Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RMC Info le 7 avril 2020, sur les Français à l'étranger et le tourisme face à l'épidémie de Covid-19.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Bonsoir, Jean-Baptiste Lemoyne.

R – Bonsoir.

Q - Merci d'être avec nous. Un mot pour commencer concernant les chiffres que vous avez donnés vous-même ce matin ; cent quarante-huit mille Français ont été rapatriés depuis le début du confinement, quelques milliers dites-vous sont encore bloqués à l'étranger. Combien précisément ? Et qu'est-ce qui coince ?

R - On en est même à cent cinquante-et-un mille ce soir. Trois mille d'entre eux sont revenus après les vols du jour, des vols qui revenaient du Japon, de Thaïlande, de l'Equateur, du Brésil par exemple, et nous en avons encore quelques milliers parce qu'il y a des endroits, je pense aux Philippines, au Pérou, où la logistique est particulièrement complexe. Soit ils sont dans des petites villes et il faut les regrouper, ils sont parfois au coeur de l'Amazonie. J'ai ainsi découvert Iquitos, une charmante bourgade au coeur de l'Amazonie où nous avons quelques dizaines de Français. Nous nous organisons donc avec les collègues européens pour les ramener vers Lima et ensuite les acheminer vers Paris.

Nous avons donc encore ces quelques milliers de Français, mais nous sommes sur le pont ! Matin, midi et soir, nous avons une cellule de crise au Quai d'Orsay avec aussi nos ambassades et nos consulats pour faire en sorte qu'ils reviennent.

Je peux vous donner également d'autres exemples : nous avons une soixantaine de Français qui sont aux îles Fidji. Et revenir des îles Fidji, c'est également une opération assez compliquée. Mais nous avons réussi à organiser, à leur intention, toute une opération de rapatriement à partir du 13 avril.

Comme vous le voyez, cela va nous occuper encore quelques jours, mais je crois que c'est une opération hors-norme, comme l'a dit le président de la République lorsqu'il est venu à la rencontre des personnels du Centre de crise vendredi dernier.

Q - Peut-on rappeler la démarche à suivre lorsque l'on est Français et que l'on veut rentrer sur le territoire ?

R - Déjà, il faut s'inscrire sur l'application Ariane. Cela permet, lorsque vous êtes en déplacement à l'étranger de vous signaler au poste, à l'ambassade, au consulat, cela permet de recevoir les informations via votre e-mail, et ainsi d'être tenus informés des vols qui sont mis en place, de tout ce qui est organisé etc. Donc, je le signale, c'est très important que les Français s'enregistrent sur Ariane et qu'ils consultent également les réseaux sociaux des ambassades françaises des pays dans lesquels ils se trouvent. Nos ambassadeurs ont mis en place beaucoup d'informations, les réseaux sociaux sont un moyen privilégier car parfois, face à l'afflux de demandes, d'un point de vue téléphonique, il est compliqué de pouvoir répondre simultanément à tout le monde au même moment, d'où l'importance de partager toutes ces informations.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, pour terminer sur ce sujet-là, avez-vous reçu des demandes venants, non pas de touristes français, mais d'expatriés français qui souhaiteraient rentrer au pays pour s'y faire soigner ou s'y confiner ?

R - A ce stade, les résidents français à l'étranger de façon pérenne sont invités à se confiner eux-mêmes dans leur pays de résidence, pour limiter les contacts, pour éviter la possibilité que l'épidémie les touche.

Nos postes sont des relais au quotidien pour prendre en compte les demandes. Très clairement, nous les prenons en compte ; nous avons une communauté française de trois millions et demi de Français de par le monde et il est important d'être toujours à leur écoute et à leurs côtés.

Cet après-midi par exemple, j'avais une réunion sur les écoles françaises à l'étranger ; en effet, elles-mêmes doivent s'adapter. La plupart ont dû fermer et nous devons donc délivrer les cours par audioconférence ou visioconférence comme le font les élèves français ici. Tout cela nous occupe au quotidien.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, en direct avec nous sur RMC, il est secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur et du tourisme. C'est un secteur, je le disais tout à l'heure, qui va accuser dix milliards d'euros de pertes en avril, cinquante mille emplois saisonniers perdus selon une étude du cabinet Pro-tourisme, toute l'économie du pays va en souffrir. Quelles mesures de soutien pouvez-vous déployer Jean-Baptiste Lemoyne, pour amortir un peu ce choc ?

R - Il y a plusieurs mesures. Il y a celles qui ont été prises pour l'ensemble des entreprises, c'est-à-dire avoir l'accès au chômage partiel de façon très rapide, et aujourd'hui, c'est un quart des salariés français qui sont éligibles et qui sont en activité partielle. Cela veut dire que les salaires sont versés par l'entreprise, mais ils sont remboursés immédiatement.

Q - Mais pas intégralement surtout !

R - Ils sont remboursés à hauteur de 84%, cela permet malgré tout de préserver l'essentiel du salaire, c'est important, plutôt que de mettre les gens en chômage pur et simple. Et surtout, cela permet de préserver les compétences et les emplois pour demain car, dès lors que la crise sanitaire aura été vaincue, ce sont des personnes qui pourront immédiatement rejoindre leur poste de travail, reprendre leur activité.

