Texte intégral
Q - Bonjour, Jean-Baptiste Lemoyne.
R – Bonjour.
Q - Vous avez regardé, à l'instant, ce reportage. On va peut-être aborder la condition des cent kilomètres qui est levée, parce que c'est cela, finalement, qui ouvre le champ à tout le reste. Cela ne veut pas dire que la prudence ne s'impose pas. En gros, nous sommes libres de nos mouvements, la liberté redevient la norme, pour reprendre les termes d'Edouard Philippe, hier. Mais il faut toujours attendre, à votre sens, avant de se lancer complètement sur les routes de France ?
R - Je crois qu'il faut être vigilant, tout simplement, parce qu'on doit apprendre à vivre avec ce virus, tant qu'il n'y a pas de vaccin, tant qu'il n'y a pas de remède. Et par conséquent, naturellement, on a regagné en rayon d'action, on a regagné en capacité à faire des activités. Et de ce point de vue, nous avons apporté des réponses, tant sur l'offre que sur la mobilité et ce sont de bonnes nouvelles pour les français et de bonnes nouvelles pour les professionnels, mais la vigilance reste de mise. Cela étant, je le dis, ce n'est plus un petit coin de ciel bleu, c'est un grand ciel bleu, quand même.
Il est important d'ailleurs que les Français se projettent. Il y avait déjà eu un petit déclic psychologique, le 14 mai, lorsque nous avions indiqué que les vacances seraient possibles, et là, véritablement, les Français peuvent s'organiser, ils peuvent réserver. Et je le dis d'autant plus directement que les professionnels se sont aussi engagés à faciliter les annulations, en cas de pépin. Les feux sont donc au vert, allez-y ! Ils en ont besoin, les professionnels parce que vous savez, ils ont des fourmis dans les jambes, ils ont envie de reprendre et d'accueillir à nouveau. Et puis, cela a été très dur d'un point de vue économique, le secteur était à l'arrêt.
Q - Les voyagistes reprennent du service, mais ce que l'on comprend quand même, à demi-mots, en filigrane, même si ce n'est pas dit ouvertement, c'est que la France doit être privilégiée cet été, il vaut mieux que les Français fassent repartir l'économie à plein ?
R - Deux choses là-dessus, effectivement, j'appelle à un été bleu-blanc-rouge, comme je dis, c'est-à-dire redécouvrir toutes les facettes de notre territoire parce que nous avons une chance unique en Europe, c'est d'avoir cette diversité de paysages, on a du littoral, de la montagne, du rural, de l'urbain, bref, il y en a pour tous les goûts, pour toutes les bourses, et en fait, on se rend compte que la France est un concentré de monde, finalement, un concentré du monde où l'on peut faire mille activités et vivre mille expériences différentes.
C'est important d'un point de vue économique, mais c'est aussi, je crois, une évolution du comportement du voyageur ou du Français lorsqu'il part en vacances.
On l'a vu d'ailleurs dans un certain nombre d'enquêtes qui ont été conduites, il y en a eu une de la semaine dernière, d'Odoxa, qui montrait bien qu'il y a quand même un souhait de réassurance global, sanitaire mais global, et que l'on va plutôt privilégier les endroits que l'on connaît, où l'on a déjà des repères. On va certainement redécouvrir la maison de campagne du grand-père ou de la belle-mère, et il y avait un chiffre intéressant : sur les Français qui avaient prévu de partir à l'étranger, 54% ont modifié le programme de leurs vacances pour rester en France.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, avant la crise, la France était la première destination touristique dans le monde. Pouvez-vous dire aux professionnels qu'il y aura des touristes venus de l'étranger, peut-être de l'Europe uniquement, mais il y aura des Allemands, des Belges, des Anglais dans nos établissements cet été ?
