Interview de M. Cédric O, secrétaire d'État au numérique, à BFM Business le 5 mai 2020, sur la société numérique et l'application Stop Covid.

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Média : BFM Business

Texte intégral

HEDWIGE CHEVRILLON
Cedric O, bonjour.

CEDRIC O
Bonjour.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci d'être avec nous. Vous êtes donc secrétaire d'Etat en charge du Numérique. Et vous êtes en duplex avec nous de Bercy, grâce à Olivier MELLAN. Evidemment, on va parler de cette application Stop Covid, juste avant, deux points très importants d'abord, on a l'impression que notre société a basculé dans une société numérique, est-ce que vous vous dites : ça y est, le grand basculement est fait enfin en France ?

CEDRIC O
Je pense que, effectivement, il y a des positions qui ont été prises pendant la crise avec le confinement, l'utilisation, le recours massif au numérique qui ne changeront plus, je pense par exemple à la télémédecine, on est passé de 10.000 consultations par semaine à 500.000 consultations par semaine, les gens ont découvert que ça marchait très bien, qu'on n'était pas forcément obligé d'aller physiquement chez le médecin, ça nous oblige aussi, je pense, pour tous ceux qui n'ont pas la connexion, qui ne savent pas servir d'un ordinateur, qui n'ont pas d'ordinateur, à repenser ce numérique comme un bien quasiment essentiel dans notre société aujourd'hui, mais ça, il faudra y penser dès après la crise.

HEDWIGE CHEVRILLON
Et est-ce que ce n'est pas dommage, dans ces cas-là, très rapidement, parce qu'il y a plein de questions, mais, de se dire, eh bien, la 4G, elle est quand même assez repoussée, parce que les opérateurs, c'est difficile pour eux de respecter le protocole qu'ils avaient accepté, et puis, la 5G, elle est peu repoussée aux calendes grecques, je recevais Stéphane RICHARD, le patron d'ORANGE qui disait : bon pour septembre, les enchères, à l'automne en tous les cas, vous le regrettez ?

CEDRIC O
Alors, ce qui est sûr, c'est qu'avec le confinement, la difficulté à déployer les réseaux, pour les raisons de confinement et les problèmes de malades parmi les le staff des opérateurs, ça a pris un peu de retard, il faut que très vite, dès la fin du confinement, les opérateurs puissent revenir sur le rythme de déploiement à la fois du très haut débit et de la 4G qui, je le rappelle, était le plus élevé au monde et devait faire de la France le pays probablement le mieux connecté…, et ça, il faudra y revenir très vite, dès la fin de la crise.

HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que vous mettez une deadline ?

CEDRIC O
Non, je pense qu'il faudra faire le point à la fin de la crise sur le retard qu'on a pris, sur ce qui est possible, pas possible, mais il faut revenir très vite sur le rythme de déploiement qu'on avait avant le confinement et la crise du coronavirus.

HEDWIGE CHEVRILLON
Autre grand changement, Cédric O, c'est le télétravail, le télétravail est devenu massif et il doit rester massif, en tous les cas, c'était le message hier de Muriel PENICAUD, la ministre du Travail, 5 millions de salariés sont en télétravail, en même temps, on voit bien la difficulté pour certains, notamment pour les femmes, qui doivent à la fois faire la cuisine, garder les enfants, tout en restant sur leur écran, est-ce qu'il faut mieux réguler, encadrer le télétravail ?

CEDRIC O
Je pense d'abord qu'un certain nombre d'entreprises et de salariés ont découvert le télétravail et se sont aperçus que ça fonctionnait bien, moi, je parle tous les jours avec des dirigeants de start-up, de grands groupes qui me disent : ça ne sera plus jamais comme avant, on organisera probablement différemment nos locaux, le travail, le télétravail, et d'ailleurs, on va continuer à être en télétravail, vous l'avez dit, pendant plusieurs semaines, il faut probablement mieux le réguler, trouver un meilleur équilibre, la réouverture des écoles le permettra, et je pense que ça ouvre aussi de nouvelles opportunités et de nouveaux horizons d'organisation du travail dans les entreprises.

