Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à France Inter le 21 août 2020, sur la politique économique du gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

LAETITIA GAYET
Le Grand entretien avec à mes côtés Fabien CAZEAUX, chef du service économique de France Inter, pour interroger la ministre déléguée à l'Industrie. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Laetitia GAYET.

LAETITIA GAYET
Une baisse en trompe-l'oeil du chômage au deuxième trimestre en France, liée au fait que pendant le confinement eh bien on a empêché, ça a empêché les gens de chercher un emploi. L'INSEE, qui annonce 600 000 emplois détruits au premier semestre dans le privé, trois fois plus de plans sociaux sur la période mars/16 août par rapport à l'an dernier. Le secteur aérien touché, le textile, le secteur automobile. Pas très encourageante comme rentrée, quand même, Agnès PANNIER-RUNACHER, non ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une entrée qui est sous le signe de l'impact de la crise de la Covid. Je crois qu'il n'y a pas de surprise sur ça, mais il faut regarder aussi le verre à moitié plein, c'est-à-dire que c'est autant de... C'est une crise qui d'abord n'est pas économique, à la base, c'est une crise sanitaire qui a induit des conséquences économiques, et les fondamentaux de notre économie étaient excellents au moment de l'entrée de la crise. Je rappelle que la croissance en France était deux fois supérieure de la croissance allemande ou, autre chiffre intéressant, qu'on n'avait jamais eu un taux de chômage aussi bas. Ça ne veut pas dire qu'on est dans le déni, évidemment la situation elle est difficile dans l'industrie, mais nous avons aussi des moyens d'agir, des moyens pour limiter les conséquences immédiates sur l'emploi industriel, et surtout jouer le rebond. Parce que cette crise, elle ne va pas durer éternellement, et l'enjeu c'est de protéger ce qui pourra repartir demain.

LAETITIA GAYET
La question qu'on se pose quand même, Agnès PANNIER-RUNACHER, c'est est-ce qu'on est au début de plus lourd, plus grave, ou on renverse la table et on change les choses ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'on va avoir des mois qui vont suivre, où il va falloir reconstruire, rebondir. La crise elle est mondiale, elle dépend aussi de la capacité des autres pays à rebondir. Nos destins sont liés, vous voyez la situation aux Etats-Unis, la situation dans d'autres pays d'Europe, et je crois que le signal très positif, par exemple, de la mobilisation des autres économies européennes, de la capacité à porter un plan de relance aussi massif par l'Union européenne, sont des bons signaux. Mais effectivement, on va traverser des turbulences, et nous, nous sommes au travail dans deux directions. La première direction c'est de limiter l'impact de cette crise, c'est ce que nous avons fait très vite avec des mesures d'urgence qui ont permis de sauver des milliers d'entreprises et des milliers d'emplois, car c'est notre boussole. Et des mesures qui vont aider à rebondir, c'est tout l'enjeu du plan de relance qui sera présenté par le gouvernement, et notamment Bruno LE MAIRE, à partir de la semaine prochaine.

FABIEN CAZEAUX
Il y a 700 000 jeunes qui vont faire leur entrée sur le marché du travail, là, dans les prochaines semaines, en septembre, à la rentrée. Vous parliez du verre à moitié vide, à moitié plein, vous êtes ministre déléguée à l'Industrie, est-ce qu'il y a des filières, des métiers qui vont recruter malgré tout ? Qu'est-ce qu'on peut dire aux jeunes et à leurs parents qui nous écoutent ce matin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez qu'avant cette crise de la Covid, il y avait 50 000 emplois à pourvoir immédiatement dans l'industrie, pour lesquels on n'avait pas les compétences. Que beaucoup de chefs d'entreprise vous disaient : "Mais moi je suis prêt à recruter un jeune, pourvu qu'il ait la motivation, et je vais le former". Et cet état d'esprit-là, il est encore présent dans l'industrie. Alors, il faut aider à passer ce moment difficile, et c'est tout l'enjeu du plan jeunes qui a été annoncé par Elisabeth BORNE au mois de juillet, c'est-à-dire des aides pour l'apprentissage, 5 000 € pour les moins de 18 ans, 8 000 euros pour les plus de 18 ans, c'est le type de gestes qui permet de rassurer le chef d'entreprise sur le fait que si c'est compliqué pour lui, il n'aura pas à payer, et en même temps de continuer à investir sur l'avenir, parce qu'il faut préparer le rebond. Si vous ne recrutez pas des jeunes aujourd'hui, en tant que chef d'entreprise, vous injuriez l'avenir, vous n'avez pas les ressources pour continuer à vous développer. Et c'est bien distinguer le conjoncturel difficile et le structurel où on doit rebondir, on doit préparer ce rebond.

