Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur la gestion des masques entre 2017 et 2020 en France, notamment le non renouvellement des stocks dans la durée, à 'Assemblée nationale le 8 juin 2020.

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  • Olivier Véran - Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Circonstance : Débat sur la gestion des masques entre 2017 et 2020, à l'Assemblée nationale le 8 juin 2020

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur la gestion des masques entre 2017 et 2020.
 

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. La gestion des équipements individuels de protection a suscité – et suscite toujours – de nombreuses questions, ce qui n'est pas illégitime, comme il est légitime que le Gouvernement y réponde. M. le Premier ministre l'a fait dans cet hémicycle et au Sénat, ainsi que dans le cadre de conférences de presse consacrées à l'épidémie. J'ai moi-même répondu à de très nombreuses questions au Gouvernement, à l'Assemblée nationale comme au Sénat ; j'ai participé ici même – également à une heure tardive – à plusieurs débats consacrés à la gestion des stocks de masques.

Toutefois, la situation, ce soir, est un peu différente, à plus d'un titre. Tout d'abord, le thème du débat, centré sur la gestion des stocks de masques de 2017 à 2020, est très précis. Chacun ici sait qu'une commission d'enquête a été installée pour évaluer la gestion de la crise sanitaire. Elle abordera – je n'imagine pas le contraire – la question de la gestion des matériels de protection et celle de la doctrine en matière de masques.

Ensuite, les questions posées ce soir ne sont pas uniquement techniques. Elles portent sur des arbitrages politiques. Je doute que la séance de ce soir soit le lieu adéquat pour commenter des décisions politiques prises avant même ma nomination, dès lors que l'on considère la période allant de 2017 à 2020. Les vérités d'hier ne sont pas celles d'aujourd'hui.

Je puis néanmoins affirmer que les pouvoirs publics ont pris la décision, il y a une dizaine d'années, d'équiper la France de 1 milliard de masques chirurgicaux, et de 600 millions de masques FFP2. J'invite chacun à relire les comptes rendus des débats parlementaires qui se sont tenus à la suite de ces commandes. Il y a peut-être là, pour certains d'entre nous, un apprentissage de l'humilité, qui viendra avec le temps.

Mme Sylvie Tolmont. Pour tout le monde !

M. Olivier Véran, ministre. Quels que soient les processus de décision en raison desquels les stocks n'ont pas été renouvelés dans la durée, il demeure que les stocks de masques sont allés en se réduisant année après année. Lorsque l'épidémie de covid-19 a émergé, le stock d'État s'élevait à environ 120 millions de masques chirurgicaux pour adultes, non périmés, et ne comptait aucun masque FFP2. Tel est l'état des stocks que j'ai trouvés à mon arrivée au ministère.

M. Jean-Louis Bricout. Et la première commande ?

M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement s'est mobilisé dès le mois de janvier dernier pour assurer l'approvisionnement en masques des professionnels de santé. Tous les leviers ont été activés, avec pour objectif prioritaire la protection de notre système de santé et de ses professionnels. Tout a été fait pour assurer les livraisons de masques dans la durée pour les professionnels de santé.

Dans ce cadre, nous soutenons, depuis plusieurs semaines, le tissu industriel national. Le niveau de production a triplé sur notre territoire, pour atteindre une production de 12 millions de masques par semaine. Nous visons l'autonomie avant la fin de l'année, et compléterons d'ici là notre production nationale avec des importations, pour consolider les stocks.

Ainsi, depuis le mois de mars dernier, nous avons réceptionné et distribué plus de 700 millions de masques de protection, destinés aux professionnels de santé. Je ne puis m'exprimer davantage sur la gestion des stocks menée avant ma prise de fonctions, mais je ne doute pas que les travaux et les dialogues menés dans le cadre des diverses commissions d'enquête permettront d'éclairer les modalités de leur gestion au cours des dernières années.

Je voudrais également répondre à quelques-uns des points qui viennent d'être soulevés.

Madame Elimas, merci d'avoir rappelé que nous sommes ici au Parlement et non au tribunal – j'étais moi-même parlementaire il y a peu, et je sais bien que je ne suis ni devant des avocats ni devant des procureurs, mais bien devant des représentants de la nation. Que la commission d'enquête fasse la lumière sur ce sujet, je l'espère comme vous.

Je note au passage que, depuis hier, on voit poindre dans la presse un début d'accusation d'avoir commandé trop de masques – j'avais moi-même évoqué ce futur procès ici même, il y a un mois, par provocation.

Mme Sylvie Tolmont et M. Jean-Louis Bricout. Trop tard !

M. Olivier Véran, ministre. Lisez certains articles, lisez certains commentaires…

M. Becht, vous avez raison : pour protéger toute la population avec des masques pendant une semaine, il faudrait l'équivalent du stock national dont nous disposions, c'est-à-dire plus de 1 milliard de masques. Or nous fournissons des masques depuis plusieurs mois… Si la nation souhaite, demain, disposer en permanence d'un stock de masques suffisant pour protéger toute la population pendant une épidémie de trois mois, alors il va falloir en fabriquer, des masques ! Il en faudrait sans doute quelque chose comme 15 à 20 milliards. Cela peut être le choix de la nation, bien sûr.

M. Naegelen demandait tout à l'heure que les parlementaires soient associés aux travaux de reconstruction du système de sécurité sanitaire. Ce sera évidemment le cas ; nous devrons tous nous y mettre, et nous devrons déterminer quels seront les choix de la nation. Dans une épidémie de coronavirus, on parle beaucoup de masques, mais si l'on cherche bien et que l'on veut se prémunir de tous les risques sanitaires, alors il va falloir prévoir bien d'autres matériaux – des milliards de paires de gants, par exemple. Cela nécessite un large débat, auquel il est normal que les parlementaires soient associés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Monsieur Thierry Michels, vous avez salué l'action du Gouvernement : même venant d'un député de la majorité, cela fait du bien. (Sourires.) Merci aussi d'avoir souligné que bien des questions sont encore devant nous, notamment la détermination d'une stratégie européenne. Nous devons, c'est vrai, être capables de prévoir l'imprévisible : c'est un défi que nous devons relever collectivement, sans polémique, de façon assez neutre. Le masque n'est ni de droite ni de gauche, ni même en marche : c'est un outil de protection de la population.

Monsieur Becht, nous sommes en train de reconstituer les stocks. Avant de considérer que nous avons suffisamment de masques, ou trop, ou pas assez, nous devons fixer un niveau cible qui nous permettra une protection de la population suffisante, et dans la durée. La politique de réindustrialisation est en cours ; la montée en charge se poursuit. J'ai moi-même rencontré, la semaine dernière, des industriels qui se sont recyclés en fabricants de masques de protection : c'est une belle aventure collective. Il faut maintenant savoir jusqu'où nous allons, et comment nous accompagnons nos entreprises.

J'entends les remarques de M. Molac sur le chaos de la communication et l'absence de consensus dans la communauté scientifique. En revanche, je dois vous dire une chose : lors des auditions de la commission d'enquête, contrairement à vous, à Mme Wonner, à Mme Corneloup, je prêterai serment.

M. Maxime Minot. Parlez-en à Benalla !

M. Olivier Véran, ministre. Ce que je dirai m'engagera sur le plan pénal, et je me garderai donc bien de produire des contre-vérités et de les asséner comme des vérités. Nous ne sommes pas sur Twitter, monsieur Molac, mais dans l'hémicycle : quand vous affirmez sans sourciller que la première commande bretonne de masques a lieu le 6 mars, donc avant celle de l'État, pouvez-vous l'attester ? Le répéteriez-vous sous serment ?

