARC FAUVELLE
Ça veut dire que ce n'est pas le cas encore aujourd'hui, partout ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Il peut y avoir encore quelques trous dans la raquette, mais vraiment nous travaillons, nous l'Education nationale, auprès des collectivités, et avec les préfets aussi, éventuellement pour en ultime recours se substituer à la collectivité, s'il n'y en a pas, mais je crois que les collectivités se sont bien mobilisées pour que ce problème qui pouvait exister en temps normal n'existe plus en temps de crise.

MARC FAUVELLE
Merci Jean-Michel BLANQUER, je vous salue de loin, du coude, comme il se doit.

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Moi aussi, je vous remercie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mars 2020