Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur le plan de reprise de l'économie, à Paris le 29 avril 2020.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition (en visioconférence) par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Monsieur le Président de la commission des affaires économiques, Cher Roland Lescure
Mesdames et messieurs les Députés,


Je suis heureux de vous retrouver en vidéoconférence, et triste que cela ne soit pas directement dans la salle de la commission des affaires économiques, mais je pense que d'ici quelques semaines, cela pourra être le cas. En tout cas, je crois qu'il était très important que nous puissions échanger entre nous au moment où la France connaît une crise économique dont la gravité n'a aucun équivalent dans l'histoire contemporaine française, aucun.

Cette crise se résume en un chiffre : 8%. C'est le niveau de la récession pour 2020 dans notre pays. C'est un chiffre qui comme je l'ai dit a été brutal et qui est provisoire.

Le chiffre que je vous ai donné est un chiffre brutal mais un chiffre provisoire, puisque l'évolution de la situation et notre estimation dépendront de l'évolution de la crise sanitaire, de l'impact qu'elle aura sur la situation économique aux Etats-Unis et également dans les pays en voie de développement. Je crois qu'il est important pour chacun de mesurer les risques à court et à long terme de cette crise pour prendre les bonnes décisions.

A court terme, le premier risque est évidemment un risque pour notre économie nationale. Nous avons connu un choc très brutal, et je remercie le Président Lescure de l'avoir rappelé, nous avons apporté immédiatement une réponse massive. Sans aucune hésitation, nous avons mis en place des dispositifs sur lesquels je reviendrai et qui ont montré leur efficacité : chômage partiel, prêts garantis par l'Etat à hauteur de 300 milliards d'euros, Fonds de solidarité pour les indépendants.

Toutes ces réponses sont massives et je crois que nous avons su anticiper la gravité de la crise puisque, dès les premiers jours, j'ai indiqué que cette crise n'avait pas d'autre comparaison que la Grande récession de 1929. Il faut être lucide sur le fait qu'une fois que le choc a été absorbé, le deuxième temps, celui qui vient maintenant et qui va s'ouvrir dans les semaines qui viennent, en particulier au moment de la rentrée de septembre-octobre, est celui où les difficultés de trésorerie des entreprises peuvent être les plus importantes et où nous risquons une multiplication de faillites.

Il y a chaque année entre 40 et 50 000 faillites en France. Nous savons qu'au lendemain de ce choc, il y a un risque de multiplication de faillites dans notre pays, en particulier des petites entreprises.

Nous devons avoir conscience aussi, ce n'est pas une surprise, que l'impact sur l'emploi peut être un impact sévère. Nous venons de le voir le mois passé, avec plus de 240 000 demandeurs d'emploi en plus. Cela s'explique par le fait que la rotation habituelle des demandeurs d'emploi qui sont en contrat à durée déterminée ne sont pas renouvelés, que les intérimaires ne sont pas renouvelés, que les jeunes qui rentrent sur le marché du travail. Cela va d'autant plus être le cas en septembre-octobre, et nous risquons une forte augmentation du chômage malgré les dispositifs que nous avons mis en place.

Je pense que la situation actuelle commande la lucidité et un discours de vérité que j'ai tenu depuis le premier jour.

Nous risquons également - c'est un troisième risque après celui des faillites et du chômage - de perdre des parts de marché à l'exportation si nous laissons nos compétiteurs européens mais aussi en dehors de l'Union européenne, prendre des parts de marché à notre place.

C'est pour cela que j'ai appelé au retour à l'activité ce matin parce que ne nous faisons aucune illusion, si nous perdons des parts de marché à l'exportation dans un certain nombre de domaines sur lesquels il y a une forte concurrence - je ne parle pas du marché du luxe mais je parle par exemple du marché de l'acier ou de l'automobile - d'autres prendront notre place et il sera extrêmement difficile de récupérer ensuite ces marchés d'exportation qui ont demandé des années et des années de conquête.

Ces risques-là, nous devons vraiment les avoir présents à l'esprit.

