Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, sur le soutien de l'État aux entreprises stratégiques et les engagements écologiques, à Paris le 30 avril 2020.

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Circonstance : Audition conjointe par la commission des affaires économiques et la commission du développement durable de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la ministre, chère Elisabeth,
Madame la Présidente,


Je suis également très heureux de participer à cette réunion conjointe des deux commissions environnement et affaires économiques, parce que je pense que plus le temps va avancer, plus ces commissions ne devront faire qu'un.

Je vous donne mon sentiment profond, je pense qu'il n'y a pas grand sens à séparer aujourd'hui les questions économiques et les questions environnementales. L'idée, c'est qu'elles soient totalement confondues.

Je suis heureux également de le faire pour une situation économique dont chacun a bien vu, qu'elle était exceptionnelle par la brutalité du choc que connaissait notre économie et que connaissaient les autres économies à travers la planète.

Les chiffres qui viennent de vous être fournis par l'Insee montrent la violence du choc économique auquel nous sommes confrontés. - 5,8% pour le premier trimestre pour la croissance française. C'est dire l'importance du choc économique que nous connaissons. Et je vois en ce – 5,8% annoncé par l'Insee, une véritable alerte, une alerte sur la violence du choc économique que connaît la France, une alerte aussi sur la nécessité de reprendre l'activité.

Je veux également indiquer à quel point le plus dur est devant nous. Nous avons eu un premier temps de cette crise où nous avons amorti le choc. Et je ne reviendrai pas sur les mesures, j'ai eu l'occasion de les présenter très longuement hier pendant mon audition par la commission des affaires économiques : le prêt garanti par l'Etat, le Fonds de solidarité, les mesures de chômage partiel, les reports de charges ; tout ça a permis d'amortir le choc.

C'était le premier temps.

Il y a un deuxième temps de la crise, celui dans lequel nous allons entrer à partir du 11 mai, est un temps de transition. Et comme toujours, les temps de transition, ce sont ceux où nous sommes au milieu du gué et ce sont les temps les plus difficiles.

Les temps les plus difficiles, d'abord parce que nous allons voir des entreprises qui ont souscrit des prêts garantis par l'Etat, confrontées à des problèmes de solvabilité. A un moment donné, dans cette période de transition, que fait-on des prêts ? Comment les rembourse-t-on ? Même chose pour les allègements de charges fiscales ou sociales, les reports. Quels sont les reports qu'on transforme en annulation ? Quels sont ceux qui seront remboursés ? A quelle hauteur ?

C'est une période où nous verrons des faillites et des destructions d'emplois et je préfère le dire avec beaucoup de clarté, nous aurons dans les mois qui viennent un certain nombre de faillites et nous aurons des destructions d'emplois.

On a vu qu'au cours des dernières semaines, le nombre de demandeurs d'emploi a fortement augmenté, de plus de 240 000 au cours du dernier mois. Je pense que la première exigence dans cette période de crise est une exigence de vérité. Je n'ai jamais caché la gravité du choc économique auquel nous étions confrontés, je ne cache pas non plus que le plus dur est devant nous.

Et puis viendra un troisième temps et c'est à partir de ce troisième temps qu'il faut que nous réfléchissions.

Nous réussirons dans cette période de transition si nous savons créer de l'espoir à partir de ce troisième temps, c'est-à-dire l'économie que nous voulons pour la France. Et c'est le moment de se poser cette question : quel modèle économique voulons-nous pour la France ? Et c'est uniquement en étant très au clair sur nos objectifs de long terme que nous réussirons à passer cette période difficile dans les meilleures conditions.

Je rejoins là ce qui a été dit par la ministre Elisabeth Borne. Notre modèle de développement économique doit être un modèle de développement économique durable. Il ne faut pas ralentir la transition écologique, il faut accélérer la transition écologique. Nous n'avons pas besoin d'un moratoire, nous avons besoin d'une accélération de cette transition écologique. Et il me semble que ce premier choix doit être très clair entre nous tous.

