Texte intégral
BERNARD POIRETTE
Il est huit heures quinze exactement, voici l'invité de "La matinale", l'invité c'est Olivier DUSSOPT, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Monsieur DUSSOPT, merci d'être en studio.
OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.
BERNARD POIRETTE
Les finances publiques de la France sont dans le rouge vif, on ne va pas détailler tous les chiffres parce qu'ils sont tous mauvais, est-ce que ça va s'aggraver d'ici la fin de l'année ou est-ce que vous voyez une lueur non pas de bloquer le processus mais au moins de le stabiliser ?
OLIVIER DUSSOPT
Les finances sont extrêmement dégradées, c'est la conséquence des choix que nous avons faits pour répondre à la crise avec un déficit qui est attendu autour de 11%, même 11,5. Notre objectif c'est la relance de l'activité économique, éviter le reconfinement, ça c'est une priorité absolue, pour faire en sorte que ce chiffre ne soit pas dégradé mais qu'on puisse même finir je n'ose pas dire un peu mieux mais peut-être un peu moins mal. Et surtout nous avons…
BERNARD POIRETTE
Un peu moins mal, vous avez quoi en tête comme chiffre, ce qui serait très bon pour vous ce serait 8, 9 ?! (Il sourit)
OLIVIER DUSSOPT
Personne n'est capable de le dire et personne n'est capable de prévoir l'évolution économique des prochaines semaines. Mais notre objectif et notre seule priorité c'est la relance de l'activité économique, c'est le soutien à cette activité et les mesures que nous avons prises au travers des trois projets de loi de finances rectificative et celles que nous allons annoncer à la fin du mois d'août dans le cadre du plan relance ont cet objectif-là et ce seul objectif.
BERNARD POIRETTE
Ce qui est très intéressant dans cette affaire-là c'est qu'on oublie complètement les fameux critères européens de limitation des déficits publics, le fameux 3%, etc., on s'assied dessus nous comme tous les partenaires européens !
OLIVIER DUSSOPT
On ne les oublie pas, ils sont suspendus et la Commission européenne…
BERNARD POIRETTE
Suspendus pour toujours, Monsieur DUSSOPT !
OLIVIER DUSSOPT
La Commission européenne a pris la décision, c'est prévu par les traités, de suspendre l'application des critères, la vérification des critères, par contre il faut avoir en tête que ce ne sera justement pas pour toujours. Dans les mois qui viennent la Commission, les Etats membres auront à dire quel est l'horizon auquel il faudra à nouveau revenir vers ces 3%. Cela a deux conséquences pour un Etat comme la France, la première conséquence c'est que nous devons tout faire pour relancer, nous devons mettre à profit cette période qui nous permet par un soutien budgétaire, par une politique fiscale plus structurelle aussi pour relancer l'activité économique. Mais nous devons veiller, c'est la responsabilité qui est la mienne avec Bruno LE MAIRE dans le cadre de la préparation du plan de relance, à ce que ces mesures de relance soient des mesures qui boostent l‘activité économique, qui créent de l'emploi, qui accompagnent la relance mais ne soient pas des dépenses structurelles, c'est-à-dire ne soient pas des dépenses qui ont vocation à rester dans le temps de manière totalement infinie, voire éternelles. Parce que si nous sommes dans des dépenses structurelles alors le retour vers les ratios que vous évoquez, les 3% de déficit public, le travail que nous avons fait depuis 2017 pour diminuer le poids de la dépense publique dans la richesse nationale tout ça sera perdu. Et donc nous travaillons à ce que ce soit vraiment conjoncturel, que ce soit des dépenses ponctuelles et surtout qu'on ne vienne pas sédimenter si vous me permettez ce barbarisme de nouvelles dépenses publiques par rapport à la richesse nationale.
