Déclaration de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, en mémoire des victimes de la Rafle du Vel d'Hiv de juillet 1942, à Paris le 19 juillet 2020.

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Circonstance : Cérémonie de commémoration de la Rafle du Vel d'Hiv

Texte intégral

« Ma chère soeur,

Je te fais écrire ces mots, la police est venue nous arrêter avec tous les juifs de la maison, on nous a enlevés moi et mes deux enfants, je t'écris pour te dire que nous allons être transportés au Vélodrome d'Hiver. Je te demande d'aller chez moi [...]. Prends toutes mes affaires, tout ce que tu trouveras. Mon petit gars a oublié sa carte d'identité. »

Paris, le 16 juillet 1942


Monsieur le Vice-président du Sénat,
Monsieur le Premier vice-président de l'Assemblée nationale,
Madame la Maire de Paris,
Monsieur le Maire du 15ème arrondissement,
Monsieur le Grand Rabbin de France,
Monsieur le Président du Conseil Représentatif des institutions Juives de France,
Monsieur le Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
Monsieur le Président des Consistoires,
Monsieur le Président de la Fondation du Judaïsme Français et du Fonds Social Juif
Unifié,
Chers Serge et Beate Klarsfeld,
Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, messieurs,


Ces mots font écho aux extraits des lettres d'Edith SHUHOVA et de Marie JELEN, lus, ici-même, ces deux dernières années.

Ces mots sont ceux de Paulette STOKFISZ-BRONSTEIN, arrêtée chez elle le matin du 16 juillet 1942 avec ses deux enfants : Jacques 16 ans et Raymonde 4 ans. Simples et déchirants, ils sont écrits aux coeur de la tragédie, dans la détresse de l'arrestation. Ils disent la surprise, l'inquiétude et l'écroulement des certitudes.

Et cela avant même de découvrir le Vélodrome d'Hiver. Au fil des heures du 16 juillet, des milliers de familles y furent emmenées, enfermées et je dirais même parquées. Pendant trois jours et trois nuits, la faim alterne à la soif.

Autant d'heures comme une insulte à la dignité humaine, comme une gifle à la face de notre pays. Le Vélodrome d'Hiver est la première étape de l'infamie, l'antichambre de l'horreur.

Pour Paulette STOKFISZ-BRONSTEIN, le temps des déchirures porte le nom de Pithiviers. Elle y fut enfermée puis séparée de ses enfants. Elle fut déportée le 7 août 1942, par le convoi n° 16. Elle ne revint pas d'Auschwitz.

Jacques et Raymonde furent déportés le 2 septembre. Ils ne revinrent pas de l'enfer. Aucun des milliers d'enfants arrêtés lors de la Rafle du Vél d'Hiv ne revint des camps de la mort.


Leur calvaire est celui des 13 152 juifs, trahis par la France. Ces jours-là, aucun soldat allemand n'a participé à la Rafle. Des policiers français agissant, sur ordre de l'occupant, ont arrêté et emmené sans distinction des hommes, des femmes et des enfants. Ils n'étaient coupables de rien. Ils avaient fait confiance à la patrie des Droits de l'Homme. Ces heures sombres demeurent une plaie vive dans notre mémoire nationale.

Il y a 78 ans, la France se trahissait elle-même. C'est un honneur, en ce jour, d'être avec vous et de porter la parole de la République. Je le fais avec une immense considération pour toutes celles et tous ceux qui se sont avancés et qui ont prononcé en ce même lieu des mots courageux. En suivant le chemin tracé par Jacques CHIRAC et repris par le Président de la République, Emmanuel MACRON, notre pays regarde son Histoire en face, avec clarté et vérité.

Il y a 25 ans, le président CHIRAC tenait un discours qui résonne encore dans tous les esprits. Il a eu le courage de mettre fin à des années de déni, d'atermoiement et d'arrangement avec la réalité.

Il n'y a pas de place pour l'ambiguïté. La Rafle du Vél d'Hiv est une affaire française, une persécution mise en oeuvre par le gouvernement du maréchal Pétain, par le gouvernement de l'Etat français. Ce régime a secondé les visées exterminatrices de l'Allemagne nazie. En se rendant le complice d'un crime de l'homme contre l'homme, en secondant les basses besognes, le régime de l‘Etat français s'est fait l'auxiliaire zélé de la folie criminelle de l'occupant. En participant à l'innommable, la France s'est abîmée. Cela reste une tache indélébile.


Toutes les victimes étaient des filles et des fils de la France, par naissance, par choix, par culture. Tous croyaient aux valeurs séculaires de notre patrie, celle des Lumières, celle des Droits de l'Homme, celle de Victor Hugo, celle de la promesse républicaine. Aucun d'entre eux ne l'avait imaginé : la France livrait ses enfants à la lie de l'humanité.

La Rafle du Vél d'Hiv est devenue le symbole de toutes les autres, l'emblème des persécutions menées contre les Juifs en France. En entretenant la flamme du souvenir, nous saluons la mémoire de toutes les victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français. En commémorant aujourd'hui ce douloureux souvenir, c'est aussi à l'ensemble des victimes de la barbarie nazie que nous pensons. Nous pensons également aux populations tziganes, homosexuelles, handicapées et à tant d'autres.