M. Paul Molac. J'ai parlé de la mi-mars.

M. Olivier Véran, ministre. J'ai signé le décret de réquisition le 4 mars. Croyez-moi, avant d'en arriver là, des masques, nous en avions commandé… Soyons attentifs à ce que nous disons.

Madame Wonner, quand vous dites que le directeur général de l'ARS Grand Est a été limogé pour avoir commandé 5 millions de masques, croyez-vous vraiment ce que vous dites ? Parlez-en à vos collègues de la région, parlez-en aux élus ! Si vous le pensez, venez donc le dire sous serment la semaine prochaine en commission d'enquête. Ce sera extrêmement intéressant. Encore une fois, je prêterai serment, et mes propos m'engageront : j'en suis très fier. Mais vous êtes parlementaires. Or vous assénez des contre-vérités dans l'hémicycle, et cela me paraît grave, je me permets de vous le dire.

Madame Corneloup, vous dites que nous avons caché la vérité sur les stocks de masques. Lors de la première conférence de presse que je fais sur ce sujet, je donne le chiffre que je vous redonne ce soir, et que je donnerai à nouveau la semaine prochaine en commission d'enquête : 117 millions. Je n'ai jamais caché la vérité sur les stocks !

Mme Sylvie Tolmont. Il n'y a pas eu de problème, tout s'est bien passé, c'est parfait…

M. Olivier Véran, ministre. Il y a sûrement mille choses à me reprocher, et je suis sûrement moins exempt de critiques que qui que ce soit, mais on ne peut vraiment pas prétendre que j'aie voulu cacher la vérité ! La transparence a été une valeur cardinale, même lorsque cela nous mettait en difficulté – je continuerai à le dire sous serment la semaine prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme Sylvie Tolmont. Il réécrit l'histoire !

M. Olivier Véran, ministre. De la même manière, monsieur Molac, parfois, un masque est détruit parce qu'il n'est pas utilisable par les soignants. Je l'ai appris depuis que je suis ministre, car je ne le savais pas plus que vous : il y a deux critères pour décider si un masque est utilisable par des soignants, d'une part la capacité de filtration et d'autre part la respirabilité. Si la capacité de filtration est inférieure à un certain pourcentage, on ne peut pas donner ces masques aux soignants ; et si j'avais donné des masques insuffisamment filtrants à des soignants dans les hôpitaux, alors pour le coup la commission d'enquête aurait de sérieuses questions à me poser !

M. Paul Molac. Des questions, il y en aura de toute façon !

M. Maxime Minot. Et les sacs-poubelle ?

M. Olivier Véran, ministre. Ce n'est pas moi qui ai déterminé que ces masques étaient hors d'usage ; ils ont été analysés, deux ans avant que je ne devienne ministre, et ils ont reçu des bons de destruction parce que leurs capacités de filtration et leur respirabilité n'étaient plus conformes à un usage sanitaire. En revanche, lorsque nous avons défini une norme AFNOR de masques destinés au grand public, avec des critères de filtration et de respirabilité moins sévères que ceux exigibles pour les soignants, alors nous avons pu récupérer une partie des masques pour les distribuer. Les autres, je le redis, seront détruits.

Monsieur Lachaud, je suis déjà revenu sur les propos prêtés au Président de la République, qui ont été coupés. Ce qu'il a dit, c'est que nous ne sommes jamais descendus à zéro : nous avons toujours pu distribuer des masques. Personne ne dit qu'ils étaient en nombre suffisant – moi le premier ! Si nous distribuons 100 millions de masques par semaine alors qu'à une époque, nous en distribuions 30 ou 40 millions, c'est bien que nous n'en avions pas suffisamment alors. Mais, je le redis, nous ne sommes jamais tombés à zéro.

Il peut être intéressant, sur ce sujet, de nous comparer aux pays qui nous entourent, qu'une commission ait un regard indépendant sur la gestion de crise dans différents pays. Allez regarder ce qui s'est passé en Allemagne, un pays souvent cité en exemple, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, aux États-Unis… La comparaison n'est jamais inintéressante. Parfois, lorsqu'on se compare, on se console ; parfois, on peut aussi se dire que l'on a un intérêt collectif à se préparer – à l'échelle planétaire, pourquoi pas, mais à tout le moins à l'échelle européenne. Ainsi, si une crise similaire survenait, nous ne connaîtrions pas les difficultés que nous avons connues – et que tous les pays ont connues.

Une anecdote : lors d'une réunion des ministres de la santé à Bruxelles, au moment où l'épidémie ne fait que démarrer, quatre ou cinq seulement d'entre nous considèrent qu'elle va vraiment frapper l'Europe. Croisant un ministre de la santé d'un autre État membre, je lui demande s'il est en difficulté pour les masques : « Jusque-là, nous sommes tranquilles, nous en avons 5 millions en stock », m'a-t-il répondu !

Nous devons prendre des décisions pour préparer d'autres pandémies. Je crois profondément en l'Europe, et je crois profondément que l'échelle européenne n'est pas la pire pour concevoir cette protection.

S'agissant des évolutions de doctrine de port du masque, je l'ai déjà dit, chacun lit la presse et peut le constater : à partir du 1er avril, les recommandations évoluent, et l'on commence à dire que le masque peut être utile en population générale. Nous pourrons en reparler très tranquillement en commission d'enquête. Savez-vous quand l'Organisation mondiale de la santé a recommandé le port du masque en population générale dans certains cas, comme les transports collectifs ou les milieux professionnels fermés ? Ce n'était pas il y a très longtemps : c'était il y a trois jours.

Les doctrines scientifiques, les doctrines des États, les doctrines internationales évoluent, les unes après les autres. Nous vous dresserons la liste de ces évolutions pour la commission d'enquête, afin que vous ayez une vision d'ensemble des recommandations de chaque institut, de chaque structure, au jour le jour. On peut bien sûr juger les décisions d'hier avec le regard d'aujourd'hui, et estimer qu'elles n'étaient pas bonnes ; mais au moment où elles sont prises, elles sont corroborées par suffisamment d'arguments scientifiques pour que l'on se dise que ce n'était pas les pires des décisions possibles. Avec le recul, ferions-nous autrement ? Je ne sais pas. C'est aussi l'objet de la commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)


M. le président. Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Pendant la crise du covid-19, notre pays a fait face à une pénurie de masques, cela a été rappelé. Après les controverses qui ont eu lieu, il me semble important de connaître la vérité sur la gestion des stocks ; les éléments que vous pourrez nous apporter nous permettront d'engager une discussion sur les enseignements à tirer, afin de ne pas retomber dans les graves errements que nous avons connus.

Cette pénurie a eu des conséquences directes sur la santé des Français, notamment sur celle des personnels qui ont été mobilisés durant cette crise. Il faut maintenant penser aux adaptations qui devront préparer un éventuel retour de l'épidémie, mais aussi de futures crises sanitaires qui pourraient être plus graves encore – ainsi, les scientifiques le disent depuis longtemps, la fonte du permafrost pourrait libérer des virus particulièrement destructeurs.

Nous devrons donc disposer de stocks très importants pour faire face à des épidémies, mais aussi être capables de les distribuer à vaste échelle, et gratuitement, notamment aux professionnels en première ligne, aux populations les plus fragiles et à nos concitoyens sur lesquels pèsent des contraintes économiques. Au-delà de la disponibilité, il est donc essentiel de s'intéresser aux conditions de stockage et de distribution.

