Texte intégral
HEDWIGE CHEVRILLON
Bruno LE MAIRE, merci d'être avec nous, ici en direct sur BFM Business.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il n'est pas prêt, il n'a pas d'oreillette encore.
HEDWIGE CHEVRILLON
Il y a une question quand même que l'on va vous poser, c'est de savoir pourquoi vous n'êtes pas là, après on reviendra sur le déconfinement, c'est critique pour l'économie, on sait que c'est une ligne de crête qui se joue actuellement dans les prochains jours. Peut-être qu'on lui posera la question de la responsabilité pénale des entreprises, en plus avec ce qui s'est passé à l'usine de Sandouville, de Flin, on sait que du coup il y a 2 600 personnes qui se retrouvent sur le carreau, est-ce que c'est possible ? Et puis bien sûr on essaiera de comprendre pourquoi la France est lanterne rouge de la zone euro. Alors, est-ce que le ministre de l'Economie et des Finances est avec nous ou pas ? Bonjour Bruno LE MAIRE.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Hedwige CHEVRILLON.
HEDWIGE CHEVRILLON
Ça y est, on vous a retrouvé. Première question d'abord : pourquoi est-ce que vous n'êtes pas en studio avec nous ? Je croyais que c'était la grande journée du déconfinement !
BRUNO LE MAIRE
Ecoutez, on a pris peut-être de mauvaises habitudes, mais je serai très heureux de vous retrouver la prochaine fois.
HEDWIGE CHEVRILLON
Voilà, comme ça, c'est dit. Bon, plus sérieusement, ce qu'on peut dire, c'est que c'est une journée très importante, les prochains jours, voire les prochaines semaines, la ligne de crête pour l'économie française, comme l'a indiqué le Premier ministre, est-ce que pour vous, qu'est-ce que vous attendez de cette journée ? Il y a combien d'actifs, d'entreprises qui sont prêtes à repartir ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas vous donner de chiffres, mais ce que j'attends c'est évidemment, et ce que nous espérons tous, je pense, c'est une reprise importante du travail, que le plus grand nombre de salariés puisse retrouver leur entreprise, leur usine, travailler, et remettre la France en état de marche. Tout ça dans des conditions de sécurité sanitaires qui doivent être maximales, et j'appelle évidemment chacun à continuer à respecter les gestes barrières. Je sais que c'est difficile de retrouver son bureau, retrouver ses collègues, retrouver sa chaîne de travail, tout en respectant les mesures de sécurité sanitaire, mais il faut le faire, parce que c'est comme ça que nous réussirons le déconfinement, et c'est comme ça que nous retrouvons un volume de production, une capacité productive au niveau de ce que doit être l'économie française.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et quand vous entendez Boris JOHNSON, le Premier ministre britannique, qui repousse à début juin le début du déconfinement, l'Allemagne qui dans certains Länder revient en arrière, est-ce que vous n'avez pas peur d'aller trop vite, Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Non, je pense que les conditions sanitaires aujourd'hui elles sont réunies, simplement je le redis, il faut que nous retournions au travail avec le souci de respecter les gestes barrières, le respect des règles sanitaires. Je pense que le retour au travail ne peut se faire dans de bonnes conditions que si nous respectons ces gestes, que si le dialogue social est beaucoup plus intense que d'habitude, pour que l'on puisse corriger à chaque fois ce qui mérite d'être corrigé, et nous permettre de conjuguer le travail et la sécurité sanitaire. C'est vrai que nous rentrons dans un monde qui est nouveau, dans lequel il faut que nous apprenions à conjuguer activité économique, travail et circulation du virus. Et le succès de ce défi que nous avons à relever, il dépendra de chacun d'entre nous. Ce n'est pas uniquement les chefs d'entreprise, ce n'est pas uniquement les responsables politiques, c'est chaque citoyen qui doit se sentir personnellement concerné, pour que l'on puisse conjuguer activité économique et respect des règles sanitaires.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, Bruno LE MAIRE, est-ce que quand même, vous avez forcément des remontées du terrain, des remontées du MEDEF, de la CGPME, vous savez s'il y a grosso modo 50% des entreprises qui vont reprendre leur activité avec 50% des salariés. Vous avez bien des remontées quand même, du terrain.
