Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Sud Radio le 5 mai 2020, sur le prix de la viande bovine, la grande distribution et les secteurs agricoles face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

PATRICK ROGER
Bonjour Didier GUILLAUME.

DIDIER GUILLAUME
Bonjour.

PATRICK ROGER
On évoquera peut-être les marchés dans un instant, vous avez entendu notre auditeur François qui était avec nous. Alors, tout d'abord, c'est un paradoxe, alors que la consommation de viande bovine cartonne dans les grandes surfaces, les boucheries, les éleveurs se disent étranglés, les prix baissent chez eux, est-ce que vous avez une solution Didier GUILLAUME, ministre de l'Agriculture ?

DIDIER GUILLAUME
Ça fait des années que la situation est comme celle-là, cet après-midi, d'ailleurs, j'ai réuni l'ensemble de l'interprofession, des producteurs jusqu'à la distribution, pour regarder pourquoi ce prix continue à baisser chez les éleveurs. Aujourd'hui les Français, avec le confinement, avec le fait qu'il y ait plus de 20 millions d'entre nous qui mangent à la maison, alors qu'ils mangeaient avant dans la restauration hors domicile, dans la restauration collective, l'achat de steak haché frais a augmenté de 35 % et l'achat de steak haché surgelé de 55%, c'est dire si les Français aiment le steak haché, mais aujourd'hui chaque kilo produit par l'éleveur lui coûte de l'argent, ce n'est pas possible. Donc, moi je dis stop, et cet après-midi nous allons faire cette réunion pour regarder ce qu'il en est. Evidemment, lorsqu'on ne mange que du steak haché, beaucoup de steak haché, ce qu'on appelle la valorisation du coût carcasse n'est pas la même et c'est vrai que le steak haché n'est pas valorisé au même titre que le serait une côte de boeuf, le serait une entrecôte, un filet, etc. Mais nous devons regarder, dans le cadre des états généraux nous avons mis en place un coût de production, si celui-ci est bien placé, et moi je ne pourrai pas tolérer longtemps que les éleveurs perdent de l'argent alors que la consommation de viande augmente.

PATRICK ROGER
Mais qu'est-ce que vous pourriez faire alors, parce que j'avais cru comprendre qu'il y avait déjà une transparence dans la chaîne justement, sur les coûts, et ensuite les prix ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, il y a une transparence qui a été faite, ce qu'on appelle les filières, c'est-à-dire qui représente l'ensemble de la chaîne de la filière bovine, de l'amont à l'aval, a mis en place ce qu'on appelle un coût de production théorique, or ce coût de production théorique n'est pas pris en compte aujourd'hui par les abatteurs, n'est pas pris en compte par les transformateurs, n'est pas pris en compte lorsqu'on les achète peut-être dans les grandes surfaces, moi je ne peux pas organiser une entente sur les prix, ça n'existe pas, c'est interdit par la loi, ça ne peut pas se faire comme cela, mais on sait qu'il y a un coût indicatif, et qu'il faut que l'éleveur soit rémunéré à sa juste valeur, par l'ensemble des maillons de cette chaîne, que ce soit les coopératives agricoles, les transformateurs, les abatteurs et la distribution, c'est ce sur quoi nous allons parler cet après-midi.

PATRICK ROGER
Oui, c'est quoi, c'est le lancement d'une étude que vous lancerez cet après-midi ?

DIDIER GUILLAUME
Non, l'étude a été faite par ce qu'on appelle INTERBEV, l'interprofession bovine, c'est peut-être un peu compliqué pour vos auditeurs, mais enfin c'est comme cela, on s'est mis d'accord, en gros, on se met d'accord cet après-midi, en gros, sur le prix global que cela revient d'élever un animal et puis de l'abattre pour la consommation de nos concitoyens, et on va voir là où il y a des trous dans la raquette, comme l'on dit.

PATRICK ROGER
Ça veut dire que la loi qui a été mise en place l'année dernière, EGalim, notamment… pour la grande distribution, ça ne marche pas alors !

