Texte intégral
Nous avons tous entendu les inquiétudes et les critiques dans les premiers jours de la crise. Elles n'ont d'ailleurs pas cessé. Pourtant, on ne peut pas dire que l'Europe n'a pas pris la mesure de l'ampleur de la crise et que les Européens n'ont pas compris rapidement qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir seuls. Certes, il y a eu un moment de sidération accompagné de réflexes nationaux, d'autant plus naturels que l'Europe n'a pas de compétence sanitaire claire; certes, ces quelques jours nous ont peut-être coûté cher, mais les institutions européennes, comme les gouvernements, la société civile, les acteurs économiques, tous les Européens ont ensuite travaillé main dans la main.
Rapidement, l'Union a joué un rôle fort dans le cadre de ses attributions. Dès le 10 mars, à la demande du président de la République française, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis en session extraordinaire pour tracer les axes d'une coordination européenne. Ils ont décidé de la fermeture coordonnée des frontières avec les pays non européens, pour éviter une réexportation du virus et une nouvelle vague, mais ils ont également pris des mesures concernant les frontières intérieures afin de maintenir la circulation des marchandises et des travailleurs frontaliers, et d'aménager des voies vertes.
J'ai connaissance de difficultés, mais l'amélioration est perceptible jour après jour. Nous avons également engagé des actions communes concernant les équipements médicaux et de protection : achats groupés, contrôle coordonné des exportations hors d'Europe, création d'une réserve européenne de matériel. Enfin, en activant le mécanisme européen de protection civile, nous avons mutualisé nos efforts pour permettre aux Européens en déplacement à l'étranger de rentrer chez eux.
Des centaines de millions d'euros ont été débloqués très rapidement pour la recherche de traitements et de vaccins. Les règles budgétaires et celles relatives aux aides d'Etat, ainsi que celles relatives à l'utilisation des fonds européens dans toutes les régions du continent ont été assouplies. Enfin, nous coordonnons notre réponse économique.
Une telle coordination et une telle coopération existent-elles ailleurs dans le monde ? Je ne le crois pas. Il est d'ailleurs intéressant que chacun nous en demande plus! Nous coopérons également étroitement avec la Suisse, le Royaume-Uni et la Norvège. Cette coopération appartient désormais à l'ADN continental européen.
Depuis le 10 mars, les chefs d'Etat européens se sont réunis lors de deux autres visioconférences et une nouvelle aura lieu le 23 avril, consacrée à la réponse économique à la crise. Tous les ministres européens, à commencer par ceux la santé et de l'intérieur, procèdent de la même façon. Les ministres de l'éducation échangent également sur leurs pratiques.
Certes, certains acquis que nous pensions intangibles, comme la libre circulation des personnes, sont remis en cause. Mais nous montrons que nous sommes capables de nous organiser et que nous ne sommes pas disloqués. L'Europe et les Européens veulent faire vivre la solidarité et la coopération, comme l'a montré l'accueil de patients des zones les plus touchées dans les hôpitaux des pays voisins : 200 patients français ont été accueillis en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse, en Autriche; l'Italie et l'Espagne ont reçu beaucoup de matériel et des équipes médicales venues de Pologne et de Roumanie. L'effort collectif, toujours en cours, va permettre de faire revenir 350.000 Européens de l'étranger.
S'agissant des questions économiques et budgétaires, la crise est venue ébranler des dogmes que l'on pensait immuables. Nous sommes dans un régime d'exception - prévu par les textes. La BCE, comme l'Eurogroupe, a pris dès la semaine dernière des décisions pour répondre à ce défi, qui soulignent notre créativité.
Mon travail vise désormais à coordonner la sortie de crise et à reconstruire une Europe solidaire, refondation que le Président de la République a appelée de ses voeux. Il ne s'agira pas d'une parenthèse, tout ne pourra pas reprendre comme avant. La sortie du confinement doit être coordonnée, même si tous les pays ne prennent pas les mêmes mesures au même moment : la réouverture des commerces et la reprise des activités dans certains pays entraîneront une reprise de la circulation des personnes et des biens, qui affectera les autres, à commencer par les zones et territoires frontaliers. Nous devons donc privilégier le partage d'informations entre Etats membres. L'entrée en confinement a été complexe dans les zones transfrontalières; le déconfinement doit être plus prévisible afin que nous puissions nous organiser. La Commission européenne a fait des recommandations; nous en soutenons les principes: coopération et solidarité, coordination, fondement scientifique, critères épidémiologiques et capacités des systèmes de santé. Au moment où je vous parle, les vingt-sept ministres de la santé en discutent dans le détail.