BRUNO LE MAIRE
J'ai des remontées tous les jours, bien sûr, je discute avec les chefs d'entreprise tous les jours, mais j'attends d'avoir des chiffres précis. Prenez l'exemple des travaux publics, ils étaient à l'arrêt à quasiment 89 %, à l'heure où je vous parle ils sont à l'arrêt à 75%, eh bien j'espère que dans les jours qui viennent, une fois que le redémarrage aura commencé, nous allons descendre en dessous des 50 % et retourner quasiment à la normale en matière d'activité des travaux publics. Voilà un exemple que je peux vous donner. Chacun sait que les travaux publics c'est absolument vital pour notre économie. Et je vais suivre, semaine après semaine, l'activité de chaque secteur pour voir exactement où nous en sommes, quelles sont les difficultés, est-ce qu'il y a des points particuliers à régler, à améliorer, et dans ce cas-là nous serons évidemment à disposition des chefs d'entreprise, des filières, pour améliorer ce qui est peut être amélioré.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est une forme de pression que vous mettez la sur les secteurs économiques. Vous allez les surveiller un par un. Est-ce que comme Muriel PENICAUD il y a quelques semaines, vous diriez que certains secteurs sont défaitistes et que vous les dénoncerez ?
BRUNO LE MAIRE
Non, mais il n'y a aucune pression de ma part. Il y a simplement le souci d'une mobilisation collective. Est-ce que vous croyez sérieusement que nous pouvons rester avec une économie qui est en grande partie à l'arrêt ? Est-ce qu'il est souhaitable d'avoir une activité qui s'est effondrée de près de 6% au premier trimestre ? Est-ce que nous mesurons bien les conséquences que ça peut avoir en termes sociaux, en termes économiques, sur l'emploi, sur l'avenir que nous offrons aux jeunes à la rentrée prochaine, sur la situation des plus de 50 ans qui peuvent se retrouver dans une situation difficile ? C'est aussi ça notre responsabilité, c'est peser le risque sanitaire, mais peser aussi le risque que fait peser sur toute la société française une activité qui est au ralenti. C'est pour ça que nous avons décidé avec le président de la République, avec le Premier ministre, le retour au travail dans des conditions de sécurité sanitaires maximales, en appelant chacun à la responsabilité, mais ça n'est pas un avenir souhaitable pour la France de vivre dans la récession et avec une croissance trop faible.
HEDWIGE CHEVRILLON
Quel est votre agenda, votre agenda de la reprise ? On sait qu'il y a des plans de soutien, après il y a des plans peut-être de protection, il y a des plans de relance, qu'elle est un peu votre agenda ?
BRUNO LE MAIRE
Il est très important effectivement Hedwige CHEVRILLON, de bien avoir le calendrier en tête. Quelles sont les étapes que nous devons respecter pour réussir ce retour à une activité normale ? La première étape, ça a été de protéger l'économie française. Et dès le 6 mars, j'ai proposé au président de la République un plan d'action économique complet, pour soutenir l'ensemble des filières économiques. Ça a été le prêt garanti par l'Etat, ça a été le fonds de solidarité, le chômage partiel voulu par Muriel PENICAUD, c'est toutes ces dispositions que nous avons mises en place. Nous avons protégé l'économie française. La deuxième étape dans laquelle nous rentrons maintenant, c'est celle où il va falloir accompagner les entreprises, et accompagner en particulier un certain nombre de secteurs qui sont très fragilisés, je pense à l'industrie automobile, je pense à l'industrie aéronautique, et je pense au tourisme. Ces trois secteurs qui vont avoir besoin de notre soutien spécifique pendant plusieurs mois. Et nous réfléchissons à des mesures, dès cette semaine je verrai l'ensemble des représentants de l'industrie automobile, la semaine dernière j'ai vu des représentants de l'industrie aéronautique, nous avons vu que le président de la République et le ministre de la Culture les représentants de la filière la culture, qui fait partie de la filière du tourisme. Donc nous avons aujourd'hui, dans un deuxième temps, l'obligation de soutenir ces secteurs particuliers. Et le troisième temps, ce sera celui de la relance. Et il ne viendra ce troisième temps de la relance, qu'à partir de fin août, début septembre, parce qu'il faut voir exactement où nous en sommes, quelle est la situation économique française, européenne et mondiale, et avoir beaucoup réfléchi avec les économistes, avec les responsables politiques, avec les élus locaux, avec les responsables filières, avec les représentants syndicaux, sur quelles sont les meilleures mesures ; Et avec un cap qui doit être clair : avoir une économie décarbonée, être la première économie décarbonée en Europe.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va revenir sur ces mesures évidemment, de soutien de la rentrée.
