Déclaration de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, sur la réforme de l'assurance chômage et sur l'impact de la crise actuelle sur cette dernière, à l'Assemblée nationale le 18 mai 2020.

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Circonstance : Questions posées au gouvernement sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage.

Je vous rappelle les règles sanitaires que vous connaissez tous : l'hémicycle est nettoyé avant et après chaque séance, les micros le sont en cours de séance ; les orateurs sont invités à ne pas poser les mains sur les micros et à utiliser des micros différents. Je vous invite également à respecter les distances entre les participants en échelonnant vos entrées et vos sorties. Enfin, les orateurs s'expriment depuis l'hémicycle et non en tribune.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : les orateurs des groupes et le Gouvernement dans un premier temps, une séquence de questions-réponses dans un second temps.

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Vous avez été plusieurs à le dire, je pense notamment à M. Dharréville, Mme Fabre et Mme Dalloz, la protection sociale est un bien commun auquel nous sommes très attachés en France et dont l'assurance chômage fait partie. Vous avez d'ailleurs été plusieurs à saluer l'action du Gouvernement en termes d'activité partielle, dite chômage partiel. Depuis deux mois, ce dispositif a apporté un filet de protection à presque 12,5 millions de nos concitoyens. Il a évité des centaines de milliers de licenciements, qui ont eu lieu dans les pays qui n'ont pas recouru à cet amortisseur social, notamment les États-Unis où plus de 30 millions de personnes ont perdu leur emploi.

Les compétences d'un million d'entreprises ont ainsi été protégées, et plus de 12 millions de nos concitoyens, ce qui représente six emplois sur dix dans le secteur privé, dont plus de la moitié dans les petites entreprises, ce qui est important pour les entreprises, les salariés et les territoires.

Le système de l'assurance chômage fait partie de la protection sociale générale. Quel est l'impact de la crise actuelle sur la réforme que nous en avons faite ?

La réforme de l'assurance chômage a été rendue possible par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, concrétisée par un décret du 26 juillet 2019. Cette évolution normative a été l'un des piliers de la transformation de notre modèle social, voulue par le Président de la République. Les objectifs de cette loi ont toujours été clairs : mieux inciter à la reprise d'emploi et lutter contre le développement de la précarité lié au recours excessif aux contrats courts.

Personne n'aurait pu prédire la situation exceptionnelle que nous connaissons. Mme de Vaucouleurs et d'autres ont rappelé à quel point le contexte avait changé. Il y a trois mois et quinze jours, j'annonçais ici même que le chômage avait baissé jusqu'à un taux que nous n'avions pas connu depuis onze ans, avant la crise de 2008-2009, soit 8,1 % dans le pays et 7,9 % en métropole. En outre, l'apprentissage avait explosé, puisque le nombre d'apprentis avait décollé de 16 %.

C'était il y a trois mois : pour vous je ne sais pas, mais cela me semble très loin. Nous avons vécu avec une densité extraordinaire depuis trois mois et nous sommes plongés dans une nouvelle situation. Vous l'avez dit sur tous les bancs, la crise du covid-19 a profondément affecté la situation du marché du travail, ce dont nous devons tenir compte. Elle l'aurait fait encore plus sans le recours massif au chômage partiel.

En mars, les données de Pôle emploi ont fait état de 246 000 chômeurs supplémentaires de catégorie A, soit la tendance opposée à celle que nous avions connue depuis trois ans. Les chiffres du Bureau international du travail et de l'INSEE affichent une baisse du chômage pour le premier trimestre de 2020, mais je vous accorde qu'il s'agit d'une diminution en trompe-l'oeil, car le confinement a empêché certains chômeurs de rechercher un emploi, les sortant ainsi des statistiques. Ne prenons pas en compte ce chiffre, qui n'est pas suffisamment signifiant.

Les conséquences économiques et sociales de cette crise sanitaire sans précédent sont et seront également inédites. Face à cette situation exceptionnelle, le Gouvernement a agi avec rapidité et pragmatisme, en protégeant immédiatement les salariés grâce au dispositif de chômage partiel, devenu le plus protecteur d'Europe. Il l'a élargi à une dizaine de catégories qui n'y avaient pas droit, sujet que nous avons évoqué lors des questions au Gouvernement.

Beaucoup d'entre vous, dont Mme Dumont et M. Naegelen, ont insisté sur la nécessité de ne laisser personne au bord de la route. Dans le décret du 14 avril 2020, nous avons pris des mesures d'urgence pour adapter immédiatement les règles de l'assurance chômage, afin de lutter contre la précarité et de protéger les plus vulnérables. Mme Fabre a cité nombre de ces dispositions, que je souhaiterais détailler.

La première mesure est la prolongation des droits de toutes les personnes arrivées en fin de droits pendant le confinement. Le Gouvernement a décidé de prolonger automatiquement, sans aucune démarche, les droits aux allocations chômage de tous les demandeurs d'emploi arrivés en fin de droits non le 17, mais le 1er mars, et ce jusqu'au 31 mai 2020, soit après la fin du confinement – nous avons pris le parti de considérer les mois entiers.

Cette mesure exceptionnelle garantit aux demandeurs d'emploi concernés le versement de leur allocation jusqu'à la fin du mois civil au cours duquel est intervenu le déconfinement. Si, ce que personne ne souhaite, un reconfinement devait être décidé, cette mesure serait réactivée.

Monsieur Dharréville, compte tenu des interdictions administratives exceptionnelles qui frappent le secteur du spectacle vivant, pour des raisons que tout le monde comprend de lutte contre la propagation du virus, nous avons récemment pris une disposition, annoncée par le Président de la République, de prolongation exceptionnelle des droits des intermittents du spectacle jusqu'au 31 août 2021.

La deuxième mesure concerne la période de référence pour l'affiliation. Cette période, au cours de laquelle est recherchée la durée minimale d'affiliation requise pour l'ouverture d'un droit, est allongée de la durée du confinement, toujours élargi à des mois entiers. De vingt-quatre mois, la période de référence pour l'affiliation a ainsi été portée à vingt-sept mois. Il faudra alors, pour ouvrir un nouveau droit, avoir travaillé six mois au cours de ces vingt-sept mois.

La troisième mesure a trait à l'aménagement des conditions de la démission légitime : très vite, des salariés se sont inquiétés, légitimement, car ils avaient démissionné de leur emploi dans les jours ou les semaines ayant précédé le confinement, en vue d'une mobilité professionnelle : ils disposaient d'une promesse d'embauche, mais ils n'avaient pas encore pris leur poste. Ils se retrouvaient donc dans une situation terrible, sans emploi ni droit à l'assurance chômage. Nous avons ouvert un nouveau cas de démission légitime, afin que ces personnes bénéficient de l'assurance chômage.