Comment préparons-nous la gestion des conséquences économiques et sociales majeures de cette crise ? La BCE a pris des mesures fortes; 37 milliards d'euros ont été débloqués dans le budget de l'Union européenne. L'accord trouvé par l'Eurogroupe la semaine dernière va au-delà, avec 500 milliards d'euros, en s'appuyant sur trois piliers: chômage partiel, prêts aux entreprises, soutien à taux réduit pour les Etats en difficulté.
Je le répète à tous mes homologues, aucun pays, si riche et prospère soit-il, ne pourra se relancer s'il n'a plus de clients. Nos systèmes économiques sont profondément imbriqués et nous ne pourrons donc nous en sortir qu'ensemble. Nous avons acté le principe d'un fonds de relance qui financera la reprise en s'appuyant sur des priorités européennes partagées, tel l'objectif de la neutralité carbone - le financement du plan ambitieux de transition climatique est toujours très attendu. Les chefs d'Etat et de gouvernement en discuteront lors du prochain conseil du 23 avril.Le cadre financier pluriannuel européen 2021-2027 était en discussion avant la crise. Nous allons faire une proposition dans les prochains jours pour créer de nouveaux outils afin de renforcer notre souveraineté - vous avez parlé d'autonomie stratégique. Sans oublier nos anciennes priorités, comme la politique agricole commune (PAC) garante de notre indépendance alimentaire, nous devons aussi avoir de nouvelles et fortes ambitions.
Les citoyens nous le répètent, il faut réfléchir à l'Europe de demain. La conférence sur l'avenir de l'Europe permettra d'engager cette réflexion. Nous devons développer notre autonomie stratégique, dans les domaines sanitaire, pharmaceutique, des équipements de production, mais aussi dans le secteur numérique.
Ma conclusion sera pour l'Afrique. L'initiative, bienvenue, qui réunit les chefs d'Etat européens, du monde entier et africains, porte sur quatre domaines -sanitaire, recherche, humanitaire et économique - pour lesquels l'Afrique a besoin de partenaires et de soutien. Au sein du G7 et du Club de Paris, la France plaide pour un moratoire sur la dette africaine. Nous cherchons à acter ce principe lors du G20 d'aujourd'hui, mais également à restructurer les dettes des pays les plus fragilisés. Le président de la République l'a rappelé, dans le cadre d'une approche partenariale et globale, nous devons être aux côtés des Africains afin qu'ils améliorent leurs capacités de soins et puissent avoir accès aux traitements et aux vaccins en même temps que le reste du monde. Nous devons prendre en considération les conséquences humanitaires de la distanciation sociale sur des populations déjà très éprouvées ainsi que les difficultés supplémentaires que représente, pour ces pays exportateurs de matières premières ou de pétrole, le niveau des cours.
(Interventions des parlementaires)
Monsieur Girardin, la relance doit, bien sûr, coupler le monétaire et le budgétaire en ayant la neutralité carbone en ligne de mire. S'agissant de la perception de l'action européenne, il est vrai qu'elle pâtit de la bataille de récits à l'échelle mondiale. Nous devons, collectivement et par tous les canaux, informer, relayer les actions européennes, notamment celles qui se font en dehors de Bruxelles, dans le cadre de coopérations décentralisées.
Nous avons besoin de porte-voix et de relais comme vous.
Monsieur El Guerrab, il ne faut pas forcément plus d'Europe; il en faut de meilleure. Nous devons pouvoir avancer à plusieurs lorsque cela peut s'avérer utile, par exemple en matière de surveillance épidémique, de matériel médical, d'investissements industriels et de vaccins. La coordination doit prévaloir partout où elle permet d'aller plus vite et de s'adapter aux besoins des citoyens.