HEDWIGE CHEVRILLON
Absolument.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une question quand même, on sent une forme d'impatience chez vous Bruno LE MAIRE au redémarrage de l'économie. Est-ce que c'est parce que finalement la France se sort moins bien de cette récession ? - 5,8 % pour la France, - 3,8% dans la zone euro, pourquoi est-ce que vous avez moins bien fait que les autres pays ? Est-ce que on a trop arrêté notre économie par rapport aux autres ?
BRUNO LE MAIRE
D'abord, il n'y a aucune impatience, mais simplement le sens des responsabilités. Ma responsabilité de ministre de l'Economie et des Finances est de faire en sorte qu'il y ait du travail pour tous les Français, que notre économie produise des emplois, qu'elle produise de la richesse pour les Français, et que chacun puisse s'en sortir. C'est ça ma responsabilité. Evidemment, quand je vois une économie qui est à l'arrêt, des usines qui ne tournent pas, eh bien ça n'est pas la situation idéale.
HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, mais c'est la responsabilité aussi du gouvernement d'Angela MERKEL, des autres gouvernements de la zone euro, alors pourquoi est-ce que la France fait moins bien que les autres ? Surtout qu'en termes de crise sanitaire, on ne peut pas dire qu'on a fait mieux que les autres.
BRUNO LE MAIRE
Ce qui compte pour moi, c'est la manière dont nous avons réagi à cette crise. Je pense que nous avons réagi du point de vue économique, fort, vite, et avec efficacité. Et que nous avons pris des mesures assez comparables à celles qui ont été prises, notamment en Allemagne et dans d'autres pays européens. Ensuite chacun a une situation sanitaire qui est différente. On a bien vu que la situation sanitaire en Allemagne n'était pas la même que celle qu'on pouvait avoir en France. Donc je me garderai bien de tirer trop de conclusions de ces chiffres. En revanche, il est indispensable que nous puissions relancer l'activité économique en France, dans des conditions de sécurité sanitaires maximales, en respectant le calendrier que je vous ai indiqué : protéger, soutenir, relancer, et à chaque étape doivent correspondre un certain nombre de mesures qu'il ne faut pas mélanger, sinon elles ne seront pas efficaces, et un objectif qui doit rassembler tous les Français et qui doit à mon avis nous permettre de rebondir très fort, le plus vite possible, c'est celui de construire une économie respectueuse de l'environnement, décarbonée, ce qui implique de l'investissement dans les nouvelles innovations, de l'investissement dans les énergies renouvelables, des choix politiques aussi sur nos modes de transport, sur la manière dont on transforme les bâtiments, dont on les rend énergétiquement plus protecteurs de l'environnement. Donc il y a beaucoup de choses que nous pouvons construire pour l'avenir, si nous sommes capables de respecter ce calendrier et surtout de nous engager tous, collectivement, dans cette ambition d'économie décarbonée.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, le redémarrage de l'économie et des entreprises peut s'enrayer, comme on l'a vu avec RENAULT à Sandouville où la CGT a obtenu, devant la justice, l'interdiction de la réouverture de l'usine. Valérie PECRESSE a dit qu'il y a clairement dans le pays des forces politiques qui veulent planter la reprise. Est-ce que vous êtes d'accord avec elle ?
BRUNO LE MAIRE
Oh, je regrette la décision de la CGT à Sandouville. C'est une décision qui est mauvaise pour Sandouville, puisque Sandouville va perdre au minimum une semaine pour redémarrer. C'est une décision qui est mauvaise pour RENAULT, alors que chacun sait que l'industrie automobile aujourd'hui elle est confrontée à de grandes difficultés. Et c'est une décision qui est mauvaise pour la Nation française, parce qu'au moment où on veut relocaliser des activités industrielles, dire aux chefs d'entreprise "Installez-vous en France, ouvrez des usines en France, recréez des chaînes de production en France", je ne pense pas que ce soit le bon message à envoyer que de dire : "Eh bien nous, nous pensons qu'il ne faut pas reprendre le travail à Sandouville", tout ça pour des raisons qui me paraissent extraordinairement fragiles, parce que je considère que le dialogue social a été mené à Sandouville et que les conditions de sécurité sanitaires étaient réunies pour ouvrir Sandouville.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc il y a des forces politiques qui veulent planter la reprise.
BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il y a des responsables syndicaux aujourd'hui, qui jouent avec le feu, en n'incitant pas suffisamment les salariés au dialogue social et au respect des décisions qui ont été prises collectivement. Moi je ne dirai jamais à des salariés : "mais retournez au travail sans aucune condition de sécurité sanitaire, il faut travailler pour travailler". Jamais, ça n'est pas mon discours. Je dis simplement que lorsque les conditions sont réunies, qu'il y a eu du dialogue social, qu'il y a eu des échanges, qu'il y a eu des équipements fournis, que l'ensemble des conditions de sécurité sont rassemblées, oui, dans ce cas-là il faut revenir au travail. Et il me semble que, la justice en décidera, mais il me semble qu'à Sandouville ces conditions-là étaient réunies.
HEDWIGE CHEVRILLON
Je crois que vous allez rencontrer bientôt les partenaires sociaux, est-ce que vous pouvez nous dire exactement quand, et pour quel message ?
BRUNO LE MAIRE
Les partenaires sociaux, je les ai régulièrement au téléphone. J'ai eu Philippe MARTINEZ au téléphone il y a quelques jours, j'ai eu un monsieur BERGER au téléphone également il y a quelques jours, je les consulte très régulièrement, parce que l'enjeu est un enjeu collectif, c'est l'avenir de la Nation française qui est en jeu. Et je crois qu'il n'y a pas de place aujourd'hui pour les divisions inutiles, il n'y a de place que pour le rassemblement, la discussion, le dialogue, et parvenir à trouver ce chemin très particulier qui nous permet de conjuguer le travail et la sécurité sanitaire.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Autre frein à la reprise peut-être, est-ce que la responsabilité pénale des chefs d'entreprise peut aussi les rendre hésitants et leur faire redouter une reprise du travail ?
BRUNO LE MAIRE
Beaucoup m'ont fait remonter cette réaction-là, notamment François ASSELIN pour les PME. Donc c'est un sujet qu'avec Muriel PENICAUD nous regardons de très près. Je rappelle que le principe est très simple : les chefs d'entreprise ont une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultat. Ils ont une obligation de moyens, c'est-à-dire qu'ils doivent respecter des règles qui sont claires, qui sont définies par les guides de bonnes pratiques, et à partir du moment où ces règles sont respectées, qu'ils ont mis en oeuvre tout ce qui est prévu par ces codes de bonne conduite, il n'y a pas de raison que la responsabilité du chef d'entreprise soit engagée.
HEDWIGE CHEVRILLON
On se souvient des propos du président de la République qui avait dit : "Il faut agir quoi qu'il en coûte". Le problème c'est quoi qu'il en coûte jusqu'à quand ? On voit bien qu'il y a plusieurs dizaines voire centaines de milliards d'euros qui ont déjà été dépensés pour les entreprises, qu'il y a aujourd'hui, si on met tout ensemble, qu'il n'y a grosso modo qu'un salarié sur cinq qui sont payés par l'Etat, et puis lorsqu'on regarde les chiffres de l'UNEDIC, avec une dette mois d'avril qui est poussée jusqu'à 45 milliards, le trou de la Sécu, 41 milliards, il y a bien un moment où il faudra couper le robinet, Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Oui, mais ce n'est pas ce moment où celui où je vous parle. Je rappelle cette exigence de respecter un calendrier. Nous sommes dans un moment où il y a besoin du soutien public. C'est la réalité, les entreprises ont besoin de soutien public, RENAULT a besoin du soutien public, AIR FRANCE a besoin du soutien public, des dizaines de milliers de TPE, d'indépendants, de micro entrepreneurs, ont besoin du soutien public.
HEDWIGE CHEVRILLON
Mais jusqu'à la fin de l'année, jusqu'à la fin du confinement ?
