Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je suis avec la nouvelle Ministre déléguée à l'Industrie, Agnès PANNIER-RUNACHER. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Christophe JAKUBYSZYN.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous êtes une habituée de ce plateau mais là, vous êtes Ministre de l'Industrie et ça nous fait plaisir qu'il y ait une Ministre de l'Industrie. Ça faisait quand même plusieurs années qu'on n'en avait pas et j'ai vu avec Philippe VARIN ce matin, le président de FRANCE INDUSTRIE, que c'était une bonne nouvelle pour eux. Ils se disent : « Ça y est, on a une ministre qui va s'occuper de nous. » Alors on va commencer quand même par ce couac gouvernemental, les impôts de production. On avait tous compris que c'était vingt milliards d'euros, dix puis dix. Et là on apprend ce matin, et Bruno LE MAIRE nous l'a confirmé juste avant 7 heures, que c'était bien dix milliards d'euros de baisse d'impôts de production. On est d'accord ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est dix milliards de baisse et c'est une baisse massive pour les entreprises. Vous savez, ça fait plus de trois ans qu'avec Bruno LE MAIRE on se bat pour obtenir cette baisse des impôts qui est une baisse pour les salariés, qui est une base pour rendre plus compétitive notre économie et est essentielle. Cette baisse, elle sera particulièrement ciblée sur les industries, les industriels.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire la CVAE que la C3S ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
A ce stade, c'est le scénario qui se dessine avec le plus de force. Une CVAE qui sera compensée pour les régions puisque les régions, elles ont vocation à investir dans le développement économique, donc il ne faut pas prendre à droite pour redonner à gauche. Et l'enjeu, c'est effectivement de permettre à nos entreprises de plus facilement développer des activités industrielles à un moment où vous avez un mouvement de relocalisation en Europe. Et il faut qu'on prenne notre part du lion dans cette relocalisation, que ça n'aille pas en Espagne, en Allemagne ou dans d'autres pays.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors c'est vrai que dix milliards, c'est beaucoup. C'est dommage d'avoir gâché un peu la fête avec ce dix plus dix. En fait, c'est dix chaque année comme tous les impôts. Si vous baissez de dix un an, vous gardez la baisse. On est d'accord. Ce n'est pas un coup de pouce, ce n'est pas une subvention de dix milliards juste pour deux ans. Ça sera pérenne. On est d'accord.
AGNES PANNIER-RUNACHER
L'objectif, c'est évidemment que ce soit pérenne comme toutes les baisses d'impôts que nous avons enclenchées : la baisse de l'impôt sur les sociétés, la flat tax pour les revenus du capital. Toute notre politique fiscale est orientée pour faire en sorte que ceux qui travaillent et que les entreprises puissent continuer à se développer et créer de l'emploi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors du coup, j'ai une question. C'est que vous avez aussi annoncé que le plan de soutien à l'industrie, c'est quarante milliards d'euros. Alors c'est quarante milliards ou c'est vingt milliards ? Parce qu'on ne sait pas s'il ne faut pas tout diviser par deux maintenant.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce qu'en l'occurrence, comme vous le savez, sur ce qui est dépenses d'innovation, dépenses de fonds propres, ce sont plutôt des sommes qui se décident maintenant et ensuite que l'on dépense au fur et à mesure des dossiers.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et qui vont s'additionner sur les différents projets.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Et donc sur les quarante milliards, il y a les fameux dix plus dix, vingt milliards d'impôts de production.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les dix on va dire.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà. Mais il vous reste une enveloppe de vingt milliards qui sera consacrée massivement…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc on est sur trente.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Massivement à l'innovation, consacrés massivement à l'accompagnement en fonds propres des entreprises et à leur transformation. Transformation vers transition écologique, énergétique et transformation numérique.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors quand même un petit souci, c'est que cet argent bienvenu d'investissement dans les domaines que vous venez de rappeler, ça va commencer au 1er janvier 2021, au moment où la loi de finances 2021 rentrera en application. Est-ce que ce n'est pas trop tard ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce que nous avons déjà des dispositifs qui sont en place, au travers du plan auto, au travers du plan aéronautique par exemple. Et puis dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, il y aura une enveloppe de quatre cent quatre-vingt-dix millions d'euros.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Un demi-milliard.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc un demi-milliard.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais elle n'y est pas pour l'instant dans le PLF.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Si, elle vient d'être déposée sous forme d'amendement.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ah ! Vous venez de déposer un amendement.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc l'objectif, c'est d'y travailler avec le Sénat. Vous savez que le texte est maintenant devant le Sénat, mais on sait que le Sénat était très volontaire pour qu'on ait déjà des outils pour démarrer ce plan de relance, et donc nous allons pouvoir commencer à accompagner la transformation écologique des entreprises, à subventionner la transformation numérique et, effectivement, à travailler sur des dossiers d'accompagnement de relocalisation en France.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc sans attendre le vote du PLF à l'automne, vous mettez déjà sur la table un demi-milliard tout de suite sous forme d'amendement dans le PLF 3.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement et également tous les projets Territoires d'industrie puisque nous avons des régions et des élus locaux et des entreprises qui ont travaillé depuis un an et demi à faire remonter des projets. Ces projets, ils sont prêts. On n'a plus qu'à appuyer sur le bouton, donc c'est le moment de le faire. Ce sont des projets qui créent de l'emploi et qui aident à rendre le territoire plus compétitif.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors est-ce que ça suffira ? Parce que dix milliards sur les soixante-dix-sept milliards d'impôts de production, ça nous laisse encore très loin des Allemands qui payent sept fois moins d'impôts de production. Est-ce que ça va suffire pour remettre notre compétitivité au niveau des Allemands par exemple ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous le voyez, depuis trois ans on a commencé à recréer de l'emploi industriel.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, c'est vrai.