Des modifications sont-elles prévues en ce domaine pour tirer les leçons de la crise ? Les stocks sont-ils correctement répartis sur l'ensemble du territoire, ou faut-il prévoir des évolutions pour nous assurer que l'ensemble de la population puisse disposer rapidement des masques nécessaires ? S'agissant des commandes et des distributions, comment arbitrer entre acteurs publics et privés ? Faut-il laisser aux entreprises la charge de prévoir les moyens de protéger leurs salariés, ce qui poserait la question du stockage ? Des enseignements doivent-ils être tirés quant à la distribution des masques ? L'organisation des chaînes de distribution, les moyens humains et techniques sont-ils suffisants pour faire face à une crise majeure ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Nous devons, je l'ai dit, établir une stratégie sur la question des masques, à moyen et à long termes. Nous devons assurer une rotation : ce qui s'est passé avec ces fameuses commandes du début des années 2000, c'est que ces masques n'avaient pas de date de péremption. Il était donc difficile de savoir s'ils étaient encore conformes aux normes et utilisables – je me suis penché sur la question : techniquement, ce n'est pas simple. Aujourd'hui, les masques ont des dates de péremption ; cela permettra d'assurer une rotation des stocks, afin de garantir un niveau donné. C'est complexe, d'un point de vue logistique, mais nous allons le faire.

Reste à savoir quel est le bon niveau. Si nous voulons protéger toute la population pendant trois mois en cas de pandémie, il faut prévoir 20 milliards de masques : cela voudrait dire construire vingt énormes entrepôts et assurer une rotation permanente… Peut-être est-ce le choix de la nation ! Peut-être choisirons-nous plutôt d'avoir un stock de 1, 2 ou 3 milliards de masques, et de compter pour le reste sur des commandes.

Ce qui s'est passé, dans cette épidémie, c'est qu'elle a commencé par toucher Wuhan, qui est hélas aussi la zone mondiale de fabrication de masques.

M. Maxime Minot. Relocalisons !

M. Olivier Véran, ministre. Toutes les usines de production étaient à l'arrêt quand le monde entier cherchait des masques… Cela a accentué les difficultés. Lorsque les usines sont reparties, la production est arrivée massivement : nous avons fait des ponts aériens et attrapé des masques. On peut gérer des crises, mais si nous voulons être autonomes, ne pas dépendre d'un pays étranger, surtout lointain, pour nous protéger en cas de risques épidémiques, alors il faut agir.

Mais il ne faut pas penser aux seuls masques. C'est une réflexion qui n'est pas inintéressante, et qui ne nous occupera pas trois semaines : il faudra dresser une liste exhaustive des protections nécessaires. Imaginons un virus qui s'attrape par les mains… Je ne blague pas : peut-être devons-nous pouvoir acheter des milliards de paires de gants pour les stocker dans des entrepôts. Ce sera le choix de la nation, il y aura un débat, et vous y participerez, bien sûr.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Pendant de nombreuses années, les gouvernements successifs ont maintenu des stocks très importants de masques. Puis la doctrine de gestion des stocks a été modifiée. Ainsi, au début du précédent quinquennat, il a été décidé que celle-ci était transférée aux hôpitaux et aux entreprises. Les hôpitaux étaient-ils informés des stocks au niveau national afin d'adapter leurs commandes ? Avaient-ils les moyens financiers de leurs ambitions ?

De nombreux professionnels ont été surpris d'apprendre que le stock comptait 150 millions de masques contre plus de 1 milliard il y a seulement huit ans. Si les hôpitaux n'en avaient pas connaissance, comment pouvaient-ils anticiper l'achat de ces outils de protection.

Si cet aspect de la gestion de la crise sanitaire est central, il ne doit pas être utilisé pour mettre des têtes sur des piques. C'est pourquoi je suis particulièrement étonnée de l'intitulé du thème retenu par mes collègues socialistes. Ne serait-ce pas l'ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, qui a opéré un changement de doctrine hasardeux sur la gestion des masques ?

Mme Sylvie Tolmont. Et depuis 2017 ?

Mme Sophie Auconie. Le président Hollande a eu l'humilité de reconnaître sa part de responsabilité dans la situation de l'hôpital.

Mme Sylvie Tolmont. Absolument !

Mme Sophie Auconie. Il est donc surprenant d'entendre l'ancienne ministre de la santé déclarer : « On ne peut pas dire que les stocks n'ont pas été maintenus lorsque j'ai été ministre. » « On peut tout fuir, sauf sa conscience », disait Stefan Zweig.  

Votre ministère avait-il connaissance des lieux de stockage des masques ? Vous avez reconnu qu'un nombre important de masques avaient été détruits depuis 2017, parce qu'ils étaient moisis ou périmés. Comment un masque chirurgical peut-il moisir s'il n'est pas stocké dans de mauvaises conditions ?

M. Maxime Minot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie pour votre question ainsi que pour la jolie citation de Stefan Zweig.

Il ne m'appartient pas de juger de la responsabilité de tel ou tel ministre de la santé.

M. Maxime Minot. Quand même !

M. Olivier Véran, ministre. À une époque, le système est un peu en autogestion ; il repose sur une cellule de pilotage et des entrepôts – la France compte deux gros entrepôts, dont l'un à Marolles, et dix zones de stockage délocalisées.

C'est moins une décision politique de la part d'un ministre ou d'un président que l'organisation de la veille sur les matériels et la capacité de protection qui est en cause. Les moyens suffisants ont-ils été alloués pour garantir la disponibilité de matériels dépourvus de date de péremption ? Cette question me hante tout autant que vous, si ce n'est plus, madame la députée, car j'ai pris mes fonctions dans cet état de fait et j'en paie un prix fort – les Français et les soignants, tous ceux qui ont été privés de matériels pour se protéger dans de bonnes conditions, ont payé un prix plus fort encore.

La lumière doit être faite, en premier lieu pour avancer et savoir comment éviter de nous retrouver dans la situation délicate que nous avons connue.

Pour répondre à Jean-Louis Bricout, les premières commandes de masques auxquelles je peux remonter – je ne peux pas parler au nom de mes prédécesseurs, une commission d'enquête sera bientôt installée – datent du mois de janvier 2020. Le 28 janvier, une commande est passée, qui est considérablement renforcée dans la première semaine de février. À la fin du mois de février, nous avons passé une commande de 200 millions de masques. Il ne m'appartient pas d'en juger, mais je ne suis pas juge et partie, car je n'étais pas ministre à l'époque : toutefois, si vous examinez avec un peu de recul la diffusion du virus, il me semble que la date du 28 janvier était assez précoce.

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Ma question sera simple : qui décide ? Qui décide de la gestion du stock de masques en France ? Qui s'assure que celui-ci est suffisant pour prévenir une catastrophe sanitaire de grande ampleur ?

Depuis 2013 et le rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, la doctrine semble simple. L'État gère les masques chirurgicaux ou anti-projections, nécessaires pour protéger l'ensemble des citoyens en cas de risque sanitaire, tandis qu'il revient à chaque employeur de constituer des stocks de masques FFP2 pour protéger son personnel.

Puisque, en théorie, les rôles semblent bien déterminés, pourquoi avons-nous assisté à un tel chaos au début de cette épidémie ?

Personne n'était préparé à une telle catastrophe sanitaire, j'en conviens. Mais, depuis 2016, après la disparition de l'EPRUS, Santé publique France a bien pour mission de prévenir les risques sanitaires. À ce titre, elle gère, pour le compte de l'État, les stocks des produits nécessaires à la protection des populations face aux menaces sanitaires graves, dont les fameux masques chirurgicaux.

Or, prévenir les risques sanitaires, c'est dépenser pour se doter de matériels de protection que l'on espère n'avoir jamais à utiliser. Monsieur le ministre, qui a décidé qu'entre 2017 et 2020, ces dépenses ne seraient pas effectuées et que les stocks ne seraient donc pas reconstitués ? Le manque d'anticipation de l'État en matière de masques a, hélas, mis en lumière la vision budgétaire de la santé qui prévaut depuis des années en France.

