Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à CNews le 31 juillet 2020, sur la politique du gouvernement face à la crise économique.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Média : CNews

Texte intégral

DAMIEN FLEUROT
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Damien FLEUROT.

DAMIEN FLEUROT
On l'a appris il y a 45 minutes, ce n'était jamais arrivé, un tel plongeon de l'économie française au deuxième trimestre, un recul de 13,8% du PIB. Votre réaction, vous vous attendiez à ce décrochage ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, c'est un chiffre attendu, c'est un chiffre sévère mais c'est un chiffre moins sévère que prévu. L'INSEE avait prévu moins 17% pour le deuxième trimestre ; finalement, c'est moins 13,8. Qu'est-ce que ça prouve ? Ça prouve que nous ne sommes pas impuissants face à la crise, oui la crise est d'une gravité sans précédent, oui la crise touche tous les pays du monde, États-Unis, Allemagne, autres pays européens mais nous ne sommes pas impuissants et nous pouvons améliorer les choses. Moins 13,8, c'est mieux qu'au moins 17 …

DAMIEN FLEUROT
Et c'est directement lié aux mesures de l'exécutif pour amortir le choc ?

BRUNO LE MAIRE
C'est directement lié, bien sûr quand on regarde certains indicateurs positifs par exemple sur la consommation de biens durables, par exemple sur la vente de véhicules, plus de ventes de véhicules en juin 2020 qu'en juin 2019, quand on voit aussi les projections des entrepreneurs, il y a des éléments qui sont positifs et qui sont liés aux décisions qu'avec le président de la République, le Premier ministre nous avons prises depuis maintenant plusieurs mois. Nous avons une réponse immédiate, une réponse massive, ça améliore les choses et donc c'est la preuve qu'il faut continuer à avoir des réponses radicales, puissantes pour nous redresser le plus vite possible. On a dit moins 11% pour l'année 2020, c'est l'évaluation de croissance que nous avons dans le projet de loi de finances pour 2021. Nous allons nous battre pour faire mieux que ces moins 11%.

DAMIEN FLEUROT
Donc ça veut dire que on pourrait viser quoi, moins 10, moins 9% sur l'année 2001 ?

BRUNO LE MAIRE
On peut faire mieux que les moins 11% si nous continuons comme nous le faisons à avoir des mesures de soutien à la demande. C'est ce qui a été fait sur l'automobile ; c'est ce qui a été fait sur l'emploi avec les mesures pour le chômage partiel et si, et ce sera le cas, nous mettons sur pied un plan de relance qui soit immédiatement applicable et qui nous permette de soutenir notre croissance.

DAMIEN FLEUROT
Et qui sera présenté le 25 août toujours.

BRUNO LE MAIRE
Le 25 août puisque le conseil des ministres a été déplacé du 24 au 25, ce sera donc le mardi 25 août.

DAMIEN FLEUROT
L'Allemagne qui s'en sort mieux, légèrement mieux que la France comme souvent j'ai envie de vous dire, est-ce que c'est parce que l'on ne va pas suffisamment vite, on ne va pas suffisamment loin justement dans les mesures de reprise ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord soyons honnêtes, personne ne s'en sort bien. C'est une crise mondiale qui touche tous les pays de la planète, qui touche tous les continents et c'est ça aussi qui a un impact sur notre propre croissance puisque le commerce mondial est affecté. L'Allemagne a été moins touchée par l'épidémie. Donc elle a des chiffres de croissance qui sont légèrement meilleurs que les nôtres mais ce qui compte désormais, c'est qu'au niveau national, comme au niveau européen, nous continuions à prendre toutes les décisions économiques nécessaires sans exception pour retrouver un chiffre de croissance meilleur d'ici quelques mois et retrouver, je l'espère, d'ici deux ans, c'est l'objectif que nous sommes fixé, le même niveau de prospérité que celui que nous avions avant la crise.

DAMIEN FLEUROT
Les groupes tricolores qui ne sont pas épargnés par la crise à l'image de RENAULT, Jean-Dominique SENARD, le patron de l'entreprise qui dit au Figaro ce matin : les résultats sont très mauvais mais RENAULT va retrouver sa place. L'Etat aide le constructeur automobile. Quelles garanties, quelles exigences vous lui posez ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord, moi j'ai confiance dans la capacité de RENAULT à se redresser. Regardez la situation de PSA il y a quelques années. Moi, je voyais des commentateurs qui nous disaient "c'est la fin du lion de Sochaux, le lion de Sochaux … "

DAMIEN FLEUROT
Le patron de PSA qui dit : cette crise va faire le tri dans les constructeurs automobiles, c'est-à-dire qu'il y aura des victimes !