Certes, la haine a charrié son lot de dénonciations, de profiteurs et de prédateurs. Mais jamais nous n'oublierons que dans les ténèbres, des flambeaux se sont allumés. Que lorsque l'humanité semblait s'écrouler, des héros anonymes se sont pressés pour la redresser. En maints endroits de France, des milliers de femmes et d'hommes, des familles, des gens ordinaires, ont accompli l'exceptionnel, en cachant et en sauvant des juifs de la persécution. Bravant les risques, ils ont permis que les trois quarts des Juifs de France échappent à la traque. Ils sont les « Justes de France». Sans chercher les honneurs, ils ont écrit les mots courage, fraternité et dignité dans notre histoire nationale. Cette commémoration leur est aussi dédiée.

Il y eut la France de Pétain, responsable de la déportation de 76 000 Juifs de France; elle fut celle du déshonneur. Il y eut aussi la France des Justes, celle de l'empathie et de la solidarité. La France était également à Londres, à Brazzaville, dans les sables libyens, dans le coeur des Français libres et combattants, dans l'âme des résistants.

Mesdames, messieurs, l'histoire est un bloc. Les plus belles pages y ont été écrites, de même que les plus sombres. Notre mémoire nationale en est le fruit. Elle est à la fois notre héritage et une part majeure de notre identité. Elle est ce passé qui vit dans notre présent. J'ai au coeur de mes responsabilités l'ambition de contribuer à l'unité de la Nation, celle-ci ne se bâtit jamais à partir d'une mémoire sélective, tronquée ou déformée.

Peut-on se limiter aujourd'hui à évoquer le passé ? Peut-on considérer qu'aujourd'hui tout risque a disparu ?

Evidemment non et vous avez rappelé Monsieur le Président, les actes et les violences antisémites, l'assassinat de Mireille KNOLL, la profanation des tombes, la caricature et la haine véhiculées par les réseaux sociaux, bien abritées derrière un lâche anonymat, ainsi que l'antisionisme obsessionnel de certains. C'est inadmissible.

Je partage votre inquiétude monsieur le Président. Notre société est fragile. Mais je veux vous assurer, et vous le savez bien, que le Président de la République, le Premier Ministre et l'ensemble des membres du gouvernement, que je représente ici aujourd'hui, sont totalement mobilisés contre ces fléaux.

Notre République doit protéger chacun. Elle doit être attentive à l'apparition de tous les signaux faibles, intransigeante devant tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Et oui l'anonymat sur les réseaux sociaux est un fléau considérable, une lâcheté majeure. Je pense que nous devons nous attaquer à ce sujet sans faiblesse.

Et au-delà, je crois profondément à la valeur éducative de notre mémoire collective, c'est au coeur de mes fonctions ministérielles. Notre ministère des Armées y contribue et nous avons bâti des partenariats avec les institutions rassemblées ici et avec l'Education nationale. Je mesure le chemin qui reste à parcourir.

Notre devoir est la transmission; et en premier lieu des témoignages. Les paroles et les écrits que les témoins et les survivants ont laissé sont un trésor que nous devons conserver, protéger, mettre en valeur et surtout transmettre aux jeunes générations. Cette mémoire doit vivre et elle continuera à vivre.

Il faut aussi regarder notre histoire en face. Le faire, c'est progresser vers plus d'ouverture, c'est y trouver les inspirations pour construire une société plus juste, plus tolérante, plus fraternelle. C'est parce que la Nation connaît son histoire, qu'elle sait d'où elle vient, qu'elle sera intraitable face au racisme, à l'antisémitisme et aux discriminations.

Parce que la République est continuité, l'ensemble de mes illustres prédécesseurs à ce micro ont rappelé l'intransigeance de la France face à tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à l'antisémitisme et au rejet de l'autre. En cette période de tension, de crise et d'incertitude, c'est également mon message.

Ces périodes ont, dans le passé, déjà fait naître la banalisation des haines et la recherche des boucs-émissaires. Je le réaffirme au nom de la République, on ne transige pas avec l'extrémism e, terreau de la violence envers son prochain. On ne transige pas avec l'antisémitisme, cette abdication de la pensée, ce fléau qui ronge.

Deux dangers nous guettent et doivent sans cesse être combattus : l'oubli et la haine. Parce que l'oubli mène à l'indifférence, parce que la haine mène à l'affrontement , nous devons opposer à ces maux la vigilance. Il y a des combats permanents à mener contre le négationnisme, le révisionnisme et le complotisme. Nous oeuvrons en faveur d'une certaine idée de la France, mais aussi pour une idée certaine de l'humanité. C'est ce qui nous rassemble aujourd'hui.

Ce combat est celui du quotidien, celui de chaque citoyen attaché aux valeurs de la République. L'esprit de vigilance doit nous animer tous, il doit être celui d'une jeunesse éclairée et consciente du passé. Comme le disait Jacques Chirac, « en la matière rien n'est insignifiant, rien n'est banal, rien n'est dissociable... ».

Cette journée nationale y participe. Elle contribue à faire vivre le souvenir des victimes, elle nous encourage à une profonde affection pour les survivants et surtout elle nous incite à la fraternité renouvelée des vivants.


Vive la République! Vive la France!


https://www.defense.gouv.fr, le 23 juillet 2020