Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Je salue Agnès PANNIER-RUNACHER d'être venue ce matin donc sur l'antenne de Radio Classique, je rappelle que vous êtes ministre déléguée à l'Industrie. Il y a des plans sociaux, une trentaine par mois, la situation devient compliquée, il y a une grande manifestation à Toulouse, il y a NOKIA, il y a beaucoup d'affaires et évidemment, la question, c'est celle de savoir ce que l'Etat, donc vous, allait faire, pouvait faire.
GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct donc avec Agnès PANNIER-RUNACHER.
Avant que nous n'examinions la question sociale, est-ce que vous vous êtes, comme ministre justement, intéressée par l'idée qu'il y ait un Commissariat au Plan qui puisse planifier par exemple le retour en France d'un certain nombre d'industries stratégiques puisque c'était un des grands thèmes qui a été agité ces dernières semaines ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça, c'est le travail qu'on a déjà entamé …
GUILLAUME DURAND
Oui, je sais !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Faire revenir des entreprises en France et d'avoir une vision stratégique de ça. L'idée derrière le Commissariat au Plan, c'est d'éclairer le long terme, c'est-à-dire de dégager les grandes tendances de transformation à un moment où vous avez énormément de changements puisqu'il faut accompagner la transition écologique, énergétique. Vous avez les outils numériques qui sont en train de bouleverser la manière de vivre, la manière de produire et donc anticiper également les évolutions géopolitiques – je pense à ce qui se passe entre les Etats-Unis et la Chine – sont autant d'éléments qui peuvent éclairer l'action.
GUILLAUME DURAND
Donc ça peut être utile, BAYROU peut faire ce travail ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça peut être utile mais il ne faut pas perdre de vue que l'un des grands axes du gouvernement, c'est aussi que la décision parte du terrain c'est-à-dire, c'est une vision, pas planificatrice, mais plutôt d'éclairer l'avenir et de savoir éclairer les décisions de long terme tout en redonnant le pouvoir au plus près du terrain aux entreprises, aux collectivités locales, c'est un élément de méthode qui est très fort.
GUILLAUME DURAND
Alors, vous êtes pour ou vous êtes contre ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi, je suis pour un Commissariat au Plan qui a cette vision prospective et qui la donne mais je suis pour aussi que …parce que quand on parle Commissariat au Plan, on pense souvent, ça a été cité par Guillaume TABARD, planification soviétique, je crois que ce n'est pas du tout l'intention du gouvernement de décider à Paris de ce qui doit être fait dans les territoires.
GUILLAUME DURAND
Et puis, c'est peut-être aussi une question d'alliance stratégique avec François BAYROU qui est le partenaire, on s'en souvient, d'Emmanuel MACRON depuis le retour du voyage d'Algérie qui avait vu MACRON descendre dans les sondages et après l'appui de BAYROU remonter et donc gagner cette présidentielle. Est-ce que ce matin, Madame, vous êtes contre tous les plans de licenciements qui vont prendre prétexte du Covid pour se présenter, par exemple pour obtenir des prêts garantis par l'Etat etc., etc. ? Parce qu'il y a des cas précis dont on va parler et puis, il y a une situation d'ensemble.
AGNES PANNIER-RUNACHER
La situation d'ensemble, c'est une chute de la production et une chute des carnets de commandes. Ça, c'est une réalité.
GUILLAUME DURAND
AIRBUS, c'est 50%.
AGNES PANNIER-RUNACHER
AIRBUS, c'est 50%. Lorsque vous n'avez plus de chiffre d'affaires, il est difficile de maintenir l'emploi et je crois qu'il va falloir être clair. Ce que nous faisons en prenant nos responsabilités, en prenant des mesures d'accompagnement d'AIR FRANCE, d'AIRBUS, de RENAULT, c'est pour empêcher ces entreprises de disparaître et c'est pour sauver le maximum d'emplois possibles.