Notre économie doit être la première économie décarbonée en Europe. C'est le premier pilier de ce modèle économique que nous proposons. Les conditions qui, par exemple, ont été fixées pour Air France, avec le soutien de 7 milliards d'euros à Air France, 4 milliards d'euros de prêts bancaires garantis par l'Etat, 3 milliards d'euros de prêt direct apportés par l'État, ce sont des conditions de performance et ce sont des conditions environnementales. Ces conditions devront être inscrites dans un contrat de performance et de transition écologique entre les actionnaires d'Air France et la compagnie. Nous avons besoin d'un contrat de performance et de transition écologique.

Le deuxième pilier de ce modèle économique, c'est la relocalisation de nos activités.

Relocalisation ne veut pas dire fin de la mondialisation. Je pense que la fin de la mondialisation est une chimère, que certains vendent pour se faire de la publicité facile. Elle n'est ni souhaitable parce qu'elle appauvrit beaucoup de pays à travers la planète, ni à portée de main.

En revanche, nous pouvons nous battre pour engager une relocalisation d'un certain nombre d'activités qui sont stratégiques pour notre pays que nous avons à tort laissé partir. Cela suppose deux conditions : d'abord, rester compétitif, car on ne va pas relocaliser les activités économiques dans un claquement de doigt en décrétant que des usines ou des filières doivent se trouver en France. Si vous voulez qu'elles reviennent, il faut être compétitif, il faut être attractif sur la politique fiscale qui rend attractif l'investissement en France, comme nous l'avons fait depuis 3 ans avec le Premier ministre et le président de la République.

Et puis, il y a une deuxième condition, elle est vitale, c'est l'investissement dans les nouvelles technologies.

Troisième trait de ce modèle économique, c'est la lutte contre les inégalités.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer depuis des mois sur ce sujet-là. Je pense que les écarts salariaux excessifs ne sont bons pour personne et certainement pas pour la cohésion de notre société, mais pas non plus pour l'efficacité de notre économie. Et nous avons, de ce point de vue-là, encore, des efforts à faire.

Enfin, le quatrième pilier de ce modèle économique, c'est la coordination européenne. Le Green Deal est plus que jamais d'actualité.

Et nous allons devoir engager une discussion étroite avec nos partenaires européens pour les convaincre de ne pas renoncer aux objectifs du pacte vert européen mais au contraire les mettre en oeuvre le plus rapidement possible au lendemain de la crise que nous connaissons.

J'aurai dès ce soir, avec le ministre de l'Economie allemand, Peter Altmaier, des échanges sur ce sujet.

Dernière remarque enfin, dernière série de remarques pour reprendre le premier point sur un modèle économique qui est l'économie du carbone.

À quelles conditions pouvons-nous parvenir à cet objectif ?

D'abord, première remarque, je peux ajouter que ce choix-là, il a été fait depuis maintenant plusieurs années. Beaucoup de décisions ont été prises dans ce sens-là. Mais je pense qu'il est important de dire aussi les choses simplement aux Français sur la manière d'atteindre cet objectif de décarbonation de notre économie.

La première condition, c'est d'accompagner cette transition en termes de qualification et de formation des salariés. Il va y avoir des nouveaux emplois liés à cette économie décarbonée : il faut former et qualifier les salariés dans ce sens-là. Il faut que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail puissent trouver les emplois qui correspondent à leurs souhaits en matière de transition écologique. Formation et qualification sont la première condition du succès de cette transition écologique.

La deuxième condition, ce sont les moyens d'investissement. Et des moyens d'investissement très importants, parce que dans une période où le prix du baril oscille entre 0 et 10 dollars, ça va être tentant de ne pas dépenser d'argent pour les énergies fossiles. Croyez-moi et vous le savez tous, les logiques économiques sont puissantes. Donc face à des logiques économiques qui sont dictées par l'effondrement du prix des énergies fossiles, il faut que nous puissions mettre en place des capacités d'investissement importantes.

C'est le rôle notamment du plan de relance européen sur lequel nous nous battons avec le président de la République.

