Texte intégral
JULIE HAMMETT
Il est huit heures trente-sept, l'heure d'accueillir notre invitée, Brigitte BOURGUIGNON, ministre délégué auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l'Autonomie, merci d'être avec nous.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Bonjour.
JULIE HAMMETT
Je voulais qu'on se penche sur ce que dit Emmanuel MACRON dans Paris Match aujourd'hui, « on ne peut pas mettre le pays à l'arrêt parce que les dommages collatéraux d'un confinement sont considérables ». Il le dit, il n'y a pas de risque zéro et c'est vrai que quand on voit les chiffres quand même, ils sont impressionnants, même inédits depuis le mois de mai, 3.376 nouveaux cas en 24 heures. Est-ce qu'il faut vraiment écarter cette option ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Je pense que le pays a bien compris qu'il vivait aujourd'hui avec le virus, qu'il ne s'arrête pas à nos portes mais je pense qu'il faut cesser d'infantiliser les Français, que les Français ont bien compris qu'il fallait adopter les gestes barrières, que c'est la seule protection que nous avons pour le moment en attendant bien sûr, chacun l'attend, le vaccin qui sera la solution. Pour autant, les gestes barrières suffiront, le confinement envisagé de manière très ciblé.
JULIE HAMMETT
Alors justement, ciblé, c'est-à-dire, les personnes âgées ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Ciblé pour les personnes âgées il l'est déjà puisque vous savez bien que le virus ne s'arrête pas aux portes des EHPAD et qu'aujourd'hui dans les établissements ils sont prêts.
JULIE HAMMETT
Mais ils ne sont pas encore tous reconfinés, il n'y a pas de reconfinement généralisé pour l'instant ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Bien sûr que non.
JULIE HAMMETT
Est-ce que c'est quelque chose que vous envisagez ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
On ne l'envisage pas de cette manière pas à cette heure-ci.
MARIE CHANTRAIT
Emmanuel MACRON justement lundi le disait, alertait, c'est ça aussi cet équilibre, c'est alerter l'opinion sans être trop anxiogène, le virus ré-accélère mais il disait aussi qu'il faut protéger ces personnes-âgées sans les isoler. Ce qui s'est passé durant ces trois mois de confinement ce n'est pas à refaire selon vous ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
En fait le retour d'expérience qu'on a aujourd'hui, on passe beaucoup de temps à écouter les EHPAD. Moi hier j'étais encore en visio avec des EHPAD d'Ile-de-France et des Hauts-de-France qui nous disent la même chose, c'est-à-dire un nouveau confinement maintenant ne serait plus toléré ni par les résidents ni par les familles, ni même par le personnel qui a très mal vécu les choses parfois. Ça a été nécessaire, on le sait tous, parce qu'il y a eu un temps de sidération, un temps où il a fallu s'adapter, un temps où il a fallu réagir, aujourd'hui on est dans un autre espace.
JULIE HAMMETT
Pourtant il y a une vingtaine d'EHPAD qui ont décidé de se reconfiner et qui se remettent à interdire d'ailleurs les visites de familles puisque selon les établissements ce serait à cause de ça qu'il y aurait des nouveaux cas, des nouveaux décès dans les EHPAD en moment…
BRIGITTE BOURGUIGNON
Moi je n'ai pas trop envie de faire porter aux familles cette responsabilité parce que c'est quand même un facteur difficile à admettre pour des familles qui déjà ont cette difficulté sociale de mettre…
MARIE CHANTRAIT
Quand vous entendez la direction d'un EHPAD qui dit qu'il y a eu des comportements notamment de familles et de proches « aberrants », ça a été des mots prononcés !
