Interview de Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État, porte-parole du Gouvernement, à CNews le 29 avril 2020, sur les perspectives d'un déconfinement a minima le 11 mai, la rentrée scolaire et la situation économique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Sibeth Ndiaye - Secrétaire d'État, porte-parole du Gouvernement

Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC 
Bonjour Sibeth NDIAYE. 

SIBETH NDIAYE  
Bonjour. 

GERARD LECLERC
 Il va falloir apprendre à vivre avec le virus, a dit le Premier ministre, dont on retient la très grande prudence. Il a même indiqué que si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, eh bien la date du 11 mai n'est pas garantie. Ça veut dire très clairement qu'il pourrait ne pas y avoir de déconfinement le 11 mai ?  

SIBETH NDIAYE  
La première volonté du Premier ministre à travers ce discours, ça a été de témoigner de la confiance que nous plaçons dans les Français. En fait, depuis le début du confinement, nous avons vu qu'ils avaient globalement très bien respecté les consignes, et dans cette première étape de déconfinement, il est aussi important que cette confiance soit au rendez-vous, parce qu'au fond le déconfinement on ne le réussira que dès lors que les Français auront confiance, auront compris. Évidemment, c'est un événement qui est exceptionnel, qu'on n'a jamais vécu dans notre pays, et donc il faut l'aborder avec beaucoup d'humilité, beaucoup de prudence, c'est aussi l'un des maîtres mots qu'a employés le Premier ministre, parce que nous savons qu'il y a encore beaucoup de risques sanitaires, peut-être un risque de deuxième vague épidémique, et donc nous allons avancer progressivement, pas à pas, avec prudence, pour faire en sorte qu'à chaque instant, en regardant les indicateurs sanitaires, nous puissions dire si oui ou non nous entrons dans cette phase de déconfinement à partir du 11 mai, et si nous pouvons y entrer, dans quelles circonstances, peut-être plus strictement si les indicateurs ne sont pas aussi bons que nous l'espérons, ou peut-être pas du tout.  

GERARD LECLERC 
Alors, donc je retiens que ce n'est pas acquis le 11 mai. D'une façon générale, vous parlez de prudence, c'est même un déconfinement a minima, comme le dit Le Figaro, vous parlez de confiance dans le Français, est-ce que ce n'est pas plutôt, presque, de l'infantilisation : si vous n'êtes pas sages, vous ne serez pas déconfinés ?  

SIBETH NDIAYE  
Non, pas du tout, je pense vraiment que le déconfinement repose au fond sur un sentiment très altruiste, c'est parce qu'on se protège soi-même, avec un masque par exemple, c'est parce qu'on applique des gestes barrières, qu'on met de la distance physique entre nous et les autres, qu'on sera capable de protéger la société tout entière. Moi je crois très profondément que les Français ont cette volonté que nous avancions tous ensemble, parce que ce plan de déconfinement c'est le plan de la Nation entière qui est devant nous, et que nous ne pourrons réussir qu'ensemble, c'est évidemment au prix de sacrifices, parce qu'il y aura encore des restrictions dans la liberté d'aller et venir, mais je crois vraiment que le maître mot c'est la clé de la réussite du moment que nous nous apprêtons à vivre, c'est le fait que chacun, à notre place, en tant qu'individu, parce que nous sommes au sein d'une entreprise, parce que nous travaillons dans une école, parce que nous travaillons dans un commerce, nous soyons capables de mettre en œuvre toutes les mesures barrières qui nous aideront à passer ce cap, progressivement à partir du 11 mai. 

GERARD LECLERC 
Alors, cette très grande prudence du Premier ministre, eh bien elle relance le sentiment de dissensions entre le Premier ministre, donc très prudent, et un président de la République qui semblait beaucoup plus volontaire, c'est lui qui avait parlé de cette date du 11 mai. 

