Texte intégral
SONIA MABROUK
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous en direct sur Europe 1. Dans 5 jours normalement la France entamera un déconfinement progressif. Le dispositif massif du chômage partiel va se poursuivre, est-ce qu'on a atteint Madame la Ministre, ce matin un cap, très haut d'ailleurs, de 12 millions de salariés sous ce statut ?
MURIEL PENICAUD
Alors, ce matin on a des demandes de près d'un million d'entreprises, 998 000, concernant 12,1 millions de salariés. Donc effectivement je pense qu'on est proche, j'espère bien, du palier, et qu'on va assister progressivement à une décrue du chômage partiel, en même temps qu'on aura une croissance de ceux qui peuvent retourner au travail et qui, se faisant, vont aussi protéger l'emploi, protéger l'activité économique de demain.
SONIA MABROUK
Dans certains secteurs, avez-vous dit, Muriel PENICAUD, le chômage partiel sera maintenu à taux plein après le 1er juin. De quels secteurs s'agit-il ? Hôtellerie, restauration, on l'imagine, à l'arrêt depuis mi-mars, mais encore ?
MURIEL PENICAUD
Oui, il y a certains secteurs qui, parce que leur métier même c'est la convivialité, le brassage, et qu'on se rencontre, ne pourront pas tout de suite redémarrer. Donc tous ceux qui sont encore frappés d'interdiction administrative, pour des raisons de santé publique, je pense à l'hôtellerie restauration, mais aussi à l'événementiel à d'autres secteurs proches, vont continuer à avoir, à bénéficier du chômage partiel à taux plein, le temps qu'il faudra, et en fonction évidemment de la date où on pourra les rouvrir.
SONIA MABROUK
Pour les autres, Muriel PENICAUD, eh bien les entreprises vont contribuer aux salaires, à quelle hauteur ? Vous avez dit que c'était dans des proportions raisonnables, mais qu'est-ce qu'une proportion raisonnable ?
MURIEL PENICAUD
Eh bien on a mis en place en France pendant le confinement, un chômage partiel inédit, massif, comme on n'a jamais fait, qui est le plus protecteur d'Europe. Le plus protecteur pour les salariés, parce que 100 % de son salaire au smic, 84 % au-dessus, on est le seul pays d'Europe à payer aussi haut je dirais la proportion de salaire, et c'est l'Etat qui le paie, le ministère du Travail qui paie les salaires. Mais du côté des entreprises il est très protecteur aussi, puisque 100 % de ces sommes sont remboursés aux entreprises, jusqu'à 4 fois et demi le smic. A partir du moment où le pays se remet en route, que le moteur économique repart, que des écoles, des transports se mettent en place, que la vie économique peut redémarrer, il est logique qu'à un moment donné on accompagne toujours par le chômage partiel la reprise de l'activité, pour que ça ne soit pas brutal, mais qu'en même temps progressivement les employeurs qui peuvent ouvrir leurs entreprises, qui peuvent amplifier leur activité, contribuent. Alors, ça sera raisonnable, nous ne l'avons pas encore décidé, nous annoncerons très prochainement, ça sera raisonnable et progressif. Moi, mon but c'est clair, c'est de ne pas avoir de rupture. On a protégé massivement. Maintenant, pour protéger massivement, ce qui est le mieux c'est le retour à l'emploi. On va accompagner ce retour au travail par du chômage partiel, mais dont le remboursement aux entreprises sera légèrement diminué, progressivement.
SONIA MABROUK
Justement, vous dites « protéger », le chômage partiel joue son rôle d'amortisseur social, mais à un moment, Muriel PENICAUD, des entreprises, des petites structures, à contrecoeur bien sûr, vont licencier parce qu'elles seront complètement sous l'eau. Est-ce qu'il faut se préparer malheureusement à des prochains chiffres encore plus douloureux du chômage dans les prochains mois ?