Par ailleurs, en mars, la pénurie de masques a conduit l'État, les collectivités territoriales et les entreprises privées à effectuer de nombreuses commandes dans la précipitation et sans réelle coordination.

Afin de tirer les conséquences des derniers mois, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser la répartition des rôles respectifs de l'État, de Santé publique France, des collectivités territoriales et des entreprises dans la gestion du stock de masques chirurgicaux ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Vous l'avez souligné, Santé publique France, qui a été créée le 1er mai 2016 en fusionnant l'INVS – Institut national de veille sanitaire –, l'INPES – Institut national de prévention et d'éducation pour la santé – et l'EPRUS, est chargée de la gestion du stock de masques et du pilotage, en collaboration avec la direction générale de la santé.

Il est vrai qu'une structure spécifique était auparavant consacrée à la gestion de crise sanitaire. Peut-être la nécessité de disposer à nouveau d'une structure ad hoc ressortira-t-elle de nos débats.

Je l'ai déjà dit, je ne me prononcerai pas plus avant sur la gestion des masques par mes prédécesseurs. Une commission d'enquête doit commencer ses travaux la semaine prochaine.

S'agissant de la cellule de crise qui a été activée le 4 mars, elle a été chargée, avec Santé publique France, de rechercher et développer les sources d'approvisionnement en masques, de procéder aux achats nécessaires et de sécuriser leur rapatriement en France lorsqu'ils étaient acquis à l'étranger, de définir et installer les circuits logistiques et de distribution ainsi que de répondre aux besoins en masques exprimés par l'ensemble des acteurs du système de santé.

Cette cellule ne se substitue pas à Santé publique France, elle est venue en appui, notamment pour les réquisitions. Personne ne dit que la gestion logistique a été parfaite. Peut-être aurions-nous dû ou pu faire mieux.

On nous dit que nous n'étions pas préparés : mais le monde était-il préparé à ce que deux êtres humains sur trois soient confinés pendant des semaines, à un arrêt complet de la vie économique, sociale, démocratique et familiale ? Il y a des choses auxquelles, hélas, nous ne sommes pas préparés. Faisons en sorte de l'être si de nouvelles pandémies devaient avoir lieu ; apprenons ensemble de nos erreurs et de ce qui a été fait avec plus ou moins de succès.

En tout état de cause, je remercie ceux qui ont travaillé au sein de la cellule de crise. Certains étaient employés des ministères, mais nombreux venaient des préfectures, des hôpitaux et des entreprises pour prêter main-forte dans une période épidémique. Ils ont travaillé nuit et jour, dans la durée et pour nombre d'entre eux à titre bénévole. Je préfère les saluer. C'est une des belles images que je garde. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Mme Sophie Auconie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Plus jamais ça, plus jamais de pénurie de masques pour nos soignants et nos concitoyens quand une épidémie frappe notre pays.

Plus jamais ça, plus jamais de soignants qui doivent utiliser des masques périmés, partiellement inefficaces pour se protéger eux-mêmes et leurs patients d'une contamination croisée.

Plus jamais ça, plus jamais de pénurie organisée par la décision d'abandonner les stocks centraux sous la responsabilité de l'État en prévision d'une possible épidémie.

Plus jamais le désarmement sanitaire de la France nous contraignant à confiner le pays, prélude à une terrible crise sociale.

Plus jamais ça, plus jamais l'appel à la solidarité faute de mieux, plus jamais le raclage des fonds de tiroirs pour donner des masques aux soignants confrontés à la pénurie.

Plus jamais les travailleurs envoyés sans protection faire tourner l'économie. Plus jamais les couturières bénévoles qui pallient spontanément l'organisation défaillante de l'État pour fournir aux soignants des protections minimales. Plus jamais l'usinage de milliers de masques sans que ce travail ne soit payé, au mépris des qualifications professionnelles et du temps de travail que cela requiert. Plus jamais 40 millions de masques fabriqués en France en toute urgence et qui aujourd'hui ne trouvent pas preneurs, faute de planification par l'État de leur production et de leur distribution.

Les risques d'une nouvelle pandémie du fait de la déforestation et de la destruction de la biodiversité sont réels. Que comptez-vous faire pour reconstituer un stock stratégique d'État ? Avez-vous l'intention de payer les entreprises françaises qui ont confectionné les masques à votre demande ? Comment faire pour que nous ne vivions plus jamais ça ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je ne voudrais pas répondre à côté de votre question, puisque vous avez évoqué aussi bien la biodiversité et le réchauffement climatique que les masques.

M. Bastien Lachaud. Je pense que vous n'avez pas très bien écouté !

M. Olivier Véran, ministre. Si, je préfère être sûr d'avoir compris votre question.  

M. le président. La parole est à M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. La plupart des scientifiques s'accordent sur le fait que la déforestation et le réchauffement climatique sont une des causes du coronavirus. En effet, les animaux, privés de leur habitat naturel, se rapprochent des zones habitées et entrent plus en contact avec les êtres humains, ce qui accroît le risque de contaminations et de nouvelles pandémies.

Face à celui-ci, que comptez-vous faire pour reconstituer un stock de masques ? Quelle sera votre attitude à l'égard des entreprises qui ont fabriqué des masques ? Achèterez-vous leur production pour sauver des emplois et des entreprises ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. J'ai saisi votre question. S'agissant du lien entre la déforestation et l'épidémie de coronavirus, je ne sais pas vous répondre. Certaines grandes pandémies, causées par des virus issus de mutations dans le modèle animal, ont eu lieu avant le réchauffement climatique. Je ne sais pas si cette épidémie, ou une future, peut y être liée – c'est possible. Certains impacts sanitaires sont aussi liés à des tentatives de lutte contre le changement climatique : par exemple, la réapparition du moustique tigre et des moustiques qui transmettent la dengue, le west nile ou le chikungunya sur le continent européen est certes le fait du réchauffement climatique mais l'invasion des moustiques dans les grandes villes est aussi due à la végétalisation de ces dernières et à la restauration de zones humides. Les externalités des politiques publiques ne sont pas toujours là où on l'imagine, mais peu importe – je digresse, mais vous aussi.

Quant au stock de masques, nous devons définir ensemble notre objectif pour l'avenir. S'agissant des entreprises françaises que je remercie pour leur mobilisation, aujourd'hui, nous leur achetons les masques. Jusqu'à quand le ferons-nous et dans quelle proportion ? Le Président de la République a souhaité que nous soyons autosuffisants et autonomes d'ici à la fin de l'année pour nous éviter de devoir commander des masques en Chine ou ailleurs. Tant mieux. Faisons-le aussi pour d'autres matériels – je suis sûr que vous approuvez une telle démarche.

Prenons un peu de recul. Nous ne sommes pas complètement sortis de l'épidémie, nous n'avons pas utilisé tous les masques que nous avons achetés. Il sera temps de faire le point sur ce sujet. Je salue une nouvelle fois nos entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Faute d'avoir été anticipée, la constitution des stocks a été menée dans l'urgence. Les entreprises françaises auxquelles on avait enjoint de se lancer dans la production de masques au plus fort de la crise peinent déjà à trouver des acheteurs. Elles ont été plus de 400 à breveter des masques et à investir pour répondre à la demande de nos concitoyens. Or des stocks entiers de masques grand public en tissu, fabriqués dans les usines françaises, ne sont pas vendus car la demande ne suit pas. Pourquoi ? Parce que les Français auraient plus confiance ou préfèrent utiliser les masques chirurgicaux à usage unique venant d'Asie ?