S'agissant du retour des Français à l'étranger, depuis plus de trois semaines, un point de situation est organisé chaque jour, à 18heures, au centre de crise du quai d'Orsay. Parmi les choses à améliorer, les personnes concernées sont invitées à s'inscrire sur le registre Ariane, de façon à ce que nous puissions les recenser et les contacter. Une collaboration extrêmement fructueuse avec Air France a permis de maintenir certains vols commerciaux, notamment avec l'Algérie et avec le Maroc.
Faire décoller un avion d'un pays ayant fermé son espace aérien représente un travail politique, diplomatique et organisationnel titanesque. Accompli également grâce à des vols affrétés par nos partenaires européens, il a permis à plus de 156 000 Français de rentrer depuis le début du mois de mars- les équipes concernées méritent d'en être remerciées.
L'horizon de réouverture de l'espace hors Schengen est d'abord sanitaire et s'apprécie en cohérence avec les mesures de déconfinement qui seront mises en place à partir du 11 mai. Certains de nos compatriotes ont besoin de rentrer en France, or la mobilité peut être un vecteur de risques tant pour eux que pour la situation sanitaire hexagonale. Ainsi s'explique la décision de fermer les frontières extérieures de l'espace Schengen.
L'initiative relative à l'Afrique comporte, bien sûr, un volet européen, l'Union européenne étant le premier donateur au monde d'aide aux pays en développement - encore un de ses aspects méconnus.
Madame Tanguy, un plan européen massif existe déjà en matière de vaccin: plus de 140 millions d'euros ont été débloqués au début de la pandémie afin que nous mutualisions nos recherches, nos données épidémiologiques et nos essais cliniques - dont le fameux Discovery -, en vue de mettre, nous espérons rapidement, un vaccin à la disposition de tous, sans considérations de propriété intellectuelle.
En outre, la présidente Ursula von der Leyen a annoncé qu'une conférence de financement serait lancée le 4 mai, en coordination avec l'Organisation mondiale de la santé, la fondation Bill et Melinda Gates et le GAVI, organisation mondiale qui travaille sur les vaccins.
Le plan massif pour la santé de l'après-crise devra intégrer les équipements médicaux, les traitements et les médicaments - nous avions, d'ailleurs, réfléchi à la relocalisation de certaines molécules innovantes utilisées en thérapie génique avant même la crise - ainsi que l'environnement, la prévention et une éventuelle réserve sanitaire mutualisée. Oui, notre ambition sera forcément importante. La conférence sur l'avenir de l'Europe permettra d'écouter les citoyens, notamment sur cette question.
Madame Lenne, j'ai déjà eu trois échanges avec mon homologue suisse, Roberto Balzaretti, depuis le début de cette crise. Un autre aura lieu vendredi pour échanger sur la question frontalière au cours de cette phase de levée progressive des mesures de confinement.
Un débat a lieu en ce moment au sein de l'Union européenne sur le chômage, et plus précisément sur le "règlement 883" sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui inclut le paiement des indemnités chômage pour les personnes travaillant dans un pays où ils ne résident pas. La loi du 1er juillet 2019 montre aujourd'hui toute la pertinence de la coordination franco-suisse en matière de santé entre les hôpitaux de Genève et le groupement hospitalier territorial du Chablais, notamment le centre hospitalier d'Annemasse.
Monsieur David, le financement de la transition écologique devra provenir de sources multiplies : budgets nationaux et européens, financements parapublics - Banque européenne d'investissement, Banque des territoires, Caisse des dépôts et consignations - et épargne privée. La Commission européenne a lancé le projet depuis 2016, et la France a bien pour ambition d'entraîner l'ensemble des acteurs: cette transition ne pourra être financée qu'avec les moyens de tous.
En matière de budget européen, le spatial, la PAC et le pacte vert restent au coeur de nos préoccupations. Nous voulons renforcer notre souveraineté, notamment dans le domaine sanitaire, ainsi que notre solidarité, en cherchant à réduire les inégalités et la fracture sociale dans chacun des Etats membres et entre eux. À cet égard, le Fonds de cohésion et le Fonds social européen seront fort utiles. L'utilité, c'est ce que nous attendons de ce budget, qui doit aussi être juste et ambitieux.
Il faut changer de dynamique, abandonner la politique de rabais, par laquelle une partie de notre contribution sert à limiter celle d'autres Etats membres, au profit du financement de programmes européens, et trouver de nouvelles ressources, comme le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, ou d'autres liées à la pollution ou aux plastiques.
