Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à Sud Radio le 24 mars 2020, sur l'Union européenne, les touristes français à l'étranger et le tourisme face à l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

Q - Bonjour, Jean-Baptiste Lemoyne.

R – Bonjour.

Q - Vous êtes à distance parce que nous sommes tous confinés, vous au téléphone, nous donc, avec nos moyens radios extérieurs. (...) Jean-Baptiste Lemoyne, vous êtes en charge du tourisme, on va en parler dans un instant, mais également de l'Europe. L'Europe dans tout ça, il n'y a pas vraiment de réponses coordonnées, pourquoi ?

R - Je crois qu'au contraire, nous sommes dans un moment où les Européens se rendent bien compte que s'ils ne sont pas unis, ils ne réussiront pas à vaincre ce virus. Et donc, au contraire, moi je vois un sursaut européen.

Q - Ah bon ?

R - Oui, je m'explique. Le président de la République a tenu justement, il a souhaité qu'il y ait une véritable réponse européenne. C'est à son initiative que s'est tenu, il y a un peu plus d'une semaine, un Conseil européen en visioconférence. C'était la première fois, pour prendre des mesures à la fois de coordination sanitaire, des mesures économiques parce qu'il faut pouvoir préserver nos emplois, accompagner les entreprises dans ces moments difficiles.

Et la présidente de la Commission de l'Union européenne, par exemple, a demandé aux Etats de faire en sorte que tous les camions qui font la logistique de cette guerre contre le virus ne soient pas retenus trop longtemps entre les frontières. Il y a ce travail de coordination entre les ministres de la santé, entre les ministres des affaires étrangères. A tous les niveaux, on parle avec nos homologues parce que c'est ainsi qu'on résoudra les problèmes.

Q - Oui, mais enfin, on a quand même l'impression qu'on a du mal à parler d'une seule voix. Ce sont beaucoup plus les pays qui prennent les décisions et qui sont souverains, que ce soit pour la fermeture des frontières, que ce soit pour la durée du confinement, que ce soit pour les traitements. Il faut reconnaître que ce n'est pas une réponse unique européenne et peut-être, d'ailleurs, que c'est la meilleure solution.

R - Vous savez, l'Europe est à la fois, je dirais unie, parce que nous sommes ce peuple ayant beaucoup de choses en commun, et divers, et il faut s'adapter aussi aux spécificités locales, et puis à la dynamique de l'épidémie qui est variable d'un pays à l'autre, et même au sein d'un pays, on le voit en France, d'un territoire à l'autre.

Q - Le confinement est mondial, avec plus d'un milliard de personnes concernées. Il y a les Français qui sont bloqués à l'étranger. Sur les 130 000 de ces derniers jours, je crois que 60 000 à peu près sont rentrés. Comment faites-vous pour les 90 000 autres qui sont encore bloqués ?

R - Si je puis me permettre, - les 70 000 autres, 130 000 moins 60 000 - et donc on est mobilisé, on a une coordination très étroite, Quai d'Orsay, avec Jean-Yves Le Drian, ministère des transports, avec Jean-Baptiste Djebbari, et AIR FRANCE, compagnie aérienne.

C'est ainsi que chaque jour, ce sont des dizaines de vols qui sont planifiés pour ramener à la maison nos compatriotes, avant-hier ils revenaient des Canaries ou du Pérou, aujourd'hui même un avion revient des Philippines où nous avions notamment 412 compatriotes bloqués sur l'île de Cebu. Et donc, c'est vraiment un travail quotidien avec tous les consulats, les ambassades, et je peux vous dire que c'est un gros travail de logistique pour faire en sorte que, comment dire, les compagnies planifient ces vols, dans des pays où parfois il y a des interdictions d'atterrir. Et là, c'est notre boulot, avec Jean-Yves Le Drian, de négocier avec nos homologues le poser de ces avions, pour prendre nos compatriotes, et puis également faire en sorte que les compagnies pratiquent des prix modérés parce que beaucoup ont dû acheter des billets pour des vols qui ont été annulés. Ils se retrouvent parfois avec peu de moyens, et donc cet appel est, la plupart du temps suivi d'effets.

J'ai pu le vérifier par exemple sur la République Dominicaine, parce que grâce aux réseaux sociaux on voit les inquiétudes des gens, on voit les problèmes qui remontent, ce qui nous permet de saisir les compagnies pour qu'elles puissent faire un effort dans ce contexte.

Q - Vous les avez saisies et elles "adoucissent" un peu ces prix qu'elles avaient tendance à augmenter sérieusement pour les retours ?