DIDIER GUILLAUME
Ça ne marche pas assez, moi j'appelle un chat un chat, ça ne marche pas ça, il y a un problème. En même temps, Patrick ROGER, il ne faut pas se raconter d'histoires, nous vivons dans une économie libérale, ce n'est pas à l'Etat de fixer les prix, moi je n'ai pas le droit de dire "ça va être payé comme cela et arrangez-vous", ça s'appelle de l'entente illégale, et la justice le condamne, par contre, regarder pourquoi les choses ne vont pas, se mettre d'accord sur ne serait-ce que la quantité d'animaux abattus, où ils vont, par qui ils sont achetés, d'avoir une transparence totale de la situation. Mais je voudrais vraiment apporter tout mon soutien aux éleveurs, qui souffrent beaucoup. Vous savez, le métier d'éleveur bovin c'est difficile, et aujourd'hui ils travaillent tous les jours, 7 sur 7, ils ne gagnent pas leur vie, et c'est bien triste, au moment où nous concitoyens faisons des actes d'achat patriotiques, des actes d'achat alimentaires français, et où au moment où ça devrait payer, comme dans d'autres filières.

PATRICK ROGER
Et au moment aussi où évidemment, Didier GUILLAUME, il y a l'accord, par exemple, qui a été signé sur les importations de viande, entre l'Union européenne et le Mexique, et là il y a des éleveurs, par exemple du Massif central, qui lancent une pétition pour dénoncer ce qu'ils disent « l'absurdité » de cet accord qui permet l'importation de viande de l'étranger.

DIDIER GUILLAUME
Mais c'est exactement, la question que vous posez est la question essentielle, on dirait qu'on n'a pas tout à fait compris ce qui est pour train de se passer aujourd'hui dans le monde, où la moitié des habitants sont confinés. Nous l'avons toujours dit, bien sûr qu'il faut des accords internationaux, bien sûr que les échanges commerciaux sur la planète sont importants, nous exportons du proc, nous exportons du boeuf, nous exportons des céréales, nous exportons du vin, en temps normal, mais enfin, pendant la crise, que l'Union européenne signe cet accord, je peux comprendre qu'il soit très très mal compris, c'est un accord qui était dans les tuyaux depuis 2018, mais je pense que ce n'est pas comme cela qu'il faut procéder, peut-être y aura-t-il des accords internationaux qui devront demain être signés, mais nous devons en parler préalablement. De toute façon je pense que cet accord aura du mal à se faire ratifier par les Etats membres, le sujet n'est pas là. Le président de la République a été très clair…

PATRICK ROGER
En tout cas vous, vous êtes contre.

DIDIER GUILLAUME
Le président de la République a dit qu'il faudrait une souveraineté alimentaire, et donc dans cette souveraineté alimentaire, qu'il faudrait une exception agricole, une exception alimentaire. Moi je vais vous dire Patrick ROGER, très tranquillement, je n'emploie pas la langue de bois, on ne peut pas mettre l'agriculture et l'alimentation, on ne peut plus mettre l'agriculture et l'alimentation, dans ces accords internationaux, on n'échange pas des voitures, des fusées, des avions, avec de la viande ou avec de l'alimentation, et je pense que demain les responsables mondiaux, les responsables européens, et nous-mêmes, devront prendre nos responsabilités. L'alimentation est une pépite, l'agriculture, qui est une agriculture, celle qui nourrit les Françaises et les Français, ne peut pas être échangée et ne peut pas être… ce n'est pas un jeu de bonneteau face à des biens industriels.

PATRICK ROGER
C'est particulièrement important, ce que vous dites, pour l'avenir, mais même si ça compte déjà aujourd'hui, vous insistez pour qu'il y ait une exception agricole, comme il y a une exception culturelle, dans les traités de libre-échange, dans les traités internationaux, Didier GUILLAUME, c'est que c'est clair pour vous ?

DIDIER GUILLAUME
C'est très clair. Le président de la République l'a dit en janvier dernier, d'ailleurs au ministère de l'Agriculture, au moment des prix d'excellence de l'Agriculture, on ne peut pas échanger l'alimentation et l'agriculture au même titre que d'autres objets.

PATRICK ROGER
En dehors de la viande bovine, donc pour la grande distribution, est-ce qu'elle a joué le jeu aussi avec les autres secteurs de l'agriculture, je pense aux fruits et légumes, mais également aux poissons ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, alors je dois dire que moi je veux saluer et remercier la grande distribution, on a souvent tendance à les taper, à les critiquer, etc., mais enfin je constate que c'est là où les Français sont allés s'alimenter, s'approvisionner. Je veux parler aussi quand même des commerces de détail, des boucheries, des commerces alimentaires, des boulangeries….

PATRICK ROGER
Ah ben oui, heureusement qu'ils sont là en ce moment !