La PAC s'inscrit parfaitement dans l'ambition de souveraineté, alors que la crise a révélé la nécessité de l'indépendance alimentaire. La preuve a été faite auprès de beaucoup de pays qui considéraient la PAC comme finie que s'alimenter avec des produits de qualité cultivés près de chez soi est vital et essentiel. Il s'agit donc de moderniser notre agriculture en donnant plus de moyens à nos agriculteurs, et ce sera notre combat que de préserver les moyens du budget 2021-2027.
(Interventions des parlementaires)
Monsieur Waserman, les enjeux frontaliers, notamment en ce qui concerne la garde partagée, la fiscalité et le droit du travail, ont bien été identifiés. Si les déplacements liés à l'exercice de la garde partagée sont autorisés en France, ils ne font pas partie des motifs acceptés pour l'entrée dans notre pays. Nous y travaillons. D'une manière générale, la période que nous traversons appelle la solidarité et l'humanité. Le comité de coopération transfrontalière, installé en novembre 2019, montre sa pertinence, même aujourd'hui, à travers des échanges informels quasi quotidiens entre les parties prenantes. Nous réfléchissons à la manière de l'activer, notamment pour la sortie du confinement, et d'en faire ensuite un outil concret.
Madame Clapot, l'Union européenne a trois axes d'action en direction des pays des Balkans occidentaux. Les fonds de préadhésion ont été redéployés, à hauteur de 38 millions d'euros, pour financer des dépenses urgentes, et à hauteur de 375 millions vers la santé et le soutien aux économies fragilisées de ces pays. Nous essayons de coordonner ces fonds avec l'action des autres institutions financières internationales, pour soutenir les PME notamment. Par ailleurs, nous associons ces pays à des instruments de l'Union, notamment les achats groupés de matériel médical ou encore le fonds de solidarité destiné aux pays avec lesquels le rapprochement est le moins avancé. Nous avons également facilité le transport de marchandises pour éviter une crise de l'approvisionnement alimentaire.
Monsieur Cabaré, les accords de coopération dans l'aérien et le spatial ne sont en aucune manière remis en cause. Après la crise, l'heure sera, au contraire, à la réindustrialisation et au renforcement de l'emploi.
Madame Poletti, sur la transition écologique, je n'ai pas d'autre commentaire à faire que de dire qu'elle doit être financée par tous les acteurs. Par ailleurs, les fonds européens dégagés pour les régions montrent bien que les Etats, les régions et l'Union européenne travaillent ensemble. S'agissant de la communication, Ursula von der Leyen publie chaque jour, sur les réseaux sociaux, une vidéo en quatre langues consacrée aux actions des institutions européennes. Cela dit, je vais réfléchir à la manière dont nous pourrions faire connaître encore mieux cette action collective. Outre l'action des institutions européennes, il y a tout ce que nous faisons entre Européens - nous essayons de communiquer sur ce point; vous êtes d'ailleurs des relais très importants.
La réserve européenne de matériel telle qu'elle est proposée consiste à faire acheter par les fonds européens 380 millions d'euros d'équipements de protection, répartis dans tous les Etats membres et mobilisés en fonction des besoins. Thierry Breton fait en sorte que les équipements soient alloués en fonction des pics épidémiques. Dans une situation de grande tension mondiale sur les approvisionnements, il faut éviter que chacun fasse des stocks trop importants, risquant ainsi de priver d'autres pays de ce dont ils ont besoin. Cette coordination est essentielle. La France est candidate à la fois pour acquérir et héberger une part du matériel. La situation ne permet pas d'atteindre le niveau maximum visé pour le stock, mais nous aurons appris de ce qui se passe, et cela nous aidera pour la suite.
Madame Thomas, des discussions ont eu lieu pour rendre plus efficace le FED. La France a posé des conditions à sa rebudgétisation éventuelle, qui concernent sa gouvernance, son agilité et la possibilité de l'orienter vers certaines priorités - l'Afrique notamment. L'impact du Brexit est le même que pour d'autres outils. Ce n'est pas parce que nous sommes un pays de moins que nous devrions avoir moins d'ambitions. Certes, il nous faut de nouvelles ressources pour financer le budget, mais l'Europe n'est pas seulement une affaire comptable: grâce à elle, nous pouvons faire des choses que nous ne pourrions pas faire tout seuls.
