Texte intégral
CAROLINE ROUX
Gérald DARMANIN, ministre des Comptes publics, alors celui qui a obtenu le droit de cumuler sa mairie et son ministère, juge inquiétant l'état des finances publiques. Bonjour Gérald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors, un arrêt de l'activité, des plans de soutien, le chômage partiel, des exonérations de charges, Gérald DARMANIN, dans quel état sont les finances publiques ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, nous sommes endettés et nous sommes de plus en plus endettés parce que nous avons fait le choix, certes, de cet endettement qui est inquiétant, mais en même temps, de devoir sauver l'économie française, d'avoir nationalisé les salaires, de les avoir garantis aux Français, d'avoir aidé les indépendants, les commerçants, nous avons donc dépensé beaucoup d'argent, nous présentons un troisième budget rectificatif, c'est-à-dire quoi, c'est-à-dire qu'on a changé 3 fois le budget depuis 6 mois, celui qu'on a voté à peine en décembre, à la demande du président, avec Bruno LE MAIRE, ce mercredi, pour encore améliorer l'économie française, la soutenir, et donc avec moins 11% de croissance, nous avons désormais moins 11,4% de déficit, depuis qu'on a créé l'outil du déficit public, c'est-à-dire de la mesure comptable, jamais la France avait eu ce chiffre de moins 11,4% de déficit, nous étions à moins 2 en décembre dernier.
CAROLINE ROUX
Et on se souvenait l'époque où l'objectif, c'était de rester sous les 3%, c'est bien de ce chiffre-là dont on parle. Quel est le niveau de la dette, quel sera le niveau de la dette fin 2020, est-ce que, là aussi, ce sont des chiffres qu'on n'imaginait pas, il y a encore quelques semaines, quelques mois, 120 % c'est par exemple un chiffre qui paraît crédible pour la fin 2020 ?
GERALD DARMANIN
Alors, pour l'instant, c‘est effectivement moins de 120 %, mais il est évident que moins 11% de croissance, c'est-à-dire que nous perdons 11% de richesses, c'est ça que ça veut dire, moins 11% de croissance, un déficit qui explose effectivement à moins 11% également, eh bien, c'est d'avoir une dette qui va augmenter, c'est tout à fait logique, mais en même temps, les Français voient que nous n'avons pas augmenté les impôts, que nous continuons à emprunter sur les marchés financiers sans difficulté, la signature de la France est respectée. Mais en même temps, ils voient des chiffres vertigineux, 220 milliards d'euros de déficit de l'Etat, la différence entre nos recettes et nos dépenses pour l'Etat, 50 milliards d'euros de trou de la Sécu, on était quasiment à la fin du trou de la Sécurité sociale grâce à notre gestion, effectivement, ce sont des chiffres qui peuvent donner le vertige.
CAROLINE ROUX
Depuis le dernier budget, collectif budgétaire du mois d'avril, on voit bien qu'il y a quand même quelque chose qui donne le sentiment d'un déficit qui se creuse, d'une dette qui s'alourdit, de manière presque exponentielle, ça va très vite, est-ce que la situation est sous contrôle, Gérald DARMANIN ?
GERALD DARMANIN
Oui, la situation est sous contrôle, parce qu'on voit à la fin de ce confinement le retour quand même d'une reprise économique, la croissance va revenir, moi, je regarde dans les recettes fiscales, la TVA recommence à rentrer dans les caisses de l'Etat, parce que les gens re-consomment de manière un peu plus grande, bien sûr, et donc évidemment, notre pari, et notre pari qui va être tenu, c'est comme nous avons soutenu l'économie, que nous avons limité au maximum les faillites, que les gens n'ont pas été au chômage, inscrits au chômage comme dans tout un tas de pays autour de nous, il y a une activité partielle, ils reprennent vite l'activité, eh bien, nous allons retrouver une vie normale après ces 3 mois de grandes difficultés.
CAROLINE ROUX
Bruno LE MAIRE a promis un plan de relance, la dernière fois qu'il était ici, à votre place, pour moderniser notamment notre outil de production, on a encore des marges de manoeuvre pour un plan de relance massif, ambitieux ?
GERALD DARMANIN
Oui, c'est le cas, parce que le président de la République a notamment négocié avec la chancelière allemande un endettement commun européen, ce qui est tout à fait original, qui n'a jamais existé, jamais les Allemands n'avaient accepté cela, 500 milliards d'euros pour relancer l'économie européenne, la France aura quelques dizaines de milliards d'euros de ce plan de relance, alors après, l'urgence de la crise, et la résilience du moment, vous avez vu qu'on a fait des annonces automobiles, il y a des annonces aéronautiques, nous allons soutenir les collectivités locales, viendra durant l'été, ce sera le choix du président d'annoncer ce plan de relance économique, notamment grâce à l'agent de l'Union européenne…
CAROLINE ROUX
Les Républicains proposent un plan de relance d'environ 10 % du PIB, c'est le bon niveau ?
