Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à Radio Classique le 24 juillet 2020, sur le plan « un jeune, une solution ».

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Média : Radio Classique

Texte intégral

BERNARD POIRETTE

Elisabeth BORNE, la ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion. Madame BORNE, bonjour.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

BERNARD POIRETTE
Merci d'être en studio avec nous. Le plan « un jeune, une solution », est destiné aux 750 000 nouveaux arrivants sur le marché du travail, des jeunes donc qui sortent de formation, qui seront là au mois de septembre. Comment envisagez-vous de faire en sorte que tous ces jeunes, vue, la situation économique, ne finissent pas à Pôle emploi ?

ELISABETH BORNE
Eh bien écoutez, c'est bien le sens du plan qui a été présenté hier. On a comme vous dites 750 000 jeunes qui vont arriver sur le marché du travail, et puis on a déjà des centaines de milliers de jeunes, qui n'ont pas d'activité, et donc l'objectif, et ça tenait à coeur au président de la République et au gouvernement, de présenter ce plan maintenant, c'est de renvoyer l'ascenseur à ces jeunes, à notre jeunesse, à qui on a demandé beaucoup d'efforts pendant le confinement, pour protéger nos aînés. Aujourd'hui on veut vraiment les assurer qu'on prend en compte chaque situation individuelle et que l'on a une réponse adaptée pour les amener vers l'emploi.

BERNARD POIRETTE
Est-ce que, comme l'écrit aujourd'hui en Une Les Echos, il y a dans ce plan jeunes, une part de retour des emplois aidés ? Pour une part, oui. Pour une part, oui.

ELISABETH BORNE
Alors, je vous dis, c'est une réponse à des situations qui sont par nature très différentes. Donc il y a une partie des réponses qui s'adressent aux jeunes qui auraient dû rentrer sans difficultés dans une entreprise, et là les entreprises hésitent, elles peuvent effectivement avoir des interrogations sur ce que va être la conjoncture. Donc on a une première partie qui est d'encourager l'embauche des jeunes…

BERNARD POIRETTE
Financièrement.

ELISABETH BORNE
Avec effectivement des incitations financières, on a une prime de 4 000 € par an, pour l'embauche d'un jeune, jusqu'à 2 SMIC, sur un CIS ou un CDD de plus de trois mois. On encourage aussi l'apprentissage, les contrats de professionnalisation, avec là encore une prime de 5 000 € pour un mineur et puis 8 000 € pour un majeur. Donc on a ces réponses, qui visent à booster les dispositifs qui marchent, comme l'apprentissage. On s'intéresse aussi aux jeunes qui n'ont pas forcément la bonne formation pour entrer au mieux sur le marché du travail, donc on a 200 000 formations qualifiantes, donc ça va être des formations relativement longues, qui vont se finaliser avec un certificat de qualification ou un titre professionnel, et puis on s'occupe aussi des jeunes plus éloignés de l'emploi, et là c'est 300 000 parcours ou contrats d'insertion. Et selon la situation du jeune, eh bien ça peut être aussi des contrats aidés, mais je pense que c'est important de le dire, d'abord ce n'est pas massivement des contrats aidés, on n'est pas en train de retomber dans le traitement du chômage à coups de contrats aidés…

BERNARD POIRETTE
Non, c'est 200 000 à peu près.

ELISABETH BORNE
On veut effectivement, c'est 120 000 contrats aidés supplémentaires, et on sera très exigeants sur le fait que ce sont des vrais parcours vers l'emploi, donc avec un accompagnement, des formations, pour que le jeune puisse ensuite passer sur des emplois pérennes.

BERNARD POIRETTE
Madame BORNE, j'ai lu dans la Presse ce matin des critiques de ce plan, forcément il y a toujours des critiques à toute annonce, qui disent : c'est fort bien, puisque c'est 6,5 milliards d'euros, quand même, sur deux ans, ce n'est pas une enveloppe…

ELISABETH BORNE
Absolument, c'est un triplement de l'argent que l'on consacre habituellement pour ces jeunes.

BERNARD POIRETTE
Ce n'est pas rien, mais les critiques disent : nous, on ne voit pas comment la technostructure sera aidée. Parce que c'est bien joli de vouloir aider 700 000 jeunes à trouver du boulot, mais est-ce que les centres d'apprentissage, Pôle emploi, etc., auront aussi des moyens supplémentaires ? Parce qu'ils vont être sollicités dans ce plan, massivement.

ELISABETH BORNE
Mais je vous confirme que par exemple, quand on dit que l'on veut développer l'accompagnement très personnalisé pour les jeunes de Pôle emploi, eh bien il y aura évidemment des moyens à Pôle emploi pour le faire. Donc c'est vraiment un plan global, qui vise à apporter une réponse à chaque jeune, en fonction de sa situation.

BERNARD POIRETTE
Madame BORNE, il y a aujourd'hui 4,4 millions de chômeurs en France de catégorie A, c'est-à-dire des gens qui n'ont aucun emploi, aucun, zéro, et si on compte ceux qui ont un petit emploi de temps en temps, ça fait 6,2 millions. Avez-vous une projection, même grâce à ce plan « un jeune, une solution », du nombre de chômeurs en septembre, vu la situation économique ?