MURIEL PENICAUD
Vous savez, si on n'avait pas mis en place ce chômage partiel massif, et universel, puisqu'on l'a ouvert à des tas de catégories de salariés qui n'y avaient pas droit, je pense que malheureusement on aurait déjà les niveaux de licenciements qui seraient extrêmement élevés. Si je compare aux Etats-Unis, même à proportion relative, en un mois c'est 30 millions de personnes qui ont perdu leur emploi aux Etats-Unis, ça serait l'équivalent de 4 ou 5 millions en France. Donc cette phase-là, je dirais, on a réussi à avoir un filet de sécurité massif, qui protège les salariés mais qui protège aussi les entreprises, puisqu'elles gardent leurs compétences. Maintenant, il y a un moment donné, je crois que c'est (microcoupure son) cette capacité, avec un esprit entrepreneurial, tous y aller, en protégeant les salariés, on a toutes les conditions sanitaires pour le faire, mais à repartir sur le plan économique, qui va faire la différence. Et c'est ça qui évitera le plus les licenciements. Il y en aura forcément un peu, mais il y en aura beaucoup plus si le moteur économique ne repart pas.
SONIA MABROUK
Mais il y en aura malheureusement forcément un peu. Avec la reprise de l'activité, je voudrais vous faire réagir ce matin, Madame la Ministre, à une note de l'Institut Montaigne, qui reprend quelque part l'appel du MEDEF. Alors, il ne s'agit pas d'un retour uniforme et généralisé aux 39 heures, mais l'Institut Montaigne dit qu'il faudra peut-être supprimer des jours de congés ou étendre des horaires pour les services publics. Est-ce que vous vous posez la question du temps de travail, est-ce que ces propositions, peut-être, vont venir sur votre table ?
MURIEL PENICAUD
Moi, ma priorité c'est l'emploi. L'emploi, il y a aujourd'hui donc 12 millions de Français qui doivent pouvoir repartir au travail pour eux-mêmes et pour sauver l'économie et sauver l'emploi. Ça c'est la priorité absolue. Après, quand tout va redémarrer, j'espère ne plus être possible, il y a peut-être des secteurs qui vont être en forte tension, parce que ça fait des mois, des semaines, deux mois pardon, que l'activité n'est pas là. Mais aujourd'hui ce n'est pas le problème du jour, le problème du jour c'est retour au travail et sauver l'emploi, et sauver les entreprises en défaillance.
SONIA MABROUK
Je comprends les urgences, malgré tout est-ce que la question du temps de travail se posera, et est-ce qu'elle pourra se poser dans ces termes-là, en réfléchissant justement à une suppression peut-être d'un jour férié ?
MURIEL PENICAUD
Il y a déjà beaucoup de possibilités dans la loi, par la négociation, moi je reviens au dialogue social qui est pour moi le maître mot de la réussite de la reprise du travail. Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire dans les branches et dans les entreprises, par exemple il y a déjà eu un quota de plus de 200 heures supplémentaires défiscalisées, sans charges sociales, qui existent. Donc il y a déjà beaucoup de possibilités, on peut négocier une annualisation du temps de travail, tout ça avec le dialogue social. Les entreprises qui ont un bon dialogue social, elles le font déjà, elles aménagent déjà le temps de travail. Alors, utilisons déjà toutes les possibilités de la loi et du dialogue social, mettons les conditions pour que chacun puisse repartir au travail en étant sécurisé sur le plan sanitaire, et je crois que quand on aura fait ça, eh bien on verra que le paysage aura changé.
SONIA MABROUK
Alors, avec la reprise de l'activité, beaucoup d'employeurs, Muriel PENICAUD, redoutent de se voir condamnés pour une contamination de leurs salariés, malgré des efforts pour protéger leurs employés. Ils vous ont demandé, via un courrier, de sécuriser juridiquement leur situation. Que leur répondez-vous ce matin ?
MURIEL PENICAUD
Alors, c'est un débat que nous avons eu toutes ces dernières semaines. Ce que nous avons confirmé sur le site du ministère du Travail, ce que j'ai pu confirmer aux employeurs, c'est que la loi actuelle et la jurisprudence, met déjà les responsabilités de façon très claire : un employeur, il est chargé de veiller à la santé et à la protection de ses salariés. Il a une responsabilité dans ce domaine, notamment sur ce qui dépend directement de lui, l'organisation du travail, des outils de travail, le rythme de travail, et de façon générale la gestion de l'activité. En ce qui concerne un risque qui est en plus pandémique, qui donc dépasse complètement le monde du travail, il n'a pas d'obligation de résultat, il a une obligation de mettre en place les conditions.
