Texte intégral
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes secrétaire d'Etat chargé du tourisme, des Français de l'étranger, on en parlera, et de la francophonie. Je voudrais qu'on commence par cette histoire qui s'est passée ce week-end avec nos amis anglais. Par surprise, vendredi, ils annoncent que désormais les Français et tous ceux qui rentrent de France et qui arrivent en Angleterre devront respecter une quatorzaine. Et nous, du coup, par réciprocité, on va faire la même chose. Je ne comprends pas bien la logique : si les Anglais étaient dangereux, il fallait les interdire avant ; s'ils ne sont pas dangereux, pourquoi est-ce que l'on fait cette réciprocité ?
R - D'abord, c'est une mesure qu'on regrette. On regrette que cette mesure de quatorzaine vis-à-vis des personnes revenant de France s'applique parce que, vous savez, on est très rigoureux, il y a des dépistages, on remonte les chaînes de propagation, etc... Donc, on fait tout ce qu'il faut. Maintenant, cette décision a été prise et dans ces cas-là, depuis toujours, on a été cohérent. Il y a plusieurs semaines, lorsque les Britanniques avaient pris une telle mesure, au mois de juin, on leur avait dit : "à ce moment-là, nous mettrons une mesure de réciprocité, parce qu'une frontière, il faut qu'elle soit gérée de la même façon d'un côté et de l'autre".
Q - Mais non, puisque le virus n'est pas forcément le même d'un côté et de l'autre. Ça veut dire que chaque fois qu'un pays va nous dire : "les Français sont jugés dangereux", nous, on dira : "vous-mêmes, vous êtes jugés dangereux", même si ce n'est pas le cas ?
R - On ne peut pas laisser prendre des mesures unilatérales, justement, que nous regrettons et rester inertes. Donc, il y a besoin aussi, pour avoir un levier dans la négociation, parce que nous restons en contact avec les autorités britanniques et ce que nous souhaitons, c'est pouvoir mettre fin à ces dispositions, à ces freins à la liberté de circulation, le plus rapidement possible ! Et donc, dans ces cas-là, il faut aussi que les autorités britanniques voient qu'elles ont un intérêt à prendre une telle mesure.
Ecoutez, on est au travail avec Clément Beaune, mon collègue aux affaires européennes, pour pouvoir faire en sorte que cette mesure pèse le moins longtemps possible, parce que les flux entre la France et la Grande-Bretagne sont considérables ! Chaque année, c'est dix millions...
Q - On s'auto-punit ! On s'auto-punit en demandant aux Anglais de ne plus venir sauf à respecter une quatorzaine...
R - Le problème, c'est la décision initiale des Britanniques parce que, les Britanniques sachant qu'ils vont devoir rester quatorze jours chez eux s'ils viennent en France, de fait, cela tarit le flux des Britanniques. Ils étaient plusieurs dizaines, centaines de milliers à être présents sur le sol français pour ces vacances, parce qu'ils sont dix millions chaque année à venir pour un séjour touristique. Ça, c'était avant cette épidémie de Covid, mais ils jouent un rôle moteur dans le tourisme national.
Donc, on va tout faire pour aider les acteurs du tourisme, peut-être à diversifier les clientèles, à prolonger la saison avec les Belges, avec les Allemands, avec les Néerlandais. Avec Atout France, on est très mobilisé avec des campagnes sur le numérique, etc... Parce qu'on a bien conscience que cet été, c'est un été pas comme les autres, mais qu'on a besoin de relancer l'économie touristique. Parce que l'économie touristique, cela pèse dans l'économie nationale, autour de 8 à 10% du PIB, donc, très important pour nos territoires. Je me réjouis, en tous les cas, que déjà les Français, eux, aient plaidé pour un été bleu blanc rouge, qu'ils soient au rendez-vous et que dans beaucoup de territoires, les résultats sont là, les professionnels retrouvent le sourire. C'est une reprise qui demeure fragile, parce qu'on voit bien que dès que, parfois, il y a un cluster ici ou là, les réservations s'annulent, les annulations sont là.
J'insiste sur la prudence et la vigilance que nous devons chacun, individuellement et collectivement, avoir pour que l'été puisse se poursuivre et qu'on puisse peut-être aussi avoir une sorte d'été indien. Parce qu'on a eu un bon mois de juillet, en termes de fréquentation touristique nationale, on a un mois d'août qui s'annonce comme étant un bon cru, et on aimerait bien pouvoir jouer les prolongations - je crois qu'on parle beaucoup de foot en ce moment - en septembre et en octobre.
Q - Le mois d'août, un bon cru, vous n'aviez pas eu l'occasion de le dire jusqu'à présent. Vous nous annoncez des chiffres pour le mois d'août qui vont être corrects ?
