Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à France 2 le 13 mai 2020, sur la situation économique, le chômage partiel et la revalorisation des emplois mobilisés pendant la crise du Covid-19.

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Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG 
Bonjour à vous Madame PENICAUD, merci d'être avec nous ce matin. 

MURIEL PENICAUD 
Bonjour. 

JEFF WITTENBERG 
De très nombreux salariés ont repris le travail, on le sait depuis maintenant 48 heures, est-ce que cela modifie le tableau de bord, les compteurs du chômage partiel, plus de 12.200.000 salariés ont bénéficié la dernière fois que vous vous êtes exprimée sur ce sujet, combien sont-ils ce matin Muriel PENICAUD ? 

MURIEL PENICAUD 
Juste avant de parler du chômage partiel, je voudrais effectivement saluer la réouverture des commerces qui ont beaucoup répondu à cette nouvelle capacité, donc il y a 400.000 commerces qui ont réouverts lundi ou qui rouvrent cette semaine et c'est plus de 800.000 emplois, plus de 800.000 salariés qui vont pouvoir repartir travailler. Je crois que c'est un soulagement pour eux et ça va permettre aussi aux Français de pouvoir retrouver leurs commerces familiers. Alors le chômage partiel, je crois qu'on a atteint le palier, on est aujourd'hui sur toutes les demandes cumulées depuis le début à 12.400.000 salariés couverts par cette demande, plus d'un million d'entreprises, mais il y a une petite, petite amorce de décrue puisqu'à la date d'aujourd'hui il y a des demandes actives que, si j'ose dire, pour 11.200.000 salariés, donc ça commence un tout petit peu à sentir la reprise, il faut encore l'accélérer mais je crois qu'on est sur la bonne voie. 

JEFF WITTENBERG 
Mais à quel moment vous vous attendez justement à ce qu'il y ait une baisse effective, sensible de ce nombre de salariés qui demandent le chômage partiel et d'entreprises qui y recourent ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors pour le commerce, il y a vraiment un avant après 11 mai, pour les autres secteurs qui n'étaient pas fermés, c'est progressif, depuis plusieurs semaines et ça s'accélère en ce moment on voit des chantiers du bâtiment qui rouvrent, la profession estime à 50 % à peu près les chantiers ouverts, j'étais moi-même pour constater dans un chantier hier les conditions sanitaires pour les salariés. On a l'industrie qui tourne à un 60 %, j'étais dans une usine il y a quelques jours-là aussi qui a pris toutes les mesures sanitaires.  Donc au fur et à mesure qu'on met en place les mesures sanitaires, ça s'agrandit, ça va prendre du temps, mais je crois que par exemple pour le bâtiment on peut espérer d'ici un mois à voir le secteur qui a vraiment repris. L'industrie, ça dépend des secteurs parce qu'il y a des secteurs plus touchés comme l'aéronautique ou l'automobile, mais là aussi quand même ça reprend même si ce n'est pas toutes les activités, on est sur la voie de la reprise et il faut l'encourager, l'accélérer. 

JEFF WITTENBERG 
Et néanmoins certains économistes affirment que ce système du chômage partiel pourrait freiner la reprise parce que beaucoup d'entreprises préfèrent continuer tant qu'elles ne se sentent pas les reins assez solides à bénéficier de ce système très généreux, que d'ailleurs vous voulez modifier en demandant aux entreprises elles-mêmes de participer à ce chômage partiel et non plus que l'Etat le rembourse intégralement ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors moi, je crois d'abord qu'il faut être fier et ne pas regretter qu'on ait mis en place un filet de sécurité maximale pour sauver les emplois.  Aujourd'hui on aurait des centaines de milliers peut-être des millions d'emplois déjà qui auraient été détruits, si on n'avait pas mis en place le chômage partiel avec un confinement qui a été était brutal, qui a été rapide, c'était nécessaire pour enrayer la pandémie, mais du coup qui mettait à bas le secteur économique complètement et c'est un choix complètement assumé. Et vous vous rendez compte si vous n'avez pas mis en place un chômage partiel. Comme certains pays, on le voit, les Etats-Unis ne l'ont pas fait, ils ont 30 millions de personnes qui ont perdu leur emploi, donc moi je crois d'abord il faut être très fier d'avoir mis en place ce dispositif. 

JEFF WITTENBERG 
Et ce n'est pas un frein à la reprise comme le disent certains ? 