SONIA MABROUK
Oui, les moyens.
MURIEL PENICAUD
Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire que c'est pour ça que nous avons publié dimanche un protocole de déconfinement pour toutes les entreprises, et que nous avons publié déjà une cinquantaine de guides par métiers, parce qu'évidemment, comment on se protège quand on est coiffeur, caissière ou chauffeur livreur, ça n'est pas la même chose. Donc une fois qu'on a dit ça, la jurisprudence le confirme. Donc il y a une partie de cette inquiétude qui n'est pas fondée en droit. Je le dis. Et après, il y a une inquiétude…
SONIA MABROUK
Mais, madame PENICAUD, si un employeur…
MURIEL PENICAUD
… et donc on en train de regarder, et l'idée ce n'est quand même pas d'atténuer la responsabilité des entreprisses…
SONIA MABROUK
Mais ils ne vous le demandent pas. Ils ne vous demandent pas d'être exonérés de cette responsabilité.
Brouhaha
MURIEL PENICAUD
Mais on veut atténuer les responsabilités de qui que ce soit, je pense, ne serait pas, au moment où tout le monde doit très responsable pour aider à repartir, je pense que ça ne serait pas un bon signal, en revanche, clarifier un peu le dispositif.
SONIA MABROUK
Mais, à vous entendre, vous allez vers… Voilà, vous allez vers une clarification de la législation. Je prends juste un exemple. Si un employeur respecte à la lettre le protocole national de déconfinement du ministère du Travail, que vous avez édité, il ne devrait pas logiquement encourir de sanctions pénales, vous êtes d'accord.
MURIEL PENICAUD
Non, l'obligation, la responsabilité pénale c'est autre chose. Ce dont vous parlez, c'est la responsabilité civile. Je ne vais pas rentrer dans le débat technique, mais je crois qu'on peut dire, oui, qu'un employeur qui respecte le guide métiers qui s'applique dans son métier spécifiquement et le protocole de déconfinement, il y a tous les indices pour dire qu'il a complètement accompli son obligation de moyens…
SONIA MABROUK
Sauf que c'est laissé à l'appréciation du juge.
MURIEL PENICAUD
Et puis, plus important encore, et à protéger ses salariés, je dirais, on parle du débat juridique, moi je parle de la vie des gens. Le rôle de l'entreprise c'est quand même de créer un contexte de travail où tout le monde est protégé, certes que ce soit juridiquement juste vis-à-vis des employeurs, mais que les salariés, eux, soient aussi dans des conditions où ils puissent repartir sereinement au travail. Parce que les employeurs eux-mêmes le disent : s'il n'y a pas les conditions de reprise psychologique du travail, ça va être très difficile. Et pour ça il y a deux conditions : respecter les règles sanitaires que nous avons mises en place pour le monde du travail, et deuxièmement avoir un bon dialogue social. Je crois qu'on en discute avec ces organisations syndicales, avec ces salariés, pour dire : voilà comment on s'organise, tous ces sujets-là eh bien ils deviennent sans objet. Alors, on peut regarder ce qui permet de préciser, mais non pas de changer ou d'atténuer la responsabilité.
SONIA MABROUK
Mais vous allez probablement vers cette clarification de la législation, on vous a entendue Muriel PENICAUD. Vous encouragez depuis un certain temps en télétravail massif, au moins jusqu'à l'été, mais il faut l'encadrer bien sûr, en fonction de la situation actuelle. Est-ce qu'elle est lancée enfin cette négociation entre partenaires sociaux, sur ce sujet et si urgent ?