R - Nous y travaillons d'arrache-pied et avec mes collègues ministres du tourisme européen, nous avions d'ailleurs une ministérielle, la semaine dernière, pour vraiment se coordonner. On voit bien que les trois quarts des pays européens envisagent au 15 juin de lever les contrôles et les restrictions à la circulation en Europe. À partir du 15 juin, les choses seront beaucoup plus faciles en intra-européen, et c'est très important parce que la France vous le disiez, elle est numéro un, en termes d'attractivité touristique. Cela veut dire que 90 millions de touristes internationaux se sont rendus en France l'année dernière, et sur ces 90 millions, 70 millions d'entre eux venaient d'Europe. Donc, le moteur européen est puissant et il constitue l'essentiel de ces clientèles.
C'est pourquoi il est important de pouvoir accueillir à nouveau nos amis belges, néerlandais, allemands, espagnols et italiens, et nous allons nous y employer. J'ai déjà passée des messages en ce sens en leur disant : "Bienvenue, Willkomen, Bienvenido,... "
Q - Vous avez révisé ?
R - Oui j'ai un peu révisé mes langues, et c'est aussi cela le tourisme, c'est avoir cette capacité à accueillir, à bien accueillir, avec le sourire, et nous avons des professionnels, je peux vous le dire, leur plaisir, c'est de faire plaisir aux autres, et notamment aux amoureux de la France qui ne sont pas Français mais qui sont attachés à notre territoire.
Q - Cela suppose quand même, pour que cela ait lieu, qu'il y ait une forme de réciprocité qui s'instaure, on est d'accord là-dessus ?
R - Tout à fait. Entre Européens, ce sujet de réciprocité est entendu et acquis, et d'ailleurs, nous avons dit qu'il n'y aurait pas de quarantaine entre nous. C'est cela, l'idée. On voit bien que du côté du Royaume-Uni, manifestement, il y a le souhait, à partir du 8 juin, de mettre en place des quatorzaines pour les voyageurs français. Et donc, dans ces conditions-là, s'il y a une quatorzaine dans ce sens-là, on sera obligé d'en mettre une dans l'autre. Mais c'est pourquoi, comme la clientèle britannique, elle est très importante, c'est, je vous donne un chiffre, 13 millions de visiteurs britanniques qui viennent sur une année en France. Et c'est la première clientèle étrangère. C'est pourquoi nous maintenons un lien très étroit avec le gouvernement britannique pour essayer, en tous les cas, de faire comprendre que, à un moment, peut-être au début de l'été, il serait important que cette quatorzaine puisse peut-être être remise en question.
Q - Alors vous appelez à - nos ressortissants les Français - à visiter le pays, mais certains souhaiteront partir en Europe, en Grèce, en Italie, en Espagne. Est-ce qu'on peut garantir à ces Français-là un niveau d'hygiène, de sécurité, harmonisé au plan européen ?
R - Il est vrai que les professionnels ont fait un gros travail au niveau national, au sein du comité de filière tourisme que je préside, mais également au niveau européen. Et Thierry Breton a coordonné également ce travail de coordination, de socle commun, des protocoles sanitaires entre professionnels. Donc, je crois qu'il y aura en Europe un bon niveau, effectivement, de ce point de vue-là. Les organisations professionnelles, aussi, des hôteliers, des restaurateurs, au niveau européen, ont travaillé. Et je crois qu'on a tous conscience que cette réassurance, elle est indispensable. Et l'Europe, en tant que telle, est aussi également la première destination dans le monde pour accueillir les touristes internationaux. Et on voit bien que c'est une donnée-clé, c'est un préalable et un prérequis qui ne peut pas se discuter. Et d'ailleurs, pour la France, nous avons décidé de mettre en place un logo par lequel le professionnel pourra indiquer qu'il met en oeuvre tous les moyens prévus par le protocole sanitaire, ce logo bleu que vous allez voir apparaître sur les vitrines.
Q - Un mot, quand même, pour ceux qui souhaitaient et qui avaient peut-être déjà procédé à des réservations parce que ce sont des voyages qui s'anticipent longtemps à l'avance, qui souhaitaient s'aventurer plus loin encore que les frontières européennes, vous leur dites tout bonnement aujourd'hui : abandonnez cette idée ?