GERALD DARMANIN
Je ne sais pas, il faut qu'on en discute, et puis, l'intérêt, ce n'est pas tellement les chiffres, l'intérêt, c'est pour quoi faire…
CAROLINE ROUX
Quand même, quand on est ministre du Budget, l'intérêt, c'est les chiffres, non ?
GERALD DARMANIN
Non, mais, moi, je ne suis pas dans la comptabilité, ce qui compte, c'est l'économie, c'est la croissance, c'est la confiance, regardez, il y a 60 milliards d'euros aujourd'hui sur les comptes épargne des Français ; les Français n'ont pas consommé pendant cette crise parce qu'ils ont eu peur du Covid, ils ont désormais peur sans doute de perdre leur emploi, et demain, ils auront peut-être peur que les impôts augmentent, et vous ne dites pas à votre femme ou à votre mari : on va aller consommer alors que demain, on a peur de perdre notre emploi ou qu'on a peur de voir augmenter les impôts. Donc il faut qu'on rétablisse la confiance, et cet argent, l'argent privé, il y en a, il faut juste le débloquer, il faut que les Français retournent vers la consommation et les entreprises vers l'investissement.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'on a atteint une limite, est-ce qu'il y a une limite à cette dépense publique, à ce soutien public de l'Etat à l'activité aux entreprises ?
GERALD DARMANIN
Mais quand votre immeuble est en feu, vous ne rationnalisez pas les litres d'eau pour éteindre l'incendie. Donc pour l'instant, il faut utiliser ce que nous avons, les armes que nous avons, la puissance publique, l'intervention pour pouvoir limiter le feu dans l'immeuble, une fois que le feu sera totalement éteint et qu'on fera les réparations, évidemment, il faudra revenir à des règles de bonne respectabilité budgétaire, on va dire, mais l'Union européenne, elle-même, les a suspendues, on ne va pas être plus européiste que les Européens, donc il faut écouter ce qu'a fait madame LAGARDE à la BCE, qui nous a beaucoup aidés, la Banque centrale, qui rachète notre dette, il faut comprendre quel est l'incroyable mouvement d'une dette commune avec l'Allemagne, et donc aujourd'hui, la France, certes, a un endettement préoccupant, mais les Français ont leur économie garantie.
CAROLINE ROUX
Donc on est rentré dans l'ère de l'argent magique, donc vous dites aux enseignants, aux soignants à qui on avait promis notamment des hausses de rémunération avant la crise du Covid, je pense aux enseignants notamment, en fait, aujourd'hui, c'est : oui, quand on est ministre du Budget, justement, parce qu'il y a le feu à la maison…
GERALD DARMANIN
Non, il n'y a pas d'argent magique, l'endettement, il est toujours payé par quelqu'un à la fin, et si ce n'est pas nous, ce sera par nos enfants, et il faut donc éviter que ce soit par nos enfants, parce qu'il faut être responsable, de même qu'il y a une dette écologique, il y a une dette budgétaire, elle ne peut pas être cachée dans un coin et qu'on ne saurait voir, comme dirait Molière, donc il faudra évidemment revenir à notre idée de rembourser cette dette et ce déficit sans augmenter les impôts, parce qu'on fait le pari de la croissance économique.
CAROLINE ROUX
Vous dites, il n'y a pas d'argent magique, ça veut dire qu'on n'a pas changé de manière de gérer les finances publiques, notamment pour ce qui est… on parlait de la rémunération des enseignants, ce sont les arbitrages que vous allez devoir faire là, il va falloir…
GERALD DARMANIN
Mais bien sûr, je vais recevoir à la demande du président de la République et du Premier ministre, comme à chaque fois au mois de juin, mes collègues du gouvernement pour discuter du budget 2021…
CAROLINE ROUX
Et qu'est-ce que vous allez leur dire cette année ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, d'abord, on va regarder ensemble leur budget, il y a des économies de constatation qui sont faites, les voitures ont moins roulé dans les ministères, et il y a des économies qu'on a pu faire, parce que, simplement, eh bien, comme tous les Français, l'administration française, elle n'a pas engagé des permis de construire, elle n'a pas donné telle ou telle subvention qu'elle aurait dû donner, donc on va recycler ces économies d'abord, et puis, ensuite, on va se mettre au firmament de ce que veut le président de la République pour le plan de relance, est-ce qu'il décidera de baisses d'impôts supplémentaires, le président de la République…
CAROLINE ROUX
C'est possible ?