BRUNO LE MAIRE
Dans le tri, il y aura peut-être des victimes …

DAMIEN FLEUROT
Mais pas RENAULT !

BRUNO LE MAIRE
Mais ça ne sera ni RENAULT ni PSA. Et je reviens à PSA, le lion de Sochaux rugit encore parce que des décisions ont été prises, parce que la gamme a été renouvelée, parce que PEUGEOT a fait le pari du véhicule électrique, du véhicule hybride rechargeable et aujourd'hui il affiche de très bons résultats et Carlos TAVARES a fait un travail remarquable, ça va être la même chose chez RENAULT. Je n'ai aucun doute, il y a des ingénieurs …

DAMIEN FLEUROT
Priorité aux batteries, par exemple …

BRUNO LE MAIRE
…des ouvriers …

DAMIEN FLEUROT
Priorité à l'hydrogène …

BRUNO LE MAIRE
Priorité aux véhicules électriques, priorité aux véhicules autonomes, priorité aux nouvelles technologies. Nos constructeurs automobiles, PSA comme RENAULT, ont tout pour réussir au XXIème siècle ; il ne faut simplement pas se tromper de stratégie. La stratégie, ce n'est pas de préserver à tout prix les véhicules du XXe ; c'est au contraire s'engager résolument avec le soutien de l'Etat vers le véhicule décarboné, le véhicule électrique et le véhicule autonome, c'est la stratégie qui a réussi à PSA, c'est la stratégie qui a réussi à RENAULT qui a à sa tête désormais un nouveau directeur général, Luca DI MEO, un président qui a toute la confiance de l'Etat, Jean-Dominique SENARD, RENAULT se redressera.

DAMIEN FLEUROT
Un secteur qui a été largement aidé grâce à la prime à la conversion mise en place par votre gouvernement qui se termine fin juillet, Barbara POMPILI dit qu'il y aura des aides mais qui vont être resserrées sur des véhicules moins polluants dans les prochaines semaines, ça veut dire qu'on exclut par exemple les véhicules diesel du dispositif ?

BRUNO LE MAIRE
On n'exclut pas les véhicules diesels moins polluants mais Barbara POMPILI a raison : nous avons voulu soutenir l'achat de véhicules au moment où on ne vendait plus une seule voiture en France. On a voulu qu'au moment où les concessions rouvrent, il y ait des clients et des clients qui achètent des voitures. On avait dit 200 000 voitures, ça a remarquablement marché, cette prime à la conversion exceptionnelle, elle va fonctionner jusqu'à début août et à partir de début août, on va revenir à la prime à la conversion qui existait auparavant …

DAMIEN FLEUROT
Classique …

BRUNO LE MAIRE
C'est-à-dire qu'elle va être réservée aux ménages les plus modestes alors que nous l'avions ouverte à de plus grandes catégories de ménages ; en revanche, la décision importante que nous avons prise, c'est de maintenir une prime exceptionnelle, 7 000 euros, pour le véhicule électrique, une prime exceptionnelle pour les véhicules hybrides rechargeables également parce que nous voulons accélérer les achats de véhicules électriques ou de véhicules hybrides rechargeables, c'est-à-dire ceux qui émettent moins de CO2.

DAMIEN FLEUROT
C'est ce qui vous permet de dire que le plan de relance sera un plan de relance vert notamment !

BRUNO LE MAIRE
Oui parce qu'il ne suffit pas de le dire, il faut prendre des décisions et les Français nous jugeront sur ce sujet-là comme sur tous les autres aux actes et aux résultats. Faire le choix du véhicule hybride et du véhicule électrique, c'est faire le choix de la décarbonation du parc automobile français et donc avoir une relance qui soit verte.

DAMIEN FLEUROT
Un secteur qui pollue beaucoup, celui de l'aérien avec une question d'ailleurs à la Une de Libération aujourd'hui : faut-il nationaliser AIR FRANCE ? L'entreprise qui semble dans l'impossibilité de rembourser sa dette de près de 7 milliards d'euros avant sans doute très longtemps, l'Etat est venu au secours de la compagnie. Est-ce que l'Etat peut faire plus ?