La troisième condition, c'est de soutenir la demande en ce sens et c'est là aussi que la coordination européenne va être importante. Il faut faire un choix : soutenir nos constructeurs automobiles uniquement sur des véhicules décarbonés, par exemple des véhicules électriques ou des hybrides rechargeables ou est-ce que pour faire redémarrer l'industrie automobile, nous soutenons tous les types de véhicules en disant « il faut produire coûte que coûte et tant pis pour l'environnement » ?

Ce choix-là, au niveau européen, il va être fait dans les mois qui viennent. Nous, notre choix est simple, nous voulons soutenir exclusivement la demande de nos consommateurs en des véhicules respectueux de l'environnement, en particulier des véhicules électriques.

Enfin, le dernier point qui est tout à fait essentiel pour réussir cette transition accélérée vers une économie décarbonée, c'est d'avoir des filières - Élisabeth Borne en a cité un certain nombre - comme les batteries électriques, ce que nous avons déjà fait ou bien la filière hydrogène. Sinon, nous allons relancer la croissance et relancer la demande au service des pays étrangers. Je ne crois pas que ce soit ce que nous souhaitions. Nous devons arriver à apporter la preuve concrète à nos compatriotes que l'on peut conjuguer emploi et transition écologique.

Je pense que c'est le défi le plus important de la génération qui vient, montrer qu'emploi et transition écologique sont parfaitement compatibles et qu'en accélérant la transition écologique, on ne détruit pas les activités et on ne ferme pas les usines, on ne conduit pas un certain nombre d'entreprises à la faillite.

Au contraire, on recrée de l'activité, on recrée des emplois, on ouvre de nouvelles usines et on crée de nouvelles entreprises.


* Réponses aux questions des députés :

Juste quelques remarques complémentaires sur les questions qui ont été posées. Je ne reprendrai pas chaque intervention par souci de consilience.

Et une première série de question, portant notamment sur les compagnies aériennes globalement.

Je voudrais juste, si je peux me permettre cette expression, qu'on atterrisse 2 secondes. La réalité, c'est qu'il va y avoir de la casse. Et qu'avant de penser à l'avenir des compagnies aériennes, il faut bien, d'abord, sauver ces compagnies aériennes. Donc ça ne sert à rien de se demander si Air France va devenir verte. S'il n'y a plus d'Air France du tout, eh bien, Air France ne deviendra pas verte.

Donc ça, c'est la première urgence.

Est-ce qu'il va y avoir de la consolidation dans le secteur ? Probablement.

Est-ce que toutes les compagnies aériennes vont résister au choc actuel ? J'en doute.

Parce qu'on voit bien qu'aujourd'hui, le choc est extraordinairement violent, que beaucoup de vols sont à l'arrêt et qu'il n'y aura pas de reprise rapide. C'est très peu probable. La reprise sera progressive et elle sera coûteuse.

Donc, la première chose à faire, c'est d'abord de se poser cette question stratégique : est-ce que oui ou non, nous nous donnons les moyens de sauver notre compagnie aérienne nationale ?

Alors, nous avons fait ce choix et je revendique ce choix parce que nous l'avons fait pour des raisons d'indépendance et des raisons d'emploi :
- des raisons d'indépendance, parce que c'est ce qui nous permet de rapatrier nos compatriotes français si nécessaire, c'est ce qui permet d'assurer la continuité territoriale avec l'Outremer, par exemple. Donc, ce sont des raisons qui nous paraissent suffisamment valables.
- Il y a des raisons d'emploi parce qu'au-delà des dizaines de milliers d'emploi d'Air France, il y a l'ensemble de la filière aéronautique, 350 000 emplois directs. Et si vous avez écouté ce matin le président d'Airbus, il a très bien expliqué que s'il n'y a pas de commandes Airbus par Air France, eh bien, Airbus va être en grande difficulté.

Donc ça, c'est la première question à se poser. Fallait-il, oui ou non sauver Air France ?

Ma réponse est oui. Mais c'est une question importante à poser pour les deux raisons que je viens d'indiquer.