LAETITIA GAYET
Mais Agnès PANNIER-RUNACHER, vous le savez bien, la tradition française c'est : on amortit bien la chute, mais on a vraiment du mal à repartir. Alors, ça veut dire quoi ? L'Etat va devenir stratège, c'est l'État qui va impulser la reprise ou c'est les entreprises qui doivent le faire d'elles-mêmes ? Qui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est les deux ensembles.

LAETITIA GAYET
Les deux.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que l'un ne peut pas se passer de l'autre.

LAETITIA GAYET
Mais comment ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Comment ? Je vous donne un exemple tout simple. Le plan aéronautique que nous avons annoncé début juin, le plan aéronautique c'est donnant/donnant, c'est : on vous aide à passer la crise, activité partielle de longue durée plutôt que d'aller au plus facile, qui consiste à licencier des milliers de personnes, beaucoup plus que ce qu'on va voir là. Vous, on amortit et on maintient les compétences dans l'entreprise, mais derrière il faut vous-mêmes que vous continuez à investir dans la formation, dans les salariés et dans la modernisation de votre appareil de production. C'est ce que nous faisons dans l'aéronautique.

LAETITIA GAYET
Est-ce que la clé aujourd'hui pour la France, pour l'industrie française, c'est la relocalisation dont on parle beaucoup ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a plusieurs clés. La relocalisation, j'aurais tendance à l'élargir à la localisation de la production en France. Vous avez mille et une façons de remettre de la production en France. Vous êtes chef d'entreprise, vous dites finalement : cette pièce que je sous-traite à l'étranger, pourquoi est-ce que je ne la produirais pas moi-même ? C'est une façon de relocaliser.

LAETITIA GAYET
Parce qu'elle coûte plus cher.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pas nécessairement, et c'est là aussi où il faut revenir sur un certain nombre de préjugés. Avec les nouvelles technologies, la modernisation de l'appareil de production, les Kobo, les robots, les machines à commande numérique, vous avez des gains de coût de revient de la production qui sont de l'ordre de 30%. 30 %, c'est l'écart aujourd'hui entre le coût moyen d'une pièce en France et beaucoup d'autres économies dites low-cost. Il faut jouer cette modernisation. Et qu'est-ce que peut faire l'Etat ? C'est justement d'accompagner les entreprises dans cette modernisation, de financer une partie de leurs investissements, de leur permettre, à un moment difficile où ils n'ont pas envie de sortir de l'argent de leur poche, parce qu'ils veulent protéger leur trésorerie, de dire : ok, on en prend une partie, parce que ça va vous permettre d'aller chercher de nouveaux marchés et de produire plus et mieux en France.

FABIEN CAZEAUX
A propos de relocalisations, Agnès PANNIER-RUNACHER, un exemple, les masques, un exemple emblématique ; on a entendu, y compris dans le reportage sur Inter, des élus locaux qui interpellaient l'Etat sur le fait qu'il y avait en France dans les départements une filière textile, des entreprises qui ont même formé des salariés dans un contexte très particulier pour en fabriquer, et par exemple le président de la Mayenne voit arriver 650 000 masques fabriqués au Vietnam, conditionnés en Turquie. Est-ce qu'on peut s'engager ce matin à ce que la commande publique de masques soit 100 %. Française ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, la commande publique elle ne peut pas être 100 % française, parce que ça c'est une loi qui est celle que nous nous imposons collectivement. Parce que si la commande publique est 100 % française, ça veut dire que la commande allemande sera 100 % allemande, c'est le risque, et qu'ensuite les Français ne pourront pas vendre en Allemagne. Je rappelle ce petit détail. Or, n'oublions pas que notre économie est très interdépendante d'autres pays, et que nous exportons beaucoup aussi, et c'est nécessaire pour les emplois français. En revanche…

FABIEN CAZEAUX
Mais pour faire référence en France…

AGNES PANNIER-RUNACHER
En revanche, pour répondre à votre question, moi j'invite très solennellement, parce que j'ai vu quelques résultats effectivement d'appels d'offres, les acheteurs publics français, à faire en sorte de privilégier la commande européenne, ça on a le droit, et de rechercher des éléments de jugement de la commande, qui intègrent aussi l'empreinte environnementale. Parce qu'il y a un paradoxe terrible, les Français, les Européens, produisent avec une empreinte environnementale bien meilleure que beaucoup d'autres pays, plus toute l'empreinte environnementale du transport. Lorsque vous produisez en Chine, ce n'est quand même pas la porte à côté, donc il faut transporter tout ça, c'est du carburant, c'est de l'émission de CO2, et néanmoins, sous prétexte que les marchandises sont un peu moins chères parfois, à peine un peu moins chères, vous allez acheter très loin. Donc il faut aussi, dans la commande publique, et c'est un des enjeux du plan de relance, intégrer ces coûts cachés qui pèsent sur l'économie française et qui sont aujourd'hui insuffisamment intégrés. Ensuite, attention aux raccourcis que j'ai pu voir. Lorsque la France a commandé, il se trouve que j'étais en charge de ce dossier sur les masques textiles, il n'y avait pas de production en France. Moi j'ai interrogé les Français, ils n'étaient pas en situation de servir les marchés de l'Etat. Et c'est pour ça...