SIBETH NDIAYE  
Pas du tout. Les histoires de dissensions entre le président de la République et le Premier ministre, moi je les qualifierais de billevesées, parce que depuis le début du quinquennat il y a une répartition des rôles entre le chef de l'État et le chef du gouvernement, et nous avons un couple exécutif qui travaille, j'allais dire, quasiment en symbiose, et qui s'est renforcé dans les dernières semaines que nous avons eues à vivre de crise. Bien au contraire nous avons un alignement parfait entre Premier ministre et président de la République chacun dans son rôle, l'un traçant des perspectives, des lignes directrices, et l'autre mettant en œuvre en véritable chef d'orchestre de notre gouvernement, et je peux vous l'assurer pour l'avoir suivi dans beaucoup de réunions interministérielles, il tient la barre avec beaucoup de détermination, beaucoup d'humilité aussi, il a eu l'occasion de dire que nous ne savions pas tout, et que quand nous ne savions pas il fallait évidemment en faire part aux Français pour continuer à avancer et conserver cette confiance qui pour nous est vraiment extrêmement précieuse. 

GERARD LECLERC 
Alors, Edouard PHILIPPE a insisté sur l'idée qu'il allait s'appuyer sur les élus locaux, les maires notamment. Est-ce que ce n'est pas un peu une façon de se décharger de sa responsabilité sur ces élus locaux, qui demandent souvent des éclaircissements, des garanties ? 

SIBETH NDIAYE  
Il ne s'agit pas du tout de se décharger, mais de co-construire avec les élus. Nous savons aujourd'hui, je vais vous prendre un seul exemple, celui de l'école. Nous savons que nous aurons besoin des collectivités locales, pour que ce déconfinement puisse être mis en œuvre concrètement, parce que les collectivités locales sur le terrain ont des responsabilités, elles ont la responsabilité dans le domaine scolaire de l'organisation des bâtiments, de leur nettoyage, de l'organisation de la cantine, du périscolaire, et donc il est tout à fait naturel que nous nous appuyons sur elles. Nous allons évidemment aussi nous appuyer sur les entreprises, les organisations syndicales, les organisations patronales, pour mettre ensemble des guides de bonnes pratiques en œuvre, et nous assurer que chacun, lorsque nous irons travailler, lorsque nous enverrons nos enfants à l'école, lorsque nous prendrons aussi les transports en commun, que nous soyons en sécurité et que nous disposions de tous les éléments qui nous permettent d'assurer cette sécurité sanitaire.  

GERARD LECLERC 
Alors l'école, puisque vous en parlez, on a quand même le sentiment que le Premier ministre est debout sur les freins. Dans le primaire eh bien ce sera sur la base du volontariat, pour les 6ème, 5ème, ce sera selon les départements, les lycées on ne sait plus, on ne sait même pas quand ce sera. On est en arrière par rapport à ce qu'avait dit Jean-Michel BLANQUER. 

SIBETH NDIAYE  
Alors d'abord je veux rappeler un peu la chronologie des événements de ces dernières semaines. Nous avions dit que nous mettrions 2 semaines à présenter une architecture générale du plan de déconfinement. Pendant les deux semaines qui viennent de s'écouler, il y a eu beaucoup de travail de la part de mes collègues membres du gouvernement, en relation évidemment avec le cabinet du Premier ministre, pour élaborer des hypothèses. Il y en a certaines que nous avons abandonnées en route, à l'épreuve des faits, à l'épreuve aussi de la concertation que nous avons pu avoir avec les collectivités locales. Et ce que nous essayons de faire, au fond c'est faire au mieux, dans une situation que nous n'avons jamais connue. Nous savons que les enfants les plus petits, quand ils sont scolarisés, c'est ceux qui ont le moins d'autonomie dans leur travail. Evidemment, un lycéen a plus d'autonomie qu'un enfant qui est au CP, qui est au CE1. Et donc, notre volonté ça a été de faire, avec cette volonté évidemment de répondre à la problématique des inégalités sociales, qui ont pu se creuser, des inégalités éducatives, de faire en sorte que les plus petits puissent revenir rapidement à l'école, revenir dans de bonnes conditions de sécurité, cela sera encore d'ailleurs à concerter avec les enseignants dans les jours à venir, pour qu'au fond chacun se sente bien en revenant à l'école, que ce soit les enfants qui ont aussi besoin de cette socialisation-là, qui ont aussi besoin de ces apprentissages là pour leur réussite éducative, mais que ce soit aussi les personnels administratifs, techniques, et les enseignants au sein des écoles. Et évidemment nous allons nous adapter aux situations locales. Le bâti scolaire n'est pas le même quand vous êtes dans la ruralité ou quand vous êtes dans une agglomération, les problématiques sont évidemment différentes, chacun le comprendra. Et puis la situation épidémiologique varie énormément entre les départements, et tout cela nous voulons le prendre en compte pour qu'on fasse en quelque sorte du cousu main dans ce déconfinement.  