Le deuxième risque est européen : c'est celui de voir certaines économies européennes repartir très vite, par exemple l'économie allemande parce qu'ils ont les moyens de mettre le paquet financier pour soutenir leur économie et d'autres qui ne repartiraient pas aussi vite - c'est ce qu'on a connu au lendemain de la crise de 2008-2009 - aggravant les disparités économiques entre les membres de la zone euro, avec un risque pour la survie de la zone euro elle-même.

Je l'ai toujours dit, les écarts supplémentaires de développement économique entre les Etats membres de la zone euro constitueraient un risque majeur pour la survie de la zone euro.

Le troisième risque, enfin, c'est celui d'un déclassement européen face à la Chine et aux EtatsUnis si nous ne redémarrons pas vite, et surtout, si nous ne maintenons pas nos investissements dans les technologies d'avenir.

Voilà trois séries de risque que j'identifie dans le deuxième temps de cette crise :

- risques nationaux sur l'emploi, les faillites, les parts de marché à l'exportation ;

- risques en deuxième lieu sur la zone euro si nous n'arrivons pas à faire converger les réponses à la crise ;

- et risque enfin d'un déclassement européen face à la Chine et aux Etats-Unis si nous ne savons pas continuer à financer les dépenses d'investissement pour les nouvelles technologies.

Ma conviction est que si, à l'inverse, nous prenons les bonnes décisions, la France peut sortir plus forte de cette crise et l'Union européenne peut proposer pour le reste du monde un modèle de développement économique qui sera certainement le plus approprié au XXIème siècle.

De ce point de vue-là, je voudrais immédiatement tordre le cou à une illusion : cette crise ne mettra pas fin à la mondialisation.

La mondialisation, sa fin n'est pas souhaitable parce qu'elle se solderait par une réduction des échanges commerciaux, une baisse de la prospérité, une incapacité à faire face aux défis technologiques, sanitaires et environnementaux du XXIème siècle, mais aussi par un accroissement des inégalités entre un certain nombre de nations.

En revanche, ce que je crois indispensable, ce n'est pas de vendre l'illusion de la fin de la mondialisation, c'est de nous battre pour redéfinir les règles de la mondialisation. Et c'est ça le vrai combat que doit mener la France. Ne pas dire que la mondialisation est finie alors que tous les autres États vont essayer de participer à cette mondialisation mais redéfinir les règles de la mondialisation qui doit se conjuguer avec le respect de l'environnement, c'est la priorité principale, avec le respect des frontières, notamment les frontières du continent européen et avec le respect de nos intérêts économiques nationaux et européens.

La mondialisation ne doit plus rimer avec ouverture à tout va. Mondialisation doit rimer avec régulation, contrôle et lutte déterminée contre le réchauffement climatique.

Voilà le cadrage global que je voulais présenter avant d'avancer un peu plus sur les solutions que nous avons apportées et qu'il nous reste à apporter.

Sur les solutions que nous avons apportées face à ce diagnostic général, je voudrais rappeler que nous avons voulu immédiatement, avec le président de la République et le Premier ministre, protéger nos salariés, protéger nos très petites entreprises et protéger notre patrimoine industriel.

D'abord, nous avons voulu protéger nos salariés puisqu'aujourd'hui, plus de 11 millions de salariés ont eu accès au chômage partiel. C'est un choix politique majeur qui a été fait avec le reste du Gouvernement et en particulier la ministre du Travail. Nous ne voulons pas une hécatombe de nos compétences et de nos savoir-faire. Et nous avons fait le choix, effectivement, de dépenser beaucoup d'argent public pour protéger ce qu'il y a de plus précieux dans une entreprise, c'est-à-dire les compétences des salariés.

C'est un choix économique stratégique qui nous permettra de repartir plus vite au lendemain de la crise et qui nous évite de nous retrouver dans la situation américaine où vous avez eu 16 millions de chômeurs en plus en l'espace de quelques jours.

Aujourd'hui, il y a une forte augmentation des demandeurs d'emploi en France, mais elle est sans comparaison avec les pays qui n'ont pas développé de dispositif de chômage partiel.