Cela pose deux problèmes. Le premier tient au sentiment d'abandon qu'éprouvent les entreprises du textile par les pouvoirs publics. On les comprend lorsqu'on sait que l'État passait il y a quelques semaines encore une commande de 10 millions de masques en tissu au Vietnam, sans compter les 2 milliards de masques commandés à la Chine ces dernières semaines, selon Santé publique France.

Ce n'était pourtant pas faute de faire preuve d'inventivité. Dans ma circonscription, à Cachan, l'entreprise Chantelle est, en quelques semaines, parvenue à changer complètement son processus de production pour passer des soutiens-gorge aux masques.

Le second problème est que la vente massive de masques chirurgicaux importés d'Asie se traduit par une nouvelle source de pollution. Ils jonchent désormais les trottoirs, remplissent les caniveaux et sont jetés au hasard dans les poubelles ; c'est dramatique. Au même titre qu'une serviette hygiénique ou qu'un sac plastique, un masque chirurgical met, selon l'association de défense, d'éducation et d'information du consommateur, 450 ans à se désagréger dans la nature. Et, bien sûr, ils ne sont pas recyclables. C'est, vous en conviendrez, une bien drôle de manière d'entrer dans le monde d'après.

Ma question est donc la suivante : que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour mettre un terme à cette situation incompréhensible tant en termes économiques qu'écologiques ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Il y a environ un mois, peu avant le 11 mai, alors que nous commencions à parler de la levée du confinement, j'avais répondu à une question me demandant si la France allait disposer de suffisamment de masques grand public et de masques chirurgicaux pour protéger tout le monde.

Un mois plus tard, on me demande désormais s'il n'y a pas une surproduction de masques et ce que nous faisons des masques usagés. Je note avec satisfaction que nous avons basculé du manque à la potentielle surabondance. Comme vous, madame la députée, je suis français et je sais qu'il existe un niveau d'exigence permanent et perpétuel qui fait que nous sommes rarement dans le juste ton.

Sachez toutefois que l'État a commandé la quasi-totalité des masques en production destinés aux soignants jusqu'à la fin de l'année, et que l'État a également passé des commandes sur la plupart des masques grand public qui ont été produits jusqu'à maintenant.

Notez aussi que la France est le seul pays à avoir introduit, pour des masques lavables et réutilisables, une norme de filtration quasi équivalente à celle des masques chirurgicaux. Aussi, je ne doute pas que la production française, si elle ne trouve plus preneur à l'échelle nationale au bout d'un temps et d'une certaine quantité de production, pourra trouver des acquéreurs à l'étranger, là où l'épidémie frappe durement. Et je peux vous dire que j'aurais adoré pouvoir acheter à un pays une surproduction de masques de protection destinés au grand public.

Ainsi, avant de dire que nous avons trop de masques ou que nous ne saurons quoi en faire, j'attends de voir et reste prudent.

Quant à la pollution induite par les masques, vous avez raison, il y a un problème. Nous en voyons beaucoup trop dans la rue et il y a un problème de recyclage. Nous y travaillons avec la secrétaire d'État Brune Poirson. Une mission parlementaire s'impose d'ailleurs peut-être pour essayer d'identifier les moyens de progresser sur cette question importante, que je vous remercie d'avoir soulevée.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Ma question ressemble en tout point à celle posée par Albane Gaillot. Porter un masque est devenu un geste de plus en plus fréquent, et c'est heureux. Cela fait partie des gestes barrières devenus familiers à une grande partie de la population. Cependant, le port du masque en tissu n'est pas encore majoritaire, alors que ce dispositif, ramené à une utilisation journalière, est moins coûteux – en moyenne 30 centimes d'euros –, plus écologique, car le tissu peut être recyclé, et ne pose pas ce problème de pollution qui devient prégnant pour les masques jetables – Thierry Benoit et moi-même vous avons déjà sollicité sur cette question. Le masque en tissu est également confortable, ce qui n'est pas négligeable lorsqu'il doit être porté pendant plusieurs heures.

Pour répondre à l'urgence et à la demande du Gouvernement, mais aussi dans un élan de solidarité et de responsabilité au début de l'épidémie, les entreprises françaises ont fourni un effort considérable pour produire rapidement des masques de qualité, en adaptant leurs systèmes de production. Certaines ont complètement redéployé leurs chaînes de production et, en un temps record, conçu des modèles très efficaces. Cette reconversion massive et rapide fut un succès, tant et si bien qu'aujourd'hui leurs stocks sont de plus en plus élevés, et qu'elles ont des difficultés à les écouler.

La question qui se pose désormais est : pourquoi ce stock ? Parce que le jetable rassure, parce qu'il est facile et parce qu'il est devenu un mode de consommation. C'est ainsi qu'une pharmacie que je connais bien a vendu 10 000 masques jetables, contre seulement 550 masques lavables. Cette différence nous fait réfléchir sur notre façon de consommer, et peut-être aussi sur notre façon de communiquer. Mme Pannier-Runacher a déclaré ce week-end : « Nous avons une mission, dont l'objectif est de convaincre les gros acheteurs de passer du masque à usage unique au masque textile lavable réutilisable et d'expliquer que c'est un équipement de protection individuel. » Et la secrétaire d'État a suggéré aux entreprises et aux collectivités de commander davantage de masques textiles lavables réutilisables pour en doter leurs personnels sur le modèle des autres équipements de protection individuels.

Peut-être pourrions-nous d'ailleurs faire cela à l'Assemblée nationale. Peut-être pourrions-nous aussi accompagner ce geste par une incitation fiscale temporaire. Peut-être, monsieur le ministre, pourrions-nous suggérer aux médecins de prescrire ces masques lavables pour le traitement des maladies chroniques et aux personnes vulnérables. Peut-être, enfin, avez-vous l'intention de les ajouter aux stocks nationaux dans l'éventualité d'une prochaine épidémie.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Vous confirmez, madame la députée Firmin Le Bodo que nous travaillons, comme vous l'appelez de vos voeux, à une mise à disposition de masques grand public pour les personnes à risque médical ou atteintes de maladies chroniques. Vous confirmez également l'hypothèse de pouvoir stocker ces masques grand public pour une prochaine utilisation.

Je rappelle à cet égard que nous déplorons chaque année des milliers de morts à cause de la grippe. Cela n'a rien à voir avec le coronavirus et je ne mélange ni ne compare les deux : s'il n'y avait pas eu le confinement, je peux vous assurer que la situation aurait été encore plus dramatique. Mais il n'empêche que la grippe peut, certaines années, tuer un très grand nombre de personnes. Or, pour se prémunir de la grippe, peut-être aurons-nous des éléments qui nous inviteront à penser que, si nous changeons nos habitudes, en nous lavant les mains et en appliquant les gestes barrières, voire, si l'on est une personne fragile ou non vaccinée – il est d'ailleurs dommage que le vaccin contre la grippe dont nous disposons ne soit pas plus utilisé –, que le port du masque pourrait être intéressant. J'estime donc que nous aurons d'autres occasions d'utiliser ces masques.

Je saisis d'ailleurs cette occasion pour saluer l'action déterminante de deux personnes s'agissant de ces masques grand public. La première est le Premier ministre, qui s'est, depuis le début, personnellement impliqué sur le concept même de masque lavable destiné au grand public. Vous seriez surpris de constater le niveau de granularité très fine dans lequel il est entré pour être en mesure de défendre ce projet. Et la seconde est Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, qui a multiplié les démarches, les réunions et les mobilisations d'entreprises, en France et à l'étranger, pour être capable non seulement de déterminer des normes AFNOR en un temps record, mais aussi d'aboutir à ce qu'après un mois on se demande si nous ne sommes pas dans une situation de surproduction de masques. C'est un travail collectif qui a été mené en la matière ; ce n'est pas le mien, et je me permets de le saluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Hubert Wulfranc.