AGNES PANNIER-RUNACHER
On est également monté sur la première marche du podium en termes d'accueil et d'investissements étrangers.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et d'attractivité.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour les projets industriels. Donc ça veut dire qu'avant même qu'on baisse ces impôts, nous sommes compétitifs. Donc c'est un peu comme faire la course avec un peu plus de vélocité parce qu'on allège les impôts et on les allège massivement. Donc ç'a beaucoup de valeur pour les entreprises, on peut toujours faire mieux mais l'enjeu que nous avons c'est de faciliter, aplanir pour les entreprises le chemin pour qu'elles aillent créer de l'emploi, qu'elles aillent capter des parts de marché à l'international et qu'elles le fassent en développant des nouvelles solutions qui soient, je dirais, des solutions de transition écologique et énergétique parce que ce sont les marchés de demain. Ce sont les marchés de demain.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous croyez à la relocalisation ? Parce que la plupart des patrons qu'on reçoit, ce sont des patrons qui ont des stratégies mondiales, qui ont des implantations internationales, qui souvent d'ailleurs suivent les lieux de consommation et ils sont un peu sceptiques sur la relocalisation. Même si, vous avez raison, l'attractivité française a progressé. De là à leur faire changer leurs plans d'investissement pour localiser une usine en France, il y a encore du chemin.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord, il y a eu un mouvement de délocalisation qui a été, pardon, mais un mouvement un peu moutonnier. C'est-à-dire que lorsque vous regardez dans le détail la réalité des gains de productivité obtenus lorsqu'on délocalise très loin, on ne prend pas en compte les coûts cachés de logistique, le fait que lorsque vous êtes à distance…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
De rupture d'approvisionnement comme on l'a vu sur la période récente.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Nous, on a pensé pendant des années que la logistique ça fonctionnait tout seul et que c'était une commodité. Non, ce n'est pas le cas. On vient de le voir et c'est un risque qu'aujourd'hui les patrons doivent traiter. Et puis vous avez beaucoup de coûts cachés parce que lorsque vous êtes à distance des marchés, vous êtes moins flexible, vous répondez moins vite aux demandes des clients, vous vous comprenez moins bien. Moi, j'ai travaillé dans l'automobile. Lorsqu'on travaillait avec les Chinois sur des outillages, on avait un terme pour ça, on disait : c'était les pastèques. Vert à l'extérieur, ils nous envoyaient l'outillage, et quand on déballait on s'apercevait qu'il y avait plein d'imperfections et donc c'était rouge à l'intérieur. Donc attention à cette thématique de la délocalisation qui, forcément, apporte plus de compétitivité. Ensuite, vous avez raison, on ne va pas tout relocaliser en France.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Non. Par exemple, regardez. Il y a un discours très politique sur les médicaments. C'est vrai que c'est un enjeu stratégique. En même temps, les industriels de la pharmacie nous disent : pourquoi aller relocaliser des composants par exemple du Doliprane alors qu'il y a peut-être cet argent, ces investissements d'avenir, il faut peut-être les développer sur les molécules de demain, pas sur les molécules d'hier.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors moi, je ne partage pas totalement ça. C'est-à-dire que la crise a montré qu'il ne fallait pas balayer du revers de la main des molécules qui n'étaient certes pas extraordinairement nouvelles mais qui étaient absolument nécessaires pour se soigner. Parce que ça, c'est un peu l'idée que comme nous on a plus d'idées, il faudrait qu'on prenne les choses les plus intéressantes, les plus technologiques. Non. Le Doliprane, le paracétamol, c'est une molécule dont on a besoin et si on est dépendant de cette molécule, ça pose un problème. Là, nous avons une opportunité pour réimplanter un site de production en France et nous le faisons de manière compétitive. C'est ça, l'enjeu. Le seul point, c'est d'arriver à avoir une offre qui soit compétitive. Pour avoir une offre compétitive, on le sait qu'on a un coût du travail qui est plus élevé que dans d'autres pays, on sait qu'on a des impôts de production qui sont plus élevés que dans d'autres pays mais on a aussi des avantages à faire valoir. En termes de logistique, d'infrastructures, de capacité à recruter des talents. Et tout l'enjeu, c'est d'arriver à équilibrer la balance et à faire en sorte que ce soit l'intérêt des chefs d'entreprise de relocaliser leur production en France. C'est ce que nous faisons avec le Doliprane, c'est ce que nous faisons avec une usine de vaccins par exemple de SANOFI qui a investi six cents millions d'euros pour ouvrir cette usine de vaccins, et j'ai moi sur la table une trentaine de projets de relocalisation que nous allons étudier un par un et accompagner.