La quatrième mesure a suspendu le délai pour la dégressivité de l'allocation chômage. Pour les personnes concernées par la dégressivité de l'aide au retour à l'emploi, le délai de six mois, à l'issue duquel l'allocation est réduite de 30 % pour les revenus les plus élevés, est suspendu pendant la durée de la crise sanitaire.

La cinquième mesure a reporté l'entrée en vigueur du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence au 1er septembre. Les périodes d'inactivité non couvertes par un contrat de travail lors du confinement ne seront pas prises en compte pour la détermination du salaire journalier de référence.

Vous m'avez également interrogée sur les mesures prises pour les saisonniers. Dans un premier temps, nous avons prolongé artificiellement les droits liés à la saison d'hiver, même si le contrat n'était pas allé jusqu'à son terme, pour que les personnes concernées puissent accéder à l'assurance chômage. Il apparaît maintenant que certains saisonniers des secteurs du tourisme et de l'événementiel n'ont pas assez travaillé pour bénéficier de l'assurance chômage. Ils continueront de subir, dans les prochains mois, des contraintes administratives qui rendront difficile le retour à l'emploi. Ce sujet sera à l'ordre du jour de nos discussions avec les partenaires sociaux dans les prochains jours, afin d'étudier les mesures spécifiques à prendre pour les saisonniers.

Il s'agit de mesures d'urgence, mais la crise va durer. L'enjeu essentiel, dans cette période, est de protéger. Notre but est qu'un maximum de travailleurs ne trouvant pas d'emploi aient droit à l'assurance chômage. Au-delà de ces mesures, notre boussole doit rester le pragmatisme. Les aménagements des règles de l'assurance chômage doivent être envisagés en fonction de la situation de l'emploi, tout en veillant à ce que les conditions d'une reprise de l'activité soient préservées. En effet, là n'est pas le moindre paradoxe de la période, les tensions sur le marché du travail n'ont pas disparu : même dans cette période de crise, certains secteurs connaissent des difficultés d'embauche.

De nombreux secteurs auront besoin, dans les prochains mois, de recruter pour redémarrer l'activité. Aujourd'hui, sur le site de Pôle emploi, il y a 452 660 offres d'emploi disponibles : ce nombre est un signe d'espoir, car il montre que le marché du travail n'est pas complètement à l'arrêt, mais il est évidemment inférieur à ce qu'il était avant la crise. Les recrutements ont diminué, mais n'ont pas disparu, et l'on constate que certains secteurs cherchent à recruter.

Il nous faut veiller à la pleine protection des demandeurs d'emploi, dans un contexte où la protection est plus importante que jamais, mais également aux besoins de recrutement des entreprises, dont beaucoup se trouvent dans une situation très difficile, qui pourrait perdurer au moment de la reprise de l'activité. Voilà pourquoi j'ai proposé aux partenaires sociaux de discuter très vite, dans les jours qui viennent, de l'aménagement des règles de l'assurance chômage pendant la crise et, plus largement, de l'ensemble des mesures propices à la relance de l'emploi et de l'apprentissage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)   


M. le président. Nous en venons aux questions. Leur durée est limitée, comme celle des réponses, à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Le premier volet de la réforme de l'assurance chômage est entré en vigueur le 1er novembre dernier. Nous nous étions fait l'écho de la prévision évaluant à 450 000 le nombre de personnes qui seraient privées de droits. C'était sans compter les effets de la crise sanitaire, durant laquelle le durcissement des conditions d'accès aux droits, cumulé à l'arrêt des recrutements, expose les travailleurs précaires à un effet de ciseau.

Dès la fin du premier trimestre de cette année, l'emploi salarié avait chuté de 2,3 %, soit une destruction de près de 455 000 emplois. L'emploi intérimaire est particulièrement touché, avec une baisse de 37 % par rapport à 2019, soit près de 300 000 emplois. Or le premier volet de votre réforme pénalise particulièrement les employés précaires. De nombreux salariés de l'hôtellerie, de la restauration, du tourisme, du secteur de l'animation et des arts ou encore de certaines industries attendent toujours des contrats : le taux d'emploi connaît ainsi son plus bas niveau depuis 2009.

Au regard de ces constats, plusieurs questions se posent.

Allez-vous non seulement surseoir à l'application du deuxième volet de la réforme de l'assurance chômage, prévue au 1er septembre 2020, mais également revenir sur le mode de calcul de l'ouverture des droits à l'indemnisation initié par le premier volet ? Il faudrait alors ouvrir des négociations avec les organisations syndicales : vous avez annoncé des discussions, mais encore faut-il qu'elles posent le problème global de l'assurance chômage.

Prendrez-vous en compte la revendication, portée par certains, d'un prolongement exceptionnel de douze mois des droits ouverts, au regard de l'état de l'emploi dû aux conséquences dramatiques de la crise sanitaire sur différents secteurs d'activité ?

Enfin, allez-vous poursuivre l'expérimentation des « territoires zéro chômeur de longue durée » et confirmer l'extension du dispositif à de nouvelles zones, comme vous l'aviez annoncé lors du comité interministériel aux ruralités du 20 février dernier ? (Mme Laurence Dumont et M. Alain Bruneel applaudissent.)  

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vos questions, complètes et riches, montrent à quel point la discussion qui s'engage avec les partenaires sociaux est nécessaire. Il y a plusieurs registres.

S'agissant du principe même de la réforme, il faut être attentif, me semble-t-il, à bien tenir compte de la réalité et de l'intégralité de celle-ci. Par exemple, elle a permis à des démissionnaires quittant une entreprise pour créer la leur ou à des travailleurs indépendants – agriculteurs, artisans, commerçants – d'être éligibles à l'assurance chômage. Je crains, malheureusement, que cela ne soit très utile.

Elle a aussi permis de renforcer considérablement les moyens de Pôle emploi, au profit d'un accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi, avec deux demi-journées d'accompagnement intensif dès les deux premiers mois, ce qui n'était pas encore le cas. Elle a également permis de développer l'accompagnement des entreprises, afin de le rapprocher des offres de terrain.

J'espère que nous sommes au moins tous d'accord qu'il s'agit là d'apports de la réforme de l'assurance chômage. Non seulement la crise que nous vivons ne les remet pas en cause, mais elle renforce leur pertinence.