R - Ce que je constate en tous les cas c'est que la compagnie nationale travaille très bien avec nous et encore une fois, sur le cas de la République Dominicaine, on m'avait dit "attention, les prix ont été doublés, triplés", j'ai vérifié : on est dans des prix qui sont raisonnables, modérés pour faire un tel trajet transatlantique. Donc sachez qu'en tous les cas on met tout en oeuvre pour faire en sorte que, un, les vols soient planifiés, et deux, qu'ils se fassent à des tarifs modérés.

Q - Et là, vous pouvez sévir si les tarifs sont encore beaucoup trop forts, est-ce que vous pouvez saisir une commission ou pas ?

R - En fait, ce que l'on demande de façon très pratique, c'est que les compagnies débranchent leurs systèmes d'intelligence artificielle, qui font que quand l'offre et la demande se confrontent et que la demande est beaucoup plus forte que l'offre, eh bien les prix s'envolent. Donc on leur demande de débrancher ces dispositifs, pour pratiquer un prix qui soit fait par l'homme, si je puis dire, et qui, encore une fois, dans ces circonstances exceptionnelles, fasse que les compagnies ne soient pas là pour se faire du bénéfice, mais tout simplement voler à prix coûtant.

Q - Alors, Jean-Baptiste Lemoyne, j'ai refait les comptes, c'est vrai, vous avez raison, c'était 70 000 et pas 90 000. Vous avez bon espoir qu'ils rentrent à peu près quand ces personnes, ces Français qui sont bloqués à l'étranger, à l'horizon de la fin de semaine ?

R - Je pense qu'on en a pour six, sept jours, parce que plus on avance dans le temps, plus on doit faire face aussi, à des communautés de touristes français qui sont dans des pays parfois très enclavés, avec des problèmes de logistique, et donc il faut se donner encore six ou sept jours. Je sais que parfois, cela peut paraître long. J'appelle nos compatriotes à la patience, à la compréhension. On fait tout pour, mais vous voyez, chaque jour, c'est plus ou moins 10 000, 15 000, 20 000 Français qui reviennent. On continue, on va continuer, tant qu'ils seront à l'extérieur.

Q - Oui, Jean-Baptiste Lemoyne, pourquoi certains partent encore à l'étranger ? Est-ce qu'il faut interdire ces déplacements ?

R - Nous sommes très clairs, il faut interdire enfin, voilà, il est décommandé de partir à l'étranger. C'est bien simple, il y a environ 170 pays dans le monde qui ont pris des mesures contre les Français, c'est-à-dire soit interdiction d'accès au territoire, soit mise en quarantaine parce que nous sommes considérés comme un des foyers européens. Donc il est tout à fait recommandé de rester chez soi, et décommandé de partir parce qu'après on se retrouve avec des situations très compliquées et j'appelle à la responsabilité générale.

Q - Plusieurs terminaux ont fermé à Orly et Roissy, vous allez en maintenir encore ouverts combien ?

R - C'est ADP qui pourra vous le dire. On a besoin d'avoir des aéroports qui fonctionnent pour accueillir encore ces vols, pour faire en sorte que tout le monde puisse revenir à la maison, voilà.

Q - Donc dans les jours qui viennent il y aura de nouvelles décisions autour de ces terminaux. Un dernier mot à propos des aéroports, pourquoi n'y a-t-il toujours pas de contrôle de prise de température à l'arrivée dans nos aéroports en France ?

R - Ce qui est demandé à nos compatriotes qui reviennent depuis l'étranger, c'est la même chose que ce qui est demandé aux Français qui sont sur le sol français, c'est-à-dire, dès qu'ils arrivent, de se confiner, et s'ils ont l'apparition de symptômes, de suivre les protocoles sanitaires. C'est cela qui est efficace. Vous le savez, la prise de température peut laisser passer des cas de gens qui sont en train d'incuber le virus et qui ne l'ont pas encore développé de façon visible. Donc je crois que ce qui est important c'est de suivre les protocoles sanitaires quand on est de retour chez soi, c'est cela qui sauvera.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, vous êtes secrétaire d'Etat également au tourisme, le premier secteur touché de plein fouet, enfin l'un des gros secteurs touchés par cette crise mondiale. Vous allez recevoir les professionnels de nouveau aujourd'hui. A combien vous chiffrez aujourd'hui les pertes ?