HEDWIGE CHEVRILLON
Lesquelles opportunités, plus de productivité, ça coûte moins cher aux entreprises, c'est ça ?

CEDRIC O
C'est parfois une meilleure conciliation vie personnelle et vie professionnelle, peut-être qu'une partie de la semaine, vous pouvez travailler de chez vous, éviter de passer une heure et demie dans les transports, ce qui permet à la fois d'avoir plus de temps pour ses enfants, et puis, d'être un peu plus productif, enfin, il faut repenser le travail à la fois en présentiel et en télétravail, et je pense que c'est ce genre de crise qui permet de passer des caps et d'imaginer ou de penser de nouvelles organisations du travail.

HEDWIGE CHEVRILLON
Ok, donc c'est un bon cap qui a été franchi sur le télétravail, la découverte du télétravail pour les Français.

CEDRIC
O Il faut le réguler, mais je pense que c'est une bonne chose, en règle générale, oui.

HEDWIGE CHEVRILLON
Maintenant il y a grande question effectivement « Stop ou encore », il y a cette application Stop Covid qui est un peu le raté numérique du gouvernement, qui est un peu votre raté quand même, Cédric O, qu'est-ce qui s'est passé, qu'est-ce qui se passe, et qu'attendez-vous, quand est-ce que ça va avoir le « encore » qui va se déclencher ?

CEDRIC O
Alors, d'abord, il faut rappeler à quoi sert Stop Covid, la priorité à partir du 11 mai, c'est évidemment de réussir le déconfinement, mais c'est d'éviter un nouveau départ de l'épidémie avec les malades et les morts que cela engendrait, c'est le travail d'abord des brigades sanitaires qui sont ces enquêteurs physiques…

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, les anges gardiens…

CEDRIC O
Qui vont identifier les personnes testées positives, identifier les cas contacts et les confiner, on va passer d'un confinement général à un confinement des gens qui sont malades et des gens qui ont été à leur contact. Ce travail, il se heurte à certaines limites, d'abord, la rapidité, il faut pouvoir prendre contact très rapidement avec ces gens pour éviter qu'ils ne contaminent D'autres personnes ou encore, les personnes que vous avez croisées dans le métro ou dans les centres urbains que vous ne connaissez pas, si vous avez été assis à côté de quelqu'un qui depuis a été testé positif, impossible de vous prévenir, et vous, vous continuez à contaminer vos proches, c'est là qu'une application peut être utile, et c'est pour ça que l'ensemble des pays d'Europe, l'ensemble des pays d'Europe travaille sur ce genre d'application, nous, nous avons lancé notre propre application sur laquelle nous travaillons et le temps de développement avance relativement bien, vous m'avez demandé quand est-ce que ce serait disponible, nous entrerons dès la semaine prochaine en phase de test, c'est-à-dire que nous reproduirons des situations réelles pour vérifier que l'application fonctionne bien, ce qui nous permettrait, je pense, si le Premier ministre et la Conférence des présidents de l'Assemblée en décident, et du Sénat, en décident, de faire en sorte que nous puissions revenir devant les parlementaires, comme cela a été promis, dans la semaine du 25 mai, pour envisager un déploiement lors de la deuxième phase du déconfinement, à partir du 2 juin, donc on suit notre feuille de route, on estime que c'est utile, voire indispensable, comme je le rappelle, l'ensemble des pays d'Europe, et on espère avoir quelque chose pour le 2 juin.

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc le calendrier que vous nous annoncez, Cédric O, ces discussions, vote au Parlement dans la semaine du 25 mai, et le top départ, le 2 juin de l'application Stop Covid, voilà, on est bien clair ?