Nous avons également mis en place une garantie massive pour les prêts aux entreprises 300 milliards d'euros, pour qu'il n'y ait pas de problème d'accès au crédit. Je le vois dans le secteur du tourisme, les chiffres commencent à arriver, et on touche justement les PME qui souvent font autour de quatre, cinq cent mille euros de chiffre d'affaires à l'année, des hôteliers de quinze, vingt ou trente chambres. Tout cela est très visible.

Q - Les mesures que vous égrainez sont des mesures pour l'économie en général, pour tous les salariés, pour toutes les entreprises, y a-t-il des mesures qui seront prises exclusivement centrées sur le secteur du tourisme ?

R - Il y a justement une mesure que j'ai souhaitée et qui est spécifique pour le secteur du tourisme, c'est celle qui permet aux voyagistes, aux agences de voyages, aux tours opérateurs de proposer aux clients un avoir ; parce que beaucoup de touristes avaient planifié leur voyage pour les semaines ou les mois à venir.

Et donc, il était important qu'ils puissent reporter ce voyage pour après la crise sanitaire. C'est ce qui leur est désormais proposé. Et, cet avoir, il permet de concilier à la fois l'intérêt du client, qui fera son voyage plus tard, une fois que la crise sera terminée, et également l'intérêt de l'entreprise qui n'a pas à rembourser immédiatement le voyage - le remboursement se fera si le voyage n'a pas été fait dans les dix-huit mois -, et ainsi, cela permet aux entreprises d'encaisser le choc sinon, elles auraient toutes été au tapis. Et à ce moment-là, c'était aussi un problème important pour l'économie du tourisme.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, est-ce qu'un professionnel est tenu de rembourser, au moins partiellement, un client qui n'aurait pas envie de bénéficier de cet avoir par exemple ?

R - Lorsque l'avoir est proposé, l'avoir se substitue au remboursement, pendant dix-huit mois. Donc, pendant dix-huit mois, le client peut reporter son voyage. A l'issue des dix-huit mois, s'il n'a pas voulu faire de voyage, s'il n'a pas voulu utiliser une autre prestation touristique, à ce moment-là, il sera remboursé.

Q - Le remboursement sera obligatoire, Jean-Baptiste Lemoyne ? Pour bien comprendre. Le client ne sera pas éligible au remboursement, il sera nécessairement remboursé ?

R - Il sera remboursé si au bout de dix-huit mois, il n'a pas fait de voyage.

Q - et remboursé totalement ?

R - et remboursé totalement.

Q - Les professionnels du tourisme justement Jean-Baptiste Lemoyne - avec qui vous vous êtes entretenu cet après-midi, je crois, vous les voyez hebdomadairement, demandent à avoir une date de la reprise, une idée au moins de date de reprise. Est-ce que vous avez, vous, un calendrier à communiquer ce soir ?

R - Hélas, le calendrier, il est dicté par l'évolution de l'épidémie, et on le voit, cette évolution, elle se poursuit. Aujourd'hui, on est dans la période du confinement, on doit tous rester chez nous pour limiter la propagation. Et on ne peut pas donner une perspective, ce serait déraisonnable. Et c'est pourquoi, voilà, on le sait, ce sont des semaines et des mois durs. Il faut avoir en tête par exemple que les taux d'occupation des hôtels sont maintenant à 1 % dans la région Sud avec laquelle je me suis entretenu hier, donc c'est dérisoire. C'est pour cela que l'on a mis en place de moyens massifs, économiques, pour aider les entreprises à passer le cap, parce que c'est un cap qui est extraordinairement compliqué.

Mais le tourisme, c'est un fleuron national. Vous savez qu'on est numéro un sur le podium dans le monde, en termes de touristes internationaux qui visitent notre pays. Eh bien nous voulons garder cette place, et donc avoir, tout simplement, des filières touristiques qui sont prêtes à repartir, et c'est pour cela que l'on met ces garanties sur la table.

Q - Justement, est-ce que c'est le principal coup dur pour le secteur du tourisme, ces revenus du tourisme international. Ça représente, je crois, environ 67 milliards de dollars, donc un peu plus de 56 milliards d'euros. Est-ce que c'est ça qui va faire mal au secteur du tourisme en France ?

R - Exactement, mais hélas, c'est l'ensemble du tourisme qui est à l'arrêt. A la fois le tourisme international, mais aussi le tourisme domestique. Tout le tourisme domestique représente deux tiers des recettes du secteur, pour environ 110 milliards, pour les dépenses des touristes français sur le sol français. Et cela ne vous a pas échappé que depuis vendredi, les vacances ont commencé dans certaines zones, et le ministre de l'intérieur l'a bien dit : les vacances doivent se faire confinés. Et d'ailleurs, un certain nombre d'arrêtés ont été pris par les préfets dans les zones littorales, les zones de vacances, pour interdire les locations meublées parce qu'il n'est pas raisonnable que des flux massifs de population se fassent.