BERNARD POIRETTE
Olivier DUSSOPT, j'entends bien tout cela, donc vous comptez sur la relance de manière à ce que ça crée de la richesse, que les impôts rentrent mieux et que les équilibres des comptes à terme, voire à long terme se rétablissent de même. Mais vous ne pensez pas que ce serait le moment par exemple pour rétablir certains impôts, si vous décidiez de rétablir l'ISF par exemple même ceux qui le paient le comprendraient peut-être dans le contexte épouvantable qui est le nôtre !
OLIVIER DUSSOPT
Nous perdrions tout ce que nous avons fait en termes d'attractivité. Avant la crise du Covid-19, avant la crise fin 2019 la France était devenue la première destination européenne pour les investissements étrangers.
BERNARD POIRETTE
Exact.
OLIVIER DUSSOPT
C'est un point qui est fondamental, nous étions dans une situation fin 2019 avec des investissements étrangers extrêmement forts qui venaient reconnaître à la fois l'attractivité, le retour à la compétitivité de notre pays, du territoire national. Nous étions sur un taux de chômage qui était en baisse et nous avions un taux de croissance qui par rapport au reste de la zone euro était dans la moyenne supérieure, même parmi les plus élevés. Ces résultats-là étaient liés à la fois à la politique de l'offre que nous avons amplifiées, je pense notamment à la trajectoire d'impôt sur les sociétés ou à la pérennisation du CICE qui est devenu un allégement pérenne mais aussi grâce à une politique d'attractivité. Ne gâchons pas cela, ne perdons pas cela, notre objectif est véritablement de relancer l'activité économique, le plus rapidement possible de retrouver le niveau de richesse que nous avions en termes de production nationale de richesses fin 2019 sans augmenter les impôts, sans augmenter quel qu'impôt que ce soit, que ce soit pour les entreprises ou pour les particuliers, parce que nous considérons que si nous gardons le même taux d'impôt, le même poids des prélèvements obligatoires avec plus de richesses nous aurons plus de recettes pour équilibrer les finances.
BERNARD POIRETTE
Oui mais votre raisonnement va au point par exemple de ne pas renoncer à supprimer la taxe d'habitation pour les plus riches d'entre nous, c'est-à-dire que ça va se faire quand même, on vit une période un peu folle !
OLIVIER DUSSOPT
Pardonnez-moi, une simple question et je retourne le rôle qui est le nôtre à cet instant, les plus riches d'entre nous de qui parlons-nous ?
BERNARD POIRETTE
De moi par exemple.
OLIVIER DUSSOPT
Peut-être, on parle des Français célibataires qui gagnent plus de 2.500 euros par mois, les 20% de Français les plus riches cela veut dire cela, c'est un Français seul qui gagne 2.500 euros par mois. Dans une région comme la mienne en nord Ardèche avec 2.500 euros par mois vous n'êtes pas riche mais vous vivez correctement. A Paris c'est bien différent, on parle d'un couple qui gagne 4.200 euros par mois. Pareil, dans une région comme la mienne vous vivez correctement, vous n'êtes pas riche, vous ne pouvez pas vivre sans compter ! Donc nous avons pris cette décision d'aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation qui est un des impôts les plus injustes. Par ailleurs, je le rappelle parce que parfois on peut me reprocher d'être un peu pointilleux sur le droit, le Conseil constitutionnel a rendu une décision à la fois pour valider le principe de suppression de la taxe d'habitation à condition que tous les contribuables soient traités également y compris les 20% qui n'ont pas encore vu baisser leur taxe d'habitation…
BERNARD POIRETTE
Donc vous êtes tenu par le Conseil.
OLIVIER DUSSOPT
… et qui verront cette taxe d'habitation baisser l'année prochaine. Puisque votre question me permet de le rappeler, au mois d'octobre 80% des Français ne paieront plus de taxe d'habitation sur la résidence principale et l'année prochaine les 20% restants si on peut utiliser cette expression commenceront à voir baisser leur taxe d'habitation.
BERNARD POIRETTE
Dont moi.
OLIVIER DUSSOPT
Et moi aussi.