DIDIER GUILLAUME
Mais bien sûr, il faut continuer à aller chez son boucher, son charcutier, son poissonnier, mais force est de constater que c'est quand même dans la grande distribution, dans les grandes surfaces, comme l'on dit, que l'on achète le plus, on y va peut-être un peu moins, mais le coût du caddie, le prix du caddie a augmenté, parce qu'on achète plus de choses, donc les Français ont eu le sentiment que ça leur coûtait plus cher, alors que les prix n'ont pas augmenté, je veux vous le dire Patrick ROGER, parce que nous avons veillé à cela, Bruno LE MAIRE regarde cela tous les jours, avec la Direction générale de la concurrence, consommation, répression des fraudes, mais la grande distribution a joué le jeu. Je vais vous donner deux exemples très précis. Au niveau de l'agneau Pascal, pour Pâques la tradition c'est de manger de l'agneau Pascal, beaucoup d'agneaux avaient été importés de Nouvelle-Zélande, et comme cette année il n'y avait pas de restaurant, pas de repas de famille etc., forcément la l'achat allait être moindre, eh bien la grande distribution a mis en avant l'agneau français, et 100% de l'agneau français abattu a été vendu dans la grande distribution, voilà un acte alimentaire fort de nos concitoyens, et un acte patriotique et économique de la grande distribution, qui doit nous faire réfléchir pour la suite, demain ne peut pas être comme aujourd'hui. C'est comme pour les fraises, c'est comme pour les asperges, c'est comme pour les fruits et légumes, si nous voulons une souveraineté alimentaire européenne, évidemment elle sera d'abord européenne, et française, si nous voulons consommer français, il faut acheter français, pour acheter français, il faut trouver de l'alimentation française, il faut donc repenser à nouveau l'ensemble de la filière alimentaire, comment nous produisons, comment nous produisons mieux, en utilisant moins d'intrants, en faisant attention à la durabilité de l'agriculture, à la transition agro-écologique, et comment nos concitoyens peuvent avoir les moyens d'acheter des produits français.

PATRICK ROGER
Un mot aussi sur deux autres secteurs qui ont souffert, la viticulture et l'horticulture, est-ce que vous allez proposer un plan spécifique pour ces filières ?

DIDIER GUILLAUME
Alors, on parle beaucoup de plan spécifique, d'abord, ce que je dois dire c'est que le gouvernement a été très réactif et que le gouvernement a mis en place des mesures qui sont valables pour l'ensemble des exploitations, pour l'ensemble des entreprises, qu'elles soient agricoles ou qu'elles soient économiques, ça c'est une réalité, et c'est le cas de toutes les filières, mais particulièrement sur la viticulture, nous aurons une réunion mercredi avec Bruno LE MAIRE, Gérald DARMANIN, avec l'ensemble de la filière boissons, brassiculture, viticulture, cidriculture, pour la bonne et simple raison, c'est que, ils ont d'abord été touchés, et complètement flingués par les taxes des USA, les taxes Donald TRUMP, dans le conflit AIRBUS/BOIENG, et puis là ils ont pris de plein fouet la fermeture totale des hôtels-restaurants, or, la viticulture sert les hôtels-restaurants, donc nous allons regarder comment les aider, de même qu'un plan pêche a été mis en place, 50% de la pêche produite en France va dans la restauration, la restauration est fermée, et évidemment nos bateaux et nos pêcheurs sont à l'arrêt. Donc, cette crise, quand même, ce qu'il faut qu'on se dise toutes et tous, parce qu'il y a le débat, on bataille sur le confinement, sur le déconfinement, trop vite, pas assez vite, tout ça, tous ces experts qui disent comment il aurait fallu faire, mais jamais comment il faudra faire. Moi je pense que cette crise va faire des dégâts, et le gouvernement répond à cela, répond au maximum de ce qu'il peut faire, mais aujourd'hui les aides qui ont été apportées par le gouvernement, le chômage partiel qui a été mis en place, 60% des Français sont au chômage partiel, payés par l'Etat, ce n'est jamais arrivé, nous avons pris la mesure de cette crise.

PATRICK ROGER
Les fleuristes, très concrètement encore, il nous reste quelques instants, les fleuristes, ils vont pouvoir rouvrir, tout va bien ou pas ?

DIDIER GUILLAUME
Ah mais bien sûr, à partir de lundi, à partir de lundi 11 mai tous les commerces doivent ouvrir, évidemment sous réserve des précautions, je suis obligé de le rappeler, que demande le gouvernement, parce qu'après on nous reproche, vous voulez rouvrir, rouvrir, rouvrir, pour faire de l'économie, non, les barrières sanitaires, les gestes barrières, la sécurité sanitaire, la distanciation sociale…

PATRICK ROGER
Et les restos, Didier GUILLAUME, et les restos, et les brasseries, et les bars, vous, vous êtes favorable à ce qu'ils rouvrent le plus tôt possible ?