Monsieur Herbillon, s'agissant de la circulation, le pic épidémique n'est pas atteint partout en même temps. Pour que le transport de personnes puisse reprendre, la santé des personnes doit être protégée: il ne faudrait pas réimporter l'épidémie dans des régions où elle a été jugulée. Je ne peux donc pas vous donner de date, mais nous travaillons sur la manière de rétablir de la connectivité au sein de l'espace européen. Nous procéderons par étapes. S'agissant du transport des marchandises, nous avons établi des axes de circulation prioritaires: les Etats se sont engagés à ce qu'il n'y ait pas plus de quinze minutes d'attente aux frontières sur ces itinéraires. C'était pour nous une priorité. En ce qui concerne les équipements de protection, nous achetons ensemble, en complément des achats nationaux, pour constituer une réserve européenne de matériel. Surtout, l'objectif est de produire plus en Europe. Un certain nombre d'entreprises ont déjà réorienté leur production; nous devons soutenir ces filières dans le temps, car une partie de notre vie collective va dépendre durablement de ces équipements.
Même s'il est trop tôt pour faire le bilan de la crise, il faut de toute évidence un mécanisme européen de veille et d'alerte plus fort, mais aussi un outil de gestion des crises plus structuré. Au tout début du mois de février, quand la France a jugé utile de réunir les ministres de la santé pour un premier échange sur la manière dont les uns et les autres entendaient aborder la crise, il a été plus simple de le faire au niveau du G7 qu'au niveau européen et, lors des premières réunions européennes, une bonne partie des participants se demandaient ce qu'ils faisaient là. S'agissant de certaines fermetures unilatérales des frontières, brutales et inadaptées, la France a oeuvré pour que ces décisions soient corrigées. On a beaucoup appris de cet épisode; d'ailleurs, le discours de la Commission concernant la levée progressive de mesures et la coordination a été reçu par les Etats membres de manière assez différente que ne l'avaient été les observations concernant les fermetures de frontières unilatérales.
Madame Givernet, après cette crise, la coopération transfrontalière devra être plus complète et réciproque. En ce qui concerne les masques, nous essayons de créer des stocks et de développer les capacités de production. L'Italie a été la première à ressentir les effets de la crise et elle nous dit bien qu'on ne pourra pas en sortir chacun de son côté. Le plan de relance est assez largement fait avec les Italiens et pour eux; c'est une affaire collective. Nous avons fourni du matériel et de l'expertise à l'Italie. Surtout, nous avons pris des initiatives pour développer concrètement la solidarité, ce qui est mieux que de se contenter de l'invoquer. Pour ce faire, la clé est la capacité de produire, d'importer et de stocker ensemble du matériel.
(Interventions des parlementaires)
Monsieur Lecoq, produire chez soi ne signifie pas se barricader: il y a beaucoup de façons de relocaliser. Le président de la République affirme, depuis trois ans, qu'il faut recréer une souveraineté industrielle. En la matière, nous avons des alliés. L'alliance européenne pour les batteries électriques réunit ainsi sept pays et dix-sept entreprises. Mon travail, comme celui de Bruno Le Maire, est de trouver des coalitions d'intérêts pour parvenir à des accords. Thierry Breton a proposé une feuille de route industrielle pour assurer notre souveraineté dans certains domaines. Enfin, la solidarité internationale a vocation à s'appliquer partout, en fonction des besoins des pays. La vie humaine n'a pas besoin de passeport pour être protégée.
Madame Trisse, la France défend largement, depuis des décennies, le principe du plurilinguisme, selon lequel chacun doit pouvoir parler sa langue maternelle. Je vais me rapprocher de Frédérique Vidal pour voir si des aménagements sont nécessaires.
