Texte intégral
Q - Vous défendez jeudi devant l'Assemblée nationale le "chapitre Brexit" du projet de loi d'habilitation pour faire face à l'épidémie de coronavirus. Quelles mesures prévoit ce texte ?
R - Ce texte prévoit en effet la possibilité de prendre des ordonnances en lien avec la relation future du Royaume-Uni après la période de transition. Un gouvernement a la responsabilité de protéger le pays face à l'imprévu. Nous ne faisons pas un pari funeste sur un échec des négociations mais nous devons nous assurer que les entreprises et les citoyens seront protégés en cas d'accord partiel ou d'absence d'accord. Et il y a un certain nombre de sujets qu'on a prévu de sécuriser.
Q - Quelques exemples ?
R - La sécurité ferroviaire dans le tunnel sous la Manche tout d'abord. On veut négocier avec les Britanniques un nouvel accord mais en cas d'échec, il faut prévoir des dispositions si on veut éviter d'avoir à le fermer. Il y a aussi un sujet de protection de l'épargne des Français. Une partie de cette épargne, par exemple le PEA ou l'assurance vie peut être constituée d'actifs britanniques. Si on ne faisait rien, les banques pourraient être amenées à liquider ces actifs dans l'urgence. Nous voulons éviter cela. Enfin sous l'angle de défense et de sécurité, nous devons nous assurer que les accords bilatéraux d'exportation de biens de défense et spatiaux que nous produisons ensemble sont toujours opérationnels.
Q - Que pensez-vous de l'état d'esprit des Britanniques dans cette négociation sur la relation future ?
R - On voit bien qu'ils ne rentrent pas dans le dur des sujets alors même qu'ils demandent à Michel Barnier d'accélérer les discussions pour boucler à la fin de l'année. Il est important qu'ils respectent les engagements pris dans l'accord de retrait d'octobre 2019. Ils se sont engagés à négocier des sujets incontournables : la pêche, des conditions de concurrence équitable et la gouvernance de cette nouvelle relation. En refusant cette négociation, les Britanniques prennent le risque d'imposer une double peine à nos économies en imposant un Brexit sans accord commercial au moment même où elles sortiraient de la crise sanitaire.
Q - Est-ce que Boris Johnson ne met pas l'Union européenne une nouvelle fois au pied du mur pour l'obliger à trouver un compromis au dernier moment ?
R - Il s'agit aujourd'hui d'agir en responsabilité pour ses citoyens et ses entreprises. Il y a en Normandie, en Bretagne, dans les Hauts-de-France des entreprises qui exportent un tiers ou la moitié de leur production, des secteurs économiques entiers sont concernés, je me refuse à leur expliquer qu'ils n'auront plus accès au marché britannique ou que la concurrence sera faussée parce qu'on n'a pas réussi à trouver un accord. On ne veut pas des gagnants et des perdants, on cherche une relation équilibrée pour l'avenir. L'unité des Vingt-sept est totale là-dessus.
Q - Les Britanniques estiment que le fait de respecter les normes européennes entrave leur souveraineté…
R - Politiquement, ils sont pleinement souverains et ils appliquent les normes qu'ils souhaitent. Mais quand il s'agit d'exporter des biens dans l'Union européenne, il est légitime que nous leur demandions de respecter nos règles, notre souveraineté européenne. Sur la sécurité sanitaire, la réduction des pesticides ou l'intensité carbone, on n'imagine pas importer des produits britanniques qui ne respectent pas nos normes.
Q - Est-ce qu'un accord se dessine pour la pêche ?
R - Nous avons deux objectifs. Les pêcheurs de huit pays pêchent dans les eaux britanniques. Il faut tout à la fois se donner des règles de gestion des ressources et ensuite un cadre qui donne de la visibilité pour ne pas avoir à renégocier des quotas tous les ans... Sur ces points, les Britanniques refusent de discuter. Comment dans ces conditions accélérer le calendrier ?
Q - La crise du coronavirus a complètement éclipsé le sujet du Brexit. Est-ce que la débâcle économique qui s'abat sur l'Europe ne va pas masquer l'effet Brexit si le Royaume-Uni sort sans accord ?
R - D'abord, ce n'est pas un prétexte pour se défausser de ses responsabilités. Et puis un accord commercial, cela a un impact économique sur dix ou vingt ans. Il y a beaucoup d'enjeux dans cette négociation qui vont bien au-delà du temps de cette crise du coronavirus.
Q - Est-ce que le spectacle de division qu'offre l'Union européenne sur la gestion de la crise du coronavirus ne donne pas des arguments aux Brexiters ?
R - Si vous additionnez toutes les décisions des Européens pour soutenir l'économie, les achats groupés de matériels, les réserves stratégiques, le rôle décisif de la BCE, cela fait beaucoup d'outils qui nous permettent de lutter ensemble contre le virus. Nous travaillons aussi à un plan européen de relance massif de l'économie qui a reçu un aval politique au plus haut niveau. Les Britanniques vont devoir gérer cette crise avec leurs seuls moyens nationaux.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2020