DIDIER GUILLAUME
Evidemment, pour plein de raisons j'y suis favorable, parce que c'est l'art de vivre à la française, j'y suis favorable parce que dans mon secteur c'est important pour la nourriture, j'y suis favorable parce que les gens, qui vont aller travailler dès lundi, ont besoin de se restaurer, mais il a été dit très clairement par le Premier ministre que nous ferons un point à la fin mai, d'ici là nous mettons en place des guides de bonnes pratiques, nous regardons comment les restaurants pourront s'organiser, d'ailleurs je pense que ça sera plus facile d'ouvrir un restaurant que d'ouvrir un bar, parce que le 1er juin, si c'est le 1er juin, il faudra continuer à ne pas s'embrasser…

PATRICK ROGER
Mi-juin c'est possible selon vous Didier GUILLAUME

DIDIER GUILLAUME
Je ne peux pas vous dire Patrick ROGER, moi je ne peux pas balancer des dates en l'air, non, mais franchement, vous savez, je réponds plutôt clairement aux questions, je ne vais pas balancer une date en l'air, l'objectif c'est que ça ouvre le plus tôt possible, dans la possibilité de faire respecter la distanciation et les gestes barrières, il faut mettre la sécurité sanitaire en place.

PATRICK ROGER
Allez, parler cash aussi à Cécile qui a une question est pour vous Didier GUILLAUME.

CECILE DE MENIBUS
Vous l'avez entendu, Monsieur le Ministre, avec notre auditeur, des marchés alimentaires qui souffrent, dès le 11 mai, est-ce que ces marchés, non alimentaires, en plein air, pourront rouvrir, parce que quand même, ils proposent les mêmes prix qu'en grande surface en espace clos, est-ce qu'il faudra faire pression sur les préfets justement ?

DIDIER GUILLAUME
Mais, il n'y aura pas à faire pression sur les préfets. Jusqu'au 11 mai, la règle elle est claire, les marchés sont fermés, sauf dérogation, à partir du 11 mai la règle est claire, les marchés sont ouverts, sauf interdiction, donc voilà. Pourquoi aujourd'hui, j'ai bien entendu votre auditeur, les vêtements, les tee-shirts, le textile, etc., ce n'est pas un bien de première nécessité, donc c'était fermé, et sur les marchés ouverts les halles alimentaires ont demandé que de d'alimentation. A partir du 11 mai nous allons reprendre une vie, de déconfinement progressif, les marchés pourront rouvrir, et sur les marchés on pourra vendre autre chose, à condition de respecter… vous savez, ce qui compte le plus, c'est qu'il…

CECILE DE MENIBUS
C'était un peu hypocrite, parce que, quand même, dans les supermarchés le textile, ils vendaient du textile aussi, alors que c'est dans un espace clos.

DIDIER GUILLAUME
Oui, mais Cécile, on ne pouvait pas fermer les supermarchés, sans ça les Français seraient morts de faim…

CECILE DE MENIBUS
Non, je ne dis pas fermer les supermarchés, mais autoriser…

DIDIER GUILLAUME
On s'est aperçu quand même que les Français qui sont allés dans les supermarchés, y sont allés pour se nourrir, pas pour acheter des tee-shirts, des pantoufles ou des pyjamas quand même, c'est ça la réalité, donc on ne pouvait pas fermer tel ou tel secteur.

PATRICK ROGER
Donc vous espérez, pour conclure, 100% des marchés, d'abord alimentaires, ouverts à partir de la semaine prochaine, et les autres ensuite ?

DIDIER GUILLAUME
100 %, Patrick ROGER, la semaine prochaine, je ne peux pas vous le dire, moi mon objectif c'est que 100 % des marchés ouvrent le plus vite possible, oui, je ne peux pas vous dire la semaine prochaine. Il faudra qu'il y ait de l'espace, il faudra respecter les distances, il faudra tout cela, mais oui, bien sûr, la vie doit reprendre tranquillement, la vie économique doit reprendre, parce qu'on ne peut pas laisser un pays totalement à l'arrêt comme cela, mais ça ne peut se faire qu'en prenant en compte une chose, c'est la sécurité et la santé de nos concitoyens, c'est la priorité numéro 1 du gouvernement.

PATRICK ROGER
Merci Didier GUILLAUME d'avoir répondu cash à nos questions, ministre de l'Agriculture, qui était l'invité ce matin de Sud Radio.

DIDIER GUILLAUME
Merci à vous deux.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2020