J'en viens aux sujets que vous avez évoqués à juste titre. Le recul de l'intérim et de l'emploi précaire n'obéissent pas aujourd'hui à de bonnes raisons : ils s'expliquent par le fait qu'ils sont la première variable d'ajustement en cas de crise. La façon d'accompagner ceux qui occupent un emploi précaire et de les protéger fait partie des sujets abordés dans le cadre non seulement de la réforme de l'assurance chômage, mais aussi de la relance de l'emploi à laquelle nous devons procéder.

S'agissant de l'ouverture des droits, elle fait partie des sujets dont nous débattrons avec les partenaires sociaux. Faut-il ou non modifier les conditions d'accès à l'assurance chômage, donc à l'ouverture des droits ? Je ne peux pas préjuger des discussions à venir, ni des décisions que nous prendrons, mais il va de soi que le sujet sera abordé.

Vous avez enfin soulevé la question des territoires zéro chômeur de longue durée. Je m'y étais engagée. Nous sommes favorables à la prolongation et à l'extension de cette expérimentation, dans des conditions dont il faudra débattre au Parlement. Je rappelle que la loi du 29 février 2016 ne permet pas d'étendre le nombre d'expérimentations en l'absence d'une loi complémentaire.

M. le président. La parole est à M. Lionel Causse.

M. Lionel Causse. Madame la ministre, j'appelle votre attention sur la situation des travailleurs saisonniers. Dans les Landes, il s'agit d'un problème majeur pour le tourisme et le thermalisme, qui sont deux secteurs clés pour ce territoire.

La crise épidémique les a plongés dans une situation d'incertitude et de grande précarité. Habituellement, l'activité saisonnière permet à ces travailleurs de cotiser suffisamment pour ouvrir des droits à l'assurance chômage. Ils ont ainsi une source de revenu hors saison. Les mesures de chômage partiel que vous avez prises portent sur les contrats de la saison d'hiver, courant jusqu'au 15 avril. Qu'en sera-t-il pour la saison d'été ? Un employeur dont l'activité sera réduite pourra-t-il en bénéficier, donc embaucher sereinement en début de saison ?

Par ailleurs, la période de référence pour l'ouverture des droits a été prolongée de trois mois en raison du confinement. Il faudra donc avoir travaillé six mois au cours des vingt-sept derniers mois, au lieu de vingt-quatre auparavant. Cette mesure mérite d'être saluée. Toutefois, elle ne sera peut-être pas suffisante pour les saisonniers qui ne pourront trouver de contrat cet été, et devront attendre la saison prochaine pour travailler à nouveau. En somme, leur situation est comparable à celle des intermittents du spectacle, qui bénéficient d'un report de la date de fin de droits. Envisagez-vous une mesure similaire pour les saisonniers ?

Enfin, par delà la situation très particulière de cette année, une évolution du système d'indemnisation de ces activités – par nature intermittentes – est-elle envisagée ? Pourrait-on envisager la mise en place d'un contrat spécifique assimilable à un CDI saisonnier, incluant un lissage des cotisations, facilitant la réembauche d'une année sur l'autre et permettant une sécurisation dans le temps ? Pour résumer, pouvez-vous détailler les mesures qui seront prises pour l'indemnisation des travailleurs saisonniers à court terme et à long terme ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Causse, vous soulevez à juste titre la question des travailleurs saisonniers, qui ont été affectés, dans un premier temps, par la fin de la saison d'hiver. Je m'étais rendue en Isère, avant le confinement, afin de me rendre compte de la situation dans laquelle se trouvaient les saisonniers d'hiver, des difficultés pour terminer la saison étant déjà prévisibles. Nous avions pris une mesure permettant à leurs employeurs de placer les travailleurs saisonniers d'hiver au chômage partiel, entièrement payé par l'État, bien sûr, même s'ils n'exerçaient pas leur activité jusqu'à la fin de la saison. Cela a permis de prolonger d'autant leurs droits à l'assurance chômage.

Vous soulevez la question majeure des saisonniers d'été. Je distinguerai le secteur agricole de ceux de l'hôtellerie, de la restauration et du tourisme. L'agriculture ne s'est pas arrêtée. Grâce aux agriculteurs de ce pays, et à la chaîne agro-alimentaire, les Français ont pu continuer de se nourrir, en qualité et en quantité, sans interruption, depuis le début de la crise. L'agriculture recrute. Elle manque de bras et recherche 200 000 saisonniers. Nous aidons les agriculteurs à cette fin, dans l'optique de procéder à des recrutements. Il s'agit là des métiers en tension que j'évoquais tout à l'heure.

La question se pose de façon massive pour les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration. Il y a quelques jours, le Premier ministre a présidé un comité interministériel du tourisme, de portée internationale, compte tenu des 93 millions de touristes que nous accueillons d'habitude chaque année. La question a été évoquée. En raison du risque épidémique, une incertitude plane sur la question de savoir quand et comment les activités du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration pourront reprendre, et lesquelles.

Si l'épidémie demeure contenue, le Premier ministre envisage de permettre, dans les départements qui seront restés classés en vert suffisamment longtemps, l'ouverture des bars et des restaurants le 2 juin, ainsi que la reprise de certaines activités de tourisme. Toutefois, il est clair que nous n'aurons pas un été normal à tout point de vue. Nous espérons qu'au moins une partie des secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration pourra fonctionner, sans connaître l'ampleur habituelle.

Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il faut absolument prendre des mesures en faveur des saisonniers, dont les contrats sont souvent renouvelés d'année en année. Il s'agit d'un mode de vie, avec une intensité très forte en saison, suivie de périodes d'interruption. Cette année, la saison – c'est inévitable – ne sera pas du tout à la hauteur des saisons habituelles. Cela fait partie des sujets qui sont à l'étude. Je me suis engagée à y travailler auprès du comité interministériel du tourisme, avec les partenaires sociaux. Je n'ai pas la solution du problème aujourd'hui, mais il est clair qu'il faut prendre des mesures spécifiques en faveur des saisonniers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Da Silva.

M. Dominique Da Silva. Madame la ministre, l'un des objectifs de la réforme de l'assurance chômage est de lutter contre la précarité et l'enchaînement des contrats à durée déterminée – CDD – et des missions d'intérim, au bénéfice des emplois stables. Pour y répondre, l'une de ses mesures phares est le système de bonus-malus destiné aux entreprises d'au moins onze salariés exerçant dans sept secteurs d'activité, où le taux de séparation moyen est supérieur à 150 %. Or, certains de ces secteurs ont été durement touchés par la pandémie du covid-19, notamment l'hébergement, la restauration et le tourisme en général, ainsi que le transport et l'entreposage.