R - Par exemple : les Gîtes de France, 95% de taux d'occupation pour le mois d'août, c'est un chiffre qui est considérable. On voit un engouement également pour l'hôtellerie de plein air, les campings, qui font une belle saison. Cela ne permettra pas toujours de rattraper le retard à l'allumage de mai et de juin. Et c'est vrai que les acteurs, par exemple Nicolas Dayot, le président de l'hôtellerie de plein air, évoque, on va dire, des chiffres d'affaires annuels inférieurs de 20% environ. Mais on a essayé, en tous les cas, de sauver l'essentiel, sauver juillet, août qui sont le coeur de la saison.
Et puis, vous savez, l'Etat met aussi le paquet dans la durée pour aider tous ces acteurs du tourisme : dix-huit milliards d'euros, le président de la République avait souhaité en faire vraiment une priorité nationale parce que le tourisme touche à la fois à notre identité, parce que c'est la valorisation des terroirs, du patrimoine, et puis, c'est aussi une activité économique essentielle pour certains territoires.
Q - Vous le disiez : 10% du PIB, ça veut tout dire, c'est énorme ! Alors vous nous dites : ça va bien...
R - Pour la Corse par exemple, ça peut être 25, 30% du revenu intérieur. À l'identique pour des territoires comme Lourdes, c'est très important. C'est pour cela que j'ai été avec Bruno Le Maire, il y a une semaine, à Lourdes pour pouvoir annoncer également des dispositifs spécifiques, adaptés parce que, imaginez, tous les pèlerinages ont été annulés... C'est la deuxième ville hôtelière de France... Donc il y a un besoin d'accompagnement dans la durée. Et, je le dis aux professionnels, chez vous : on sera là au rendez-vous.
Q - Alors vous nous dites, ça va bien, ça va bien en montagne, ça va bien dans des départements ruraux, ça va bien pour les Gîtes de France, certes ; mais ça va très, très mal, pour toutes les grandes villes...
R - Bien sûr.
Q - Ça va très mal pour le musée du Louvre...
R - Vous avez raison.
Q - Ça va très mal pour le château de Versailles. Un hôtel parisien sur deux est fermé à l'heure où l'on parle.
R - Attendez, moi, je suis très lucide. Il ne s'agit pas de faire l'autruche. Il y a des territoires pour lesquels ça reste très compliqué, les territoires urbains. C'est vrai que Paris, l'Ile-de-France, ont pâti de l'absence des clientèles internationales lointaines ; les Américains, les Russes, les Chinois ne sont pas là. Là, on a pu relancer le moteur des touristes européens de proximité - c'est deux tiers des touristes internationaux qu'on reçoit - mais les autres ne sont pas là.
Et donc, à Paris, la situation est particulièrement préoccupante. J'ai pu m'en entretenir avec l'UMIH, avec le GNI, et là aussi, il va falloir avec les mécanismes de prêts garantis par l'Etat, avec les mécanismes, aussi, de fonds propres qu'ils sont en train de travailler avec Bercy, trouver des solutions pour aider ces acteurs économiques. Moi, j'espère qu'à un moment, le secteur événementiel reprenne petit à petit. Vous savez qu'il y a cette capacité à avoir une dérogation, justement, pour faire des événements plus de cinq mille personnes.
Q - Oui, on l'a vu avec le Puy du Fou qui avait une exception...
R - Bien sûr. Justement, moi, j'incite - et je crois que Roselyne Bachelot l'a fait à votre micro hier - j'incite les organisateurs en tous les cas à utiliser ce décret du 27 juillet qui permet de demander des dérogations et de pouvoir travailler avec, justement, les services de l'Etat pour trouver les conditions sanitaires qui permettent de tenir de tels événements.
Q - Oui, exemple, la foire agricole de Châlons, très grosse foire, la deuxième de France, deux cent mille personnes attendues. Vendredi, le préfet de la Marne a dit "non, on ferme, on ne fera pas", alors que normalement, vous venez de le dire, les salons, les foires devaient être possibles à partir du 1er septembre.
R - C'est le terrain qui doit parler. Et donc, il n'y a pas un événement qui ressemble à un autre, il y en a qui sont en plein air, il y en a qui sont dans des lieux clos... Forcément, quand c'est en plein air, c'est plus simple que dans des lieux clos. C'est des histoires aussi de circulation : parfois, le terrain permet des circulations qui évitent de se croiser etc., parfois il ne le permet pas. Et donc, tout ça, c'est des appréciations qui sont très locales. Mais ce que je veux dire, c'est qu'on a mis en place les outils juridiques permettant de travailler aussi à des événements. Et puis, naturellement, après, le préfet prend sa décision au regard aussi, selon les départements, la circulation du virus n'est pas la même. Donc, voilà, il faut être très précis.