Les conditions que nous avons fixées sont-elles des conditions crédibles, suffisantes ? Loïc Prud'homme et d'autres parlementaires nous ont dit : « ce n'est pas suffisant, ce n'est pas assez ». Très bien. Mais vous irez ensuite expliquer aux élus locaux à Bordeaux ou dans d'autres villes de France que si demain nous supprimons les liaisons aériennes qui existent actuellement sous forme de navettes, ça ne pose pas de difficultés.

Vous verrez que ce sera un tout petit peu plus difficile que lorsqu'on échange entre nous. Parce qu'il y a des enjeux d'emploi, il y a des enjeux d'activités, il y a des enjeux économiques qui sont derrière.

Moi, je l'assume totalement. Et je pense que c'est le bon choix de dire quand il y a une alternative avec le train en moins de 2h30, il faut privilégier le train. Et cela suppose la fermeture de certaines lignes.

Ça répond très clairement à Matthieu Orphelin. Il n'est pas question d'avoir des formes de compensation carbone. Ce sont bien des fermetures de lignes dont il s'agit. Et ces décisions, elles semblent toujours difficiles parce que derrière, vous le savez comme moi, il y a des hommes et des femmes qui travaillent sur ces lignes depuis plusieurs années. Il y a les pôles économiques qui se sont construits autour de ses activités. Et il va falloir les transformer.

Donc moi, je ne partage pas l'avis de Loïc Prud'homme ou d'autres. Je considère que ce sont des propositions qui sont déjà des propositions fortes et même radicales parce que personne n'a eu le courage de les faire depuis des années. Nous, avec Elisabeth Borne, nous avons le courage de le faire et de le dire très clairement : nous allons supprimer effectivement certaines lignes intérieures là où le train est préférable en termes d'émissions de CO2 et il n'y aura pas, et je le dis très clairement à Matthieu Orphelin, la possibilité de transférer ça sous forme de compensation carbone.

Ensuite, cela suppose, mais ça répond aussi aux questions qui ont posées par Hubert Wulfranc et par Matthieu Orphelin, que nous réfléchissons au moins sur trois séries de questions auxquelles je n'ai pas de réponse immédiate, mais sur lesquelles nous allons travailler avec Elisabeth Borne et avec vous. Je propose que nous ouvrions les travaux avec vous pour réussir cette transition écologique du transport aérien.

La première question, ce sont les questions de coût et de compétitivité. Comment garantir qu'Air France reste compétitive avec ces exigences environnementales, notamment par rapport aux compagnies low cost que vous avez citées.

Ça, c'est une première série de réflexions que je vous propose d'ouvrir. Cela va demander un travail très fin, très pointu parce que ça ne sert à rien d'avoir mis 7 milliards sur Air France si c'est pour que, au bout du compte, elle ne soit pas compétitive tout en étant la compagnie, je le redis, la plus respectueuse de l'environnement de la planète.

Donc cela suppose une vraie réflexion sur le fonctionnement des compagnies low cost et la défense des intérêts d'Air France.

Deuxième série de réflexions que je propose, c'est celle sur l'intermodalité.

Comment articulons-nous, à partir du moment où nous allons fermer un certain nombre de dessertes, une meilleure intermodalité entre Air France, la SNCF, les transports régionaux et toutes les autres formes de transport ?

Il va falloir apprendre à travailler collectivement. Je pense qu'on peut renforcer le travail collectif entre Air France, la SNCF, les transports régionaux pour garantir la meilleure intermodalité possible. Ça suppose d'associer les collectivités locales très étroitement à nos travaux.

Et puis, la troisième série de questions qui va se poser, c'est celle de l'extension des terminaux bien entendu.

Avec un transport aérien qui va être beaucoup moins actif au moins dans les mois, les années qui viennent, la question se pose. Il faut que nous étudions cette question ensemble. Et ce serait très prétentieux de ma part de prétendre que nous avons toutes les réponses à ces questions. Moi, je le dis avec beaucoup d'humilité.