Monsieur Cordier, ne voyez pas d'autosatisfaction là où il n'y a que de la lucidité: dans certains domaines, l'Europe a agi beaucoup plus rapidement, bien qu'encore insuffisamment sans doute, que lors d'autres crises. Et la France a pesé de tout son poids pour que l'Europe agisse de manière coopérative, solidaire et coordonnée. C'est à la demande de notre pays que les ministres de la santé se sont réunis, malgré les réticences, le 13 février, suivis, le 10 mars, des chefs d'Etat et de gouvernement. Certes, des progrès considérables sont encore nécessaires en matière de veille, d'alerte et de gestion de la crise, mais beaucoup a été accompli, notamment sur les plans budgétaire et économique. Le fonds européen, la réserve sanitaire, les achats groupés étaient inimaginables il y a encore six semaines.
Monsieur Habib, l'Italie est meurtrie par la crise, mais nous avons mené tous ces combats, notamment pour la relance européenne, aux côtés des Italiens, dans leur intérêt comme dans le nôtre. Le président de la République a signé avec les dirigeants de huit pays une lettre demandant le financement d'un plan de relance commun par des instruments innovants, y compris de la dette commune. Cette idée, à l'origine, était défendue quasi exclusivement en Italie.
Monsieur de Rugy, il y a une volonté partagée d'investir massivement et très rapidement, pour recréer une dynamique économique qui sauvegarde les emplois et nous permette de conserver notre avance technologique et de compétitivité. Les financements innovants sont l'enjeu des discussions.
Madame Chapelier, les droits des femmes sont souvent attaqués en période de crise. Il faut saluer l'action de Marlène Schiappa et de nombreux ministres en Europe contre les violences conjugales et celles faites aux enfants. Les femmes et les représentants des différentes catégories sociales doivent avoir toute leur place dans les instances de réflexion sur le monde d'après.
(Interventions des parlementaires)
Monsieur Mbaye, cette crise a révélé des aspects intéressants concernant le transfert de patients. La Commission européenne a publié un cadre commun dont les nombreux principes concernant le financement et les protocoles de soins transfrontaliers seront très utiles à l'avenir.
Vous avez également évoqué la question des réfugiés : l'initiative française visait à plaider pour une trêve humanitaire auprès des membres permanents du Conseil de sécurité. Il s'agit d'éviter l'arrivée de nouveaux réfugiés dans les mois à venir, tout en maintenant l'aide humanitaire et en prenant en compte les situations les plus compliquées.
Monsieur Dupont-Aignan, l'Allemagne a beaucoup fait pour accueillir les patients d'autres pays. On ne peut donc parler de repli national.
Le MES est ouvert à tous, afin d'apporter des financements aux Etat qui auraient des difficultés à se financer sur les marchés. Il n'implique absolument pas la mise sous tutelle par une quelconque troïka ou un contrôle extérieur, mais simplement la transparence des comptes publics et la bonne gestion, cadre général de l'action européenne. Le Pacte de stabilité et de croissance est suspendu du fait des conditions exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons.
Les 750 milliards d'euros débloqués par la BCE pour racheter des dettes souveraines concerneront les dettes française, allemande, italienne, espagnole, celles de tous les pays de la zone euro. Quand une banque centrale rachète de la dette, elle ne l'annule pas mais permet son financement au taux le plus bas. Actuellement, la France se finance à 0,09% à dix ans. Cela montre tout l'intérêt de l'action de la BCE.
Madame Sylla, il y aura un plan français de soutien aux industries culturelles. La commissaire Mariya Gabriel réfléchit également aux moyens les plus efficaces de préserver les industries culturelles et de protéger les artistes. Nous en saurons plus dans les prochaines semaines, la reprise de l'activité normale dans les salles de spectacles et festivals risquant d'être lente.
Vous avez raison, en Afrique, nous devons faire la différence entre les pays dont la trajectoire de finances publiques est soutenable et ceux en difficulté. À court et moyen termes, le Président de la République tient à la réflexion partenariale avec les pays africains et leur diaspora. Il faut mettre à disposition du continent ce capital humain, économique et financier pour qu'il retrouve son autonomie et des perspectives de croissance. La crise ne doit pas stopper les dynamiques qui avaient permis à certains pays de passer un cap.
Madame Rauch, nos interdépendances avec le Luxembourg sont très fortes, la crise l'a révélé. J'ai commencé à m'y atteler mais, à la fin de la crise, nous devrons y réfléchir ensemble.
Madame Boyer, depuis novembre 2015, la France applique des restrictions et effectue des contrôles à ses frontières intérieures, initialement pour des motifs liés au terrorisme et désormais pour des raisons sanitaires. Ces contrôles aux frontières intérieures terrestres ont été prolongés du 1er mai au 31 octobre prochain.