ELISABETH BORNE
Eh bien écoutez, enfin, on est forcément comme tous les économistes, en train de constater que l'on a beaucoup d'incertitudes, mais vous voyez…

BERNARD POIRETTE
Ça redémarre, mais tout doucement.

ELISABETH BORNE
Alors, ça redémarre bien, par exemple, l'activité partielle entre le mois de mai et le mois de juin, a été divisée par deux, donc ça veut dire que l'activité repart. Mais il y a évidemment beaucoup d'incertitude, et puis on n'est pas en train de rester les bras croisés en se disant qu'il y a de l'incertitude, on lance un plan de relance de 100 milliards d'euros, on a déjà présenté des plans sectoriels, par exemple dans l'automobile, pour encourager à l'achat de véhicules propres, et on aura un plan de relance aussi, qui vise justement à accélérer le redémarrage de notre économie, pour créer des emplois.

BERNARD POIRETTE
Donc, vous n'imaginez pas quand même que le chômage puisse être plus bas en septembre, qu'il n'est aujourd'hui. Mais peut-être que l'accélération peut freiner.

ELISABETH BORNE
Eh bien écoutez, on veut tout faire effectivement pour éviter les suppressions d'emploi. On le fait en relançant l'économie, on le fait aussi en mettant en place des nouveaux dispositifs. On publiera la semaine prochaine le décret qui met en place une activité partielle de longue durée. On sait qu'il y a des secteurs économiques qui sont repartis, et puis il y en a d'autres dont l'activité va être durablement en-dessous de ce qu'elle était avant la crise, je pense par exemple à l'aéronautique. Eh bien là il faut trouver des outils, c'est ce que l'on fait avec l'activité partielle de longue durée, pour que les entreprises puissent garder les salariés, garder les compétences, pour être prêts quand l'économie repartira. Donc vraiment, on a à la fois des outils pour stimuler la demande, comme on l'a fait dans l'automobile, pour améliorer la compétitivité, la performance des entreprises, et puis pour leur permettre de garder au maximum les salariés, les compétences.

BERNARD POIRETTE
Elisabeth BORNE, vous avez travaillé donc avec Edouard PHILIPPE, vous étiez dans son gouvernement, maintenant vous êtes avec monsieur CASTEX, ils ne parlent pas de la même manière ces deux hommes politiques. Monsieur CASTEX disait hier : « Il s'agit de ne pas sacrifier une génération, donc tous ces ceux, éviter que les jeunes morflent en premier sur le terrain de l'emploi ». Et il dit : « Moi je veux mettre le paquet tout de suite ». Ça vous change quelque chose à part sa manière de parler ?

ELISABETH BORNE
Eh bien écoutez, je crois…

BERNARD POIRETTE
C'est un homme totalement différent.

ELISABETH BORNE
Je crois que c'est très concret, et on a à coeur, il reste 600 jours, comme ça a été dit…

BERNARD POIRETTE
Même plus.

ELISABETH BORNE
... d'être efficaces, de travailler avec tout le monde. Ce plan jeunes, vous savez, quand on dit : un jeune, une solution, on met des moyens massifs sur la table, mais évidemment ce n'est pas à Paris que l'on va régler la situation individuelle de chaque jeune. Donc, moi je porte aussi le fait que c'est dans le dialogue social, je verrai tout à l'heure les partenaires sociaux pour parler du plan de relance en général, c'est sur le terrain, avec les collectivités, avec les acteurs de l'insertion, que l'on va réussir, et c'est ce que porte Jean CASTEX.

BERNARD POIRETTE
Alors, parlons-en justement des partenaires sociaux, puisque les syndicats ne sont pas très contents de la façon dont ils ont compris le report de la réforme de l'Assurance chômage, donc tout ça c'est reporté à janvier 2021, au plus tôt, c'est comme la réforme des retraites, mais ils ont compris aussi qu'en matière de réforme de l'Assurance chômage, ceux qui ont perdu leur emploi entre novembre dernier et août 2020, là, août prochain, ne sont pas concernés par ce report. Est-ce qu'ils ont raison ?

ELISABETH BORNE
Alors, écoutez...

BERNARD POIRETTE
Et si oui, pourquoi ?

ELISABETH BORNE
Moi, je pourrai rééxpliquer, puisque…

BERNARD POIRETTE
Alors, il ne faut pas que ce soit trop compliqué.

ELISABETH BORNE
Non non, mais on s'est engagé à différer l'entrée en vigueur de cette réforme, dont on continue à penser, et je le pense, que c'est une bonne réforme, mais le contexte a totalement changé.

BERNARD POIRETTE
Complètement.

ELISABETH BORNE
Donc, on veut effectivement que les mesures n'entrent pas en vigueur, celles qui étaient prévues au 1er septembre, on les a reportées en janvier 2021.

BERNARD POIRETTE
Mais pas pour tout le monde.

