Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On retrouve avec plaisir Hedwige CHEVRILLON et son invité, Jean-Baptiste LEMOYNE, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, particulièrement chargé du tourisme et du commerce extérieur.
HEDWIGE CHEVRILLON
Jean-Baptiste LEMOYNE, bonjour.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour Hedwige CHEVRILLON. HEDWIGE CHEVRILLON Merci d'être avec nous. On va préciser que vous n'êtes pas en studio parce que les ministres n'ont plus le droit d'être en studio. Vous êtes comme tous les Français, vous êtes confinés soit à votre ministère, soit chez vous. En tous les cas, merci de répondre à nos questions. Il y a beaucoup d'interrogations depuis l'intervention hier du président de la République, surtout dans un secteur que vous connaissez bien puisque vous allez réunir toute la filière touristique d'ici quelques heures évidemment par vidéoconférence. Jean-Baptiste LEMOYNE, on est en guerre. Est-ce que c'est la guerre notamment dans tout le secteur touristique ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ce qui est sûr, c'est que c'est une guerre économique de façon générale qui découle de cette guerre sanitaire et le secteur du tourisme, c'est vrai, il est en première ligne. Je l'ai mesuré puisqu'avec les professionnels nous avons des clauses de revoyure très régulières, quasiment tous les jours ou tous les deux jours. La semaine dernière, j'ai reçu le bureau du comité de filière tourisme et puis j'ai reçu l'alliance France Tourisme qui sont ces gros porteurs du secteur touristique ainsi que les croisiéristes. Et effectivement cet après-midi, ce sera l'ensemble de la filière qui sera réuni. La semaine dernière, c'était il y a une éternité en réalité, nous avons évalué l'impact économique sur les quatre premiers mois de l'année à environ dix milliards d'euros de pertes de recettes touristiques. Aujourd'hui, vous le voyez, on passe encore dans une autre dimension puisque le chef de l'Etat l'a dit : il y a un seul objectif, c'est ralentir la progression du virus et dans ces conditions-là, avec les mesures de confinement, avec les déplacements qui sont réduits au strict nécessaire, naturellement l'économie touristique va être encore plus lourdement frappée.
HEDWIGE CHEVRILLON
Pardon Jean-Baptiste LEMOYNE, l'impact, vous pensez qu'il va être de combien ? Parce que là, on voit bien que tout est à l'arrêt. Il n'y a plus de vols. AIR FRANCE-KLM, 70 à 90% des vols annulés. On voit bien que les trains, en tous les cas les hôtels vont être réquisitionnés si besoin est pour les aides-soignants. En tous les cas, c'est ce qu'a annoncé le président de la République hier. On voit bien que tout est à l'arrêt donc la facture va être doublée, triplée pour le secteur touristique.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est bien simple. Vous prenez les recettes touristiques internationales – c'est de l'ordre de soixante milliards d'euros par an – et les recettes touristiques nationales, c'est de l'ordre de cent dix milliards. Donc si on prend les cent soixante-dix milliards et qu'on divise par douze, parce qu'aujourd'hui ça va être comme ça, on voit bien que l'impact se chiffre effectivement en dizaines de milliards… Dix milliards mais par mois maintenant s'il y a un arrêt total. Or les trente prochains jours vont être sous le régime de l'arrêt quasiment total.
HEDWIGE CHEVRILLON
Donc dix milliards par mois, c'est ça que vous nous dites. Dix milliards par mois.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui. A partir du moment où effectivement nos recettes touristiques nationales et internationale s'élèvent à cent soixante à cent soixante dix milliards par an. Une simple division par douze nous montre le poids par mois. Et nous l'avons dit avec Bruno LE MAIRE puisqu'hier nous réunissions également par visioconférence l'ensemble des filières économiques, dès lors qu'elles sont massivement touchées par les mesures sanitaires, l'Etat, le gouvernement nous serons également massivement au rendez-vous pour aider toutes les entreprises à se maintenir en vie, à maintenir leurs emplois parce qu'il y a bien une chose, une leçon à tirer de la crise de 2008. C'est qu'à l'époque, nous n'avions pas les mêmes dispositifs d'activité partielle aussi souples et aussi renforcés qu'aujourd'hui. Et moralité, il y a dix ans, les Allemands ont rebondi plus vite. Nous, nous nous sommes un peu enfoncés dans une crise avec du chômage de longue durée. On a quasiment finalement cinq à dix ans pour s'en remettre. Aujourd'hui, on veut tirer les leçons de ça. C'est pourquoi MPN effectivement a annoncé que l'activité partielle désormais, on pouvait l'avoir très vite et surtout le plafond d'indemnisation était porté à 4,5 SMIC parce qu'on voit bien que l'économie française, elle comporte des gens qui sont payés au SMIC et des gens qui sont aussi mieux payés.