Deuxièmement, nous avons voulu soutenir nos très petites entreprises. Nous avons mis en place un système de prêts garantis par l'État, 48 milliards d'euros ont été accordés pour plus de 310 000 entreprises, dont 90 % sont des TPE. S'il n'y avait pas aujourd'hui ces prêts garantis par l'État à hauteur de 300 milliards d'euros, beaucoup de très petites entreprises seraient confrontées à des problèmes de trésorerie insolubles et auraient déjà fait faillite.

Nous avons également mis en place pour les petites entreprises - toujours de moins de 10 salariés - un fonds de solidarité pour un montant total de 7 milliards d'euros. Ce fonds, nous l'avons renforcé à plusieurs reprises sur la base de vos recommandations.

Et je veux remercier chacun d'entre vous, quel que soit son appartenance politique, pour les conseils, recommandations, critiques qui ont été formulés depuis plusieurs semaines. Elles sont toutes utiles et c'est le rôle de la représentation nationale de me dire "votre Fonds de solidarité, il n'y a pas les gages dedans." On a mis les gages dedans. "Votre fonds de solidarité, leur référence, je ne parle pas de leur chiffre d'affaires, mars 2019, ce n'est pas la bonne référence." Nous avons changé la référence. Et 70%, c'était excessif. On a baissé le taux à 50%.

Alors, je veux vous remercier pour toutes ces propositions parce que je pense qu'on a ajusté profondément le Fonds de solidarité pour qu'il réponde davantage aux attentes des très petits entrepreneurs.

Nous avons devant nous un certain nombre d'entreprises qui vont continuer à être fermées dans les semaines qui viennent. Je pense aux cafés, aux restaurants, je pense au secteur de l'événementiel, du sport, de la culture. Je suis prêt à renforcer encore davantage le Fonds de solidarité pour leur permettre de faire face à ces difficultés dans les semaines qui viennent. Le dispositif sera donc élargi pour ces secteurs aux entreprises non plus de moins de 10 salariés, mais de moins de 20 salariés qui ont un chiffre d'affaires non plus de moins de 1 million d'euros et de moins de 2 millions d'euros.

L'aide du deuxième volet sera porté de 5 000 à 10 000 euros. Je crois que c'est à la fois une question d'efficacité et de justice. Il y a des secteurs, et vous en êtes tous les témoins dans vos circonscriptions, qui ne peuvent pas rouvrir, qui ont zéro chiffre d'affaires. Le principe que nous avons fixé avec le Premier ministre et Président de la République, c'est "zéro recette, zéro dépense".

Je sais bien que, par exemple, pour les loyers, pour un certain nombre de commerces, de restaurants, d'associations sportives, le loyer, c'est 2 000, 3 000, 4 000 euros. Ils ne peuvent pas le payer. Il n'y a pas de chiffre d'affaires en face. L'élargissement de ce fonds doit leur permettre de prendre en charge ces dépenses.

Enfin, le troisième volet de la réponse, ça a été notre patrimoine industriel. Nous avons pris des décisions de soutien massif à un certain nombre d'entreprises industrielles qui sont stratégiques pour notre pays.

Nous l'avons fait pour Fnac-DARTY : 500 millions d'euros de prêts garantis par l'État ont été accordés.

Nous l'avons fait pour Air France avec 7 milliards d'euros qui seront apportés, 4 milliards d'euros de prêts garantis par l'État fournis par les banques et 3 milliards d'euros de prêts directs par l'État.

Je veux redire que ce soutien à Air France n'est pas un chèque en blanc, que nous avons négocié, négocié longuement et que nous avons fixé des conditions, d'abord des conditions de compétitivité. Cet argent, c'est l'argent des contribuables puisque les prêts bancaires sont garantis par l'État et que le reste de l'aide, ce sont des prêts directs de l'État. Donc, à partir du moment où nous investissons beaucoup d'argent du contribuable dans Air France, Air France doit faire des efforts pour être plus rentable et plus compétitive. C'est la première condition que nous avons fixée.