R - La France est le premier pays en matière d'accueil de touristes, nous sommes vraiment sur le podium à la première marche. Cela génère pour tous nos territoires environ 170 milliards d'euros chaque année de recettes touristiques, entre les touristes internationaux et les Français qui se déplacent en vacances. Cela veut dire que si la situation devait durer trois mois, un trimestre, eh bien, c'est autour de 40 milliards d'euros qui s'évaporent pour nos territoires, pour ces filières touristiques qui font vivre, je vous le rappelle, deux millions de personnes dans l'ensemble du pays. C'est pourquoi, avec Jean-Yves Le Drian, avec Bruno Le Maire, on est énormément mobilisés auprès des professionnels du secteur. Je réunis chaque semaine le comité de filière tourisme. Cela nous a permis de préparer des décisions d'urgence, c'est ainsi. Le Premier ministre l'a confirmé hier soir dans son allocution, nous allons permettre aux agences de voyages de proposer aux gens qui avaient réservé un voyage de pouvoir le reporter pour le faire lorsque la crise sanitaire sera passée, et ainsi bénéficier d'un avoir qui leur permettra de voyager à ce moment-là. Et puis, nous avons mis en place des mesures pour l'ensemble des filières économiques en France, avec 45 milliards d'aides avec, soit le report, soit l'effacement de créances fiscales et sociales, avec également la mise en place du chômage partiel, de façon très large, et surtout indemnisé à 100%. Et puis, dernier point, 300 milliards d'euros pour garantir l'accès au crédit des entreprises, qu'elles soient petites ou moyennes.

Q - Ça c'est global, ça c'est un chiffre global 300 milliards.

R - Oui, c'est global, mais cela répond aussi aux besoins des entreprises touristiques qui sont des entreprises comme les autres, pour le reste.

Q - Oui. Alors, sur les réservations de vacances, ce que vous venez de dire est toujours intéressant, Jean-Baptiste Lemoyne. Concernant ces réservations, alors, vous confirmez, pas de remboursement, mais un étalement dans le temps des billets ou des réservations valables, c'est pendant un an et demi. Et cela va devenir la règle alors ?

R - C'est la mise en place d'un avoir. J'ai réservé un voyage, j'ai un avoir qui me permet de reprogrammer avec l'agence mon déplacement tel que je l'avais prévu, pour la sortie de la crise sanitaire, et cet avoir il sera valable 18 mois. Au bout des 18 mois, si je n'ai pas utilisé cet avoir, à ce moment-là le remboursement sera possible, mais dès lors que j'avais prévu ce voyage, eh bien on maintient cette possibilité de voyage une fois la crise sanitaire achevée.

Q - Qu'est-ce que vous projetez pour cet été ? Est-ce que les Français doivent quand même préparer leurs vacances d'été ?

R - C'est très difficile de répondre à cette question parce qu'on ne sait pas où on en sera à ce moment-là. Regardez, pour les élections municipales qui sont prévues le 21 juin, on fera un point d'étape sanitaire le 23 mai. Et donc, c'est vrai que, d'ordinaire, au printemps on réserve pour l'été, mais aujourd'hui il est très difficile de faire des prévisions. Je crois que la prudence incite tout simplement à s'adapter le moment venu, à prendre les décisions un peu plus tard. Je crois qu'aujourd'hui le temps, il est à la lutte.

Q - Donc, ce que vous conseillez aux Français c'est d'attendre un petit peu, de ne pas forcément réserver, surtout à l'étranger, d'attendre un peu, et vous pensez d'ailleurs que beaucoup se replieront sur le territoire national, resteront en France ?

R - Moi, je pense effectivement que le tourisme va aussi évoluer et que désormais le Français qui part en vacances voudra avoir vraiment des garanties sur sa capacité à avoir accès aux soins, à vérifier que l'endroit où il va est bien préservé. Et je pense qu'il y aura un regain pour le tourisme national, pour la découverte de tout ce patrimoine et ces terroirs qui font la richesse de la planète et qui font que nous sommes le premier pays à accueillir des touristes étrangers. Nous allons peut-être redécouvrir encore plus notre pays nous-mêmes.

Q - Je vais être un petit peu cash. Est-ce que finalement vous ne regrettez pas d'avoir fermé les frontières plus tôt ?

R - Vous savez, la fermeture de la frontière, des frontières nationales au sein de l'Union européenne, n'a pas forcément grand sens, dans la mesure où, encore une fois, le virus ne s'arrête pas à la frontière. Il était important de fermer, ensuite, nos frontières européennes de façon coordonnée.

Q - Non, mais cela évitait le flux des gens qui éventuellement étaient infectés déjà.

R - Oui, mais on le voit, au sein même de la France, à ce moment-là, on le voit, on a nous-mêmes des foyers et ces foyers se sont répandus à travers la France. Donc, je crois que ce qui était important c'est de prendre le maximum de mesures coordonnées, les Européens ont décidé de fermer leurs frontières extérieures, cela a été fait, c'est en vigueur, et puis maintenant on se bat tous contre ce virus.

(…)

Q - Merci, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, d'avoir été avec nous ce matin sur Sud Radio.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mars 2020