GERALD DARMANIN
C'est possible. Est-ce qu'il décidera d'aider, en one shot, comme on dit, c'est-à-dire de la subvention, comme on l'a fait pour les collectivités locales, là, on a donné un milliard de plus aux communes pour qu'elles puissent investir et relancer le BTP, eh bien, on va s'adapter à ce que va dire le président de la République.
CAROLINE ROUX
Vous voulez peser, c'est-ce que vous avez dit dans une interview au JDD sur la sortie de crise, vous avez proposé notamment la généralisation la participation aux salariés, les partenaires sociaux sont reçus aujourd'hui pour plancher sur les moyens d'amortir la crise, reçus par le président de la République et le Premier ministre, quand vous entendez parler, dans ce contexte-là, de baisse de salaire, ça peut être une solution pour sauver les entreprises, comment est-ce que vous vous positionnez sur des solutions comme celle-ci ?
GERALD DARMANIN
Non, mais s'il y a un accord d'entreprise avec l'ensemble des salariés pour un moment extrêmement précis et que la loi encadre, on peut imaginer qu'il y ait un accord d'entreprise, mais de manière générale, on voit bien que les salaires sont assez bas pour une partie de la classe ouvrière, pour reprendre un mot populaire, et que moi, je ne pense pas qu'il faille par ailleurs les augmenter de façon généralisée, ça tuerait de l'emploi, en revanche, il faut augmenter le pouvoir d'achat de nos concitoyens…
CAROLINE ROUX
Comment ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, l'Etat a fait sa part, il a supprimé la taxe d'habitation, il a supprimé des cotisations, ce qui a augmenté le salaire, il a baissé l'impôt sur le revenu, et par ailleurs, c'est aux entreprises désormais de faire la leur, dans un contexte économique très difficile, j'ai eu l'occasion de dire que pour moi, la grande idée de la participation, de l'actionnariat salarié, de l'intéressement, était une façon d'augmenter le pouvoir d'achat sans toucher au salaire.
CAROLINE ROUX
Le plus dur arrive aussi pour les Comptes publics, Gérald DARMANIN, c'est ce que disait le ministre de l'Economie, pour la suite, pour la rentrée, pour l'emploi, pour l'activité ?
GERALD DARMANIN
Ça dépend de beaucoup de facteurs extérieurs, mais ce qui est certain, c'est qu'il va falloir rembourser cette dette, tant que les marchés financiers nous prêtent à des taux bas, voire négatifs, ce qui est encore le cas aujourd'hui, nous pouvons faire face à nos obligations…
CAROLINE ROUX
Et s'ils changent d'avis ?
GERALD DARMANIN
Oui, mais je ne crois pas, parce que la France est un grand pays qui a fait des grandes réformes, la stratégie du président de la République fonctionnait avant le Covid-19, qui est une sorte de 33 tonnes qu'on a pris sur la route alors qu'on n'y était pour rien, le chômage était le plus bas depuis 2008, nous avions baissé les impôts, les entreprises recréaient de la richesse et l'emploi industriel était au rendez-vous, donc la stratégie du président fonctionne.
CAROLINE ROUX
Un dernier mot quand même, il reste quelques jours pour faire sa déclaration d'impôt, est-ce qu'il y a eu des délais qui ont été rallongés en raison du 33 tonnes dont vous parliez à l'instant, est-ce que le confinement a changé les pratiques en matière de déclaration d'impôt ?
GERALD DARMANIN
Je ne le crois pas, on a déjà 15 millions de contribuables qui ont télé-déclaré leurs impôts, 12 millions de déclarations tacites, c'est-à-dire que les Français ont reçu parfois une feuille pour leur dire : vous n'avez rien à faire, juste à vérifier que c'est vrai, donc il reste quand même une dizaine de millions de contribuables, ceux qui sont dans les départements de 1 à 19, comme l'Ain ou l'Aisne, par exemple, ont jusqu'à ce soir minuit pour déclarer leurs revenus, et puis, les Parisiens notamment jusqu'au 11 juin, et le 12 juin, pour ceux qui font une déclaration papier, donc déclarer ses revenus, évidemment, c'est maintenant.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup, c'est le message…
GERALD DARMANIN
Merci à vous.
CAROLINE ROUX
Vous avez déclaré vos revenus, Laurent ?
LAURENT BIGNOLAS
Bien sûr.
CAROLINE ROUX
C'est fait.
source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2020