La deuxième condition est essentielle à mes yeux : Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète et ça doit être l'objectif d'Air France. C'est une condition sine qua none de ma signature pour soutenir Air France.

Ces conditions sont concrètes. Elles devront se traduire par des décisions fortes dans les mois qui viennent. Nous voulons qu'Air France réduise de 5 % ses émissions de CO2 par passager par kilomètre entre 2005 et 2030, et nous nous assurerons que cette condition est respectée. Nous voulons qu'Air France réduise de 50 % son volume d'émissions de CO2 sur ses vols métropolitains d'ici à la fin 2024.

Cette condition est nouvelle, elle est drastique et elle va nous amener à revoir la mobilité sur le territoire français. Je veux que chacun en prenne conscience. Dès lors qu'il y a une alternative ferroviaire à des vols intérieurs avec une durée de moins de 2 heures 30, ces vols intérieurs devront être drastiquement réduits et, pour tout dire, limités simplement aux transferts vers un hub.

Dans le cas de Paris-Strasbourg, par exemple, cela a déjà été très largement le cas : il reste effectivement des vols Strasbourg-Paris, mais pour pouvoir reprendre ensuite un vol international à destination de l'Asie ou des États-Unis. Cela devra être la règle pour tous les vols intérieurs dans lesquels il existe une alternative ferroviaire de moins de 2 heures 30.

L'avion ne doit plus être un moyen de faire en 1 heure ou 1 heure 15 les trajets qui pourraient se faire à moindre coût de CO2 par train en 2 heures - 2 heures et demi. Ça doit être la règle et nous la ferons respecter.

Je compte sur vous pour soutenir cette approche parce qu'il va de soi que ce que nous disons au niveau national, je sais très bien qu'après, lorsqu'on va le décliner au niveau régional et départemental, on va nous expliquer "mais il y a tel aéroport, il a besoin d'activité, c'est ennuyeux pour telle ou telle activité". Il faudra que nous regardions ensemble quelles solutions de soutien économique nous pouvons trouver.

Mais si nous fixons ensemble cette règle, il faudra nous donner les moyens collectivement de la faire respecter.

Troisième élément concret pour qu'Air France devienne effectivement la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète : l'objectif de 2% de carburant alternatif durable incorporé dans le réservoir des avions devra être tenu dès 2025. C'est-à-dire que d'ici à 5 ans, 2% de carburant alternatif durable devra être incorporé dans le réservoir des avions.

Enfin, les investissements seront fléchés dans les années à venir sur le renouvellement de la flotte long et moyen-courrier pour réduire plus efficacement les émissions à la source.

Le renouvellement des avions c'est, avec la limitation des vols intérieurs, un des moyens les plus efficaces pour réduire l'empreinte CO2 d'Air France. Un nouvel Airbus A220 ou A350 permet de réduire de 20 à 25% les émissions par avion. Et accessoirement, c'est aussi une condition de la survie d'Airbus. J'aurai l'occasion d'y revenir.

Pardon d'être un peu long sur cet exemple aéronautique mais on est au coeur de la problématique de ce que va être l'économie française demain - j'aurai l'occasion d'y revenir.

Si dans toutes les filières, à tous les niveaux, nous faisons ce choix de la croissance durable qui émet moins de CO2, nous pouvons engager un cycle vertueux et avoir une économie décarbonée le plus rapidement possible.

Troisième exemple de soutien industriel, après celui de Fnac-DARTY et d'Air France : ARC International. J'ai annoncé ce matin que l'Etat français allait apporter 31 millions d'euros de soutien à Arc International via le Fonds de développement économique et social.

Nous serons prêts également, et j'aurai l'occasion d'y revenir si vous avez des questions un peu plus précises là-dessus à me poser, à soutenir Airbus qui est, chacun le sait, dans une situation très difficile actuellement en raison de l'arrêt du transport aérien. Je pourrais donc, si vous le souhaitez, vous apporter des précisions sur ce sujet.