BERNARD POIRETTE
Vous aussi d'ailleurs, Monsieur DUSSOPT ! Dîtes donc, dans Les Echos aujourd'hui, je ne sais pas si vous avez vu, il y a un très intéressant papier qui dit que vous réfléchissez, vous Gouvernement, à une taxation exceptionnelle des complémentaires santé. Il se trouve que les complémentaires santé pendant les trois mois de Covid n'ont rien remboursé du tout vu que les gens ne sortaient pas de chez eux et ne se soignaient pas, donc du coup ils ont eu plein d'argent en plus, deux milliards et demi d'économisés par les complémentaires. Et vous dites "on va leur en piquer un petit peu parce qu'il faut qu'ils participent à l'effort de guerre", c'est sûr ça, c'est fait ?
OLIVIER DUSSOPT
Ça n'est pas fait, c'est une discussion, une réflexion comme c'est indiqué pour voir comment chacun peut contribuer à ce que vous appelez l'effort de guerre mais l'expression est assez juste finalement. Donc prenons le temps de cette discussion, il n'y a pas d'arbitrage qui soit rendu à cette étape et à cette date, nous allons continuer à en discuter.
BERNARD POIRETTE
Mais si vous voulez le faire vous allez le faire, vous avez la capacité contraignante !
OLIVIER DUSSOPT
Laissons…au travail et au débat, la loi le permet effectivement mais laissez-nous si vous me permettez un peu de temps pour en débattre et y travailler.
BERNARD POIRETTE
Est-ce que vous confirmez également ce que disent nos confrères qui disent que le secteur de l'assurance n'a pas totalement joué son rôle pendant la crise du Covid dont on n'est pas sortis notamment vis-à-vis des restaurateurs qui se sont trouvés face à un mur, les gars n'avaient plus de revenus, ils disaient « la pandémie ce n'est pas prévu dans vos clauses de contrat » ?
OLIVIER DUSSOPT
C'est effectivement une réalité notamment les pertes d'exploitation liées à la pandémie étaient finalement assez peu anticipées, personne n'avait anticipé cette crise-là.
BERNARD POIRETTE
Non !
OLIVIER DUSSOPT
Peut-être que nous pouvons relativiser le rôle du secteur de l'assurance en rappelant que ce secteur a participé pour 400 millions d'euros au Fonds de solidarité qui a été versé par l'Etat aux entreprises les plus petites fermées par décret, par décision administrative. Ce secteur a aussi participé à des investissements et s'est engagé à investir un peu plus de 1,5 milliard d'euros notamment en direction des secteurs les plus frappés, cela a fait l'objet de discussions très serrées entre Bruno LE MAIRE à l'époque, Gérald DARMANIN, moi-même et ce secteur-là. Et puis par ailleurs ce secteur a aussi accordé un certain nombre de gestes commerciaux, certains diront que c'est tout à fait normal, ils ont accordé ces gestes commerciaux pour près de deux milliards d'euros.
BERNARD POIRETTE
Ils n'étaient pas obligés en l'occurrence mais ils l'ont fait.
OLIVIER DUSSOPT
Ils n'étaient pas obligés, la participation a été au rendez-vous, a été présente. Reste la question des pertes enregistrées par les restaurateurs notamment mais pas seulement qui ne pouvaient exploiter leur entreprise et qui étaient confrontés à ces difficultés cela interroge effectivement non pas sur le rôle des assureurs à un moment t mais sur les conditions dans lesquelles tel ou tel peut être assuré.
BERNARD POIRETTE
Mais dans la mesure où ce n'est pas dans les clauses les assureurs sont dans leur droit en disant "écoutez, je n'ai rien à vous payer, ce n'est pas marqué dans votre contrat d'assurance ! "
OLIVIER DUSSOPT
Il y a des contrats qui sont extrêmement divers, donc je veille à ne pas faire de généralités, j'ai aussi en tête qu'une première décision de justice a été rendue en instance disant l'inverse pour certains restaurateurs.
