Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec le quotidien "Le Figaro" le 23 mars 2020, sur les touristes français à l'étranger et le tourisme face à l'épidémie de Covid-19.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Q - Comment les 70 000 touristes Français encore coincés à l'étranger vont-ils pouvoir rentrer en France ? Combien de temps cela va-t-il prendre ?

R - Ils étaient 130 000 au départ. Depuis vendredi, 60 000 retours ont pu se faire. Actuellement, 173 pays ont pris des mesures restrictives envers la France, dont 146 interdisent l'entrée aux Français. Dans les pays où il existe encore un trafic régulier, même réduit, avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Djebbari, nous travaillons avec les compagnies aériennes pour recenser les besoins, établir des plans de vols tout en leur demandant de proposer des tarifs modérés. Je salue le travail réalisé par Air France et sa filiale Transavia. Pour le Maroc par exemple, 140 vols ont ainsi permis le retour de plus de 20 000 touristes français.

Q - Comment les touristes bloqués peuvent-ils se faire connaître ?

R - Le travail de recensement est réalisé au quotidien par nos ambassades et consulats, qui relaient les informations auprès des Français. Quand, sur place, vous n'êtes qu'une dizaine à gérer 15 000 appels par jour, c'est très compliqué. Je veux leur rendre hommage. Les agents du Quai d'Orsay, au centre de crise et de soutien, comme dans le monde entier, sont aussi sur le pont, matin, midi, et soir. J'ai par ailleurs tenu à ce que nous mettions en place en urgence un site internet sosuntoit.fr, pour aider les Français en difficulté dans le monde à se loger. Ce service a déjà permis à 5 000 de nos compatriotes qui résident à l'étranger de proposer un hébergement à autant de touristes bloqués.

Q - La filière touristique française est à l'arrêt. Tous pourront-ils échapper à la faillite ?

R - La filière représente 2 millions d'emplois en France, dont la moitié dans les cafés, hôtels et restaurants. Ce sont 45 milliards de dépenses prévues par l'Etat et 300 milliards de garanties pour faciliter l'accès au crédit et maintenir les trésoreries. Ce plan s'applique bien sûr au secteur du tourisme. Nous faisons tout pour qu'en l'absence de recettes, ces entreprises soient dispensées de toute dépense (reports de charges, prêts bancaires...). L'Etat prend en charge 100 % des salaires en activité partielle. C'est inédit. Nous avons tiré les leçons de la crise de 2008, pour que les compétences et les emplois soient maintenus. C'est un coup très dur pour le secteur, mais tout est fait pour qu'il puisse rebondir.

Q - Quel est le manque à gagner ?

R - Les retombées touristiques en France s'élèvent à 170 milliards d'euros par an, dont 60 milliards d'euros liés aux seules dépenses des touristes étrangers. Il y a un mois, avec Atout France, nous avons estimé le manque à gagner sur mars à 10 milliards d'euros. Si le secteur est à l'arrêt pendant un trimestre, nous perdrons plus de 40 milliards.

Q - Le leader mondial du voyage, l'allemand TUI, a demandé des aides d'Etat à Berlin. L'Etat français est-il prêt à venir au secours de fleurons comme Accor et Pierre & Vacances ?

R - Le plan de soutien de 300 milliards d'euros s'adresse aux petites entreprises comme aux grands groupes, qui disposent d'un guichet unique au ministère de l'économie. Toutes les mesures seront examinées pour les soutenir.

Q - Les clients des agences de voyages ne seront pas remboursés, mais bénéficieront d'avoirs. Combien de temps ceux-ci seront-ils valables ?

R - Nous avons souhaité un dispositif qui concilie le besoin de préserver les agences de voyages et l'intérêt du consommateur. Avec le système de l'avoir, l'agence pourra proposer au client un report pour le voyage qu'il avait réservé. Je peux annoncer que la durée de validité de cet avoir sera fixée à dix-huit mois par ordonnance. Ce dispositif permettra d'éviter une faillite généralisée des voyagistes. Les clients disposeront d'un an et demi pour reprogrammer leur voyage, un temps suffisant pour se décider et résorber le "stock" sans créer d'engorgement. Au terme des dix-huit mois, s'ils n'ont pas profité de leur avoir, les clients pourront être remboursés.

Q - Lorsque l'offre touristique sera à nouveau disponible en France, certains pays seront peut-être encore en stade épidémique. Quelles précautions prendriez-vous ?

R - Les considérations sanitaires prévalent. Il est encore un peu tôt pour évoquer les prochaines échéances, et notamment la saison estivale. Mais j'ai confiance dans la capacité de rebond et de résilience du secteur, comme cela s'est vérifié notamment en 2015, après les attentats. Avec les professionnels et Atout France, notre bras armé pour la promotion touristique, nous allons travailler à un vrai plan de relance de la destination France.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mars 2020