GUILLAUME DURAND
Et c'est ce que vous allez faire et c'est ce que vous allez dire aux salariés d'AIRBUS qui vont manifester massivement à Toulouse après avoir manifesté hier ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qu'on va dire aux salariés d'AIRBUS, c'est que notre vision et c'est ce que nous demandons aujourd'hui à Guillaume FAURY, le patron d'AIRBUS, c'est qu'il n'y ait pas de départs contraints, ce qui n'a rien à voir avec le fait de laisser l'entreprise ajuster son niveau d'emploi. Qu'il n'y ait pas de départs contraints, ça veut dire que chacun doit pouvoir choisir et chacun doit pouvoir être accompagné, c'est ça notre ligne, c'est-à-dire qu'on doit respecter les salariés mais on ne doit pas empêcher l'économie de bouger à un moment où vous perdez 50% de votre carnet de commandes parce que ça, ça serait mentir aux Français, ça serait mentir aux salariés et d'ailleurs les salariés l'ont bien compris. Et pour eux c'est leur ligne rouge, c'est de dire « zéro départ contraint. »
GUILLAUME DURAND
Dans l'affaire BUT / CONFORAMA, vous avez joué un rôle, donc vous les avez contraints d'une certaine manière justement à faire une alliance, sinon il n'y aurait pas eu de prêt garanti par l'Etat, on est bien d'accord ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça s'est passé. En l'occurrence dans l'affaire CONFORAMA, ça fait plus de deux ans qu'on travaille sur ce dossier, qui est un dossier qui a été précipité ou aggravé par le Covid mais CONFORAMA était déjà en grande difficulté et d'ailleurs pas du fait de son activité en France mais du fait de malversations au niveau de sa maison-mère sud-africaine et ça fait deux ans que nous nous sommes mobilisés pour sauver l'emploi et pour sauver la marque CONFORAMA et effectivement, dans les solutions de sortie, il y avait cette possibilité de réunir BUT et CONFORAMA et de donner un avenir à CONFORAMA. Donc vous voyez, c'est du travail de fourmi, c'est du travail de moine soldat mais c'est efficace et aujourd'hui, cette licence va pouvoir continuer à travailler et en plus, on a obtenu quelque chose qui est très important à mes yeux, c'est qu'ils augmentent leur part de « fabriqué en France » dans les meubles qu'ils vont vendre et on a lié un autre dossier qui est DEMEYERE sur lequel on a également été extrêmement mobilisé qui est un fabricant de meubles dans le Nord de la France. Là encore, si vous voulez, l'action de l'Etat très concrètement, c'est de trouver des solutions.
GUILLAUME DURAND
Et ce sera pareil pour NOKIA par exemple ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors NOKIA, c'est un autre sujet ; le plan qui est aujourd'hui présenté par NOKIA et qui n'est pas lié au Covid pour le coup puisque les réseaux de télécommunication ont parfaitement fonctionné et/ou étaient assez peu touchés en réalité par la crise du Covid. Le sujet NOKIA, c'est un plan que je ne comprends pas. En l'état actuel, il n'est pas acceptable, et nous l'avons dit à NOKIA, il y a une transition à la tête de NOKIA ; le président actuel va partir au 1er août, un nouveau président arrive. Nous, nous voulons entamer une discussion avec ce nouveau président pour avoir une vision stratégique de NOKIA. C'est quoi ses projets pour la France ? Comment ils vont jouer le développement de la 5G par exemple, le développement de la cybersécurité ? C'est autant d'éléments sur lesquels il y a de la croissance, il y a des besoins. Donc on comprend mal comment on peut avoir un tel plan social.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes au ministère, enfin vous faites partie de Bercy. La situation aujourd'hui c'est que, par exemple, vous avez un gouvernement qui est plutôt favorable à la 5G – en tout cas Bruno LE MAIRE, je suppose que vous aussi –, comme moteur justement de la reprise économique et vous avez maintenant des maires écologistes un peu partout en France, en tout cas dans les grandes villes, qui y sont radicalement opposés. Donc comment vous allez mener ce dialogue avec l'Etat qui mène la danse, les maires qui s'opposent à la danse et en même temps, des plans sociaux parce qu'on a donné les chiffres tout à l'heure, il y en a pratiquement 30 par mois des plans sociaux ? Donc est-ce qu'à chaque fois, vous allez vous mêler de ce qui se passe – je ne dis pas ça d'une manière péjorative ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous, notre rôle c'est de trouver des solutions. Le ministère de l'Industrie, ça ne doit pas être le ministère des problèmes ; ça doit être le ministère des solutions. Trouver des solutions, c'est mettre les gens autour de la table, aller chercher des repreneurs, aller chercher de la charge capacitaire pour charger les usines, faire en sorte de travailler main dans la main avec le ministère du Travail pour, justement, trouver des solutions pour les salariés et on y arrive. Lorsque je regarde le passé, alors la situation est un peu particulière avec le Covid, mais sur tous les dossiers de restructuration des entreprises, les statistiques, elles sont connues, c'est : on sauve 9 entreprises sur 10 et on sauve 75% des emplois. Donc on a une action qui fonctionne et il faut aller effectivement dans cette direction. On s'est doté d'équipes supplémentaires et on est aujourd'hui au travail et à la manoeuvre.