En dépit des plans d'aide massifs du Gouvernement, que je tiens à saluer ici, il faudra sans doute beaucoup de temps à ces entreprises pour retrouver le niveau d'activité qu'elles avaient avant le confinement. Dès lors, un recours plus important aux contrats courts semble inéluctable. Tel est le sens de l'une des dispositions urgentes adoptées par l'Assemblée nationale, autorisant par convention d'entreprise à renouveler les CDD et les contrats de travail temporaire – CTT – plus de deux fois jusqu'à la fin de l'année 2020. Toutefois, en 2021, nous retrouverons le droit commun, et les contributions exigées au titre du bonus-malus s'appliqueront dès le 1er mars, sur la base des fins de contrats constatées cette année.

Madame la ministre, sachant que, pour le marché du travail, 2020 sera une année hors norme, et devant l'incertitude d'un niveau d'emploi stable dans les années à venir, que comptez-vous faire pour garantir que le dispositif de bonus-malus ne fragilise pas davantage les secteurs d'activité qui y sont assujettis ? (Mme Sophie Mette et Mme Michèle Peyron applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Da Silva, vous soulevez la question de l'évolution, dans le contexte actuel, des mesures que nous avions prévues pour inciter les entreprises – dès lors qu'elles le peuvent – à recourir davantage aux CDI et moins aux CDD et aux missions d'intérim très courtes, en pénalisant le retour au chômage et le nombre de ruptures de contrats.

Tout d'abord, je rappelle que nous avions prévu deux dispositifs : le bonus-malus, que vous évoquez, et la taxe de 10 euros sur les CDD d'usage – CDDU –, dont l'entrée en vigueur a été reportée, comme celle de toutes les taxes, de sorte qu'elle ne s'applique pas.

S'agissant du bonus-malus, il faut bien se souvenir que, tel qu'il est conçu, il ne vise pas à étalonner les entreprises par rapport à un absolu, mais dans le cadre de leur secteur d'activité. Autrement dit – j'oublie un instant la crise –, le niveau des entreprises de l'hôtellerie et de la restauration est mesuré par rapport à la moyenne de ce qui a cours dans le secteur. Une entreprise donnée est comparée à ses concurrentes. Il s'agit donc d'une mesure non pas d'ordre général, mais qui doit être évaluée secteur par secteur. Sachant que, de surcroît, les bonus et les malus s'équilibrent, il ne s'agit pas de réaliser des économies, mais de responsabiliser les employeurs et de les encourager à conclure des contrats plus longs.

Ces deux observations étant réunies, on mesure que la crise ne pénaliserait pas un grand nombre d'entreprises sous cet angle. Pour de nombreuses entreprises, elle pourrait même représenter une diminution de charges. Toutefois, il va de soi que nous devons en débattre avec les partenaires sociaux.

Il n'en reste pas moins que la technique, à l'aune de laquelle la mesure ne pénaliserait pas les entreprises dans la majeure partie des cas, s'oppose à la perception, qu'on peut avoir, d'une charge de travail supplémentaire alors même que nous traversons une crise. Il s'agit moins d'un problème de pénalisation que d'un problème d'approche du sujet. En effet, ce système compare les entreprises au sein d'un secteur donné. Si tout le secteur est en difficulté, l'étiage est le même pour tous : il est donc très équitable du point de vue de la concurrence. Ce sujet fait lui aussi partie – on voudra bien m'excuser de répondre à l'identique sur tous les sujets – de ceux dont nous discuterons avec les partenaires sociaux.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Madame la ministre, mes questions s'inscrivent dans la continuité des propos tenus tout à l'heure par notre collègue Marie-Christine Dalloz. Chacun des orateurs qui m'a précédé l'a rappelé : la crise sanitaire aura immanquablement des conséquences terribles sur l'économie et l'emploi. Même si personne, à cette heure, ne peut précisément en prédire l'ampleur, nous pouvons d'ores et déjà constater que des restaurateurs, des cafetiers et des commerçants en général ont tiré le rideau, et que de nombreuses entreprises sont en difficulté. Chacun sait, et le déplore, que des gens se retrouveront bientôt demandeurs d'emploi. La courbe du chômage ira croissant, de façon inexorable et dramatique. Nous ne pourrons alors que constater la nécessité d'élaborer de nouvelles solutions.

Nous sommes là dans un moment de rupture impliquant un changement de logiciel. Madame la ministre, vous aviez votre logiciel, et nous le nôtre. Nos collègues d'en face avaient le leur. L'évolution de l'environnement économique implique que nous modifiions profondément nos façons de penser. À défaut, nous irons tous dans le mur.

Je sais que vous pourrez compter sur l'opérateur public qu'est Pôle emploi, qui a fait la preuve, depuis une dizaine d'années, de son agilité et de sa réactivité, adaptant sans cesse son offre de services. Toutefois, les agents de Pôle emploi ne sont pas des magiciens : leur capacité doit augmenter ; sinon, au cas où le portefeuille de demandeurs d'emploi viendrait à croître, la qualité de la prestation en matière d'accompagnement viendrait incontestablement à baisser.

Madame la ministre, dans ce moment terrible de rupture de certains repères, voire de certaines valeurs, qui appelle, je le répète, un changement de logiciel, je considère qu'il est impératif de revenir sur votre réforme de l'assurance chômage. Au demeurant, vous l'avouez à demi-mot en décalant dans le temps son application. Je ne peux que vous inviter à ne pas prendre le risque d'alourdir les charges des conseils départementaux en mettant des hommes et des femmes à la merci des minima sociaux.

Mme Marie-Christine Dalloz. C'est vrai !

M. Stéphane Viry. Je sais que vous avez pris un virage. Je ne peux que vous inciter – tel est notre point de vue – à privilégier encore et toujours l'activité, le travail et l'insertion. Soyez innovante ! N'hésitez pas un instant à faire preuve d'audace à ce sujet ! Préférez toujours la progressivité aux effets de seuil. Ma question est simple : quel est – de façon macroéconomique – votre modèle d'assurance chômage compte tenu de la rupture que nous subissons ? (Mme Marie-Christine Dalloz applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Viry, la question que vous posez est bonne, mais elle est plus large que celle de l'assurance chômage ou de l'indemnisation au sein de l'assurance chômage, même si la question des revenus de nos concitoyens frappés par le chômage est importante.

Celle qui nous est posée est défensive et offensive. Quelle politique d'accompagnement faut-il mener pour contribuer à une relance de l'emploi alors que le risque d'une chute du nombre d'emplois et d'une augmentation du chômage est patent ? Quelles mesures convient-il de prendre ?