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une question de concurrence. Quand vous voyez que pour obtenir le feu vert de Bruxelles, ALSTOM va devoir vendre ses usines alsaciennes, ça vous désespère ou vous dites : c'est normal ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Je crois que la position du gouvernement, elle est connue sur le droit de la concurrence. C'est qu'il nous semble qu'il faut que l'Union européenne évolue et ait une lecture du marché qui soit plus internationale, plus globale. Penser que la compétition se fait uniquement sur la plateforme européenne et que c'est à ce niveau-là qu'il faut comparer les parts de marché…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Parce qu'ils disent que les droits des consommateurs sont plus importants. Au fond, le prix qui est offert aux consommateurs est plus important que le reste, que les notions de souveraineté.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors c'est un bon point. N'oublions pas que c'est ce droit de la concurrence qui a permis aux consommateurs justement d'avoir accès à des biens, notamment équipements ferroviaires etc, dont ils disposent ensuite. Donc même si ce n'est pas Monsieur Madame Tout le monde qui achète le train, il le prend le train, à des prix qui étaient tirés vers le bas. Donc ce droit de la concurrence…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui. Il y a une contradiction entre les exigences.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce droit de la concurrence, il a été très utile pour construire le marché unique et pour permettre aux consommateurs d'avoir la meilleure qualité de service et de…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais c'est contradictoire avec l'idée de souveraineté européenne.
AGNES PANNIER-RUNACHER
En revanche, là où nous on pense qu'il faut évoluer, c'est que la compétition mondiale a changé. C'est que quand les Chinois arrivent sur le marché français, ils sont subventionnés sur leur marché domestique et les parts de marché, elles s'apprécient au plan mondial. Et donc c'est cela dont nous discutons mais je pense qu'il y a une évolution aussi de l'Union européenne sur ces aspects-là. Thierry BRETON a été très clair, Margrethe VESTAGER a également annoncé que sur la question des plateformes numériques aussi, c'est un peu le même principe, il devrait y avoir des évolutions.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On verra par exemple avec la fusion PSA-FIAT CHRYSLER quelle sera la position de l'Europe.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une dernière question. En tant que Ministre déléguée à l'Industrie, vous n'avez pas peur d'être la Ministre des plans sociaux à la rentrée ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est justement le point. C'est de faire du Ministre de l'Industrie pas le ministre des problèmes mais le ministre des solutions.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça va être difficile compte tenu du contexte.
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est-à-dire que vous avez, certes, des restructurations mais vous avez une transformation de l'économie française qui est massive et qui est à faire. Aujourd'hui, et je le dis pour les PME, les entreprises…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais vous serez la ministre qui acceptera les restructurations au nom justement de ces transformations ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, parce que c'est ça qui va créer de l'emploi demain. C'est ça qui rendra notre économie plus compétitive. Je préfère qu'aujourd'hui on fasse le travail qui nous rendra plus compétitifs et qui demain nous permettra de créer l'emploi, que celui qui consiste à mettre des sacs de sable autour des entreprises en disant : ça va bien tenir, tandis que les autres pays sont en train de se moderniser à marche forcée.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Eh bien je vous réinviterai. On verra si vous avez le même discours lorsque vous serez confrontée, malheureusement, à des plans sociaux massifs, mais en tout cas c'est un discours courageux que vous avez aujourd'hui.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Ça fait deux ans que je tiens ce discours et ça fait deux ans que nous sauvons neuf sites sur dix et 75 % des emplois.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir été notre invitée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 juillet 2020