GUILLAUME DURAND
Je comprends que vous soyez au travail mais vous savez que beaucoup de gens depuis des années, ça a été le cas par exemple de MONTEBOURG et beaucoup d'autres considèrent qu'il n'y a plus une industrie en France, par rapport à l'Allemagne, on est un pays complètement appauvri, que c'est une des raisons du déficit de notre commerce extérieur. Donc sauver les gens les uns après les autres évidemment, c'est une chose qui est très utile mais le fond du problème c'est la disparition de l'industrie en France ! On se souvient de HOUELLEBECQ qui avait dit à Emmanuel MACRON à un moment, de toute façon, ou à Nicolas SARKOZY, je ne me souviens plus, voilà, la France, c'est le tourisme et le luxe et le reste ça n'existe plus. Vous entendez cet argument ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
J'entends l'argument mais en même temps, j'ai envie de vous répondre …
GUILLAUME DURAND
Vous qui voulez faire du sauvetage !
AGNES PANNIER-RUNACHER
J'ai envie de répondre, ça fait trois ans qu'on crée de l'emploi industriel en France, ça n'était pas arrivé depuis 2000 ! Donc il faut croire qu'on a trouvé quelques moyens de remettre de l'industrie en France. Lorsque SANOFI investit …
GUILLAUME DURAND
Quelques moyens !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ah bah au moins de l'efficacité. La France est aujourd'hui la première destination pour les investissements étrangers dans des projets industriels, elle a accueilli en 2019 2 fois plus de projets, 2 fois plus de projets que l'Allemagne. Donc moi, je suis dans la détermination et dans l'action. Effectivement, le combat est difficile, je ne vais pas vous raconter qu'on a le même situation industrielle qu'en Allemagne, ils ont deux fois plus de part de leur économie dans l'industrie mais il se trouve que depuis trois ans, on a redéveloppé l'industrie, il se trouve qu'on a aussi des leviers pour réimplanter de l'industrie en France. La transformation numérique, ça permet à des pays qui ont des modèles de coût du travail plutôt élevés d'être plus compétitifs. Donc si vous transformez et si vous investissez, vous pouvez relocaliser des productions et on a des cas concrets.
GUILLAUME DURAND
Mais même les maires, puisque je parlais justement des maires des grandes villes maintenant comme Bordeaux, Lyon etc., qui sont hostiles à la 5G, il y a aussi ce problème du redéveloppement effectivement d'une économie qui soit plus verte. En Allemagne, ils investissent des fortunes justement dans …alors, ils ont les centrales à charbon, il y a une certaine forme d'hypocrisie mais ils investissent massivement dans l'hydrogène. Nous, on fait quoi par exemple ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Déjà nous, on a une électricité qui est à 90% décarbonée, c'est pas du tout le cas de l'Allemagne, je veux le redire ici parce qu'il faut regarder aussi le verre à moitié plein. Donc sur la partie électricité, on a fait énormément d'efforts, 90% d'électricité décarbonée, c'est un avantage compétitif en Europe et on continue à développer les énergies renouvelables.
GUILLAUME DURAND
Et c'est ce qui expliquerait le moindre investissement en France ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non parce qu'on a un plan hydrogène et on est en train de pousser la Commission européenne à lancer un grand projet autour de l'hydrogène.