M. Hubert Wulfranc. Nous sommes, vous le savez, dans une société à risques. Il s'agit d'une question majeure de sécurité civile, pour l'ensemble de nos concitoyens. Elle n'est pourtant pas posée seulement à l'échelle et en référence à la crise sanitaire.

À Rouen, en septembre 2019, lors de la catastrophe Lubrizol, dès les premières minutes de l'incendie, à deux heures quarante-huit du matin, l'incertitude règne quant à la toxicité des produits embrasés. Je cite le directeur départemental de la santé publique, à la suite de la commission d'enquête sénatoriale : « Vingt-cinq masques de type NRBC se trouvaient à disposition localement à l'hôtel de police et ont pu, pour certains, être distribués aux fonctionnaires en relève avant huit heures. Vers huit heures trente, il a été demandé aux pompiers de mettre à disposition des masques papier FFP2 pour les policiers qui sont parvenus, pour 100 d'entre eux, après onze heures, puis un deuxième lot de 500 pour le week-end et les jours suivants. »

Tout cela pour vous dire, monsieur le ministre, que la question des masques se pose aussi face à une catastrophe industrielle ou naturelle, vis-à-vis de laquelle la réactivité pour protéger aussi bien les acteurs en première ligne que l'ensemble de la population concernée est cruciale, surtout devant l'incertitude du risque.

N'avez-vous pas eu suffisamment d'alertes et de retours d'expériences pour réexaminer sérieusement et dans le détail l'ensemble des types de masque en toute situation de crise ? À cet égard, je ne trouverais pas hors de propos – et nous le préconisons –, quel qu'en soit le prix, de trouver autant de masques disponibles chez les Français que de papier toilette, et ce dans le cadre d'une politique publique de protection civile d'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Pourquoi pas, monsieur le député Wulfranc ? Manifestement, il y a eu un moment où il a été considéré que l'État n'était pas à même de stocker à lui seul des masques de protection et qu'il fallait que les employeurs des personnels les plus à risque d'exposition à des particules inhalables soient chargés d'en stocker. Je ne suis pas sûr que cela a été un franc succès. Et si nous devions désormais compter sur le fait que les citoyens s'équipent eux-mêmes en matériels de protection, je ne suis pas certain non plus que ce serait un franc succès.

Je sais que vous croyez en l'État.

M. Hubert Wulfranc. Oui !

M. Olivier Véran, ministre. Moi aussi, tout comme je crois qu'il faut que nous ayons un stock suffisant, des circuits de distribution rapides et efficaces, et une logistique décentralisée. Il me semble que ce serait une bonne base pour préparer le pays face aux risques industriels et sanitaires, tels que ceux que vous évoquez.

M. Hubert Wulfranc. Et les autres !

M. Olivier Véran, ministre. Commençons par ça. Quant à équiper les citoyens en masques et en matériels jusque chez eux, je suis ouvert à toute proposition, mais je crois qu'il serait plus réaliste de procéder par un stock national, des circuits de distribution facilités, une logistique efficace et des centres décentralisés de stockage de produits essentiels.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leclabart.

M. Jean-Claude Leclabart. Dès le 15 mars, j'ai troqué mon costume de député pour celui de matelasseur-couturier. En temps de guerre, il m'a semblé indispensable d'être au front, sur le terrain. Dans ma circonscription, les établissements Malterre, seuls producteurs de tissu rescapés de l'industrie textile locale, se sont engagés à produire des masques dont nous avons fait valider les performances de filtration et de perméabilité par la DGA – direction générale de l'armement.

Je revois encore ses dirigeants me dire : « Nous avons des machines, du tissu, un savoir-faire et il nous semble naturel d'en faire profiter notre pays et d'aider prioritairement le secteur médico-social de la région. » Ce sont des dizaines de bénévoles qui se sont mobilisés, des gens ordinaires qui ont réalisé des choses extraordinaires. Ce sont plus de 150 000 masques qui ont été donnés et livrés gratuitement, entre le 15 mars et le 15 avril au secteur médico-social. Aujourd'hui, cette société est capable de tricoter et de confectionner 400 000 masques grand public par mois, lavables vingt fois, à des prix concurrentiels.

Dans l'urgence, les entreprises françaises, et plus particulièrement les plus petites, ont su s'adapter rapidement en réorientant leur système de production. Certaines ont même décidé de s'investir dans la durée, en recrutant du personnel, ou en achetant des machines. Le Gouvernement s'est engagé à signer prochainement des contrats avec quatre grandes entreprises françaises. Qu'en sera-t-il des plus petites d'entre elles dans nos territoires ruraux ? Elles ont plus que jamais besoin d'une visibilité, elles s'interrogent sur la pérennité de cette activité, et elles estiment que la production sur le long terme dépendra de la commande publique.

Alors qu'il y a encore quelques semaines la France manquait de masques, voilà désormais qu'elle en produit trop. Les commandes s'effondrent, quand elles ne sont pas annulées face à la concurrence des importations à bas coût. Que compte faire le Gouvernement en la matière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie, monsieur le député, pour votre action en tant que parlementaire. Elle est importante et c'est aussi grâce à l'engagement des élus locaux et nationaux, ou encore des associations, dans leurs différents territoires, que nous avons pu faire face à cette vague épidémique. Il n'y a pas de petites actions, il n'y a que de belles actions. Ce sont aussi ces images que nous pouvons retenir de ces semaines passées.

Vous m'interrogez sur les petites entreprises qui produisent des masques. À cette question également, Agnès Pannier-Runacher est très sensible, tout comme elle est sensible à toutes les usines qui sont parvenues à réorienter leur production pour confectionner cet outil d'intérêt national qu'est le masque. La secrétaire d'État et Bercy ont à coeur d'accompagner les entreprises, quelles qu'elles soient, dans leur recyclage et dans la réorganisation de leurs filières de production. Il convient que cet accompagnement s'effectue dans la durée et il nous faudra une stratégie de déploiement, d'utilisation et éventuellement d'exportation de ces masques grand public, normés, qualitatifs, et qui peuvent servir à beaucoup d'autres pays que le nôtre.

M. le président. La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois. Pour débattre loyalement de la gestion des masques, j'estime qu'il est important de se remémorer quelques épisodes.

En 2008, l'État achète trop de masques ; on crie au scandale. Si l'on garde des masques pour rien, cela coûte trop cher et l'on crie encore au scandale. En 2011, le Gouvernement répartit le stock et décide que les employeurs privés et publics, comme les hôpitaux et les services d'urgences, seront eux-mêmes responsables de l'équipement de sécurité de leur personnel, y compris du stock tactique de masques. Qui s'en souvient ? Personne. On détruit des masques périmés et moisis ; à nouveau, c'est un scandale.

La polémique est facile mais stérile. Qu'y a-t-il de surprenant dans le fait que les choix stratégiques de l'État s'adaptent au fur et à mesure des revirements ou des progrès des connaissances scientifiques sur un virus jusque-là méconnu ?

Si la France est entrée dans la crise sanitaire avec un stock très faible, elle a rapidement accru ses capacités d'importation et de fabrication. L'effort de l'État a été considérable, et vous n'avez pas ménagé votre peine, monsieur le ministre, pour que les soignants disposent de masques, et qu'il en soit de même, aujourd'hui, pour tous les Français.

Lorsque nous aurons connaissance des vrais chiffres, nous verrons en fin de compte que, parmi les pays du monde, la France ne s'en est pas si mal sortie. Nos entreprises ont participé à l'effort national. Nous avons facilement accès aujourd'hui à des masques en tissu de haute qualité,…

M. Maxime Minot. Trois mois plus tard ! Il était temps !

Mme Danielle Brulebois. …labellisés AFNOR et « made in France ».