GERARD LECLERC 
Alors, les départements justement, il y aura des départements verts, des départements en rouges. Concrètement, j'habite dans un département rouge, veut aller dans un département vert, je peux le faire, ou l'inverse ? 

SIBETH NDIAYE  
Alors, d'abord la première règle sera que désormais nous aurons un régime de liberté, avec des exclusions. Jusqu'à maintenant, dans le confinement, il y avait un régime très restrictif du point de vue de la liberté d'aller et venir, il vous fallait des attestations pour pouvoir sortir, ça ne sera plus le cas demain. Après, nous considérons qu'il faut éviter les grands brassages de populations, donc autant que faire se peut, il faut éviter de circuler d'un département à l'autre, d'une région à l'autre. Néanmoins, la nouvelle règle que nous fixons, c'est que les déplacements sont possibles dans un rayon de 100 km autour du domicile, et au-delà il faudra pouvoir en justifier par un motif professionnel, je pense par exemple à des transporteurs routiers qui doivent faire de longues distances, traverser plusieurs départements, plusieurs régions. Je pense aussi à des motifs familiaux impérieux qui peuvent exister si on doit s'occuper d'un proche qui est fragile, si on doit aller aider quelqu'un de sa famille, mais au fond la philosophie qui est la nôtre c'est toujours de faire confiance et de dire : il faut éviter de se déplacer au maximum, entre les régions, entre les départements, quand vous n'avez pas le choix vous pourrez le faire, mais notre objectif est vraiment d'éviter les brassages de population. 

GERARD LECLERC 
Alors, les masques, toujours les masques, cette fois-ci est-on sûr qu'il y en aura assez ? Pourquoi ne pas les avoir rendus obligatoires partout ? Et puis pourquoi ce qui est devenu indispensable aujourd'hui, eh bien ne l'était pas il y a encore un mois ?  

SIBETH NDIAYE  
Vous savez, depuis le début de la crise, on se rend compte que sur beaucoup de sujets le consensus scientifique varie, tout simplement parce que l'état des connaissances que nous avons sur la circulation de ce virus, varie. Au début de l'épidémie nous avons fait un choix qui je crois était un choix de raison, parce que nous avions un stock de masques limité, et que nous considérions face au risque de submersion du système sanitaire, qu'il était prioritaire de faire en sorte que les soignants soient toujours assurés d'avoir du matériel de protection. Et donc ce choixlà nous l'avons fait en conscience, dans la situation qui était la nôtre, d'autant plus que nous n'avions pas de consensus scientifique pour recommander le port du masque dans toute la population française, et pour tous nos concitoyens. Ce consensus on l'a vu au cours des dernières semaines, il a évolué et donc nous nous sommes adaptés face à cette évolution-là. Désormais nous voulons faire en sorte que tous les Français qui le souhaitent, puissent disposer d'un masque, et que dans certaines situations, lorsqu'elles l'exigent, lorsque les distances de protection entre les individus ne peuvent pas être mises en œuvre, qu'on puisse porter un masque et qu'il soit même rendu obligatoire par exemple dans les transports ou par exemple dans les commerces. 

GERARD LECLERC 
Le Premier ministre a évoqué un risque d'écroulement économique. Qu'est-ce que cela signifie ? Et on pense notamment au chômage, 246 000 de plus qu'en l'espace d'un mois, est-ce que vous allez prolonger le chômage partiel financé par l'État ? 