Enfin, renforcer notre capital industriel, ce n'est pas simplement investir dans ce capital industriel, c'est aussi le protéger avec des mesures réglementaires.

J'ai annoncé ce matin que nous allions renforcer le décret sur les investissements étrangers en France et que nous allions le renforcer de deux manières, d'une part, nous allons élargir le champ des secteurs contrôlés aux biotechnologies - c'est indispensable de protéger notre recherche sur le vaccin contre le Covid par exemple – et, d'autre part, le seuil de déclenchement de la procédure de contrôle sera abaissé pour tous les investisseurs non-européens, pour une durée allant jusqu'à la fin de l'année 2020, de 25% à 10%.

Ce qui veut dire qu'un investisseur qui prenait aujourd'hui 20 ou 22% n'était pas soumis au contrôle du ministère de l'Économie et des Finances, désormais, dès qu'il franchit le seuil de 10%, il est soumis au contrôle et à l'approbation du ministre de l'Economie et des Finances.

Ça, c'est pour la réponse immédiate. C'était le premier temps du début du mois de mars, jusqu'au jour où je vous parle.

Le deuxième temps, c'est celui du retour à l'activité de tous.

Avant de vous parler des modalités de ce retour à l'activité, qui ont été précisées par le Premier ministre hier, je voudrais commencer en votre nom par saluer l'engagement de tous ceux qui n'ont jamais quitté leur poste et qui, au moment où c'était le plus dur, où les inquiétudes étaient les plus fortes, ont répondu présents : je pense aux agents de caisse, je pense aux metteurs en rayon, je pense aux postiers, je pense à tous ceux qui assurent le traitement des déchets, je pense aux chauffeurs, je pense aux agents bancaires, je pense à tous ceux qui ont assuré le renforcement du réseau de télécommunications sans lequel nous ne pourrions pas avoir de visioconférence aujourd'hui, je pense aux commerçants, tous ceux qui ont fait que nous avons pu continuer à avoir, même en période de confinement, une vie la plus normale possible.

Le Premier ministre a présenté hier les grandes lignes et les grandes étapes de ce deuxième temps de la crise, celui du retour à l'activité. Je voudrais en préciser certains points pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté et que chacun sache que nous faisons tout pour que, dès le 11 mai, l'activité puisse redémarrer et le plus grand nombre de Français puissent reprendre leur travail.

Pour les commerces, la règle est simple : tous les commerces ouvriront à compter du 11 mai. La seule exception - vous la connaissez, on aura certainement l'occasion d'y revenir – ce sont les restaurants, bars, cafés sur lesquels nous prendrons une décision fin mai. C'est tout à fait logique que les lieux de convivialité, où l'on s'assied ensemble et où on partage un repas ou un café, et qui sont malheureusement des lieux où le virus peut circuler plus facilement parce qu'on reste longtemps ensemble, fassent l'objet d'un traitement différent.

Mais pour tous les autres commerces, que ce soient les fleuristes, les coiffeurs, les librairies, les salons d'esthétique, ils pourront ouvrir à compter du 11 mai. Ça suppose que chacun travaille d'arrache-pied sur les guides de bonnes pratiques.

Je pense par exemple que sur les coiffeurs où il y a évidemment une proximité, le guide de bonnes pratiques devrait être disponible dès la fin de cette semaine, ce qui permettra aux salons de coiffure d'ouvrir dans de bonnes conditions d'ici le 11 mai.

S'agissant des très grands centres commerciaux, contrairement à ce que j'ai lu ici ou là, le Premier ministre a été très clair : ils sont ouverts également. Le principe est l'ouverture, y compris pour ceux de plus de 40 000 mètres carrés.

Simplement, si le préfet estime que ça va aboutir à des déplacements de population importants parce que c'est une zone de chalandise qui est très large à 30, 40, 50, 70 kilomètres, il pourra ordonner sa fermeture parce que cela risquerait de provoquer des mouvements trop importants de population.

Donc, il est indispensable maintenant que tous les chefs d'entreprise avec les salariés, avec les organisations syndicales, préparent le retour au travail dont dépend le redressement de la Nation.