R - Alors, pour les frontières externes de l'Union européenne, donc les Etats tiers, il y aura un petit décalage de quelques semaines encore. Les Européens doivent en discuter ensemble et jusqu'à maintenant, cette frontière vis-à-vis des Etats autres que l'Union européenne est fermée jusqu'au 15 juin. Il est vraisemblable que cette fermeture se prolonge encore de quelques semaines, peut-être pour nous conduire sur début juillet. Et donc, c'est vrai que jusqu'au mois de juillet ce sera compliqué de voyager au-delà de l'Union européenne. Sans compter que, aujourd'hui, près de 180 pays ont mis des conditions restrictives à l'accès des Français à leur territoire. Donc…
Q - Aux Etats-Unis, par exemple. L'Amérique du sud qui en train de subir de plein fouet l'épidémie aussi.
R - Donc, c'est pour cela que je leur dis : écoutez, suivez cette campagne cet été "je visite la France", c'est un hashtag très populaire sur Twitter, il y a mille et une choses à découvrir.
Q - Vous avez dit tout à l'heure, Jean-Baptiste Lemoyne, le secteur du tourisme était à l'arrêt. On peut chiffrer la perte à peu près la perte entre 10 et 11 milliards…
R - Par mois, par mois de confinement !
Q - C'est un chiffre que l'on peut réévaluer maintenant avec des données plus précises ?
R - Le secteur a été totalement à l'arrêt pendant plus de deux mois. Donc, là, c'est simple, c'était cette perte de 10 à 12 milliards d'euros par mois. Naturellement, la reprise va se faire, elle va se faire, on l'espère, et quelque part, que l'on puisse un peu lâcher les chevaux.
Q - Et les indicateurs sont plutôt bons ?
R - Exactement. Mais on sait bien qu'il y a un retard qui ne pourra pas être comblé. C'est pourquoi on a voulu aussi mettre en place un plan de soutien massif à l'initiative du président de la République pour que l'on poursuive les aides, l'activité partielle, le fonds de solidarité jusqu'à la fin de l'année 2020, parce que, parfois, les jauges des restaurants ne vont pas pouvoir, compte-tenu de la distance des un mètre etc., ré-accueillir du monde à 100%. Ils vont accueillir peut-être à 50, 60, 70%, il y aura du manque à gagner, et c'est important qu'on puisse accompagner avec ces mesures.
Q - Dans un instant on va parler, puisqu'on parle d'économie, des suppressions de postes chez Renault. On vu la débâcle de Hertz aux Etats-Unis, en particulier. Y a-t-il aujourd'hui des voyagistes en France, des grosses entreprises qui assurent le voyage des Français qui sont menacés et pour lesquels vous nourrissez des inquiétudes ?
R - On a eu, on s'en souvient, il y a quelques mois, la faillite de Thomas Cook, déjà, qui a eu des répercussions partout dans le monde du voyage.
Q - Qui était antérieure à la crise sanitaire.
R - Antérieure à la crise sanitaire, bien sûr. Aujourd'hui, c'est très dur pour les entreprises du voyage mais ils ont une organisation qui travaille pour eux, les EDV, particulièrement active et dynamique. On a mis en place un dispositif qui a permis, je pense, de préserver ces entreprises, c'est ce que l'on appelle l'avoir, c'est-à-dire que les Français qui avaient réservés un voyage ont pu obtenir un report de ce voyage en contrepartie de la délivrance d'un avoir. Cela permet de concilier l'intérêt du consommateur qui pourra faire son voyage dans les prochaines semaines ou prochains mois. Et cela a permis de préserver les trésoreries des entreprises pour passer ce cap difficile. Et j'avoue que sans cette mesure…
Q - Quitte, le cas échéant, à se faire rembourser au terme des 18 mois.
R - Exactement. Mais il est vrai que le pari, lorsque vous avez une durée de 18 mois, à un moment ou à un autre, vous allez utiliser cet avoir pour pouvoir à nouveau voyager. Et c'était une mesure très attendue. On l'a faite dans les tout premiers jours. Il a fallu agir vite et fort pour sauver, effectivement, ces entreprises.
Q - Merci beaucoup, Jean-Baptiste Lemoyne, d'avoir répondu à notre invitation aujourd'hui sur C News.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2020