GUILLAUME DURAND
Quel est le montant du plan ? Quel est le plan, le montant ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous le verrez dans le plan de relance mais aujourd'hui, on a lancé un appel à manifestation d'intérêt qui nous permet justement de savoir très exactement où on veut investir dans l'hydrogène en termes d'innovation et en termes de production.
GUILLAUME DURAND
Vous avez un chiffre à nous donner ce matin ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur l'hydrogène, je ne vous donnerai pas le chiffre ce matin parce qu'il est en train d'être « boutiqué », si vous le permettez, il fera l'objet d'arbitrages de la part du Premier ministre.
GUILLAUME DURAND
Deux, trois milliards ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais effectivement, on peut jouer sur un chiffre avec 9 zéros.
GUILLAUME DURAND
Voilà, donc …Il y a une grande question, pardonnez-moi de vous la poser franchement, c'est qu'on est quand même dans un système aujourd'hui, beaucoup de gens se servent du Covid pour, au fond, aller chercher auprès de l'Etat des prêts et des garanties et qui sont liés au fait que leurs entreprises ne marchent pas parce que si vous donnez des prêts garantis par l'Etat auprès d'une banque qui sont à hauteur de 25% du chiffre d'affaires et que cette entreprise s'en sert pour repartir, c'est une très bonne chose mais vous savez très bien, enfin vous savez très bien, vous soupçonnez très bien qu'il y a beaucoup de gens qui vont chercher ce plan avec aucune intention de repartir et c'est pourtant l'Etat qui le garantit ! Comment on fait pour vérifier ça ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, ce n'est pas automatique, le prêt garanti par l'Etat, c'est un examen fait par des banques et cet examen évalue …
GUILLAUME DURAND
Mais c'est vous qui garantissez !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais cet examen évalue la capacité de l'entreprise à rembourser, c'est-à-dire la réalité de son plan d'affaires et la situation dans laquelle elle était avant la crise. Je fais assez confiance aux banques et on nous a assez reproché que certaines banques étaient frileuses sur les prêts garantis par l'Etat pour faire correctement leur travail et être soucieuses de ne pas prendre des risques inutiles.
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce qu'il y aura des contrôles ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et le contrôle, c'est ça, c'est cette instruction par les banques, c'est le fait que derrière, dès que le prêt garanti par l'État dépasse un certain montant, il est directement signé par le ministre de l'Economie et des Finances et de la Relance. On ne fait pas n'importe quoi à Bercy, on a des experts financiers, des experts économiques, des experts industriels pour examiner tous ces dossiers.
GUILLAUME DURAND
Dernière question puisque nous sommes en direct sur l'antenne de Radio Classique. Le Premier ministre reçoit les partenaires sociaux aujourd'hui. Tout ce dont vous nous parlez, ça nécessite quand même à un moment ou un autre qu'on trouve un accord sur tous les plans qui sont voilà fois des plans de licenciements, des plans de départs qui sont quand même extrêmement douloureux. Ça nécessite qu'à un moment ou à un autre, on trouve un accord avec les syndicats, ce qui n'a pas toujours été le cas !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, les discussions, elles se font au niveau des sites et des établissements. Aujourd'hui, j'ai rencontré les syndicats de NOKIA par exemple hier, ils sont à la manoeuvre, ceux d'AIRBUS sont à la manoeuvre et un certain nombre d'accords ont été trouvés. Attention à ne pas imaginer qu'on va nécessairement être dans des oppositions ; sur le terrain, les syndicats, ils savent, ils comprennent parfaitement la situation industrielle et économique. Et on sera à leurs côtés de même qu'on est en responsabilité aux côtés des entreprises pour trouver les bons accords. Les bons accords, ça peut être des accords de performance et de compétitivité ; ça peut être des départs volontaires qui permettent à l'entreprise de passer le cap ; ça peut être des efforts qui sont faits par tous autour de la table, les actionnaires, les dirigeants pour faire en sorte de trouver des économies et ça, on le fait au quotidien. Et vous disiez, il y a 30 grands plans sociaux par mois. On les regarde tous main dans la main avec le ministère du Travail.
GUILLAUME DURAND
Merci beaucoup. Vous êtes ministre déléguée à l'Industrie, Agnès PANNIER-RUNACHER, merci d'être venue sur l'antenne de Radio Classique ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juillet 2020