Donc, encore une fois, le tourisme dans son ensemble, qu'il soit domestique ou international, est touché, est atteint. Et c'est pourquoi, d'ailleurs, je tiens, chaque semaine, à avoir, à rencontrer les professionnels, par visioconférence naturellement, mais tous les mardis, on fait ce point pour voir ce qui fonctionne bien dans les mesures d'accompagnement, s'il y a besoin d'être éventuellement ajusté, amélioré, peaufiné. Parce que, il n'y a pas à hésiter, c'est un moment dur, et il faut le passer en étant unis, en étant solidaires et en étant à l'écoute des besoins des professionnels.

Q - Après, est-ce que vous êtes plus confiant pour le secteur du tourisme domestique que pour le tourisme international ? Je m'explique : si le dé-confinement a lieu et que cet été, finalement, les Français peuvent partir en vacances, on peut dire ici et là qu'ils privilégieront les voyages en France ; donc, ça peut aider effectivement les lieux touristiques en France. Donc le secteur sera peut-être un peu moins touché ?

R - Je vous le confirme. Les comportements des consommateurs après cette crise vont changer. On le voit déjà, par exemple, en Asie. En Asie, c'est la reprise. Le soleil se lève à l'Est. En en parlant avec les entreprises touristiques comme le Club Med, comme le groupe Louvre Hotels, qui sont très présents en Asie, ils nous disent déjà les retours d'expérience qu'ils ont des premiers touristes là-bas. Eh bien, il y a un tourisme de proximité qui se développe, en premier lieu.

Donc, vous avez raison, la reprise, elle passera par la clientèle domestique. Et je crois que nous allons apprendre à redécouvrir, eh bien voilà, nos terroirs, nos territoires, notre patrimoine, et c'est tant mieux. Parce que la France, justement, elle est riche de diversité phénoménale qui attire du monde entier. Je crois que nous allons plus rester en France. Donc oui, le tourisme français va être un moteur pour la relance. Et puis, petit à petit, il faudra élargir, faire en sorte que les clientèles européennes reviennent, et ensuite, les clientèles internationales.

Q - Et dans vos prévisions, est-ce que vous prévoyez déjà des directives sanitaires à appliquer pour les différents hôtels ou restaurants ?

R - Alors, très clairement, là aussi, les clients que nous avons observés en Chine, ces premiers nouveaux touristes, si je puis dire, sur la zone Asie, chacun a ses spécificités, mais en tous les cas, ce que l'on a observé, c'est une demande plus importante en matière justement d'hygiène, en matière d'informations sanitaires. Et ce matin, lorsque j'étais à l'écoute des professionnels du tourisme, beaucoup, eux-mêmes avaient intégré ces préoccupations et me disaient réfléchir à cette dimension-là pour la reprise. Donc, oui, je crois qu'il y aura, de ce point de vue-là, plus d'attention portée, plus d'assurance apportée aux clients sur des garanties sanitaires et, en tous les cas, les professionnels l'ont d'ores et déjà intériorisé.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, une dernière question. Le gouvernement commence à évoquer le dé-confinement et affirme plancher sur différentes hypothèses. Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires étrangères. Quel est le rôle du Quai d'Orsay dans ce travail ? On imagine évidemment qu'on ne pourra pas décider, tous seuls, d'arrêter de se confiner sans s'accorder avec nos voisins…

R - Vous savez, le Quai d'Orsay dans cette histoire, naturellement il est très sollicité parce que nous avons à oeuvrer par exemple pour le pont aérien qui se met en place avec la Chine en matière d'approvisionnement, nous avons eu à oeuvrer pour ces Français bloqués. C'est beaucoup de démarches politiques auprès des autres gouvernements et oui, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a dit que la Commission souhaitait travailler avec les Etats membres sur justement ce travail de sortie progressive, à l'issue de la crise, du confinement. Il est important je crois d'avoir ce dialogue, cet échange effectivement, même si les situations sont différentes, d'un Etat à l'autre.

Q - Dernier détail, Jean-Baptiste Lemoyne, vous avez annoncé qu'il y aurait un G20 du tourisme. Il était initialement prévu le 9 avril, il est reporté au 25 avril. Votre principale crainte, c'est que certains pays mettent en place une guerre des prix, avec des prix très agressifs pour attirer justement les clients lorsque les frontières seront ouvertes. Il faudra lutter contre ça ?

R - C'est ça. Parce que le tourisme, c'est vraiment une industrie mondialisée de façon très importante. Et on va le voir, les destinations se sont multipliées ces quinze, vingt dernières années. Et comme le choc a été général, il a touché tout le monde, eh bien, certains vont vouloir jouer la relance en jouant, effectivement, des prix très bas.

Mais ce n'est pas un service à rendre au tourisme partout dans le monde parce que cela tirerait vers le bas, naturellement, les revenus touristiques, donc les investissements et donc l'offre. Donc, je crois qu'il est important qu'on puisse se coordonner, se parler entre ministres du tourisme des vingt pays les plus industrialisés, les plus puissants dans le monde, pour essayer d'avoir des réponses qui soient le plus communes possible, et surtout, qui tirent tout le monde vers le haut plutôt que de tirer tout le monde vers le bas.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 2020