J'évoquerai d'abord les mesures relatives à l'action de Pôle emploi, que je vous remercie d'avoir saluée. Je saisis l'occasion qui m'est offerte de répéter que, même pendant le confinement, même en télétravail, les agents de Pôle emploi ont été présents. Ils ont appelé les demandeurs d'emploi, notamment les plus vulnérables, et permis que l'actualisation des dossiers se déroule de façon impeccable – nul n'en a entendu parler car tout cela s'est bien passé, chacun a eu ses droits en temps et en heure, tout a été organisé très rapidement. Nous avions déjà décidé – il va de soi que cette mesure est maintenue – de créer 1 000 postes supplémentaires à Pôle emploi, pour renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emploi : dans une crise, le sujet de l'accompagnement prend un relief particulier.

Nous avions prévu aussi que Pôle emploi travaille de façon plus étroite avec les conseils départementaux et les travailleurs sociaux, pour un meilleur accompagnement des plus vulnérables. Hélas, cette mesure reste d'actualité.

D'une façon plus générale, la question de la relance de l'emploi, c'est celle de l'accompagnement des entreprises, afin que celles-ci arbitrent en faveur de l'emploi lorsque cela est possible. C'est l'un des sujets que nous devrons évoquer.

L'assurance chômage est l'un des piliers de notre protection sociale, il n'y a aucun doute là-dessus : notre système était déjà l'un des plus protecteurs d'Europe, et c'est d'autant plus vrai avec les mesures de chômage partiel que nous avons prises. La France est le plus souvent mieux-disante en matière de protection, et nous pouvons en être fiers ; il faut prendre cet aspect en considération. Là encore, c'est un sujet qui sera abordé, au sein d'une discussion globale, avec les partenaires sociaux.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Le débat porte sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage : celle-ci n'est ni plus ni moins qu'un mécanisme de justice sociale. Au-delà de l'indemnisation de ceux qui ont perdu leur emploi, elle constitue un outil de stabilité sociale qu'il est impératif non seulement de conserver, mais aussi d'adapter, a fortiori dans la période de fortes turbulences que nous traversons. La convention d'assurance chômage permet à nombre d'hommes et de femmes de se relever d'une situation économique difficile et de retrouver un emploi.

Le groupe Les Républicains considère que, malheureusement, l'objectif de cohésion sociale ne pourra pas être atteint si vous continuez, coûte que coûte, à appliquer les idées qui étaient celles du candidat Macron. Pour assurer la cohésion sociale et éviter une crise démocratique inouïe qui suivrait la crise sanitaire, il faut que les représentants inspirent confiance et que le système global ne soit pas à la main d'un État toujours plus centralisateur. Le bilan de votre réforme est amer, comme l'a dit Marie-Christine Dalloz : vous aviez programmé l'échec des discussions avec les partenaires sociaux ;…

M. Pierre Dharréville. Un échec organisé.

M. Stéphane Viry. …vous aviez pris la décision de reprendre la main sur l'UNEDIC, en faisant table rase de quelque chose qui fonctionnait. Nous l'avions d'ailleurs dénoncé. Vous avez ainsi mis à mal la gestion paritaire qui faisait la force de notre démocratie sociale.

Revenir sur cette réforme, qui doit s'étaler jusqu'au printemps 2021, est donc indispensable. Vous avez à plusieurs reprises évoqué un dialogue avec les partenaires sociaux : pourriez-vous nous indiquer votre méthode et votre rythme pour atteindre cet objectif ? Accepteriez-vous de donner aux branches la capacité d'élaborer des plans stratégiques ? Comment entendez-vous mener une politique d'emploi qui aille bien au-delà de la politique de l'assurance chômage, afin de permettre à chacun de retrouver un emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Certaines choses changent, d'autres moins. Nous pouvons bien sûr revenir inlassablement à nos débats d'il y a deux ans. L'État n'a jamais eu pour but de reprendre la main, ni de ne pas la reprendre d'ailleurs : nous avons été amenés à agir par décret, provisoirement, parce que la négociation menée par les partenaires sociaux n'a pas abouti. C'est arrivé plusieurs fois dans l'histoire de l'assurance chômage. Il ne faut voir là qu'une décision conjoncturelle et pragmatique.

Vous m'interrogez sur la méthode. L'une des difficultés majeures que nous rencontrons, c'est que nous sommes entrés dans une ère d'incertitude – une incertitude d'une ampleur qu'aucune des générations actuellement aux responsabilités n'a connue. Cette incertitude est triple : sanitaire – d'abord –, économique et sociale ; ses phénomènes se combinent, peuvent se renforcer mutuellement ; la durée, la profondeur de leurs conséquences sont inconnues. Nous sommes contraints de travailler sur différents scénarios, sans savoir ce que sera la situation sanitaire au mois de décembre prochain et moins encore la situation économique et sociale, surtout dans l'éventualité d'un rebond de l'épidémie. Nous nous fondons sur nos valeurs, sur nos convictions ; nous agissons avec agilité, souplesse, pragmatisme, et en concertation. Bien sûr, on n'a jamais pu planifier le futur : mais le degré d'incertitude est aujourd'hui extrême, au plan national, au plan européen, au plan mondial.

Concrètement, je suis très attachée à quelque chose que j'ai appris, il y a longtemps, de Jean Monnet : le diagnostic partagé. Il faut partir d'un constat. En absence de toute prévision possible, nous devons, avec les partenaires sociaux, partir des différentes hypothèses qui sont sur la table, pour nous demander quels sont les risques en matière d'emploi.

Je pense notamment au risque par secteur. Certains vont bien, leur situation n'ayant pas été affectée par la crise : la distribution alimentaire, par exemple, n'est pas en difficulté. D'autres secteurs vont même très bien : je ne donnerai pas le nom de compagnies américaines qui vendent du divertissement en ligne, mais leur chiffre d'affaires a augmenté de 20 %. En revanche, dans le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, la crise est profonde ; et, compte tenu du risque épidémique, on ne reviendra pas à la normale tout de suite. Les précautions sanitaires à prendre pour que nos concitoyens puissent aller dans des bars ou des restaurants en toute sécurité gêneront pendant longtemps l'activité de ces entreprises. L'aéronautique, l'automobile sont en difficulté.

Il faudra donc commencer par ce diagnostic partagé. Ensuite, et je vous rejoins sur ce point, les partenaires sociaux et nous-mêmes devrons nous montrer inventifs, non seulement sur l'assurance chômage, mais plus généralement sur les politiques d'accompagnement de l'emploi, de la formation, de l'apprentissage, en tenant compte des changements que connaîtra probablement le pays.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Mette.