BRUNO LE MAIRE
Et il faut assumer ce choix-là, et l'assumer au niveau national comme au niveau européen. Nous aurons aussi besoin, nous y reviendrons, du soutien européen, nous aurons besoin d'un plan massif de relance européen, qui doit être d'un minimum de 1 000 milliards d'euros, et je dis bien d'un minimum, une fourchette de 1 000 à 1 500 milliards, comme l'a indiqué Thierry BRETON, me paraît la bonne fourchette. C'est le moment où nous avons besoin de ce soutien public national et européen, pour sauver notre économie et la relancer, et qu'elle sorte plus forte de cette crise. Parce que c'est bien ça l'objectif, c'est que l'économie française et l'économie européenne, grâce au soutien public et grâce à ces mesures de relance nationale et européenne, ressorte plus forte de la crise, capable de rivaliser avec la Chine et avec les Etats-Unis. Donc tant qu'il y en aura besoin, nous continuerons à apporter le soutien public nécessaire.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bruno LE MAIRE, les entreprises ont-elles besoin des assureurs ? Car vous avez posé un ultimatum aux assurances, ce soir minuit, vous leur demandez de préciser dans les contrats qui prévoient la couverture des pertes d'exploitation, quelle est la part que les assureurs vont prendre à leur charge. Est-ce que vous estimez que jusqu'à présent ils n'ont pas été au rendez-vous ?
BRUNO LE MAIRE
Je pense que les assureurs ont fait une partie du chemin et qu'il reste une deuxième partie du chemin pour que les assureurs soient au rendez-vous de la solidarité nationale. Et je compte sur eux, je sais qu'ils le feront. Nous allons en fin de semaine voire la filière du tourisme avec le Premier ministre, prendre un certain nombre de décisions justement pour soutenir l'une de ces trois filières qui a besoin d'un soutien spécifique. Moi je souhaite qu'une partie de l'argent que les assureurs ont annoncé vouloir investir dans les PME, soit directement fléchée pour l'hôtellerie, la restauration et les activités de tourisme. Je souhaite évidemment que, dès qu'il y a une clause qui prévoit la prise en charge de la perte d'exploitation, eh bien les assureurs respectent les clauses d'un contrat, qui prévoit la prise en charge de la perte d'exploitation. Et je souhaite enfin qu'ils aillent le plus vite possible, sur la définition de ce qu'est un cas de pandémie, comment est-ce qu'on pourrait l'inclure dans les nouveaux contrats d'assurance, de façon à ce que s'il y a une nouvelle épidémie, une nouvelle pandémie qui se développe en France, le plus grand nombre de chefs d'entreprise puisse être couvert.
HEDWIGE CHEVRILLON
C'est ce que vous attendez des assureurs, vous allez leur forcer la main, est-ce qu'on peut dire quand même qu'ils ne jouent pas le jeu à vos yeux ?
BRUNO LE MAIRE
Non, je pense que c'est… Je ne mettrai pas un blâme sur les uns, sur les autres, je pense que dans cette période-là c'est totalement inutile. Je crois en revanche que chacun doit s'engager pour la solidarité, que ce soit les banques qui ont joué le jeu sur les prêts garantis par l'Etat, que ce soit les assureurs, que ce soit les collectivités locales, les régions qui ont répondu présentes par exemple sur le fonds de solidarité. Les régions participent au Fonds de solidarité, c'est comme ça que nous en sortirons et si quelqu'un peut faire un effort de plus, un secteur peut faire un effort de plus, nous l'incitons à faire un effort de plus. Mais nous sommes dans un moment où il faut rassembler tous les acteurs, plutôt que de pointer du doigt les uns ou les autres.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous évoquiez les secteurs particulièrement pénalisés par cette crise, que vous alliez soutenir, vous évoquez le tourisme, l'hôtellerie, l'aéronautique. L'automobile, quelles sont les mesures que vous envisagez pour l'automobile ? Est-ce que vous allez réactiver les bonus, par exemple pour les véhicules électriques ou hybrides, hybrides ça avait disparu. Tout à l'heure j'étais avec Jean-Philippe IMPARATO, le directeur général de PEUGEOT, qui nous disait : je ne veux pas de prime à l'achat d'automobile, ça va déformer le marché, et on va se retrouver dans la situation de 2011, après trois années de soutien de l'Etat, non merci nous disait monsieur IMPARATO.