BRIGITTE BOURGUIGNON
C'est quelque chose d'assez ciselé finalement les réponses, vous savez, on ne peut pas avoir une généralité. Nous on essaye de faire en sorte de passer les consignes, de faire en sorte que les établissements soient prêts si éventuellement il y avait de nouveau de fortes montées d'épidémies dans les établissements de façon à dépister plus systématiquement, là il faut dépister. Moi j'en appelle un peu à la responsabilité collective des familles, des résidents notamment qui doivent admettre qu'un dépistage lorsqu'on revient de vacances et qu'on veut rendre visite à sa famille c'est quelque chose de normal !
MARIE CHANTRAIT
Est-ce que vous diriez qu'après trois mois de confinement, nous sommes au mois d'août, la rentrée va arriver, on a connu cette période épidémique et ce rebond qui est en train d'arriver, on est mieux armés, on peut tester plus rapidement, vous le disiez, et si des cas étaient signalés isoler justement n'est pas la solution parce que justement on sait mieux faire ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Peut-être isoler de manière beaucoup plus ciblée, aujourd'hui pour en avoir discuté avec eux, oui, ils sont prêts, vous n'entendrez plus d'établissements vous parler de moyens matériels parce qu'aujourd'hui les stocks et d'ailleurs chacun est enclin à le faire et d'ailleurs des consignes ont été données par le ministère à tous les établissements pour qu'ils soient prêts en matière de stockage de matériels de protection pour leur personnel. Je voudrais aussi qu'on parle du domicile parce que le domicile est très important…
JULIE HAMMETT
On va y revenir, oui.
BRIGITTE BOURGUIGNON
…et là c'est la même chose, il faut qu'ils soient prêts en matériels. Et de fait une fois, on vous parle aujourd'hui beaucoup plus de l'humain, c'est-à-dire que ce qui me revient de tous les chefs d'établissement c'est comment allons-nous aborder une nouvelle épidémie maintenant qu'on a un personnel assez fatigué, traumatisé aussi par la première crise, des résidents qui parfois ont mal vécu l'isolement alors que les EHPAD que je voudrais d'ailleurs saluer parce qu'ils ont fait montre de beaucoup d'initiatives pour garder la relation avec les familles.
MARIE CHANTRAIT
On a vu des personnels qui ont dormi sur place durant des semaines, qui ne sont pas rentrés chez eux !
BRIGITTE BOURGUIGNON
Oui, il y a eu du personnel qui a accepté de loger avec les résidents, d'autres…
JULIE HAMMETT
Vous saluez donc leur investissement. Mais qu'on comprenne bien quand même, donc un reconfinement ciblé des personnes âgées cette option-là est définitivement écartée par le Gouvernement et il n'y aura pas de reconfinement généralisé des EHPAD ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Ce qu'on peut dire pour l'instant c'est qu'on fait tout pour qu'il n'y en ait pas, c'est plutôt ça.
MARIE CHANTRAIT
Mais le président a dit que des mesures allaient être prises, est-ce que ce matin vous pourriez nous dévoiler des pistes ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Les mesures c'est ce qu'on vous a expliqué, c'est-à-dire que les gestes sanitaires doivent être bien respectés à la fois pour les visiteurs mais aussi pour les résidents qui sortent et qui reviennent, il faut aussi savoir que certains ont des droits de visite et de sortie, et donc tous ces gestes et le dépistage doivent être systématiques. Ensuite nous essayons de cibler de manière très personnelle parfois un cas individuel dans un EHPAD de manière à l'isoler des autres résidents bien sûr il le faudra. Aujourd'hui il n'y a pas d'espaces Covid dans les EHPAD qui ont repris une vie normale, il faudra aussi préparer une unité Covid s'il le faut dans ces établissements. Toutes ces consignes ont été déjà données, la check-list est arrivée dans chacun des établissements qui est parfaitement au courant de ce qu'il doit mettre en place. Tout tiendra aussi si nous maintenons ce qui a marché, c'est-à-dire qu'il faut tenir compte de ce qui a marché et ce qui a marché c'est le relationnel aussi avec les médecins de ville, tout ce qui a tenu aussi, c'était tout ce qui a été l'apport des hospitaliers dans ces établissements, tout ceci doit être maintenu. La consultation gériatrique aussi téléphonique a très bien fonctionné et la réserve sanitaire qu'il faudra peut-être…
JULIE HAMMETT
Et en cas de deuxième vague il faut continuer à autoriser, là c'est bon, les familles à rendre visite aux personnes âgées, ça c'est autorisé ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Je pense que c'est en tout cas une décision qui doit être prise de manière collégiale, il y a des conseils de vie sociale à l'intérieur des établissements, les familles doivent être associées et les résidents. Parce que, vous savez, on a tort de ne jamais mettre le résident au coeur des décisions, or il y a beaucoup de résidents qui sont tout à fait à même de savoir ce qu'elles souhaitent ces personnes de décider aussi pour elles. Certaines m'ont dit à 93 ans « laissez-moi recevoir ma famille pour mon anniversaire », c'est un droit.