Mme Sophie Mette. La réforme de l'assurance chômage devait, en plusieurs étapes, redynamiser un système institutionnel qui comportait de nombreuses incohérences. À la lumière de la crise économique qui s'annonce, la question de l'indemnisation des demandeurs d'emploi devient primordiale. Je souhaite vous interroger sur la situation d'une catégorie professionnelle en faveur de laquelle des mesures ont déjà été annoncées, particulièrement depuis le 6 mai : les intermittents du spectacle.

La crise ayant l'ampleur que nous savons pour les différents secteurs culturels, le quotidien des intermittents est particulièrement heurté. La prolongation de leurs droits jusqu'au mois d'août 2021 est donc bienvenue. Mais qu'en est-il de la réforme de l'assurance chômage pour cette catégorie si atypique ? Si les premières étapes de la réforme, déjà en vigueur, ne les affectaient pas massivement, le volet relatif aux contrats courts, qui devait entrer en vigueur le 1er avril 2020 et qui a été repoussé au 1er septembre, avait pour eux une résonance particulière.

Il prévoit notamment un nouveau calcul des droits pour ceux que l'on appelle parfois les « permittents », salariés qui alternent de façon régulière des périodes de contrats courts et de chômage, souvent dans le même secteur d'activité. Les droits aux indemnités seraient allongés, en réduisant l'allocation, celle-ci ne pouvant être inférieure à 65 % du salaire net mensuel. Cette même réforme prévoyait également l'instauration d'un système de bonus-malus pour les employeurs ayant recours aux contrats courts, avec une exception pour les employeurs des demandeurs d'emploi relevant des annexes 8 et 10 au règlement d'assurance chômage, c'est-à-dire les intermittents.

Tout cela a été suspendu par la force des choses. Il est toutefois nécessaire d'ouvrir très rapidement des perspectives à l'ensemble de ce secteur. Compte tenu du choc de la crise économique provoquée par le covid-19 pour le secteur de la culture, que restera-t-il des mesures spécifiquement destinées aux intermittents du spectacle ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le régime d'assurance chômage pour les intermittents du spectacle est, vous le savez, tout à fait spécifique. Il concerne chaque année 100 000 à 120 000 personnes ; le calcul de leurs droits est très particulier : il faut avoir travaillé 507 heures l'année précédente pour ouvrir le droit à une année d'assurance. Ce sont donc des règles très différentes de celles qui sont appliquées aux autres demandeurs d'emploi.

Dès le mois d'avril, nous avons pris des mesures pour neutraliser la période de confinement dans le calcul des 507 heures. Les intermittents dont les droits arrivaient à échéance au mois d'avril ou au mois de mai, et qui n'auraient pas leurs 507 heures en raison de la fermeture des salles de spectacles, étaient ainsi protégés.

Le Président de la République a ensuite annoncé une mesure beaucoup plus importante : l'indemnisation des intermittents sera prolongée jusqu'au 31 août 2021. Si nous avons choisi le mois d'août, c'est parce que beaucoup de droits sont acquis durant l'été, et de façon moindre durant l'automne. Or, aujourd'hui, nous ne pouvons pas autoriser de grands rassemblements dans des endroits confinés. Il y a fort à parier que, si nous n'avions pas agi, un grand nombre d'intermittents n'auraient pas pu cette année constituer leur capital de droits pour l'année prochaine – pas tous, heureusement, car il y aura tout de même des spectacles qui finiront par avoir lieu !

C'est une mesure exceptionnelle, et même historique.

M. le président. La parole est à Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. Alors que la crise sanitaire évolue en crise économique, nos systèmes de solidarité doivent être adaptés, renforcés et étendus pour essayer d'absorber le choc social. C'est évidemment le cas en matière d'assurance chômage.

Je voudrais pour ma part évoquer tous ces jeunes qui devront, au cours des prochaines semaines et des prochains mois, entrer sur le marché du travail, dans des conditions extrêmement difficiles, avec des opportunités encore plus réduites qu'auparavant. Depuis le 1er janvier 2019, ces jeunes ne peuvent plus bénéficier de l'ARPE, l'aide à la recherche du premier emploi, que vous avez supprimée. Or ces jeunes de moins de vingt-cinq ans sont les grands oubliés de notre système : ils ne sont éligibles à presque rien.

C'était tout le sens du travail préparatoire mené par de nombreux présidents de départements pour expérimenter, localement, le revenu de base. Celui-ci aurait la vertu de couvrir ces jeunes, tout en garantissant une automaticité des droits, donc en faisant disparaître le non-recours. Il y a un an, à l'issue de ces travaux, le groupe Socialistes et apparentés avait déposé une proposition de loi en ce sens ; votre majorité l'a rejetée sans débat, et contre l'avis de nombreux groupes parlementaires de sensibilités pourtant différentes.

La crise sanitaire et ses conséquences économiques poussent désormais plusieurs pays à envisager cette solution pour amortir le choc, qui risque de faire basculer un grand nombre de personnes dans la précarité, et en particulier ces 700 000 jeunes adultes qui viennent de terminer leurs études ou leur formation. Le 12 avril dernier, des présidents de départements ont à nouveau lancé un appel pour demander qu'il leur soit permis de dresser ce dernier rempart contre les conséquences de la crise sanitaire.

Allez-vous entendre cet appel ? Sinon, quelles mesures entendez-vous prendre pour aider la jeunesse ? Le Président de la République a déjà confessé s'être trompé sur l'hôpital public ; il est peut-être temps de concéder que la réforme de l'assurance chômage et le refus d'expérimenter le revenu de base étaient des erreurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il y a trois mois et demi – cela paraît loin – nous commencions à voir une baisse significative du chômage des jeunes : de plus de 20 %, il était passé à 18 %, ce taux étant encore bien sûr élevé. Mais, avec la réforme de l'apprentissage, nous étions sur la bonne voie.

Je partage votre préoccupation sur ce point : la jeunesse devra constituer l'une des priorités du plan de relance. Dans un moment si difficile pour le pays, si le seul message que nous envoyons à notre jeunesse, c'est que leur avenir est complètement bouché, alors nous allons au-devant de catastrophes. Les jeunes sont déjà très sensibles à la dette écologique ; la dette financière est là ; ils doivent pouvoir au moins aborder leur propre avenir en confiance.

C'est la raison pour laquelle plusieurs mesures de court et moyen termes doivent être prises.

À court terme, le Gouvernement a décidé d'accorder à 815 000 jeunes en situation précaire une aide immédiate de 200 euros. Celle-ci s'adresse aux jeunes qui auraient été privés de stage ou d'emploi à cause de la crise.