ELISABETH BORNE
On est aussi face à une réalité, vous savez, ce n'est pas comme si j'étais là depuis six mois et qu'on ait bien préparé tout ça, donc on a fait au mieux, en s'assurant que l'on met en place un dispositif pour l'avenir qui va marcher, on ne va pas bricoler les systèmes d'information de Pôle emploi, et j'ai eu l'occasion de redire aux syndicats : on tient les engagements qu'on avait pris, c'est-à-dire qu'on revient sur la dégressivité, on ne met pas en oeuvre le nouveau mode de calcul sur l'allocation chômage, on revient aussi sur la période nécessaire pour bénéficier d'une allocation chômage, et on le fait aussi, au mieux, pour que le dispositif soit opérationnel au plus vite.

BERNARD POIRETTE
Oui, mais il y a quand même quelques dizaines de milliers de personnes, ceux concernés par ce créneau de temps, qui seront « perdants ».

ELISABETH BORNE
Moi je vais pouvoir en reparler, le vous dis, avec les syndicats. Vous savez qu'on avait gelé beaucoup de dispositions pendant le confinement, donc je pense que le problème ne se pose pas, mais j'aurai l'occasion de le redire aux syndicats tout à l'heure.

BERNARD POIRETTE
Mais ça ne vous inquiète pas particulièrement, ce n'est pas pour ça qu'il y aura des cortèges de dizaines de milliers de gens dans la rue en septembre. Vous allez trouver un accord.

ELISABETH BORNE
Vous savez, moi je fais confiance au sens des responsabilités des partenaires sociaux. On est face à une crise inédite, on sort d'une crise sanitaire, ou on est encore dans une crise sanitaire.

BERNARD POIRETTE
On n'en est pas encore sortis.

ELISABETH BORNE
Voilà, totalement inédite, on a une crise économique et sociale devant nous, c'était aussi le sens des rencontres que Jean CASTEX a eues avec les partenaires sociaux, que moi j'ai régulièrement avec eux, pour se dire que, je crois que les Français aujourd'hui attendent de nous que l'on travaille ensemble, pour apporter des solutions aux Français, et je fais confiance au sens des responsabilités des partenaires sociaux.

BERNARD POIRETTE
Madame BORNE, est-ce que, avec le ministre de la santé, monsieur VERAN, si effectivement le Covid 19 repart en flèche, comme c'est le cas aux Etats-Unis ou ailleurs, ici en France on fait tout pour que ça ne se passe pas, mais ça peut, on ne sait jamais, est-ce que vous qui êtes ministre du Travail, et lui qui est ministre de la Santé, pourriez obliger par exemple les salariés d'entreprises à porter un masque aussi sur leur lieu de travail, plutôt que simplement dans les lieux publics ? Est-ce que tout ça fait partie de la réflexion globale ?

ELISABETH BORNE
Alors, vous savez, ce virus, on a appris à être agile, à s'adapter, en fonction aussi de ce que nous disent les scientifiques. Mais aujourd'hui, dès maintenant, il y a un protocole sanitaire qui s'applique dans les entreprises, qui demande d'appliquer les gestes barrières que tout le monde connaît maintenant, qui prévoit que si vous n'êtes pas en mesure de garantir que les salariés respectent la distanciation physique, alors on porte le masque. Donc ces règles, elles existent d'ores et déjà…

BERNARD POIRETTE
C'est déjà établi.

ELISABETH BORNE
... dans les entreprises.

BERNARD POIRETTE
Bon, donc il n'est pas question pour l'instant de les renforcer. Un dernier mot, tout de même, Madame BORNE, je reviens à ce plan, donc, un jeune, une solution, donc 6,5 milliards d'euros sur deux ans, plus des milliards qui sont tombés de partout, etc., depuis trois mois, parce qu'il faut effectivement beaucoup d'aides à une économie flageolante comme la nôtre, au fond des choses, contrairement à ce que dit MACRON, c'est quand même nous qui allons payer un jour ou l'autre.

ELISABETH BORNE
Alors, vous savez…

BERNARD POIRETTE
C'est les finances publiques tout ça, donc c'est les contribuables, c'est vous, c'est moi.

ELISABETH BORNE
Je pense que l'on a d'abord 40 milliards d'euros qui résultent de l'accord qui a pu être trouvé au Conseil européen, et puis on a effectivement une dette exceptionnelle qui appellera un traitement exceptionnel. C'est aussi des investissements que l'on est en train de faire, pour avoir un pays plus fort, une économie plus forte, des emplois mieux protégés, et cet investissement, il me semble indispensable aujourd'hui pour faire repartir notre économie, pour protéger le maximum d'emplois.

BERNARD POIRETTE
Merci beaucoup en tout cas Elisabeth BORNE, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, sur Radio classique ce vendredi matin. Passez un bon week-end, Madame BORNE.

ELISABETH BORNE
Merci.

BERNARD POIRETTE
Et donc le dernier Conseil des ministres mercredi, je crois.

ELISABETH BORNE
Absolument.

BERNARD POIRETTE
Et après les vacances.

ELISABETH BORNE
Oui, peut-être pas, mais enfin.

BERNARD POIRETTE
Quelques jours. On verra bien. Merci beaucoup, bon week-end.

ELISABETH BORNE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 juillet 2020