SIBETH NDIAYE  
Vous savez, la crise sanitaire qu'on est en train de vivre, elle a entraîné une crise, une crise économique inédite. D'un coup d'un seul, si j'ose dire, ou tout du moins en l'espace de quelques semaines, le monde s'est arrêté de vivre économiquement parlant, c'est le cas en France, c'est le cas dans beaucoup d'autres pays européens évidemment, et c'est le cas pour quasiment une moitié de l'humanité. Et donc évidemment on peut imaginer que les conséquences sociales pourraient être terribles. On a pris des mesures, je pense au chômage partiel, je pense au fonds de solidarité pour les petites entreprises qui avaient vocation à amortir ce choc auquel nous pouvons tous nous attendre. Je crois que très sincèrement, quand on regarde les chiffres du chômage, ça a eu un effet parce que nous avons largement pu limiter les dégâts. Mais de toute évidence les entreprises n'embauchent pas, ou en tout cas dans de très rares secteurs, comme l'agroalimentaire par exemple, et donc il est logique que nous ayons plus d'entrées au chômage que de sorties, puisqu'il y a ce déficit d'embauches. Notre objectif, il est de remettre progressivement en état de marche notre économie, il ne s'agit pas de faire réaliser des superprofits, comme j'ai pu l'entendre de la part de certaines oppositions, mais bien de permettre aux Français, aux travailleurs, d'avoir un travail qui leur donne une rémunération. Nous allons continuer à accompagner les choses, jusqu'à la fin du mois de juin, avec le chômage partiel qui sera… jusqu'à la fin du mois de mai pardon, avec le chômage partiel qui sera poursuivi, et puis petit-à-petit nous ferons évoluer les choses, en fonction de la situation économique bien sûr.  

GERARD LECLERC 
Très rapidement, Stop Covid, ce traçage numérique, c'est abandonné ?  Rapidement.  

SIBETH NDIAYE  
Pas du tout. Non pas du tout. Nous savons que nous aurons besoin d'un apport humain, avec des enquêteurs sanitaires qui pourront remonter ces fameuses chaînes de contamination. Mais il y a des situations, vous êtes dans le métro par exemple, vous ne pouvez pas connaître les gens qui vous entourent et que vous avez été susceptibles de contaminer, donc l'application numérique elle pourra aider, aujourd'hui elle n‘est pas prête, donc ça ne sert à rien d'avoir un débat sur le fond là-dessus, mais nous nous engageons à ce qu'il y ait un débat, parce qu'il y a des questions qui se posent, c'est naturel, c'est aussi là un type d'application inédit. Il y aura un débat et un vote, dès lors que cette application sera prête et en état de fonctionner. 

GERARD LECLERC 
Jean-Luc MELENCHON pronostique une deuxième vague inéluctable, c'est Emmanuel MACRON qui devra être tenu responsable, a-t-il dit. Brièvement, excusez-moi.  

SIBETH NDIAYE  
Eh bien, écoutez, moi j'essaie de ne pas être prophète de malheur, j'essaie d'envisager l'avenir avec optimisme et avec prudence, et donc nous faisons tout pour que cette seconde vague épidémique n'ait pas lieu, il faut prendre les mesures qui s'imposent, d'un point de vue sanitaire, d'un point de vue aussi économique et social, pour que les choses se passent le mieux possible. Moi j'ai plutôt envie de regarder l'avenir de notre pays en me posant la question de ce qu'on peut faire pour que ça aille mieux, et pas en me morigénant en permanence et en me disant que ça ira mal. Et donc évidemment chacun aura à faire face à ses responsabilités, mais je crois qu'en la matière, le président de la République a pris une décision qui était sage, qui était basée sur évidemment des considérations sanitaires, mais aussi des considérations sociales, parce que nous savons qu'une partie de notre population est susceptible d'être en décrochage aujourd'hui à cause de la situation économique.

 GERARD LECLERC 
Merci Sibeth NDIAYE. Merci bonne journée Romain c'est à vous.  

SIBETH NDIAYE  
Merci à vous.   


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2020