La garantie jeunes et le PACEA – programme d'accompagnement à l'emploi et l'autonomie – continuent de fonctionner. J'ai demandé aux missions locales d'y veiller lors du confinement. Pendant cette période, la garantie jeunes a été aménagée dans le sens d'une plus grande souplesse afin qu'elle continue de bénéficier aux jeunes.

Le plus important pour eux, c'est l'espérance de formation et d'accès à l'emploi. Dès demain, le premier thème abordé dans la concertation avec les partenaires sociaux sera l'apprentissage. De nombreuses propositions sont sur la table. Je suis persuadée que l'un des grands volets du plan de relance sera de conserver l'élan en matière d'apprentissage à un moment où tout pourrait indiquer le contraire. C'est notre devoir collectif de permettre aux jeunes de continuer de se former, de développer leurs compétences et de construire leur avenir.  

On ne constate aujourd'hui aucune désaffection des jeunes pour l'apprentissage. Le réseau d'un millier de centres de formation d'apprentis avec lequel nous sommes en contact enregistre déjà une demande pour la rentrée prochaine. Depuis la réforme, les jeunes ont bien compris qu'il s'agit d'une voie d'excellence. Pour que les entreprises soient au rendez-vous, nous devons les accompagner. Cela fera partie du plan de relance dont nous discuterons avec les partenaires sociaux.  

M. le président. La parole est à M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen. En raison de la crise du covid-19, vous avez décidé le report au 1er septembre de l'entrée en vigueur des nouvelles règles pour le calcul de l'allocation chômage, issues de la réforme de l'assurance chômage.

En vertu du nouveau mode de calcul, les périodes d'inactivité seront prises en compte pour la détermination du salaire journalier de référence servant de base au calcul du montant de l'indemnisation. Le salaire journalier de référence sera donc calculé non plus sur les jours travaillés au cours des douze derniers mois mais sur un revenu mensuel qui tiendra compte des jours travaillés et des périodes d'inactivité.

Je veux ici non pas débattre du bien-fondé de la réforme, mais saluer le report au 1er septembre, qui relève du bon sens, et vous interpeller sur les incertitudes qui demeurent sur la durée de la crise, laquelle peut connaître des rebonds successifs.

Le scénario d'une crise longue ou d'une deuxième vague imminente pourrait-il vous amener à revoir votre copie afin de limiter les conséquences pour les demandeurs d'emploi et de ne pas amplifier le chômage de longue durée ? Dans cette éventualité, envisagez-vous un nouveau report ? Nous sommes confrontés à une crise sanitaire grave, qui n'est pas encore terminée et qui provoque une crise économique d'ampleur. Il ne faudrait pas que cette dernière se double d'une crise sociale qui ferait, elle aussi, de nombreuses victimes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Parmi ses différentes mesures, la réforme de l'assurance chômage comporte la modification du calcul du salaire journalier de référence, qui devait entrer en vigueur au 1er avril 2020. Ce volet de la réforme repose sur un principe simple et juste : on ne doit pas pouvoir gagner plus en étant au chômage qu'en travaillant. En vertu de ce principe, les indemnités chômage ne pourront jamais être inférieures à 65 % du salaire net mensuel moyen d'une personne, ni supérieures à 96 %, alors qu'elles peuvent atteindre à l'heure actuelle 200 %.

La mesure vise également à corriger une iniquité profonde dans les règles de l'assurance chômage. En effet, aujourd'hui, une personne qui travaille pendant un an à mi-temps est indemnisée presque deux fois moins qu'une personne travaillant à temps complet un jour sur deux, en dépit d'un volume de travail équivalent. La réforme était donc fondée sur le principe : à travail égal, allocation égale.

Cependant, compte tenu du contexte exceptionnel, la réforme, au demeurant juste sur le fond, doit-elle être aménagée ?  

Dans un premier temps, nous avons considéré que le 1er avril n'était pas une date propice pour appliquer une telle mesure, fût-elle juste, pour des raisons évidentes de communication et d'approche. Nous avons donc reporté l'entrée en vigueur au 1er septembre afin de discuter, avec le pragmatisme et le recul nécessaires, avec les partenaires sociaux.

Évidemment, nous n'envisageons pas de revenir sur le principe politique selon lequel le travail doit payer plus. Mais comment l'appliquer au calcul du salaire journalier de référence dans la période qui vient ? On peut envisager de déplacer les curseurs avec un certain pragmatisme au vu du contexte.

La réforme de l'assurance chômage consiste non pas à abandonner des principes justes et utiles mais à s'adapter aux circonstances et à ajuster ce qui doit l'être après discussion avec les partenaires sociaux.  

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. À la crise sanitaire s'est rapidement ajoutée la crise économique qui ne manquera pas de se transformer en crise sociale.

L'inquiétude est grande pour les ménages les plus modestes, dont la situation risque de s'aggraver dans les prochaines semaines et les prochains mois.

La remise en question de la réforme de l'assurance chômage est plus que jamais nécessaire en période de crise économique, j'ai eu l'occasion de le dire précédemment.

Plus encore que de revoir des dispositifs existants, il paraît urgent d'en inventer de nouveaux plus protecteurs. Je pense en particulier aux plus jeunes et aux étudiants pour lesquels la crise actuelle est plus que jamais synonyme d'incertitude, voire de grande inquiétude.

Dans ce contexte d'une gravité inédite, la décision du Gouvernement d'allouer aux étudiants une aide de 200 euros était nécessaire – probablement insuffisante.

La situation des étudiants et des plus jeunes est d'autant plus préoccupante que les perspectives d'entrée sur le marché du travail se restreignent.

Or, depuis janvier 2019 et la suppression de l'aide à la recherche du premier emploi, il n'existe plus aucune aide pour les jeunes désireux d'entrer sur le marché du travail. N'ayant jamais travaillé, ils n'ont droit ni aux allocations chômage, ni au RSA.

Aussi les réflexions sur l'assurance chômage doivent-elles impérativement aboutir à des mesures d'accompagnement et de soutien en faveur des jeunes.

Parmi celles-ci, le rétablissement de l'ARPE et l'ouverture du RSA aux moins de vingt-cinq ans peuvent être envisagés.

Le Gouvernement est-il prêt à soutenir de telles mesures en faveur des jeunes qui sont particulièrement fragilisés par la crise ? Quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour faciliter l'accès à l'emploi des jeunes, notamment au premier emploi pour les étudiants ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Personne ne réclame le rétablissement de l'ARPE, qui a été supprimée par le précédent gouvernement, car l'efficacité de celle-ci n'a pas été prouvée. En revanche, nous devons veiller à préserver la dynamique très forte en matière d'apprentissage, qui permet à des jeunes de conjuguer études théoriques et expérience professionnelle, et qui affiche un taux d'insertion remarquable.