BRUNO LE MAIRE
Vous savez, ce n'est pas exactement ce que me disent les constructeurs automobiles français pour tout vous dire. Donc nous allons nous voir cette semaine. Mais ce qu'il faut là encore, c'est un plan global, c'est-à-dire de savoir où nous allons, et moi il me semble que les trois directions pour l'industrie automobile qui sont importantes, c'est d'abord le verdissement du parc automobile, avoir une industrie automobile qui comme nous l'avons demandé sur l'industrie aéronautique, soit la plus verte possible et accélère sa transition écologique.
HEDWIGE CHEVRILLON
Donc un bonus/malus.
BRUNO LE MAIRE
La deuxième grande orientation, c'est… Ça peut être des incitations sous forme de soutien à la demande, ça peut être un renforcement de la prime à la conversion, il y a plein d'hypothèses sur lesquelles nous travaillons avec la filière de l'industrie automobile, qui doit permettre d'accélérer cette transition écologique. C'est la participation aussi à l'initiative sur des batteries électriques que nous avons lancée avec l'Allemagne, et que nous voulons accélérer dans les mois qui viennent. Voyez, c'est la première grande orientation pour l'industrie automobile. La deuxième c'est évidemment gagner en compétitivité. Si on veut garder des sites en France, il faut que nous soyons compétitifs par rapport à d'autres lieux de production, partout ailleurs à travers la planète. Et puis la troisième orientation c'est la relocalisation. Je pense que l'industrie automobile française a trop délocalisé. Elle doit pouvoir relocaliser certaines productions, et c'est l'équilibre entre ces trois orientations qui doit nous permettre d'avoir une industrie automobile plus forte à la sortie de la crise. Verdissement du parc…
HEDWIGE CHEVRILLON
Pardon, et ça veut dire qu'il y aura des incitations ?
BRUNO LE MAIRE
Relocalisation de certaines productions.
HEDWIGE CHEVRILLON
Ça veut dire qu'il y aura des incitations aux constructeurs automobiles pour relocaliser en France ? Des avantages fiscaux, impôts de production supprimés ?
BRUNO LE MAIRE
Si … constructeurs automobiles. Nous sommes prêts à vous aider, nous sommes prêts à améliorer par exemple les primes à la conversion, nous sommes prêts à regarder ce qui peut améliorer votre compétitivité sur le site de production français. La contrepartie ça doit être : quelle relocalisation est-ce que vous envisagez ? Nous sommes prêts à participer à la filière batteries électriques, et l'Etat met beaucoup d'argent public sur la table. Et cette filière de batteries électriques est un des grands enjeux stratégiques, technologiques, pour l'Europe. Mais en contrepartie il faut aussi que les constructeurs automobiles s'engagent à dire : voilà, telle catégorie de véhicules ou telle catégorie de fabrication, nous allons la relocaliser en France. C'est comme ça qu'on va arriver à construire une industrie automobile plus forte.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bruno LE MAIRE, les contreparties ça ne fonctionne pas vraiment, vous le savez, pour inciter les entreprises à relocaliser il faut peut-être soit baisser leurs impôts de production, soit peut-être baisser l'impôt sur la consommation, comme la TVA sur l'automobile.
BRUNO LE MAIRE
Mais quand je vous dis que nous sommes prêts à regarder tous les éléments de compétitivité de l'industrie, je n'ai jamais caché que les impôts de production faisaient partie des éléments qui grevaient aujourd'hui la compétitivité industrielle française. Ça fait partie des choses qui peuvent être, le moment venu, sur la table. Mais ce n'est qu'en abordant les sujets de manière globale, en nous demandant quelle industrie est-ce que nous voulons demain, quelle économie est-ce que nous voulons demain, que nous trouverons aujourd'hui les bonnes réponses. Et pour l'industrie automobile, je le redis, pour moi les trois piliers du renforcement l'industrie automobile française c'est : la transition écologique, la relocalisation et l'amélioration de la compétitivité industrielle française.