MURIEL PENICAUD 
Ensuite maintenant il doit évoluer au fil du temps et je crois qu'il faut aller étape par étape. Tant que on est confiné et tant qu'il y a des secteurs interdits, il y a encore les bars et restaurants, donc il y a encore des choses devant nous, on ne peut pas espérer non plus avoir une activité économique pleine et entière. On voudrait tous être dans la vie normale d'avant mais ça n'est pas possible, une pandémie s'impose à nous tous et donc c'est pour ça qu'on fait évoluer le dispositif de façon progressive. on l'a fait évoluer dans un premier temps pour élargir et le  rendre universel à tous les salariés, il y avait une dizaine de catégories de salariés qui n'y avaient pas droit  et à tous les types d'entreprises, toutes les tailles et maintenant on va accompagner la décrue, en faisant quelque chose de progressif aussi, d'une part les entreprises auront recours moins au chômage partiel au fur et à mesure qu'elles réactivent les contrats de  travail et que les salariés donc sont payés non plus par l'Etat par le ministère du Travail mais par l'entreprise, ce qui est la voie normale et  par ailleurs… 

JEFF WITTENBERG 
Vous deviez fixer un taux justement, une part… 

MURIEL PENICAUD  
Début juin on va baisser un peu la part remboursée par l'Etat aux entreprises. 

JEFF WITTENBERG 
De combien madame la Ministre ? 

MURIEL PENICAUD 
Ça sera décidé dans les jours qui viennent, d'ici la fin de la semaine parce que il faut aussi encourager tout le système à repartir et donc c'est normal qu'à un moment donné,  eh bien l'entreprise paye une partie des salaires de chômage partiel, ce sera mesuré pas avoir de couperet en termes d'emploi, mais c'est  normal que ça s'adapte.   

JEFF WITTENBERG 
Vous dites aussi au ministère du Travail qu'il ne faut pas reprendre l'activité à n'importe quel prix, la sécurité des salariés avant tout, de quels moyens de contrôle vous disposez pour que justement vos services vérifient que dans les entreprises, eh bien on revient travailler avec toutes les mesures sanitaires indispensables ? 

MURIEL PENICAUD 
Moi, j'ai deux priorités, deux obsessions, c'est l'emploi, sauver l'emploi et protéger la santé des salariés, donc c'est pour ça qu'on a fait une soixantaine de guides par métier, parce que c'est pas la même chose la sécurité dans le bâtiment, pour une employée à domicile, une auxiliaire de vie ou un chauffeur livreur et on a fait 60 guides métiers qui sont sur le site du ministère comme ça tous les salariés, toutes les entreprises peuvent le voir et puis aussi un protocole de déconfinement. On l'a fait comment ? Avec les professionnels, avec les partenaires sociaux, avec le ministère de la Santé, donc c'est le ministère du Travail qui édite ces guides, mais ils sont vraiment le fruit d'un travail collectif et c'est important pour que soit mis en place. C'est-ce que je suis allée vérifier par exemple dans le chantier du bâtiment hier où j'ai vu que ce que disaient les salariés, c'est que c'est à la fois, c'était contraignant mais qu'ils étaient très soulagés parce qu'ils avaient en sécurité au travail et donc au bout de deux jours, c'était rentré dans les protocoles de travail et en plus évidemment il y a l'inspection du travail.  Mais je crois beaucoup d'abord au contrôle des partenaires sociaux, c'est-à-dire c'est le dialogue dans l'entreprise au moment de reprendre, eh bien il faut se mettre autour de la table virtuelle ou pas, discuter les conditions de sécurité, s'appuyer sur les guides et évidemment en plus dans les cas d'alerte, l'inspection du travail. 

JEFF WITTENBERG 
Vous parliez de l'inspection du travail, est-ce que l'inspection du travail, les inspecteurs du travail vont bénéficier de masques en bonne état, on l'entendait dans la revue de presse il y a quelques instants, le Canard enchaîné révèle que 60.000 masques ont été retirés parce que non conforme, vous confirmer cette information ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors il y avait eu, il y a des masques évidemment qui ont été commandés aussi pour les inspections du travail, ils sont arrivés dans des boîtes et quand on a ouvert les boîtes, il y en avait une partie qui était défectueuse, donc ils ont été remplacés depuis.   