HEDWIGE CHEVRILLON
Jean-Baptiste LEMOYNE, Muriel PENICAUD a dit aussi : " Il n'y aura pas de licenciements." Mais en même temps, dans votre secteur – enfin dans ce secteur touristique d'hôtellerie - on voit bien que ça va être très difficile.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors c'est pourquoi on met vraiment l'accent sur cette activité partielle, sur ce chômage partiel parce qu'il est un outil très précieux pour à la fois maintenir les compétences, alléger le coût pour l'employeur et peut-être continuer à faire de la formation, non pas en présentiel pendant ce temps-là mais par voie dématérialisée naturellement. Il faut conserver les compétences pour pouvoir rebondir immédiatement. Mais il est clair que le secteur de la restauration, dès samedi soir effectivement il a dû tirer le rideau et donc c'est pourquoi nous mettons tous les outils sur la table. Il y aura également pour les plus petites structures, les TPE, un fonds de solidarité et ce fonds de solidarité, il aura vocation à venir en aide à près de quatre cent cinquante mille petites entreprises dont cent soixante mille restaurateurs, cent quarante mille commerces non-alimentaires, cent mille entreprises touristiques de l'événementiel. Et ça, c'est très important parce que lorsque j'ai reçu de l'alliance France Tourisme, donc ces grandes entreprises que sont ACCOR, AIR FRANCE, ADP etc, ce qu'ils nous ont bien dit c'est qu'eux se préparaient à encaisser le choc par un certain nombre de mesures. Mais ce qui les inquiétait, c'était l'ensemble de leur écosystème et notamment les partenaires, les sous-traitants qui sont parfois des structures de petite taille, qui ont des reins peut-être moins solides. Et c'est pourquoi avec Bruno LE MAIRE nous travaillons sur ce fonds de solidarité que le président de la République a évoqué hier. Le président a été très clair en disant : « Personne ne sera laissé au bord du chemin. »
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, il n'y aura pas de faillite. Ce matin justement Bruno LE MAIRE, chez nos confrères de RTL, a annoncé qu'il y aura un prêt de quarante-cinq milliards, il y aura un fonds de quarante-cinq milliards pour les PME. Comment est-ce qu'il va fonctionner ? C'est le même fonds que le fonds de solidarité dont vous venez de parler ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, alors il y a plusieurs outils. Il y a ce fonds, c'est-à-dire qu'y seront éligibles les plus petites structures pour avoir de l'ordre de quelques milliers d'euros pour les premières semaines passer le cap, et puis il n'y a pas que ça. Il y a surtout les trois cents milliards d'euros de garanties d'Etat qui ont été annoncés par le président de la République hier soir et qui vont permettre au système bancaire de faire en sorte que les entreprises n'aient pas de difficultés d'accès au crédit. Parce que ce qui est important, c'est les trésoreries. Et d'ailleurs avec Bruno LE MAIRE hier, lors de cette conférence téléphonique, nous l'avons dit très clairement à la Fédération bancaire française, dès lors que l'Etat est aussi massivement engagé et exposé aux côtés des banques, nous n'accepterons pas qu'il y ait des refus de ligne de trésorerie…
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui. On voit dans les témoignages que c'est compliqué, que c'est parfois compliqué d'obtenir justement de son banquier, de son agence ce délai de trésorerie. Ce n'est parfois pas évident. Une question, une précision peut-être Jean-Baptiste LEMOYNE.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui.
HEDWIGE CHEVRILLON
C'est que les voyagistes français ont annoncé le report de tout vol, de toute réservation jusqu'au 31 mars. Qu'est-ce qui va se passer pour des annulations de voyages, de réservations d'hôtel ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors ce que nous avons acté, décidé, c'est que les voyagistes vont pouvoir proposer à leurs clients un report de leurs déplacements, de leurs voyages etc et il se matérialisera sous la forme d'un avoir qui pourra être utilisé dans l'année qui vient. Ça va permettre à la fois de préserver la trésorerie de ces agences de voyages parce que…
HEDWIGE CHEVRILLON
D'accord. Donc un avoir.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Parce que si elles devaient rembourser tout le monde au même moment, je peux vous dire qu'effectivement elles sont toutes en croix et ça concilie également l'intérêt du consommateur qui pourra, une fois la crise sanitaire passée, reprogrammer son déplacement. De toutes les façons dans la vraie vie, les déplacements aujourd'hui sont quasiment impossibles. On le voit, il y a cent pays dans le monde qui ont pris des mesures…
HEDWIGE CHEVRILLON
Aussi drastiques que celles qu'on vient de prendre.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Visant à dissuader l'accueil des Français sur leur sol. Donc nous, nous l'avons dit déjà depuis une dizaine de jours sur le site des conseils aux voyageurs, et j'incite les auditeurs qui doivent encore ajuster des retours etc, à prendre connaissance de ces conseils aux voyageurs. Il faut reporter, différer tout déplacement à l'international. Il y a dix jours, ça faisait parfois sourire ou parfois on s'en prenait un peu à nous sur ces conseils, mais on voit bien que c'étaient des conseils de bon sens parce qu'aujourd'hui nous avons aussi à gérer des Français qui ont du mal à revenir et de ce point de vue-là, nos ambassades…
HEDWIGE CHEVRILLON
Toute dernière question, pardon Jean-Baptiste LEMOYNE. Il nous reste juste une minuscule minute. Hier on recevait Thierry BRETON donc, le commissaire en charge du marché intérieur européen. Il disait que la croissance au niveau européen allait être fortement impactée, cette crise allait coûter entre 2-2,5, deux points de croissance donc l'Europe sera en récession. Ce matin Bruno LE MAIRE vient d'annoncer qu'effectivement on serait largement en dessous de un pour cent, sauf qu'il avait déjà expliqué ici même sur ce plateau moins d'un pour cent. Est-ce que vous pensez effectivement que notamment dans le secteur des voyagistes, ça va être largement en dessous de l'impact de 2 à 2,5 % ? Ça sera plus ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ecoutez, je dois dire qu'il faudra ajuster selon le temps que prendra la crise, parce que ce que la destination France a montré c'est de la résilience. Et donc si cet épisode demeure assez court et contenu dans le temps, je pense que nous pouvons rebondir mais il y aura forcément un impact. Regardez, dès lors qu'on perd dix milliards par mois de recettes internationales, forcément ç'a un impact important.
HEDWIGE CHEVRILLON
OK. Merci beaucoup d'avoir été avec nous Jean-Baptiste LEMOYNE, donc le Secrétaire d'Etat en charge de l'Europe auprès du ministre des Affaires étrangères et puis en charge du tourisme surtout en ce moment. Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 mars 2020