HEDWIGE CHEVRILLON
Le message est envoyé en tous les cas. Justement, un point sur la TVA. Quel est le manque à gagner pour l'Etat de la TVA, sur ces 2 mois de confinement, et puis aussi sur la baisse de la TIPP, parce qu'on voit bien que les Français évidemment ils ne sont pas sortis avec leur voiture ou très peu et qu'en plus le prix de l'essence a baissé. Donc j'imagine que le manque à gagner pour l'Etat, pour Bercy, il doit être énorme.
BRUNO LE MAIRE
Alors, je n'ai pas le chiffre immédiat en tête. La seule chose que je peux vous dire, c'est que quand vous regardez les relevés de cartes bleues, on observe au cours des derniers mois une vraie chute de 30, 40, voire 50 % sur certains des trois derniers mois. Donc effectivement l'impact sur la consommation a été extrêmement brutal, et ça se retrouvera dans les recettes de TVA. Mais nous assumons totalement d'être dans un moment, où face à un choc d'une violence qui est sans précédent dans l'histoire économique moderne de la France, nous apportons le soutien public, nous évitons une casse sociale et économique trop importante, et nous préparons une relance.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pour le secteur aérien c'est une tragédie, vous le savez Monsieur le Ministre, le PDG d'AIR FRANCE envisage de supprimer une part importante de ses effectifs, peut-être jusqu'à un tiers des effectifs dans certains métiers. Est-ce que vous le laisserez faire, alors qu'il a bénéficié de prêts garantis par l'Etat ?
BRUNO LE MAIRE
Quand nous avons apporté le soutien de l'Etat, 7 milliards d'euros de prêts, une partie apportée par les banques, sous forme de prêts garantis par l'Etat, 4 milliards, une forme de prêt direct de l'Etat, 3 milliards, nous avons mis deux conditions, et ces deux conditions elles restent évidemment valables, ce sont 2 conditions contractuelles par rapport à AIR FRANCE. La première, c'est qu'AIR FRANCE devienne la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète, et ça va se traduire par un certain nombre de choix sur les lignes intérieures, sur l'utilisation des carburants, sur le renouvellement de la flotte. Et nous sommes en train de regarder, point par point, comment est-ce qu'AIR FRANCE peut améliorer sa trace carbone, de manière très significative. La deuxième condition, c'est améliorer la compétitivité de l'entreprise. Moi je ne peux pas dire aux Français que nous investissons 7 milliards d'euros dans une entreprise, mais que cette entreprise ne sera pas rentable. Donc c'est à AIR FRANCE de nous faire des propositions pour être demain plus rentable. Quand l'Etat apporte un soutien public, ce n'est pas à fonds perdus. Quand je soutiens AIR FRANCE, ça ne peut pas être à fonds perdus. Il faut qu'AIR FRANCE redevienne rentable demain, et ce sera la même chose pour l'industrie automobile, nous n'allons pas soutenir l'industrie automobile simplement pour le plaisir de soutenir l'industrie automobile. Il faut que ces entreprises retrouvent la voie de la rentabilité, parce que je le redis, c'est l'argent des Français, c'est l'argent des contribuables, donc qui doivent avoir la garantie que demain ces entreprises retrouveront le chemin de la rentabilité.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Quoi qu'il en coûte en termes d'emploi ?
HEDWIGE CHEVRILLON
Voilà.
BRUNO LE MAIRE
C'est aux entreprises de nous faire des propositions, n'inversons pas les rôles. Nous, nous sommes actionnaires de ces entreprises. L'Etat est actionnaire d'AIR FRANCE, l'Etat est actionnaire de RENAULT. Nous leur fixons un cap, à eux de nous dire comment est-ce qu'ils peuvent tenir ce cap, qui est celui de la transition écologique et de la rentabilité et la compétitivité.
HEDWIGE CHEVRILLON
Il y a une petite musique qui commence, qu'on entend de plus en plus, en disant : les hauts revenus, il faut qu'ils participent à cet effort de reconstruction de la France. Est-ce que d'abord vous entendez cette musique ? Il y a Laurent BERGER, secrétaire général de la CFDT, qui a parlé la sécession des riches, en disant : voilà, il faut qu'ils participent, on parle même d'un certain retour à l'ISF, est-ce que vous dites quelque part, c'est sûr qu'il faudra peut-être, je ne sais pas, taxer plus le capital, est-ce qu'il faudra, je ne sais pas, taxer les hauts revenus ? Est-ce que cette petite musique fiscale vous l'entendez et vous avez une réponse ?