JEFF WITTENBERG 
Pour la suite, on parle beaucoup du monde d'après ,mais aussi du monde de maintenant avec la revalorisation des salaires, l'Etat a annoncé une prime d'urgence pour tous les métiers qui ont été en première ligne dans la lutte contre le coronavirus, mais certains se demandent et notamment dans la République en marche aussi au MoDem s'il ne faudrait pas organisé une conférence sur les bas salaires dans les prochaines semaines, pour justement revaloriser les revenus de ces métiers, les caissiers, les caissières, les personnes qui travaillent à la propreté, est-ce que vous y êtes favorable, Muriel PENICAUD ? 

MURIEL PENICAUD 
D'abord je crois que la crise a révélé aux yeux de tous l'importance de certains métiers qui étaient parfois considérés comme de second ordre et qui aujourd'hui sont considérés à juste titre comme des métiers essentiels.  C'est vrai pour les caissiers, les caissières, pour les manutentionnaires, chauffeur-livreur, les éboueurs et beaucoup de métiers de ce type-là qui étaient pas forcément valorisés avant. Donc à court terme effectivement vous l'avez dit on a mis en place la possibilité pour les entreprises de verser une prime de 1000 euros ou 2000 euros s'il y a un accord d'intéressement sans charge, sans impôt pour le salarié de l'entreprise. donc on est en train de surveiller déjà que ça se passe bien notamment dans la distribution alimentaire, dans tous les secteurs qui étaient au front pendant le confinement, dès le début et sans relâche et puis j'ai discuté avec les partenaires sociaux  et moi je vais convoquer toutes les branches professionnelles concernées pour qu'on regarde comment elles peuvent dans leur classification, dans leur évolution de salaire prendre en compte ces métiers qui ont besoin d'être valorisés, c'est la responsabilité du dialogue social dans les branches professionnelles,  mais je peux vous dire que l'Etat y sera très attentif et que l'Etat va les pousser dans ce sens-là. Je crois qu'il y a un avant et un après le confinement. 

JEFF WITTENBERG 
Vous allez réunir les branches professionnelles mais est-ce que vous allez réunir aussi les partenaires sociaux justement sur cette question-là, la CGT par exemple réclament une augmentation immédiate du SMIC, est-ce que c'est envisageable d'ici l'été par exemple ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors les partenaires sociaux, je les réunis deux fois par semaine, hier nous avions notre 17ème réunion depuis le 17 mars où on passe une heure et demie ensemble 2 fois par semaine virtuellement bien sûr pour l'instant et on discute de tous les sujets d'emploi, de salaires, de conditions de santé, de sécurité. Donc on en discute en permanence, maintenant les branches, quand je les branches professionnelles, c'est un secteur professionnel avec ses partenaires sociaux bien sûr parce que c'est là que se décident les classifications et les salaires. C'est l'élément essentiel. 

JEFF WITTENBERG 
Une augmentation du Smic. 

MURIEL PENICAUD 
Il y a beaucoup de métiers qui aujourd'hui ne seraient pas concernés par le Smic, alors qu'ils ont été au front et réciproquement, donc la voie n'est pas forcément le Smic parce que il y a des métiers qui sont au-dessus du Smic qui ont été au front et qui doivent aussi être augmentés et l'inverse donc je crois que c'est pas forcément la voie, mais revoir les classifications, les salaires par branche, oui c'est une voie. 

JEFF WITTENBERG 
Alors un autre débat resurgit en ce moment, c'est celui sur le temps de travail, plusieurs personnalités de droite notamment réclament que l'on sorte, je cite, du carcan des 35 heures, alors qu'à l'inverse d'autres, Philippe MARTINEZ ici même à votre place hier disait qu'il fallait au contraire baisser la durée du travail, quelle est votre position, quelle est la position du gouvernement sur cette question ? 

MURIEL PENICAUD 
Deux choses. La première, c'est que moi ma priorité c'est que les 12 millions de salariés qui ont été mis au chômage partiel à un moment donné puissent tous retrouver leur emploi, c'est qu'il y ait de l'emploi pour tous, ça c'est la priorité absolue et pour l'instant on en est loin.  Il y a beaucoup d'activités qui sont en sous-activité et donc le but premier, c'est que chacun puisse réactiver son contrat de travail.  La deuxième chose, c'est qu'il y a beaucoup de dispositions dans le code du travail, que tout le monde ne connaît pas, qui permettent déjà une souplesse lorsqu'il y en a besoin. On peut annualiser le temps de travail quand on a un bon dialogue social et on peut aussi faire des heures supplémentaires, il y a déjà 200 heures, 220 heures qui sont autorisées dans chaque entreprise pour chaque salarié, chaque année avec une exonération de charges, de charges pour le salarié, eh bien je vais vous dire avec le confinement il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui ont utilisé ça. Donc s'il y a un besoin, on en discute dans l'entreprise, c'est le dialogue social sur le terrain qui est la clé. 