MARIE CHANTRAIT
Parce que les risques psychosociaux, on l'a dit, peuvent être dramatiques.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Bien sûr.
MARIE CHANTRAIT
Avant d'en venir à la grande réforme que vous portez, peut-être juste une dernière question, plus d'un tiers des personnes décédées du coronavirus en France sont mortes au sein de ces EHPAD. Certains disent qu'il y a eu des tris faits pour aller dans les hôpitaux, est-ce que c'est un constat que vous avez pu faire ou on a monté en épingle une polémique qui n'existe pas et des faits qui n'ont pas eu lieu ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Je pense que ça a été monté en épingle, d'abord je présidais la mission d'enquête et que rien ne s'est révélé à ce niveau-là.
JULIE HAMMETT
Les hôpitaux n'ont pas dit « non, on ne recevra pas des personnes âgées » ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Non, pour avoir beaucoup discuté avec des directeurs d'EHPAD personne ne m'a dénoncé ce type de comportement. Les résidents…
JULIE HAMMETT
Donc il n'y a pas eu de choix ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Non, les résidents qui ont dû avoir recours et peu ont eu recours à l'hospitalisation pour détresse respiratoire ont été accueillis.
JULIE HAMMETT
Vous avez pour mission de porter la réforme du grand âge qui est présentée un peu comme la grande réforme sociale du quinquennat et l'une des priorités absolues pour vous c'est la revalorisation des métiers d'aide à domicile, vous l'évoquez à l'instant. Edouard PHILIPPE avait promis une prime Covid, c'était aux départements de la financer sauf que deux tiers des départements ne l'auraient pas fait. Certains n'ont donc pas reçu cette fameuse prime, est-ce qu'ils vont la recevoir, est-ce qu'ils vont pouvoir la toucher, c'est quoi la solution ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
En tout cas, ce qu'on a fait… effectivement, vous avez toute une partie de personnels soignants, des EHPAD, qui eux auront la prime Covid puisqu'ils sont dans les accords du Ségur de la santé, mais il restait ce maillon que j'évoquais tout à l'heure, des soins à domicile, toutes les auxiliaires de vie qui vont à domicile et qui n'ont pas eu cette reconnaissance de la nation, et légitimement s'en sont plainte. Moi je les ai reçues beaucoup, à la fois dans mon département et au niveau national, et, effectivement, cette prime dépendant des départements.
JULIE HAMMETT
Alors, qu'est-ce qui va se passer donc ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Force était de constater que plusieurs semaines après, seuls 19 à 21 départements, à peu près, avaient opté pour cette prime, et de manière assez différenciée…
MARIE CHANTRAIT
On précise que les élections sont dans peu de temps, ça peut peut-être jouer.