BRUNO LE MAIRE
Vous savez, la question qu'il faut se poser, Damien FLEUROT, c'est : est-ce que nous voulons, oui ou non, garder une compagnie aérienne nationale avec les emplois que ça représente, la souveraineté que cela représente ?

DAMIEN FLEUROT
Est-ce qu'il faut la garder « quoi qu'il en coûte » ?

BRUNO LE MAIRE
Et puis, l'aspect culturel. Enfin, AIR FRANCE fait partie, je pense, de la culture économique française. Ma réponse est "oui", il faut garder une compagnie aérienne nationale. Nous avons apporté 7 milliards d'euros de soutien AIR FRANCE ; nous avons exigé des contreparties contrairement à beaucoup d'autres Etats qui ont apporté un soutien à leur compagnie aérienne nationale sans contrepartie, nous avons exigé des contreparties environnementales de la part d'AIR FRANCE. AIR FRANCE pourra compter sur le soutien de l'Etat.

DAMIEN FLEUROT
Et l'Etat pourrait monter au capital encore un peu plus ? 14, un peu plus de 14% aujourd'hui …

BRUNO LE MAIRE
L'Etat fera tout ce qui est nécessaire pour conserver cette compagnie aérienne nationale, les emplois qui vont avec, l'indépendance que cela représente. J'estime qu'avec les 7 milliards d'euros qui ont été accordés, AIR FRANCE peut voir venir d'ici la fin de l'année mais si un moment ou un autre parce que le trafic aérien ne reprendrait pas et que la situation économique restait difficile, AIR FRANCE pourra compter sur le soutien de l'Etat.

DAMIEN FLEUROT
Vous n'excluez pas un nouveau geste de l'Etat, une nouvelle aide de l'Etat. De l'aérien au secteur du tourisme aussi durement impacté encore cet été celui de la restauration et de l'événementiel aussi, est-ce que vous allez venir aussi à nouveau en aide à ces secteurs d'activité ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, bien sûr !

DAMIEN FLEUROT
Et de quelle façon ?

BRUNO LE MAIRE
Parce que je le redis, si nous avons aujourd'hui des chiffres de croissance qui sont un peu moins mauvais que prévu, c'est la preuve que l'action politique, la décision économique publique, elle est efficace et croyez-moi, nous sommes totalement déterminés à tout faire avec le président de la République et avec le Premier ministre pour accélérer le redressement économique national et créer les emplois qui vont avec. Le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, ils ont pris de plein fouet la crise et ils apprennent aujourd'hui actuellement au moment où je vous parle. Donc ils ont besoin de plus de trésorerie, donc nous allons mettre en place début août un nouveau prêt garanti par l'Etat qui pourra aller jusqu'à 80% du chiffre d'affaires de l'hôtel ou du restaurant que demandera. Jusque-là c'était plafonné à 25%. Là, ça pourra représenter jusqu'à 80% du chiffre d'affaires avec toujours le même taux très intéressant, 0,25% ; donc je le dis à tous les hôteliers, tous les restaurateurs qui nous écoutent, qui se disent « je suis déjà un peu court en trésorerie », vous pouvez reprendre un prêt garanti par l'Etat jusqu'à 80% de votre chiffre d'affaires au lieu de 25%, toujours avec ce taux très attractif de 0,25% et puis je veux rassurer tous ceux …

DAMIEN FLEUROT
Ça peut coûter combien ce nouveau prêt garanti ? Vous avez une estimation ?

BRUNO LE MAIRE
Pour l'instant, c'est des garanties qui sont apportées par l'Etat, donc ce n'est pas de la dépense budgétaire, je veux aussi les rassurer sur tous ceux qui voudront étendre le prêt qu'ils ont pris en mars, avril mai, vous êtes un restaurateur, vous avez pris un prêt garanti par l'Etat, il est à 0,25 % mais au bout d'un an vous dites « je ne vais pas pouvoir rembourser, il faut que j'étende la durée de ce prêt. » Je négocie avec la Fédération bancaire française les meilleurs taux possibles pour les hôteliers, les restaurateurs, le secteur du tourisme pour que, au moment où ils vont renouveler leurs prêts, étendre la maturité de leurs prêts, ils aient un taux qui soit le plus attractif possible. L'Etat est là pour protéger et relancer notre économie, il le fait depuis le début et croyez-moi, il va continuer à le faire.