Q - Et on est dans une incertitude, on comprend bien...
R - Mais tout ça pour dire que sur des territoires comme Paris, j'espère qu'à un moment effectivement, l'événementiel permettra de rallumer un moteur.
Q - Oui mais les grands salons prévus pour le mois de septembre à Paris ont tous été annulés. Donc ce moteur n'est pas encore en train de redémarrer.
R - Donc on va avoir encore quelques semaines effectivement, quelques mois compliqués, et c'est pour ça que, sur le chômage partiel, on continuera. Pour l'instant, c'est près de 1,3 million de personnes dans le tourisme qui ont bénéficié du chômage partiel. On a mis neuf milliards d'euros sur la table avec les prêts garantis par l'Etat pour pas loin de cent mille entreprises. Donc, on continuera tout cela, parce qu'il y a besoin de préserver les talents, les savoir-faire, les emplois pour pouvoir rebondir parce que, vous savez, le tourisme, c'est hyper concurrentiel ! Depuis vingt ans, des destinations ont émergé partout dans le monde. Nous, on est numéro un, mais il ne faut jamais rester...
Q - On était ! On était !
R - Justement, il ne faut jamais rester sur ses lauriers, et cette crise peut rebattre les cartes. Donc il est important à la fois de manier le microscope, s'assurer qu'on va sauver le maximum d'entreprises... C'est du cas par cas, c'est du sur-mesure, avec tous les outils qu'on a mis en place, et puis la longue vue pour préparer le tourisme de demain. Le tourisme de demain, on sait qu'il sera un peu différent : le consommateur, le client, demande plus de soutenabilité, un tourisme respectueux de l'environnement, etc... Eh bien, je m'attache à développer cela, c'est ma feuille de route.
Q - Vous dites quelques semaines, ou quelques mois encore, ou plus... Parce que le PDG du groupe ACCOR, Monsieur Bazin, lui, va licencier mille personnes parce que ses hôtels ne marchent pas. Et il dit "au mieux en 2022 ou en 2023 on retrouvera la jauge d'avant la crise". Lui, il se projette très loin !
R - Ça va être une reprise progressive, il ne faut pas se leurrer. Pour certains d'ailleurs, cela va être une année quasi-blanche. Je dis certains parce qu'on évoquait l'événementiel, j'ai en tête aussi les guides-conférenciers qui sont très dépendants des clientèles internationales. Il va falloir, pour certains, tenir jusqu'à mars, avril prochains. C'est le cas de Lourdes : les pèlerinages, ça va d'avril à octobre. Donc, dans ces cas-là, naturellement, avec Bruno Le Maire, on restera très vigilant.
Je crois que la marque de fabrique de ce gouvernement, ça a été à chaque fois d'être très réactif et d'adapter les outils pour qu'on puisse passer le cap. Quand vous regardez en Europe et dans le monde, d'ailleurs, les entrepreneurs saluent ce qui a été fait, parce qu'on a fait un pont aérien de cash pour sauver les entreprises et les emplois.
Q - Vous êtes aussi le ministre des Français de l'étranger, on l'a dit. Il y a au moins deux mille couples franco-binationaux, donc entre un Français et une autre personne de nationalité différente, qui sont séparés depuis le début de la crise. Vous avez dit "on va les aider, on va accélérer", parce que ça commence à faire long. Cela dure depuis le mois de mars. Ces gens-là n'arrivent pas à revenir rejoindre leur conjoint en France.
R - Effectivement, cela fait plusieurs semaines ou plusieurs mois qu'ils sont séparés les uns des autres, et c'est pour cela que, moi, dès que j'ai été nommé - donc c'est-à-dire il y a un peu plus de trois semaines - j'ai souhaité prendre le taureau par les cornes, si je puis dire, pour faire en sorte qu'on mette en place une procédure. Donc, cela fait une semaine, jour pour jour, qu'une procédure a été mise en place par la France.
Et je peux vous dire qu'il n'y a pas beaucoup de pays dans le monde qui ont mis en place une procédure dédiée pour faciliter le rapprochement de ces conjoints, qui ne sont pas mariés, qui ne sont pas pacsés, mais qui ont une relation sentimentale, qui se voyaient avant, et qui sont aujourd'hui séparés par des frontières. Et donc, j'ai dit qu'il y a un processus d'instruction qui doit durer de 8 à 10 jours. Donc, vous voyez, on va y arriver. Cela veut dire que d'ici la fin de semaine, j'ai bon espoir que justement...