C'est la raison pour laquelle nous avons pris immédiatement des mesures pour sauvegarder les contrats d'apprentissage des près de 500 000 jeunes qui en sont titulaires aujourd'hui.  

Ainsi, ceux dont l'entreprise a eu recours au chômage partiel ont pu bénéficier du dispositif, la totalité de leur rémunération étant prise en compte ; le ministre de l'éducation nationale et moi-même avons autorisé l'obtention du diplôme par contrôle continu cette année ; les contrats ont pu être prolongés jusqu'à l'obtention du diplôme en cas de besoin ; les centres de formation des apprentis ont instauré la formation à distance – je salue leur travail remarquable dans ce domaine, puisque 90 % d'entre eux ont réussi à la développer alors qu'ils ne la pratiquaient pas il y a encore quelques mois. C'est un acquis pour le futur, qui pourra bénéficier à des jeunes en zone rurale ou handicapés, ainsi qu'à tous ceux pour lesquels l'accès à l'apprentissage est difficile.

Nous constatons avec satisfaction que les ruptures de contrat sont rares. Ce qui nous préoccupe, c'est la rentrée prochaine. Elle demande une énorme mobilisation et un dispositif d'accompagnement.

L'apprentissage offre une voie non seulement vers l'emploi mais aussi vers la qualification, donc des perspectives. Nous devons résolument agir pour le développer et donner ainsi un avenir aux jeunes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) 

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Petit retour en arrière : l'été dernier, le Gouvernement avait choisi, sous votre impulsion, de réformer, par décret – j'insiste –, l'assurance chômage. Vous avez ainsi fait fi de tout débat parlementaire sur un sujet qui concerne pourtant des millions de gens. Je ne reviens pas davantage sur cet épisode qui en dit long sur votre conception de la démocratie et que je considère comme une dérive, hélas, permise par la Ve République.

Pour être franc, madame la ministre, j'ai du mal à prendre au sérieux l'affirmation que vous nous répétez à l'envi selon laquelle vous discutez avec les partenaires sociaux puisque vous ne l'avez jamais fait jusqu'à présent.

Je cite, à l'appui de mon interrogation, l'avis – qui ne vous aura pas échappé puisque votre ministère est compétent pour suivre les positions des organisations syndicales – de la CFDT – je ne mentionne même pas les hirsutes de la CGT ou de FO : la CFDT qualifie l'impact de votre réforme de « redoutable » !

Dans la limite de l'exercice des questions, je veux appeler votre attention sur l'impact sanitaire de votre réforme sur les chômeurs et les précaires. Le confinement et l'adaptation aux nouvelles règles de distanciation sociale mettront en péril des centaines de milliers d'emplois.

Hier, le Président de la République lui-même l'a dit : « On va souffrir » en matière d'emploi. Et que faites-vous, madame la ministre ? Vous maintenez votre réforme qui réduit les droits des chômeurs.

Il ne faut pas dire : « On va souffrir ! », mais : « Ils vont souffrir ! » – cela me semble plus précis.

Vous durcissez les conditions d'indemnisation, vous privez des milliers de nos concitoyens de leurs droits et vous reconnaissez vous-même que votre réforme affaiblit la protection sociale. J'en veux pour preuve qu'en ce moment difficile, vous l'avez suspendue, considérant sans doute qu'elle risquait d'aggraver la situation.

Nous n'adhérons pas à votre raisonnement biaisé, qui vous conduit à inciter les chômeurs, lesquels, bien sûr, ont besoin de vous pour décider de chercher du travail.

Mme Michèle Peyron. Ben oui !

M. Alexis Corbière. Si on ne les incite pas, évidemment, ils vont rester chez eux !

Ne pouvez-vous pas au moins, comme l'a demandé Pierre Dharréville, accorder une année blanche aux chômeurs ?  

Pour notre part, nous continuerons, aux côtés de nombreux autres, de vous demander avec détermination l'abandon total de la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Ce n'est pas le Gouvernement qui décide tout seul de faire une réforme par décret, c'est une loi, votée sous un précédent gouvernement, qui le prévoit. Nous respectons donc les textes et le décret est pris après des discussions avec les partenaires sociaux, qui font apparaître parfois des désaccords, parfois des accords.

Entre démocratie sociale et démocratie politique, entre Gouvernement et partenaires sociaux, les convergences ne sont pas anormales. Il est tout aussi normal, dans une démocratie, de ne pas être d'accord sur tout.

Sur le fond, je suis étonnée que vous n'ayez pas évoqué, au titre de la protection, ce que la France vient de faire de manière inédite en matière d'activité partielle. Vous n'avez pas souligné le fait que plus de 12 millions de salariés, depuis trois mois, sont protégés dans ce cadre et qu'un million d'entreprises ont été sauvées de la faillite, ce qui écarte le risque de licenciements. Cela me choque que vous ne mentionniez pas de telles mesures au titre de la protection sociale car nous pouvons être fiers, en tant que Français, d'avoir protégé 12 millions de salariés en cette période de crise. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Ensuite, vous prétendez que nous n'avons pas discuté avec les partenaires sociaux. Mais que faisons-nous depuis deux mois ? Deux fois par semaine, ont lieu pendant une heure et demie des réunions téléphoniques, au cours desquelles nous travaillons ensemble : et je peux vous assurer qu'elles sont denses.

Qu'avons-nous fait depuis plus de deux mois ? Nous avons défini les modalités du chômage partiel, nous les avons étendues aux assistantes maternelles, aux employés à domicile, aux VRP, aux personnels navigants, aux marins pêcheurs – à tous ceux qui n'y avaient pas droit.

Mme Danielle Brulebois. Oui !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous avons pris en charge à 100 % les salaires jusqu'à quatre fois et demie le SMIC pour éviter qu'une entreprise ne soit confrontée au dilemme entre chômage partiel et licenciement. Nous avons fait en sorte que les remboursements de salaires soient versés en dix jours, pour que les PME ne licencient pas. Il faut souligner ce succès en matière de protection sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)  

Autre chantier sur lequel nous travaillons avec les partenaires sociaux : la santé et la protection des travailleurs. Nous avons élaboré, en concertation avec les partenaires sociaux, un protocole de déconfinement et soixante-quatre guides sectoriels.

Oui, nous n'avons pas encore résolu tous les problèmes. Nous avons travaillé d'abord à protéger l'emploi et la santé des travailleurs. Nous nous attaquons désormais aux autres sujets, parmi lesquels la relance de l'emploi et l'assurance chômage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)    


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 mai 2020