BERNARD POIRETTE
Exact, il y a un restaurateur qui a gagné.
OLIVIER DUSSOPT
Donc quand il y a une jurisprudence qui n'est pas encore tout à fait établie et qu'il y a des contrats qui sont divers c'est une forme de prudence, en tout cas de raison que de ne pas acter quelque chose de manière trop définitive.
BERNARD POIRETTE
Vous avez cité monsieur DARMANIN qui était à votre poste avant de passer à l'intérieur, j'ai lu ce matin qu'il ne sera remplacé finalement à la mairie de Tourcoing qu'à la fin du mois d'août et pas à la fin du mois de juillet comme c'était prévu, vous savez pourquoi, c'est juste un problème de tringlerie administrative ou…?
OLIVIER DUSSOPT
Je n'en ai pas discuté avec lui mais je pense que le conseil municipal de Tourcoing doit se réunir fin août et que ce sera l'occasion de le remplacer.
BERNARD POIRETTE
Parce qu'il y a des opposants dans son conseil qui disent "il gagne du temps en espérant ne pas se faire éjecter de son poste à l'Intérieur pour ses histoires de justice, donc du coup il reste au chaud à la mairie de Tourcoing"
OLIVIER DUSSOPT
Ça s'appelle des mauvaises langues.
BERNARD POIRETTE
C'est des mauvaises langues, certainement, Monsieur DUSSOPT. Un dernier mot puisqu'il nous reste quand même une minute, les gros redressements fiscaux, je reviens dans votre champ d'activité, les gros redressements fiscaux d'entreprises désormais il n'y a plus de verrou de Bercy comme on dit, donc ça va directement au tribunal, donc ils sont obligés de payer plus des pénalités et en plus il y a un jugement. Est-ce que cette affaire justement la plupart qui vont au tribunal c'est efficace contre la fraude fiscale ? Est-ce que les gens qui fraudent préfèrent payer en douce ou est-ce qu'ils ne veulent pas être exposés publiquement ?
OLIVIER DUSSOPT
C'est efficace mais ce n'est pas la seule solution. Nous avons des services qui font un travail absolument remarquable de lutte contre la fraude, certains dossiers sont transmis au parquet, font l'objet d'une instruction et de décisions de justice, d'autres peuvent être traités par des dispositions de la loi dite Sapin qui permet la signature de conventions publiques d'intérêt judiciaire. C'est une forme de transaction dans laquelle un contribuable, une entreprise reconnaît sa culpabilité, sa responsabilité » et paye une amende fixée dans le cadre d'une transaction. Toutes les méthodes sont efficaces, la seule chose qui nous intéresse c'est le résultat et le résultat c'est que l'année dernière ce sont plus de 12 milliards d'euros qui ont été encaissés par l'Etat puisque depuis maintenant des années et des années l'Etat communiquait sur les sommes qui étaient décidées, qui étaient annoncées…
BERNARD POIRETTE
Absolument.
OLIVIER DUSSOPT
…Mais pas sur les sommes véritablement encaissées, nous communiquons sur les sommes encaissées et nous sommes à 2,6 milliards l'année dernière, ce qui est un record.
BERNARD POIRETTE
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT…
OLIVIER DUSSOPT
Merci à vous.
BERNARD POIRETTE
…le ministre délégué chargé des Comptes publics, d'être venu à Radio Classique ce matin en studio. Vous prenez des vacances ou pas ?
OLIVIER DUSSOPT
Quelques jours à partir de demain !
BERNARD POIRETTE
Bravo, écoutez, bonnes vacances, merci Monsieur DUSSOPT !
OLIVIER DUSSOPT
Merci à vous !
BERNARD POIRETTE
Il est huit heures vingt-six exactement, bienvenue si vous vous réveillez avec nous, Laurence HAÏM et sa note américaine c'est dans une minute exactement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 août 2020