Ça suppose beaucoup de dialogue, ça suppose beaucoup d'échanges avec les organisations syndicales, ça suppose la mise en place de guides : 47 guides de bonnes pratiques sont déjà disponibles, 60 devront être réalisés d'ici au 11 mai.

Si nous nous rassemblons tous, nous réussirons ce retour à l'activité et nous ne réussirons que collectivement, en pariant sur la responsabilité collective. Je pense que c'est la meilleure manière de réussir ce retour au travail.

Enfin, certains secteurs auront besoin d'une attention toute particulière. Ce sont ceux qui resteront fermés. Je pense en particulier à la restauration, aux bars et aux cafés. Je travaille de manière quasi-quotidienne avec ces secteurs pour regarder avec eux quelles seraient les bonnes pratiques, quels sont les accompagnements financiers qui sont nécessaires. Soyons lucides, ce secteur-là aura besoin, comme tout le secteur touristique de manière générale, d'un accompagnement particulier, y compris d'un accompagnement financier.

Un autre moyen d'ailleurs de soutenir les indépendants est de leur permettre d'avoir accès à ce Fonds de solidarité, nous l'avons fait, mais il y a eu aussi beaucoup de demandes pour leur permettre de libérer leur épargne retraite.

Beaucoup de ces indépendants ont une épargne-retraite qui se trouve sur des fonds dits "fonds Madelin", sur lesquels nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de la loi PACTE. Beaucoup de ces indépendants m'ont dit "le Fonds Madelin, il peut être libéré dans des occasions exceptionnelles, par exemple pour l'achat d'une résidence principale. Nous souhaitons pouvoir avoir accès à nos fonds Madelin".

Je vous annonce que nous allons donner l'autorisation à tous les indépendants qui le souhaitent de débloquer leurs réserves sur les fonds Madelin pour pouvoir compléter leurs revenus, face à une circonstance exceptionnelle. C'était une demande de plusieurs semaines, qu'avait formulée les indépendants. Nous leur répondons par l'affirmative : "oui, vous pourrez libérer les fonds Madelin pour compléter votre revenu si vous estimez que c'est indispensable".

Enfin, viendra plus tard - et c'est le moment d'y réfléchir - après le temps de la crise, après le temps de la reprise d'activité, un troisième temps qui est sans doute le temps le plus décisif et celui qui demande que nous y travaillons tous ensemble.

C'est le temps de la relance économique. Et ce temps de la relance économique, il impose que nous prenions un peu de temps. Dans un moment de crise, je pense qu'il est parfois bon de se poser, de réfléchir et d'essayer de tracer des orientations politiques, d'abord sur les modalités de cette relance et ensuite sur le modèle économique que nous voulons défendre. Nous avons une occasion historique de repenser le modèle économique français. Nous devons saisir cette occasion.

Pour la première fois depuis des décennies, parce que notre économie est à l'arrêt, nous pouvons et nous devons réfléchir à ce à quoi sert notre économie, au modèle que nous voulons défendre, quelle économie française nous voulons pour le XXIème siècle. Nous avons quelques semaines devant nous et je pense qu'il est important que nous y réfléchissions ensemble.

Sur le premier sujet qui est celui de la relance, je n'annoncerai aucune proposition avant la rentrée prochaine mais, à la demande du président de la République et du Premier ministre évidemment, nous allons engager les travaux avec vous les parlementaires, avec les chefs d'entreprise, avec les économistes, avec des responsables syndicaux, sur les meilleures modalités de cette relance et je réfléchirais évidemment avec le Haut conseil à l'environnement sur la meilleure manière de faire cette relance économique.

Je pense qu'elle peut reposer au moins sur 4 piliers.