MURIEL PENICAUD
Alors, c'est de leur ressort, ils ne l'ont pas lancée pour l'instant. Ce que je voudrais dire, c'est qu'aujourd'hui il y a 5 millions de Français qui travaillent en télétravail, pour beaucoup c'est une découverte, et en plus dans des conditions très particulières. Donc il y a des entreprises qui avaient déjà des accords négociés ou des chartes, sur le télétravail, et où là ça se passe plutôt bien, parce que c'est plus de salariés qui sont concernés, et tous les jours de la semaine au lieu d'un ou deux jours. Mais on savait déjà comment faire. Et puis il y a des entreprises et des salariés pour lesquels c'est entièrement nouveau, et c'est vrai que le télétravail est fait quelques fois dans des conditions aujourd'hui qui ne sont pas tout à fait le télétravail classique. Quand vous avez les enfants en même temps qui courent partout, on est d'accord, c'est du télétravail dégradé, qui ne peut pas durer indéfiniment, mais il ne va pas non plus durer indéfiniment. En revanche, il y a beaucoup de gens qui ont découvert le télétravail et qui y voient un certain intérêt, en se disant : voilà, moi je n'ai peut-être pas envie de passer 2 heures dans les transports par jour. Je me concentre mieux. Donc un équilibre entre les deux, le présentiel et le télétravail, pourquoi pas. Et depuis les ordonnances de 2017 c'est un droit. Mais ce n'est pas un droit à n'importe quelles conditions, par exemple, très important, il faut pouvoir se déconnecter, télétravail ça ne veut pas dire disponible, 24 heures sur 24, 7 jours par semaine…
SONIA MABROUK
Il y a un droit à la déconnexion. Mais vous, vous souhaitez…
MURIEL PENICAUD
Et donc on va faire un guide. D'ici la fin de la semaine, nous éditerons parmi tous nos guides, un guide spécial du télétravail, à destination notamment des entreprises, qui ne l'ont jamais pratiqué avant et qui ne savent pas trop comment l'organiser.
SONIA MABROUK
Mais, au-delà du guide, Madame la Ministre, est-ce qu'il faut un nouvel accord national, surtout ?
MURIEL PENICAUD
Le guide va rappeler tout ce qui existe déjà dans la loi, la réglementation, qui est déjà très important. Donc il y a beaucoup de choses qui existent déjà, et après c'est la liberté des partenaires sociaux de savoir s'ils veulent aller plus loin et faire une négociation. La difficulté de la négociation c'est le délai, parce que les négociations en général mettent 4 à 6 mois, donc c'est une problématique. Mais s'ils veulent négocier, bien sûr ils pourront améliorer. On va déjà rappeler tout ce qui existe. Je pense que ça va sécuriser, et des salariés, et les entreprises, qui pour beaucoup l'ont un peu organisé comme ça, et n'avaient pas tous les éléments.
SONIA MABROUK
On posera la question demain à notre invité qui est Laurent BERGER, évidemment sur le démarrage de cette négociation, on l'a compris, que vous souhaitez. Je voudrais conclure sur un secteur particulièrement touché : la culture. Tout à l'heure le président s'entretiendra avec des acteurs du domaine culturel. Les appels, les appels à un renouvellement automatique des droits au chômage des intermittents se multiplient, et ils vous le demandent vraiment avec force. Est-ce que vous êtes favorable à cette année blanche ?
MURIEL PENICAUD
Ce qui est certain c'est que le secteur de la culture, comme le sport, l'évènementiel, l'hôtellerie-restauration, fait partie des secteurs extrêmement touchés, puisque par définition, pour des raisons sanitaires que tout le monde comprend, eh bien il a fallu interdire les festivals, les rencontres culturelles, et qu'en plus la saison d'été et d'automne c'est la saison où il y a le plus d'activités culturelles. Donc il est clair qu'il y a besoin d'une action forte en destination du secteur culturel…
SONIA MABROUK
Donc vous y êtes favorable.
MURIEL PENICAUD
… c'est pour ça que le président de la République a décidé d'avoir cette réunion ce matin, à laquelle évidemment Franck RIESTER, le ministre de la Culture, Bruno LE MAIRE le ministre de l'Economie et moi-même, participerons. Et donc c'est le président de la République qui annoncera les mesures qui seront retenues.
SONIA MABROUK
Et vous, vous y êtes favorable, personnellement ?
MURIEL PENICAUD
J'ai fait des propositions au président de la République et au Premier ministre, mais c'est le président de la République qui décide.
SONIA MABROUK
Eh bien c'est à suivre. Merci Muriel PENICAUD d'avoir répondu à mes questions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mai 2020