CEDRIC O
Exactement, c'est ce que nous avons en tête, il faudra également que la CNIL puisse se re-prononcer comme cela a été annoncé d'ici là, on a encore une roadmap technique importante, il faut vraiment passer les tests qui vont commencer dans le courant de la semaine prochaine, faire en sorte qu'on vérifie que sur le terrain, ça marche bien, ça notifie pas trop, c'est bien interconnecté avec l'ensemble du système sanitaire, mais on a bon espoir, enfin, je pense que, aujourd'hui, on peut se dire qu'on sera prêt pour le 2 juin.

HEDWIGE CHEVRILLON
D'accord, parce que quand même, ça a duré, c'est un peu un raté, pourquoi mettre autant de temps, autant de monde, d'organisation autour de la table, parce que ça fait quand même beaucoup, deuxième point, pourquoi ne pas essayer d'avoir trouvé un accord avec APPLE et GOOGLE, parce que d'accord, ce sont des grands méchants loups, mais en même temps, on voit que les hébergeurs de santé qui sont estampillés par l'Etat, eh bien, on retrouve, IBM, MICROSOFT, AMAZON, pourquoi pas un projet européen, il y a beaucoup de questions autour quand même de cette application, dont déjà le nom n'est pas forcément formidable en termes de communication, Stop Covid.

CEDRIC O
Eh bien, son nom, il dit bien ce qu'elle fait, il doit aider à juguler la résurgence de l'épidémie, et donc ça doit nous aider à stopper la résurgence du Covid, à éviter qu'il y ait de nouveaux malades, de nouveaux morts, et peut-être, un reconfinement, et c'est dans ce cadre-là que la plupart des épidémiologistes, l'Académie de médecine, les médecins nous disent : c'est très utile, on en a besoin, ce n'est pas une coquetterie technologique, c'est vraiment : on en a besoin, ensuite, il faut du temps pour le développer…

HEDWIGE CHEVRILLON
Alors, sur les modalités…

CEDRIC O
C'est ce que j'ai dit, et c'est pour cela que nous ne seront prêts que le 2 juin, nous avons des discussions, il y a effectivement la solution qui est proposée par APPLE et GOOGLE…

HEDWIGE CHEVRILLON
Finalement, les Allemands ont choisi cette solution…

CEDRIC O
Qui pose un certain nombre de problèmes en terme de protection de la vie privée et en termes d'interconnexion avec le système de santé et de maîtrise du système de santé, c'est pour cela, pas parce que, APPLE et GOOGLE sont des grands méchants loups, mais c'est pour ces problèmes que nous avons refusé d'en passer par leur solution, nous aurons aujourd'hui une solution qui fonctionnera de manière très satisfaisante sur l'ensemble des téléphones, nous considérons que la maîtrise du système de santé, la lutte contre le coronavirus, c'est l'affaire des Etats, c'est l'affaire de la puissance publique et de la puissance sanitaire française, et pas forcément celle des grandes entreprises américaines.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, eh bien, c'est là où on voit… encore une fois, vous parliez au niveau européen, on aurait pu avoir un dispositif au niveau européen, il y a une direction numérique, en plus, qui est sous la tutelle du Français, Thierry BRETON, on aurait pu avoir, voilà, un même dispositif, on voit que les Allemands ont finalement choisi une solution à l'opposé de la nôtre, c'est un peu de cacophonie, si je puis me permettre, Monsieur le secrétaire d'Etat.

CEDRIC O
Alors, nous n'avons, j'attends de voir quel sera le choix final de l'Allemagne, j'avais encore des discussions hier avec mes homologues allemands, italiens, espagnols, on a aujourd'hui un conseil télécoms européen, notre priorité, c'est de faire en sorte que ces solutions soient interopérables de telle manière que quelqu'un qui voyage en Europe soit couvert de la même manière, et de faire en sorte qu'on puisse avancer avec un front commun sur ce sujet-là, je rappelle que nous avons choisi la même solution que les Britanniques, que l'Espagne réserve encore sa réponse, et donc, voilà, il n'y a pas un alignement au niveau européen, mais on doit faire en sorte que ça soit interopérable. Je reviens sur un élément que vous évoquiez, qui est la question d'APPLE, effectivement, nous aurons une solution qui fonctionne sur tous les téléphones, APPLE aurait pu nous aider à faire en sorte que cela marche encore mieux sur les iPhone, ils n'ont pas souhaité le faire, pour une raison d'ailleurs que je ne m'explique guerre.