DAMIEN FLEUROT
Et le monde de la nuit aussi, on sait que les discothèques restent fermées en raison de la crise sanitaire, de l'impossibilité de marquer ses distanciations sociales, il y a là aussi une forte demande !

BRUNO LE MAIRE
Elles font partie des secteurs qui seront soutenus bien entendu et notamment par ces nouveaux prêts mais on ne peut pas baisser la garde en matière de sécurité sanitaire parce que ce qui peut menacer le plus le redressement économique français, c'est une seule chose, c'est le retour de l'épidémie. Donc nous sommes aussi tous responsables si nous voulons que ce redressement économique soit réussi, il faut être vigilant en matière sanitaire.

DAMIEN FLEUROT
Un mot sur l'épargne des Français qui atteint des records, des Français sans doute très prudents, très précautionneux, trop précautionneux, vous dites aux ménages, aux Français qui nous regardent « dépensez votre épargne » ?

BRUNO LE MAIRE
Je leur dis qu'effectivement en dépensant leur épargne, ils accéléreront le redressement de l'économie, nous allons mettre 100 milliards d'euros pour la relance économique du pays à partir du 25 août mais il y a aussi 100 milliards d'euros supplémentaires qui sont l'épargne qu'ont constituée les Français.

DAMIEN FLEUROT
Le bas de laine !

BRUNO LE MAIRE
Donc je voudrais, je comprends parfaitement les inquiétudes des Français, ils voient bien la crise, ils voient la situation mondiale, ils sont inquiets d'un retour de l'épidémie mais la meilleure façon de sortir vite de cette crise économique, c'est avoir aussi des Français qui consomment et je veux aussi leur redonner une garantie. Je connais le scepticisme des Français là-dessus et je peux les comprendre quand on regarde ce qui s'est passé au cours des décennies précédentes : nous n'augmenterons pas les impôts des Français. Je sais que beaucoup d'entre eux se disent "il faut garder des économies parce qu'au moment de rembourser la dette, on fera appel à l'impôt." Nous ne ferons pas appel à l'impôt ; la dette sera remboursée par la croissance et par la maîtrise des finances publiques.

DAMIEN FLEUROT
Même si la situation économique et sociale devait s'aggraver dans les prochains mois ?

BRUNO LE MAIRE
Mais on ne ferait qu'aggraver la situation économique et sociale des Français en augmentant les impôts.

DAMIEN FLEUROT
Donc dans le budget que vous préparez, à Bercy …

BRUNO LE MAIRE
Dans le budget que nous préparons, il y a des baisses d'impôts qui sont maintenues, je pense à la taxe d'habitation, il y aura des baisses d'impôts nouvelles notamment pour les entreprises avec la baisse des impôts de production et nous n'augmenterons pas les impôts des Français parce que ce serait totalement contradictoire avec notre volonté de relancer l'activité économique et de relancer la consommation.

DAMIEN FLEUROT
Un dernier mot sur votre été, Bruno LE MAIRE, qui sera studieux, on peut l'imaginer, vigilance aussi, on a vu que le président de la République avait pris ses quartiers d'été au Fort de Brégançon.

BRUNO LE MAIRE
Oui, ce sera un été singulier parce que on a tous besoin de repos bien entendu, les mois passés ont été très durs, mais je resterai au contact quotidien de mes équipes, du Premier ministre, de l'ensemble des autres membres du gouvernement avec lesquels nous préparons le plan de relance parce que quand vous avez la responsabilité de relancer l'économie française et que le choc économique est aussi violent, il faut rester sur le pont, un peu plus … en repos, en vacances, en famille mais rester sur le pont quand même.

DAMIEN FLEUROT
Et vous avez généralement l'habitude d'écrire un peu pendant cette période, vous préparez là aussi …

BRUNO LE MAIRE
Toujours savoir prendre un petit peu de recul, ça n'empêche pas d'être totalement engagé.

DAMIEN FLEUROT
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE d'être venu commenter ce chiffre de la croissance au deuxième trimestre avec un plongeon historique de 13,8%.


source : Service d'information du Gouvernement, le 4 août 2020