Pour poser le débat, nous faisons un choix politique, celui d'avoir la compagnie la plus respectueuse de l'environnement de la planète. Ça entraîne des choix politiques importants, notamment la fermeture de certaines lignes aériennes intérieures qui existent pourtant depuis des décennies, avec des conséquences locales qui sont lourdes. Mais il faut ouvrir au moins ces trois chantiers.

La compétitivité d'Air France par rapport aux compagnies low cost, l'intermodalité et l'expansion des nouveaux terminaux, est-ce pertinent ou non face à ces nouvelles règles de transport aérien ?


Oui, je vous confirme que nous demandons à toutes les entreprises du portefeuille de l'Agence des participations de l'État de se doter d'une raison d'être, et a fortiori les entreprises qui auront bénéficié de ces 20 milliards d'euros supplémentaires que nous avons mis au compte d'affectation spécial de l'Agence des participations de l'État (APE).

Cela fait partie des demandes que nous avons faites aussi à Air France. Il faut rétablir la compétitivité d'Air France, il faut faire d'Air France la compagnie la plus respectueuse de l'environnement de la planète.

Troisième condition qui a été explicitement formulée auprès d'Air France, c'est d'avoir très rapidement une raison d'être. Et je demanderai à l'ensemble des entreprises du portefeuille de l'APE de définir dans les prochains mois leur raison d'être et ce sera évidemment une des conditions pour bénéficier du soutien du compte d'affectation spéciale.

Je crois qu'il est important que la représentation parlementaire soit associée d'ailleurs à cette réflexion sur la raison d'être.

Sur la question des mécanismes carbone, c'est une des questions posées par Adrien Morenas, je pense que le plus important et le plus urgent, c'est qu'on fasse bloc pour défendre la mise en place le plus rapidement possible d'un mécanisme de taxation carbone aux frontières de l'Union européenne.

Même s'il faut être réaliste : si vous voulez garder une industrie de l'acier en Europe, et en particulier en France - je pense à de très belles entreprises comme Ascoval, comme Hayange, des entreprises qui sont installées à Dunkerque, ou à Fos et ailleurs - il est indispensable qu'il y ait une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne.

Qu'est-ce qui est en train de se passer aujourd'hui ?

Aujourd'hui, vous avez des entreprises de l'acier, des usines qui tournent ; quand j'écoute les différents industriels que j'ai eus au téléphone depuis plusieurs jours, par exemple Monsieur Mittal, on tourne environ à 40-50 % de leurs capacités. En Chine, elles tournent à 80% et la Chine est en train de réaliser de nouvelles capacités en termes d'acier.

Donc soyons lucides, la Chine va casser les prix de l'acier. A un moment donné, il faut bien faire des voitures, il faut bien faire des produits manufacturés et ça demande de l'acier. Si vous voulez conjuguer un acier plus respectueux de l'environnement, c'est-à-dire celui qui est produit, par exemple dans un four électrique à Ascoval, qui est l'un des fours qui émet le moins de CO2 par rapport à d'autres installations du même type ailleurs dans le monde, et être capable de résister à la concurrence chinoise, il faut qu'il y ait un mécanisme de compensation carbone aux frontières de l'Union européenne. Sinon on pourra toujours parler, parler, parler, parler mais nous n'aurons rien changé.

Or, moi, ma volonté, c'est de changer les choses concrètement. Donc je le redis, si on veut avoir une industrie décarbonée en Europe, il faut impérativement un mécanisme de compensation carbone aux frontières de l'Union européenne. Sinon la réalité l'emportera sur nos ambitions et les constructeurs automobiles, les constructeurs aéronautiques, tous ceux qui ont besoin d'aluminium et d'acier iront s'approvisionner en Chine parce que ce sera 10, 15 ou 20% moins cher.

J'insiste sur ce point-là parce que je pense que nous avons aussi un devoir de réalisme vis-à-vis de nos concitoyens.

Fabien Di Filippo, je crois avoir déjà répondu hier, je vous confirme que pour les parcs zoologiques, les cafés, les restaurants, je comprends votre impatience et je la partage, mais la décision ne pourra être prise que fin mai pour des raisons d'organisation sanitaire et de protocole sanitaire que nous mettons en place et sur lesquels nous sommes en train de discuter.