Nos concitoyens avaient très peur de ne pas avoir de masque le 11 mai. Aujourd'hui, beaucoup oublient que le masque est une barrière indispensable dans les lieux publics lorsque la distanciation physique n'est pas possible. Nous avons fait beaucoup de sacrifices pour enrayer l'épidémie. Alors que déconfinement rime de plus en plus souvent avec relâchement, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il faut faire une nouvelle campagne de sensibilisation sur l'utilité du masque ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie de votre question, madame Brulebois. Je me suis rendu ce matin dans le Val-d'Oise pour rappeler que l'épidémie n'était pas terminée et qu'il fallait continuer d'une part à se protéger et à appliquer les gestes barrières, d'autre part à tester et à isoler les malades. On ne fait jamais assez de pédagogie, ou, plutôt, on n'en fait jamais trop.

Vous avez évoqué le port du masque en population générale. Il est vrai que les Français et les Européens ne sont pas habitués à porter un masque pour se protéger de maladies ou de pandémies. Cela ne fait pas partie de la culture, alors que tel est le cas dans plusieurs pays d'Asie, parce que ceux-ci ont été affectés très durement, ces dernières années, par des épidémies qui ont peu ou prou épargné l'Europe ; leur population a acquis le réflexe de protéger l'autre – plus que soi-même – en portant un masque.

En France, jusqu'à récemment, une personne qui portait un masque dans la rue était considérée comme quelqu'un de malade qu'il fallait fuir plutôt que comme quelqu'un qui protégeait les autres. Je l'avais déjà dit il y a trois mois, au début de l'épidémie.

Le port du masque est quelque chose de nouveau qui nécessite un peu d'apprentissage. Non que nous n'en soyons pas capables, mais c'est un effort à réaliser, collectivement.

Dès le mois de février, j'ai indiqué au cours des conférences de presse que le port du masque en population générale était considéré comme ayant un effet protecteur contre les épidémies dès lors que le masque était porté en permanence et dans de bonnes conditions par 60 % de la population au moins. Je ne sais pas si 60 % de la population française porte aujourd'hui un masque en permanence et dans de bonnes conditions ; je n'en suis pas sûr.

Vous avez raison, il faut continuer à faire de la pédagogie et à expliquer pourquoi il est important de porter un masque. Il convient de ne pas relâcher nos efforts, afin de pouvoir vaincre le virus pour de bon. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Vatin.

M. Pierre Vatin. Il y a trois mois, on manquait de masques. Depuis 2017 ou avant – nous ne savons plus, en définitive –, on détruit des masques sans en commander de nouveaux pour les remplacer. Aujourd'hui, les entreprises françaises qui fabriquent des masques en tissu se retrouvent dans le rouge et seront peut-être, demain, au bord du dépôt de bilan. Comment comptez-vous aider ces entreprises ? Comment entendez-vous inciter ceux qui ont besoin de masques, qu'il s'agisse des entreprises ou de l'État lui-même, à promouvoir le « fabriqué en France » ou, tout simplement, à acheter français ? À cet égard, le site gouvernemental d'achat de masques et de produits de protection, dénommé stopcovid19.fr, garantira-t-il bientôt que le matériel acheté est de fabrication française ?

Je crains malheureusement que la nécessaire indépendance sanitaire de notre pays en cas d'épidémie ne demeure un voeu pieux ou un mythe et que, demain, nos compatriotes ne soient victimes d'une nouvelle épidémie face à laquelle notre pays ne sera toujours pas préparé ; il ne le sera pas si rien n'est fait pour acquérir notre indépendance sanitaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. L'indépendance sanitaire, je ne sais pas… C'est un objectif auquel j'aspire tout autant que vous. Le Président de la République s'est engagé à ce que nous atteignions l'autonomie en matière de masques d'ici à la fin de l'année. Compte tenu du nombre de masques que nous sommes en train de produire, je pense que nous y arriverons.

D'ailleurs, plusieurs d'entre vous viennent de relever que nous sommes peut-être en train de produire trop de masques, en tout cas plus de masques que nous ne sommes capables d'en acheter ou d'en utiliser. Rappelez-vous – ce n'est pas une critique de ma part –, j'avais prédit que l'on passerait assez vite de « on manque de masques » à « il y en a trop ».

L'autonomie sanitaire implique aussi et surtout d'être capable de produire, à tout le moins à l'échelle européenne, des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur pour faire face à une crise. Nous manquons, on le voit bien, de médicaments à visée anesthésique et réanimatoire – j'ai eu tout à l'heure une discussion au sujet du Propofol avec la présidente du groupe Socialistes et apparentés, qui n'est d'ailleurs plus représenté dans l'hémicycle bien qu'il ait demandé ce débat sur les masques… Quand la consommation explose de 2 000 %, il est plus rassurant de disposer d'une production nationale, pour pouvoir l'utiliser dans les hôpitaux et ouvrir des blocs opératoires en quantité. C'est donc un enjeu majeur. Néanmoins, je le répète, il conviendrait de raisonner à l'échelle européenne – j'ignore quelles sont vos convictions européennes, les miennes sont fortes. Nous arriverions à nos fins plus vite, plus assurément et, probablement, plus intelligemment. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. La gestion du stock de masques est au coeur des discussions depuis le début de l'épidémie de covid-19. À de nombreuses reprises a été soulevée la question des difficultés que la France a eues pour fournir des masques, ne serait-ce qu'au personnel soignant. Derrière cette question, il y a celle des responsabilités.

De 2007 à 2016, nous le savons, c'est l'EPRUS qui était chargé de la gestion des stocks sanitaires stratégiques. Avant que celui-ci ne soit supprimé, le Parlement et la Cour des comptes avaient dressé un bilan positif de sa gestion des stocks et un bilan en demi-teinte de sa gestion de la réserve sanitaire.

En 2016, tout en approuvant la suppression de l'EPRUS, le Parlement avait émis des recommandations tant financières que fonctionnelles, afin que le nouvel opérateur, l'Agence nationale de santé publique, plus connue sous le nom de Santé publique France, assure une réponse publique satisfaisante en cas de crise sanitaire. Il avait demandé, premièrement, le maintien des moyens dédiés à l'ex-EPRUS, afin que les missions dont celui-ci était responsable continuent à être correctement assurées, deuxièmement, l'octroi d'une marge d'autonomie à la nouvelle structure, afin qu'elle ne soit pas noyée dans l'Agence nationale de santé publique, grand opérateur regroupant 500 personnes.

Le problème de la gestion des stocks, notamment des masques, n'a pas été clairement résolu, et les mêmes interrogations demeurent depuis le début de l'année 2020 : l'opérateur Santé publique France a-t-il assuré une gestion efficace des stocks stratégiques ces trois dernières années ? Et il convient aujourd'hui de poser une question primordiale : les recommandations formulées ont-elles été suivies ? Le Parlement a-t-il été écouté ou ignoré ?

M. Maxime Minot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie pour votre question, madame Louwagie, ainsi que pour le rapport que vous avez produit dans le cadre du Printemps de l'évaluation, qui traite de la question de l'EPRUS.

Vous posez une vraie question : faut-il distinguer à nouveau un établissement chargé spécifiquement de la gestion de crise, à côté d'un établissement de santé publique qui s'occupe des politiques, elles aussi très importantes, de prévention et d'information du public ? Après une crise comme celle que nous vivons, je nous vois mal ne rien changer. Le changement étant de toute façon indispensable dans ce type de situation, faisons en sorte qu'il aille dans le bon sens : sans détruire ni condamner, améliorons ce qui peut être amélioré.