Le premier, c'est le soutien à l'investissement. Les CAPEX de nos entreprises sont à 0. C'est normal, il n'y a pas de demande, l'activité est réduite, donc l'investissement est nul. Ce qui fait la force d'une économie, c'est son investissement et je rappelle qu'avant la crise, la France avait réussi à retrouver un niveau d'investissement très dynamique. Il faut qu'après la crise, nous retrouvions ce niveau d'investissement dynamique. C'est le premier pilier que je vous propose, un soutien à l'investissement pour que l'offre des entreprises reste une offre attractive et technologiquement avancée.

Le deuxième pilier, c'est le soutien à la demande et je ne vois pas de raison d'opposer, dans ces perspectives pour la relance, le soutien à l'investissement et le soutien à la demande. Je pense que les deux sont complémentaires et ce n'est pas tout l'un ou l'autre. C'est l'un avec l'autre, avec des calendriers peut-être différents qui nous permettront d'être efficaces.

Mais je suis très pragmatique, je constate que les Français ont beaucoup épargné au cours de ces semaines de confinement. A titre d'illustration, les chiffres que vient de publier la Banque de France montrent que dans un mois de mars ordinaire, les Français placent environ 6 milliards d'euros sur leurs comptes à vue et leurs comptes épargne ; en mars 2020, ça a été 20 milliards, plus de 3 fois plus.

Donc, il y a un risque de thésaurisation qui ne serait pas bon pour l'économie française. Cet argent qui était placé sur les comptes à vue et sur les comptes épargne – je le redis 20 milliards d'euros en mars 2020, plus de 3 fois plus que ce qu'est la moyenne des placements au mois de mars de la part des Français – il faut que cette épargne aille vers nos PME, vers notre tissu économique, vers nos entreprises et donc il faut inciter la demande à se développer au moment de la relance.

Le troisième volet, c'est évidemment le soutien des secteurs spécifiques. Il faudra des plans spécifiques, au moins pour le tourisme, pour le secteur aéronautique et pour l'industrie automobile et j'aurai l'occasion, certainement lors de vos questions, de préciser ce que j'entends par le soutien à ces secteurs, avec des plans spécifiques de soutien à ces chaînes de valeur qui sont décisives.

Enfin, le quatrième pilier de cette relance, c'est la coordination européenne. Rien ne serait pire que d'avoir la France qui prend une stratégie de relance et l'Allemagne, une stratégie antagoniste. Il faut que nous coordonnions en particulier entre les plus grandes économies de la zone euro, nos plans de relance : soutien à l'investissement, soutien à la demande, plan spécifique pour un certain nombre de secteurs stratégiques, coordination européenne.

Voilà les 4 piliers sur lesquels je vous propose de réfléchir pour un plan de relance qui devra être mis en place à partir de la rentrée 2020 et pas avant.

Au service de quelle économie ? Je vous donne quelques convictions et ces convictions, évidemment, elles sont faites pour être débattues entre nous.

Je vois 4 grandes orientations pour l'économie française dans les 25 années qui vont venir et c'est le moment, une fois encore, de prendre cette décision.

La première grande orientation, c'est de construire une économie décarbonée. Nous devons faire de la France la première économie décarbonée en Europe et faire de l'Europe le premier et le seul continent à avoir achevé rapidement sa transition écologique et énergétique. C'est une occasion historique.

Alors, je sais bien que tous les facteurs vont contre cette idée et je pense qu'il faut là-aussi être lucide. Quand le baril ne coûte rien, quand les énergies fossiles n'ont jamais eu des prix aussi bas, quand l'économie accuse des récessions qui n'ont jamais été connues depuis la Deuxième Guerre mondiale, la tentation est immense de repartir sur le vieux modèle du XXème siècle et de dire "utilisons le pétrole, utilisons les énergies fossiles, relançons l'économie le plus vite possible et puis, on verra bien après la transition écologique".

Je pense, c'est ma conviction intime, que ce serait une erreur historique et qu'il faut avoir le courage de continuer à soutenir une accélération de la décarbonation de notre économie plutôt que de bâtir une relance bâclée, trop rapide, avec des énergies fossiles qui nous permettront peutêtre de nous en sortir en un, deux ou trois ans, mais qui nous feront accuser un retard irrémédiable, irrémédiable pour les générations à venir.