FABIEN CAZEAUX
Aujourd'hui, il y en a.

LAETITIA GAYET
Aujourd'hui, il y en a.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et c'est pour ça que nous nous étions appuyés, effectivement, sur des entreprises françaises, car nous nous étions appuyés sur des entreprises françaises, qui avaient des capacités de production à l'étranger. Aujourd'hui…

LAETITIA GAYET
Et pour les autres ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui, il y a une commande française, il y a un site d'ailleurs, je l'indique, savoir-faire ensemble, vous avez tout le référencement des producteurs français en France, donc ça c'est pour les entreprises, c'est pour les particuliers, c'est important de le savoir, et il faut également savoir qu'un masque textile réutilisable/lavable, c'est beaucoup moins cher, beaucoup moins cher qu'un masque classique.

LAETITIA GAYET
Mais aujourd'hui les Français, beaucoup, utilisent les masques chirurgicaux, et là on les importe en partie.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, en partie seulement, puisque nous avons également développé, avec le soutien du ministère de l'Economie et des Finances, une production française. Aujourd'hui on produit en France 50 millions de masques chirurgicaux et FFP 2. Je rappelle qu'il y a 4 mois on en produisait, il y a 5 mois, pardon, on en produisait 3,5 millions. Donc on a multiplié par plus de 10 la production française.

LAETITIA GAYET
Ça c'est par semaine.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et dans le même temps, le point de blocage de cette production en France, vous le savez, c'était la matière première, qui est une espèce de plastique un peu particulier qui retient les particules. Nous avions très peu de production de cette matière première en France, et au plan mondial le gros producteur c'était la Chine, qui évidemment avait bien compris tout l'intérêt de maintenir et de retenir dans son pays cette production. Eh bien fin avril nous avons lancé un appel à manifestation d'intérêt pour la réalisation d'unités de production, et je peux vous annoncer ce matin que le comité de sélection que nous avons mis en place, a déjà retenu cinq projets de production sur le territoire national de cette matière première pour les masques chirurgicaux et FFP 2, c'est 9 millions d'euros sur la table et la création de près de 110 emplois. Vous voyez, c'est très concret.

LAETITIA GAYET
A quel terme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Maintenant.

LAETITIA GAYET
Maintenant. On parle des masses qui vont être obligatoires à partir du 1er septembre en entrepris, Agnès PANNIER-RUNACHER, on imagine que les grands groupes vont pouvoir s'en sortir, mais les PME en revanche, ça risque d'être un coût important pour elles.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, là aussi je veux tordre le bras à cette idée. Attention, le coût du masque lavable réutilisable, il peut descendre à moins de 10 centimes, à moins de 10 centimes à l'usage. Donc l'enjeu c'est, ça sera un coût, il ne faut pas se mentir, vous avez d'autres coûts qui sont liés à la Covid-19, parce qu'ils sont liés à la distanciation sociale, qui sont liés à toutes les mesures que nous mettons en place. C'est un coût qui est mondial, c'est-à-dire qu'en termes de compétitivité relative, la France n'est pas isolée, donc ça n'impacte pas notre compétitivité par rapport à d'autres pays, et c'est un enjeu de santé publique, mais c'est un enjeu aussi de sécurisation des salariés et de sécurisation de la production. Dans une entreprise qui a l'habitude, et c'est le cas de l'industrie, d'équiper ses salariés en matériaux de protection, que ce soit le casque, les chaussures de sécurité, les blouses, rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est que c'est un nouveau processus à mettre en place.

FABIEN CAZEAUX
Donc il n'y aura pas d'aides, même pour les très petites entreprises.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il ne faut jamais perdre de vue que l'argent public c'est notre argent collectivement, et que donc l'enjeu c'est de savoir où il est le plus efficace, et aujourd'hui, on l'a vu, il faut accompagner les plus précaires, il va falloir accompagner les plus fragiles, c'est ce que nous faisons, et c'est ce que nous faisons aussi avec les très petites entreprises. Je peux vous citer le Fonds de solidarité, on a aidé 1,7 million d'entreprises. Je crois que ça c'est plus efficace qu'effectivement les subventionner, comme ça au cas par cas, des masques dans l'entreprise, alors qu'en fait cette entreprise peut peut-être, grâce à son modèle d'activité, se le payer.

LAETITIA GAYET
On va passer aux questions des auditeurs, Agnès PANNIER-RUNACHER, si vous le voulez bien.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 août 2020