BRUNO LE MAIRE
Moi, je me méfie de cette réaction qui consiste à penser que la solution se trouve systématiquement dans les taxes et dans les impôts. Je pense que la solution se trouve dans la relance de l'activité, dans la croissance et dans l'horizon qui est celui de l'économie décarbonée, qui peut être un horizon qui rassemble tous les Français. Donc j'espère que nous serons suffisamment imaginatifs pour tenir ce chemin qui est celui de la croissance, du travail et de l'économie décarbonée. Augmenter les taxes, augmenter les impôts, faire participer davantage tous les Français, je pense que tout ça ne contribuera qu'à ralentir la croissance française. C'est une erreur que nous avons commise dans le passé. Ne renouvelons pas les erreurs qui ont pu être commises dans le passé, celle qui consiste à augmenter massivement les taxes et les impôts en sortie de crise, ça ne marche pas et ça ralentit la croissance. Celle qui consiste à ne pas fixer un cap environnemental, parce que du coup on perd du terrain en termes de décarbonation de notre économie, mais aussi en termes d'innovation et de nouvelles technologies, et je pense que si nous sommes capables de suivre ces orientations nouvelles, la décarbonation de l'économie, le retour du travail et de la croissance, eh bien c'est comme ça que nous réussirons à relancer l'économie française au lendemain de la crise.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous êtes en mesure, Bruno LE MAIRE…
BRUNO LE MAIRE
Ensuite que chacun doive se sentir obligé de participer à l'effort, certainement, je pense que chacun doit comprendre que le pays ne se relèvera que si chacun, de son côté, fait un effort.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous êtes en mesure ce matin de nous donner l'espoir, Bruno LE MAIRE ? Est-ce que la croissance sera au rendez-vous, par exemple de 2021 ?
BRUNO LE MAIRE
Nous allons tout faire pour que la croissance soit au rendez-vous de 2021, bien sûr. Mais le motif d'espoir, il est très simple, c'est que l'économie française sortira plus forte de cette crise, si nous sommes capables de prendre les bonnes décisions. Elle sortira plus forte si nous sommes capables de tenir ce cap de l'économie décarbonée, qui repose sur plus d'innovation, plus de technologie, et aussi plus de formation et de qualification de millions de salariés qui vont voir leur travail changer et qui vont avoir besoin d'être en accompagnés, qui vont avoir besoin d'être soutenus, qui vont avoir besoin d'être mieux formés, et nous y arriverons également, je le redis, si l'Europe est au rendez-vous de son histoire, si elle est capable d'apporter les moyens nécessaires pour financer cette relance. Le fonds de relance que nous avons proposé avec le président de la République, d'un montant minimal de 1 000 milliards d'euros, l'avenir de l'Europe et l'avenir des Etats européens se joue autour de la mise en place de ce fonds de relance. S'il n'y a pas de fonds de relance demain, vous verrez des divergences économiques croissantes entre les Etats membres de la zone euro, qui menaceront l'avenir de la zone euro, et nous serons incapables de financer l'évolution des métiers et des ingénieurs, les nouvelles technologies, l'intelligence artificielle, la 5G, les énergies renouvelables, l'hydrogène, tout ce qui doit nous permettre d'être une économie moderne et compétitive au XXIème siècle, face à la Chine et face aux Etats-Unis. Il est là l'enjeu que nous jouons aujourd'hui, et c'est un enjeu historique.
HEDWIGE CHEVRILLON
Et vous avez raison de dire que c'est un enjeu historique, parce que lorsqu'on voit l'Eurogroupe de la semaine dernière, c'est sûr qu'il y avait quelques tensions. Merci beaucoup Bruno LE MAIRE d'avoir été avec nous en direct de Bercy.
BRUNO LE MAIRE
Merci à vous Hedwige CHEVRILLON.
HEDWIGE CHEVRILLON
Et la prochaine fois, promesse est tenue, j'espère sera tenue, vous serez en studio avec nous. Merci beaucoup.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Je serai sur le plateau.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mai 2020