J'appelle votre attention sur un point, madame Louwagie, même si je sais que vous connaissez le dossier sur le bout des doigts : en mai 2016, lorsque l'EPRUS a été intégré dans l'ANSP, il n'y avait déjà plus assez de masques FFP2 dans notre pays. Depuis quelques années, il n'y a pas eu de politique d'achat massif de masques chirurgicaux, et les masques se périment tranquillement dans des entrepôts… Pour dire les choses très clairement, je ne crois pas que le basculement de l'EPRUS vers Santé publique France soit responsable de la situation.

En la matière, il convient de faire appel à une veille permanente de plusieurs acteurs, notamment du Parlement, qui doit pouvoir demander des comptes annuellement sur le matériel stratégique dont on peut disposer. Jean-Pierre Door a produit des rapports très intéressants sur la question. Il importe que l'on rende des comptes au Parlement – c'est moi qui vous le dis, bien que membre du Gouvernement –, car une telle veille permanente évitera peut-être un certain ronron dans la gestion des matériels en question.

M. le président. La parole est à M. Fabien Lainé.

M. Fabien Lainé. Permettez-moi de regretter, chers collègues du groupe Socialistes, que ce débat, dont vous avez demandé l'organisation, ne  porte pas plus largement sur la période de 2012 à 2020, l'année 2012 marquant le début de la décroissance des stocks de masques et, pur hasard sans doute, l'arrivée au pouvoir de la majorité socialiste. Nous pouvons également regretter que la grande clairvoyance affichée aujourd'hui par l'opposition ne se soit pas manifestée avant que la crise survienne. La ficelle est donc un peu grosse… Mais sortons des polémiques stériles, et assumons notre responsabilité : eu égard à l'épreuve que nous avons traversée, il faut admettre que des erreurs ont été commises entre 2007 et 2020, et que nous avons disposé in fine d'un stock de masques insuffisant pour faire face à l'épidémie.

Désormais, notre responsabilité est de nous inquiéter des moyens mis en oeuvre pour anticiper les crises à venir. Il convient de s'interroger sur le volume et le type de masques à stocker. Devrait-on envisager la constitution d'un stock de masques réutilisables en tissu destinés à la population, en plus des stocks de masques FFP2 pour les soignants ? Il convient en outre de s'interroger sur le rapport entre le stock et l'approvisionnement. Il a beaucoup été question de la relocalisation de la production de masques, mais la solution ne se trouve-t-elle pas simplement dans le stockage ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Merci de votre question, monsieur Lainé. J'ai déjà répondu ce soir à plusieurs questions relatives aux stocks stratégiques, au nombre de masques dont nous aurions besoin dans chaque catégorie – masques FFP2, masques chirurgicaux, masques lavables et recyclables– , à leur entreposage et à leur gestion logistique, à la décentralisation en la matière… En tout cas, cela montre bien que vous vous posez ces mêmes questions sur tous les bancs. Vous nous en faites part, et c'est une bonne chose, car j'aurai besoin de vous, nous aurons besoin de vous pour travailler collectivement et intelligemment à la rénovation de notre système de veille et d'action en cas de crise sanitaire.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. En mai 2019, le Haut Conseil de la santé publique avait conclu, dans un rapport relatif aux stocks de masques, que la France aurait besoin de 1 milliard de masques en cas de pandémie. Pourquoi personne ne s'est-il préoccupé de cette conclusion visionnaire ? Pourquoi personne n'a-t-il agi en conséquence dans les mois qui ont suivi ?

Par trois fois, les 21, 22 et 24 janvier 2020, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, avait conseillé le port du masque afin de réduire le risque contagieux. Entre le 24 et le 29 février suivant, monsieur le ministre, vous avez affirmé à de nombreuses reprises que le port du masque n'était pas utile pour ceux qui n'étaient pas malades. Saviez-vous à l'époque que le port du masque pouvait ralentir la contagion ? Si tel n'était pas le cas, où le dysfonctionnement se situe-t-il, selon vous, dans la chaîne qui a abouti à la prise d'une telle décision ?

Nous avons appris que la France produisait 3,5 millions des 40 millions de masques chirurgicaux et FFP2 dont elle avait besoin par semaine et qu'elle importait le reste. Jusqu'à la fin du mois de mars, des stocks de masques ont été détruits. J'ai bien compris qu'il s'agissait de masques périmés, monsieur le ministre, mais pourquoi les stocks n'ont-ils pas été renouvelés ?

Dans son épais rapport, la mission d'information de notre assemblée sur l'impact, la gestion et les conséquences de la crise évoque, pages 24, « l'insuffisance des stocks stratégiques d'équipements de protection, et notamment de masques » et, page 25, « la problématique plus large de notre dépendance à l'égard de l'extérieur pour les approvisionnements en produits indispensables ». Quelles mesures avez-vous prises, monsieur le ministre, pour assurer à l'avenir l'autonomie stratégique de la France en cas de crise sanitaire et virale ?

Le 18 mars 2020, le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique covid-19, a reconnu que le pouvoir avait adopté une stratégie par défaut, en raison de la pénurie de moyens en masques et en tests. Monsieur le ministre, je comprends qu'il fallait réserver les masques en priorité au personnel soignant et que la pénurie empêchait d'en fournir à toute la population, mais pourquoi ne pas l'avoir tout simplement dit aux Français ? Pourquoi avoir fait croire dans un premier temps que le port du masque était inutile pour ceux qui n'étaient pas malades, d'autant que l'on était incapable de savoir qui était malade ou pas, au lieu d'expliquer en toute transparence qu'il n'y en avait pas assez pour tout le monde ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. J'ai indiqué très tôt le nombre de masques dont nous disposions, et je n'avais aucun intérêt, ni personnel ni collectif, à déclarer que le port du masque en population générale n'était pas indispensable, dès lors que j'avais reconnu que nous n'aurions pas assez de masques au cas où celui-ci aurait été jugé indispensable.

Je me suis fondé sur les recommandations du directeur général de la santé, sur celles du Haut Conseil de la santé publique et sur celles de l'Organisation mondiale de la santé. Celle-ci conseille désormais le port du masque en population générale dans certaines conditions, mais je rappelle qu'elle a modifié ses recommandations il y a trois jours, le 5 juin, donc bien après nous. Il n'y a pas eu de volonté d'éluder quoi que ce soit pour cacher la misère. Honnêtement, je l'aurais dit, d'autant que j'avais l'avantage d'avoir pris mes fonctions après le début de la crise.

Sachez en outre qu'un pays européen, le Danemark, ne recommande pas, à ce jour, le port du masque en population générale. Il le déconseille même, et a financé une étude pour savoir s'il est véritablement protecteur ou s'il incite, comme le redoutait l'OMS jusqu'à il y a trois jours, à réduire les distances physiques, auquel cas il n'aurait guère d'impact sur l'épidémie. Il est bon de garder l'esprit ouvert.

De tels revirements foisonnent dans l'histoire de la médecine contemporaine, de la médecine en général, où on se précipite, pensant bien faire, sur certaines croyances avant de devoir les rectifier quand elles se sont révélées fausses ou mal comprises. La médecine a toujours progressé ainsi. Je pourrais vous raconter – cela nous réconcilierait – toutes les expérimentations auxquelles Semmelweiss, le premier à comprendre l'importance du lavage des mains, a dû se livrer avant de comprendre que, si des femmes en couches mouraient de fièvre puerpérale dans les hôpitaux alors que cela n'arrivait pas chez les bonnes soeurs, c'était parce qu'elles avaient été accouchées par des internes qui  ne s'étaient pas lavé les mains après avoir manipulé de la matière cadavérique. L'histoire de l'épidémiologie est faite de tels tâtonnements.

M. le président. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 juin 2020