JEFF WITTENBERG 
Mais la durée légale du travail, elle ne doit pas bouger, elle doit rester à 35 heures ? 

MURIEL PENICAUD 
Ça n'est pas un problème la durée légale, aujourd'hui ce qui est un problème, c'est si on ne peut pas aller au-delà même quand on est d'accord et partout où on est d'accord, on va au-delà. vous savez, moi je vois beaucoup d'accords d'entreprise depuis quelques semaines où  quand ça reprend vraiment, quand tout le monde est revenu au travail, eh bien effectivement s'il faut donner un coup de collier pendant  quelques semaines, en étant payé plus, les heures supplémentaires sont payées plus, pour pouvoir rattraper une production qui n'a pas eu lieu, pour garder le  marché, rester compétitif, pour sauvegarder l'emploi, eh bien les salariés signent ces accords, les syndicats signent ces accords. Donc je crois qu'il faut faire confiance au dialogue social c'est là qu'on gère le temps de travail et on a tous les instruments juridiques déjà pour le faire.   

JEFF WITTENBERG 
Alors il y a le travail en présentiel comme on dit désormais et il y a aussi le télétravail puisqu'il a été fortement encouragé depuis maintenant 2 mois par les entreprises, il est même devenu la règle dans certaines entreprises, est-ce que malgré le guide de bonnes pratiques que vous avez édité ,vous en parliez tout à l'heure , il y a des guides métiers, il y en a un sur le télétravail, vous ne constatez pas des abus, beaucoup de salariés relayés par les syndicats se plaignent de sur sollicitation, de SMS que  l'on envoie à toute heure du jour et de la nuit, le week-end, est-ce que vous comptez cadrer les choses, légiférer sur cette question qui inquiète beaucoup de  salariés qui sont en télétravail ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors il y a près de 5 millions de salariés aujourd'hui qui sont télétravail effectivement ça n'était jamais arrivé avant dans cette proportion, le télétravail concernait souvent des personnes plutôt pour des raisons personnelles et puis il y a un ou 2 jours par semaine. Maintenant c'est massif, des entreprises qui n'étaient pas forcément habituées, des salariés qui n'en avaient jamais pratiqué. Donc les entreprises où il y avait déjà un accord, une charte qui encadre bien les choses, ça n'a pas tellement posé de problème, ils ont étendu ce qu'ils faisaient à plus de salariés, à plus de jours de la semaine, mais les entreprises et les salariés qui ne l'avaient jamais pratiqué, il y a de tout, il y a des endroits où ça se passe bien, des endroits où ça se passe pas comme ça devrait. alors en fait la législation est déjà assez précise, mais beaucoup d'entreprises ne le connaissaient pas, c'est pour ça qu'on a dimanche publié un guide qui rappelle les droits, les devoirs de chacun, parce qu'on n'a pas le droit  dans une entreprise de faire des SMS et des e-mail sans horaires indéfinis puisque effectivement ça crée du stress, du surmenage et puis même quand on est en télétravail, il y a des horaires de  travail et en dehors de ces heures, eh bien on a le droit d'être déconnecté et on doit déconnecter, je crois que c'est une question de santé publique et une santé personnelle, les entreprises doivent le respecter. Mais nous en avons reparlé hier avec les partenaires sociaux et moi je pense que désormais comme le télétravail dure, ce n'est pas juste une affaire de 2, 3 semaines, ça dure finalement déjà presque depuis 2 mois, ça va encore dire un peu, je pense qu'il est important que tous les comités sociaux économiques dès cette semaine se réunissent et on a autorisé par un texte qu'ils se réunissent en virtuel pour discuter des modalités, bien encadrer ça pour que ça se passe de façon sereine. 

JEFF WITTENBERG 
Encadrer le télétravail, c'est ce que vous préconisez ce matin. 

MURIEL PENICAUD 
Oui, il y a tous les textes qui existent, ce n'est pas un problème de texte, c'est un problème de pratique sur le terrain et là aussi il faut dialoguer avec les salariés, c'est ça la clé. 

JEFF WITTENBERG 
Eh bien on vous a entendu, merci beaucoup Muriel PENICAUD, ministre du Travail.   


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2020