Delphine Batho - et la question m'avait été posée précédemment, pardon de pas y avoir répondu, je crois que c'était une question de Marie-Noëlle Battistel et Matthieu Orphelin — pourquoi est-ce avons-nous préféré les prêts à la nationalisation ?

Pour une raison qui est très simple : c'est que qui paie décide, donc celui qui apporte des prêts, il peut exiger en contrepartie un plan d'action de la part de Air France. Alors que si vous nationalisez, on le sait très bien, vous avez la compagnie qui est nationalisée mais vos capacités de modification de la compagnie en termes de rentabilité et en termes environnementaux sont beaucoup plus faibles.

Donc, c'est la raison, je le dis très simplement. Nous avons la possibilité avec ces prêts d'obtenir des contreparties de la part d'Air France.

Par ailleurs, vous connaissez ma philosophie là-dessus, j'ai toujours indiqué que les nationalisations ne peuvent venir qu'en dernier recours. Mais ce n'est pas le rôle de l'État de piloter une compagnie aérienne. Nous pouvons faire des nationalisations, cela fait partie des options, mais qu'en dernier recours et de manière temporaire. Ça a toujours été ma position.

Je ne l'exclus pas, je l'ai dit : si à un moment, c'est nécessaire, nous le ferons parce que nous ferons tout ce qui est nécessaire pour sauver nos fleurons industriels. Mais nous ne le ferons qu'en dernier cours et de manière temporaire.

Aujourd'hui, ce qui permet à Air France de redémarrer, c'est ce prêt. Je pense que c'est aussi positif que les banques se soient engagées, qu'il y ait l'engagement non seulement de l'État mais aussi des banques et du secteur financier.

Il y a des contreparties très claires que je viens de vous exposer longuement avec Élisabeth Borne et cela nous permet de garantir que la compagnie évolue dans la direction que nous souhaitons tous.

S'agissant des garanties de 'État, question posée par Anthony Cellier, oui nous travaillons sur les contreparties en matière de garanties d'État et de soutien à l'exportation. Le rendez-vous a lieu au projet de loi de finances, je sais que vous y travaillez aussi, avec d'autres parlementaires, mais Anthony Cellier est très mobilisé là-dessus.

Cela fait partie aussi des évolutions importantes sur lesquelles il y aura des changements. Il faut que les garanties à l'export intègrent davantage ces conditions environnementales.

Enfin, sur la privatisation d'ADP, Dominique Potier me dit "ça permettrait à l'État de rester une puissance régulatrice". Mais, là encore, allons derrière les mots, je considère que ce que nous avions proposé comme opération renforçait la régulation notamment sur les créneaux horaires, sur le contrôle aux frontières, sur les autorisations de vol, sur les tarifs. Mais le sujet n'est plus là.

Aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour engager une opération de cette importance-là alors que les marchés sont fragiles et que nous faisons face à une crise économique sur laquelle je ne reviens pas, elle est d'une brutalité incroyable. Je pense qu'il faut savoir sérier les difficultés et les priorités.

La priorité aujourd'hui est clairement au redressement de notre économie, à la capacité à affronter cette période de transition qui, je le redis, va être très difficile, et à inventer ce nouveau modèle économique parce que la crise doit nous permettre d'inventer et de promouvoir un nouveau modèle économique.

J'insiste sur un tout dernier point : c'est que ce nouveau modèle économique, personne ne le bâtira seul. Il n'y a que dans les échanges que nous avons là où chacun expose à la fois ses ambitions et puis ses contraintes, où on va regarder effectivement ce que ça veut dire de supprimer des lignes intérieures, quelles conséquences pour l'emploi, quelles conséquences pour l'attractivité, quelles conséquences pour les territoires, quelles compensations en termes de report modal, quelles compensations financières éventuellement ? Ce n'est qu'en faisant ce travail-là de manière très méthodique et très volontariste qu'on réussira cette transition écologique à laquelle nous aspirons tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 7 mai 2020