Ça c'est un premier choix. Il est historique et je le pose devant vous comme matière à réflexion.

En tout cas, ma conviction est faite : nous devons accélérer la transition énergétique au lendemain de cette crise économique et certainement pas revenir au modèle du XXème siècle.

La deuxième orientation, c'est la relocalisation des chaînes de valeurs.

C'est une orientation que j'avais déjà engagée et que j'ai eu l'occasion de vous présenter notamment sur les batteries électriques. Je pense qu'il faut l'accélérer. Notre souveraineté ne peut plus dépendre de chaînes de production situées à des milliers de kilomètres et la France ne peut pas continuer, comme elle le fait depuis des décennies, à avoir une demande qui dépend entre 70 et 80% pour certains secteurs de la valeur ajoutée étrangère. Parce que c'est comme ça que la France s'appauvrit : en se dépossédant de ses capacités de production.

Et là encore, je ferai preuve de lucidité. Oui, il faut rapatrier les chaînes de production en France ou à tout le moins en Europe. Mais non, ça ne se fera pas sans des choix courageux. Si nous voulons relocaliser les chaînes de production, il ne suffit pas de le dire. Il faut le vouloir et il faut prendre des décisions pour y arriver.

Ces décisions, elles sont de trois ordres.

La première, c'est qu'il faut être compétitif et attractif. Et de ce point de vue-là, il faut qu'il y ait une politique fiscale qui maintienne l'attractivité de la France sans quoi aucune entreprise privée ne rapatriera ses productions.

La deuxième condition, c'est qu'il y ait des chaînes de valeur globales, c'est-à-dire que nous puissions maîtriser la chaîne de valeur depuis la matière première jusqu'à la production et au développement dans un objet industriel.

C'est ce que nous faisons avec les batteries électriques. Si nous rapatrions les batteries électriques en France et en Allemagne, c'est parce que derrière, il y a un débouché sur des véhicules automobiles produits en France ou en Allemagne. Il y a une chaîne de valeur.

Enfin, la troisième condition, c'est de ne jamais cesser de mettre la France à la frontière des technologies de pointe. Nous devons rester l'économie la plus innovante en Europe, sans quoi cette relocalisation des chaînes de valeur ne sera qu'une illusion et qu'une chimère.

La troisième grande orientation que je vous propose pour l'économie française, c'est la lutte contre les inégalités.

Ce combat était prioritaire avant la crise. Il le sera encore plus après la crise. Et chacun a bien vu que ce que je pouvais dire au moment de mes voeux en janvier dernier - comme quoi il fallait offrir des perspectives de rémunération meilleures aux salaires les plus modestes - est devenu, après la crise, encore plus nécessaire parce que nous avons vu que ces salariés les moins qualifiés, les moins bien rémunérés, pouvaient être aussi les plus nécessaires et que ça mérite que nous ouvrions cette réflexion sur les perspectives salariales que nous offrons à ces salariés et également que nous poursuivions notre réflexion, que j'avais engagée dans la loi PACTE, sur les écarts salariaux.

Je vois qu'un certain nombre de grands chefs d'entreprises ont accepté de baisser de 25% leur rémunération pendant la crise. Ce serait intéressant de poursuivre cette réflexion sous la forme de la réduction des écarts salariaux à l'intérieur des entreprises, cela renforcera la cohésion sociale et, j'en suis certain aussi, l'efficacité économique.

Enfin, dernière orientation, celle du renforcement de la coopération européenne, parce que je suis convaincu que tout ce que nous proposons là n'a de sens que si nous renforçons la politique industrielle européenne, si nous révisons la politique de concurrence européenne, si nous mettons en place une taxe carbone aux frontières qui rendra ces relocalisations rentables en France comme en Europe et si nous sommes capables de faire payer aux géants du numérique les juste taxes qu'ils doivent payer au Trésor public des différents États européens.

Voilà, mesdames et messieurs les Députés, monsieur le Président, les quelques orientations que je voulais vous présenter en introduction.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 30 avril 2020