BRIGITTE BOURGUIGNON
J'ai donc rencontré le président de l'ADF, Dominique BUSSEREAU, auquel j'ai proposé, en accord avec le Premier ministre, que nous mettions de l'argent sur la table, que l'Etat mette de l'argent sur la table, et si l'argent était mis sur la table, est-ce que les départements suivraient ? Et, d'un commun accord, ils ont dit « oui, si nous avons une aide de ce type, les départements suivront et verseront cette prime. »
JULIE HAMMETT
Sous quel délai, est-ce que pouvez le dire aujourd'hui pour ceux qui ne l'ont pas encore reçue ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Alors, théoriquement nous aimerions… le président de la République a choisi lui-même d'aller annoncer cet apport de l'Etat pour le versement de la prime Covid, et nous faisons en sorte qu'elle soit versée pour la fin d'année, bien sûr cela, aussi, dépendra du bon vouloir et du volontarisme local des départements.
MARIE CHANTRAIT
Cette grande réforme sociale, on en parlait, portée avec le ministre de la Santé Olivier VERAN, la création d'une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à l'autonomie. Vous avez dit, dans une précédente interview, ce n'est pas qu'une question financière, c'est aussi, et avant tout, une question sociale. Malgré tout, les finances c'est un peu le nerf de la guerre, vous n'avez pas peur de heurter les personnels, les professionnels, en leur disant ça de but en blanc ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Je pense qu'une réforme grand âge ne peut pas être envisagée que sous l'angle financier en effet, bien sûr que ça va en faire partie, et nous allons essayer d'obtenir, déjà, à travers la loi de financement de Sécurité sociale, la revalorisation salariale, qui est déjà presque actée, et puis la tarification, aussi, de la dépendance, qui est versée aussi par les départements. Pour autant, ce n'est pas que ça, c'est une réforme, aussi, qui vise à revoir le phénomène démographique d'aujourd'hui, qui va s'inverser, et le fait aussi que 85 % des gens expriment le désir de rester à domicile, et que nous devons anticiper cette évolution, cette volonté aussi, des gens…
MARIE CHANTRAIT
Il faut changer ?
BRIGITTE BOURGUIGNON
Il faut changer la mentalité, les EHPAD de demain ne seront pas les EHPAD d'aujourd'hui, ils doivent être ouverts sur cette domiciliation, le domicile ce n'est pas que la maison dans laquelle vous habitez, c'est le chez soi, qui se conçoit plus en termes, effectivement, de domicile ouvert et de parcours de dépendance qui ne soit pas fracturé.
JULIE HAMMETT
Il nous reste une petite minute, une dernière question sur l'actualité de ce dimanche, finale entre le Bayern-Munich et le PSG, vous avez vu sûrement ces images, alors il y a eu Lyon hier, les gens regroupés dans les bars qui regarder le match, il y a eu les scènes de liesse, notamment sur les Champs-Elysées avec le PSG, et certains, à la mairie de Paris, le disent, ils aimeraient interdire les rassemblements dimanche. Votre avis là-dessus.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Alors, je pense que les interdictions, vous savez ce que ça donne en général, ça donne des rassemblements plus diffus et plus difficiles à cerner, par contre que chacun ait la conscience pour lui et qu'il sache qu'il fait prendre des risques à la fois à son entourage, ce serait intéressant de faire la fête masqué, on peut faire la fête aussi, je pense.
MARIE CHANTRAIT
La ministre des Sports invitait hier les supporters à regarder le match chez eux, donc ça peut être une solution aussi.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Alors, ça peut être chez eux, mais même si c'était dans la rue, chacun peut faire les gestes qu'il faut pour se protéger et protéger les siens.
JULIE HAMMETT
Ce n'est pas tellement ce qu'on a vu sur les images…
BRIGITTE BOURGUIGNON
Ce n'est pas du tout ce qu'on a vu, c'est vrai.
JULIE HAMMETT
Mais en tout cas c'est ce qu'on espère d'un point de vue sanitaire.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Je continue d'y penser.
JULIE HAMMETT
Merci beaucoup – vous avez de l'espoir – merci beaucoup Brigitte BOURGUIGNON d'avoir pris le temps de répondre à nos questions ce matin sur LCI.
BRIGITTE BOURGUIGNON
Merci.