Q - Vous êtes sûr ? Parce que même quand on les interroge, ils sont pessimistes. C'est difficile, on leur demande de prouver qu'ils sont amoureux : parfois il n'y a pas de preuve. On leur demande d'aller voir les consulats : parfois les consulats sont totalement débordés. On leur demande d'obtenir des visas, ils n'y arrivent pas...
R - Alors, vous savez, j'entends la détresse : c'est un cri du coeur qu'ils ont lancé. Donc, ce cri du coeur, on l'a entendu. Et donc cette procédure, moi, j'ai voulu la simplifier au maximum. D'une part, on peut saisir les consulats par voie électronique, de façon dématérialisée. Donc, vous n'êtes pas obligé de faire trois mille kilomètres pour aller au consulat, ici ou là. Donc, dématérialisation. Ensuite, on leur laisse la capacité de nous apporter tous les éléments qui prouvent qu'il y avait, en tous les cas, une relation, qu'ils ont fait des voyages ensemble, etc...
C'est très important, parce que c'est une procédure dérogatoire et on doit s'assurer qu'il y a bien une réalité à cela. Et donc moi, j'ai bon espoir. J'ai toujours dit : 8 à 10 jours d'instruction. L'instruction, elle a été commencée il y a une semaine pile... Donc, encore une fois, j'espère que d'ici la fin de la semaine, on aura, justement, les premiers laissez-passer qui seront octroyés, qui permettront, dans quelques jours, de faire un reportage sur les retrouvailles...
Q - Des amoureux qui se retrouvent...
R - Exactement ! On en a bien besoin.
Q - Ça ferait de belles images... Mais enfin, pour l'instant, les couples, souvent, ils sont loin l'un de l'autre, et ils trouvent que ça traîne.
R - Non, mais je veux les assurer, un, de la mobilisation de nos services consulaires. Ils font le travail dans des conditions compliquées parce que, justement, cette période de Covid fait qu'il y a énormément de process, de dérogations, etc... Donc, c'est un surcroît de travail. Mais on sera au rendez-vous. Et puis, par ailleurs, transparence. Le collectif "Love is not tourism", nous les recevrons à nouveau la semaine prochaine pour faire un point, un état des lieux, avec eux. En tous les cas, je leur propose, pour mettre les chiffres sur la table, et puis surtout que chaque personne qui dépose un dossier soit informée, où en est son dossier, et puis, à la fin, si c'est oui, c'est oui, si c'est non, on expliquera pourquoi c'est non, voilà.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, vous partez à Beyrouth, demain je crois....
R - Tout à fait.
Q - Pour vous occuper des Français de l'étranger justement ?
R - Tout à fait. Vous savez, la France, le Liban, ce sont deux nations soeurs, ce sont des peuples frères. Et donc, nous avons des liens très forts, des liens humains. Vingt-cinq mille Français qui sont établis au Liban ; je crois, cent cinquante mille à deux cent mille Libanais établis en France. Et donc, cette communauté, elle a été éprouvée : nous avons l'un de nos compatriotes qui est décédé, nous avons eu des blessés, également des personnes, leur appartement a été endommagé... Donc, je serai à la rencontre des Français établis au Liban, pour rencontrer également leurs élus consulaires qui font un boulot considérable sur le terrain aux côtés des services de l'ambassade, du consulat...
Q - Il y a des écoles françaises qui ont été endommagées ?
R - Des écoles, voilà... L'enseignement français est très dynamique au Liban. Vous savez qu'il y a à peu près une cinquantaine d'écoles qui, justement, scolarisent soixante mille jeunes, dont la plupart sont Libanais. Donc c'est aussi le coeur battant de la francophonie au Moyen-Orient. C'est important de pouvoir les aider, les accompagner. Donc, on est en train d'évaluer tous les dégâts portés à ces écoles, comment, justement, les réparer, faire en sorte que la vie puisse reprendre son cours. Sachant que cet effet de souffle a été considérable, d'un point de vue matériel, physique, mais je dirais qu'on l'a également ressenti, nous, à Paris, à Lyon, à Marseille, parce que je crois que tout le monde a été bouleversé par ce qui s'est passé.
Et moi, je salue aussi l'élan d'entraide et de générosité qui s'est manifesté, à la fois de la part des Français, de la part des collectivités locales. Hier, un navire roulier, le Calao, est arrivé à Beyrouth avec, justement, par exemple, cinq cents tonnes de farine qui ont été données par un groupement de producteurs. Donc chapeau ! Je crois que l'entraide et la solidarité sont au rendez-vous, et cela fera chaud au coeur des Libanais.
Q - Merci beaucoup et bon voyage à Beyrouth demain donc. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat au tourisme, à la francophonie et aux Français de l'étranger, était notre invité ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 août 2020