S'agissant des masques alternatifs, des normes françaises ont été établies. Agnès Pannier-Runacher et Thierry Breton coopèrent à la définition d'une norme européenne.
Monsieur Bourlanges, vous avez, comme d'autres, évoqué le décalage entre la perception des Européens et la réalité. Notre priorité est de combattre la pandémie même si, vous avez raison, la communication de chacun - Commission européenne, BCE, Gouvernement - est importante, et les limites de compétences des uns et des autres pas forcément connues. Le décalage de perception est aussi lié à notre volonté de ne pas nous mettre en scène quand d'autres pays ont privilégié la narration ou les visuels. Vous avez raison, nous avons des difficultés à expliquer ce que l'Europe fait, ne fait pas, peut faire et pourrait faire. Ce sera tout l'intérêt de la conférence sur l'avenir de l'Europe: comparer ce que les citoyens attendent de l'Union européenne et ses compétences.
Les "corona bonds", outil de relance coordonnée qui pourrait s'appuyer sur un endettement commun, n'auront pas vocation à gommer le passé, mais à financer ensemble le futur. Nous devons imaginer un mécanisme de gouvernance et lister précisément les dépenses concernées : quels industries et secteurs souhaite-t-on renforcer ? Dans quels domaines veut-on agir ensemble et relancer l'économie ? Seul l'endettement nous permettra d'agir rapidement et de bénéficier d'un effet de levier, car aucun de nos pays ne dispose d'argent sonnant et trébuchant, d'autant que certaines dépenses liées au pacte vert n'auront des effets qu'à très long terme.
Monsieur Maire, la France soutient les démarches de la Commission européenne concernant l'Etat de droit en Hongrie, en Pologne et dans d'autres pays. Didier Reynders, commissaire à la justice, et Vera Jourova, vice-présidente de la Commission chargée des valeurs et de la transparence, suivent de très près la situation, tout comme la Cour de justice de l'Union européenne. La France, avec plus d'une quinzaine de pays, a demandé à ce que le sujet soit inscrit à l'ordre du jour du prochain Conseil des affaires générales, qui se tiendra la semaine prochaine. Nous échangeons également régulièrement avec le Parlement européen et le Conseil de l'Europe. Nous devons veiller au respect et à la protection des libertés fondamentales des citoyens européens et les mesures d'exception doivent être proportionnées et temporaires.
Monsieur Quentin, bien sûr, le plan de relance ne nous détournera pas de notre objectif de neutralité carbone, car la crise climatique n'est pas derrière nous. Avec dix autres ministres en charge de l'environnement, Elisabeth Borne a signé une tribune plaidant pour une relance compatible avec notre ambition climatique. Des parlementaires européens et des chefs d'entreprise ont fait de même.
Le mécanisme européen de protection civile a été créé il y a deux ans pour gérer les feux de forêt. Depuis quelques mois, il a surtout servi à rapatrier les Européens du monde entier et à financer le transfert de patients hors de nos frontières. Nous avons chaque jour de nouvelles idées pour déployer cet outil très précieux. Il sera utile de faire le bilan de ses réalisations dans quelques semaines.
Madame Leguille-Balloy, vous avez raison, la souveraineté, c'est notre capacité de définir la manière dont nous souhaitons disposer de biens qui nous semblent essentiels, mais c'est aussi notre capacité de définir les normes et les règles pour produire ou pour disposer de ces biens. La souveraineté est liée à la sécurité, à la défense, à l'alimentation. La souveraineté alimentaire est forcément européenne également, et c'est l'origine de la politique agricole commune, créée après-guerre pour éviter de nouveaux conflits. Il ne s'agit pas de remettre en question cette solidarité européenne essentielle, mais d'être autonome en période de crise. La souveraineté française et l'autonomie stratégique européenne que le président appelle de ses voeux ne sont pas antinomiques mais complémentaires; elles se renforcent mutuellement.
(…)
Je vous remercie pour ces échanges qui relaient l'exigence de tous les Européens vis-à-vis de l'Europe. Nous tirerons des enseignements de cette crise, tant en termes d'action que de perception.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 2020