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc ça ne va pas marcher sur les iPhone ?

CEDRIC O
Je pense que c'est regrettable que dans un moment où… ça marchera très bien sur les iPhone, mais ça aurait pu marcher encore mieux, et APPLE n'a pas souhaité nous aider, ce que je trouve regrettable dans une période où chacun est mobilisé pour aider à lutter contre l'épidémie, qu'une grande entreprise qui quelque part ne s'est jamais aussi bien portée en termes économiques n'aide pas un gouvernement à lutter contre la crise, donc il faudra s'en souvenir le moment venu, mais le moment d'aujourd'hui, c'est de faire en sorte qu'on ait une application qui fonctionne et elle fonctionnera sur tous les téléphones.

HEDWIGE CHEVRILLON
Vous expliquez ça comment, Cédric O ?

CEDRIC O
Je ne me l'explique pas.

HEDWIGE CHEVRILLON
D'accord, eh bien, au moins, c'est très clair. Un point, vous avez lancé un site qui s'appelle Solidarité Numérique justement qui doit lutter contre l'illectronisme, le fait que des Français, eh bien, ne savent pas forcément comment télécharger Zoom, Teams, ou même tout simplement faire un virement avec leur ordinateur ou leur tablette à leur banque. Vous avez eu, je crois, 10.000 appels, quelque chose comme ça ?

CEDRIC O
Oui, nous avons passé ces derniers jours le 10 millième appel, donc c'est à la fois un site extrêmement simple avec des tutoriels et des pas à pas, pour expliquer comment on fait pour télécharger une attestation de sortie, pour aller faire une consultation de télémédecine, c'est aussi un numéro de téléphone, le 01 70 772 372, où il y a des médiateurs numériques qui sont volontaires, plus de 2.000 d'entre eux, qui accompagnent les personnes qui sont en difficulté, avec le numérique, et nous avons passé le 10 millième appel hier, c'est un formidable élan, et je veux remercier tous les volontaires qui se sont portés candidats pour aider et accompagner les gens au téléphone, il faudra, je pense, prolonger l'expérience au-delà de la période de confinement, parce que ce problème de la fracture numérique qui touche, je le rappelle, 13 millions de Français en temps normal est encore plus terrible dans cette période, puisque c'est la double peine, à la fois, vous êtes confiné, puis, vous n'avez pas accès à l'ensemble de ces services de base, mais également à des outils qui vous permettent de garder le contact avec vos proches.

HEDWIGE CHEVRILLON
Cédric O, toute dernière question, qu'on m'a posée sur Twitter, c'est des chefs d'entreprise dans le numérique qui disent qu'ils ont beaucoup de mal à obtenir, pour les start-up, justement les prêts garantis par l'Etat, est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour eux ?

CEDRIC O
Alors, il peut y avoir des difficultés ça et là, je veux juste rappeler que, aujourd'hui, ce sont 10.000, plus de 10.000 start-up qui ont obtenu un prêt garanti par l'Etat auprès de leur banque pour plus de 1,5 milliard d'euros, donc ce prêt, il est massif, il se déploie massivement dans l'ensemble de l'économie, aussi auprès des start-up, il peut y avoir ça et là un certain nombre de difficultés, nous nous attachons à les résoudre, mais ça marche quand même de manière massive.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci beaucoup d'avoir été avec nous Cédric O, secrétaire d'Etat en charge du Numérique, donc en direct de Bercy et grâce aux moyens techniques d'Olivier MELLAN. Merci beaucoup.


source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2020