Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, avec BFM Business le 1er septembre 2020, sur le secteur du tourisme confronté à l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le 1er septembre 2020

Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie

Texte intégral

Q - Merci d'être avec nous, Jean-Baptiste Lemoyne, parce que vous avez un agenda extrêmement chargé.

R - Cela me fait plaisir de faire aussi la rentrée avec vous, aujourd'hui.

Q - Absolument, nous faisons la rentrée ensemble. Nous allons faire le bilan puisque nous sommes le 1er septembre, le bilan de cet été bleu-blanc-rouge, peut-on dire que cela a été un bon bilan, le touriste était-il au rendez-vous ? Je connais déjà un peu la réponse mais j'aimerais bien que vous la précisiez.

R - On dira que l'on a sauvé les meubles, souvenons-nous d'où on vient. Avril, mai, juin, confinement, déconfinement, un secteur du tourisme touché de plein fouet et là, c'est vrai que, juillet et août, les moteurs se sont rallumés si je puis dire, les Français ont entendu cet appel à un été bleu-blanc-rouge, ils ont massivement privilégié la France, ils sont 15 à 20 points supérieurs par rapport à la moyenne à être restés en France. Du coup, on a de bons résultats dans les zones littorales, dans le rural, à la montagne, mais en revanche des situations très préoccupantes à Paris, en Ile-de-France, dans les villes, dans les zones métropolitaines. C'est finalement une situation contrastée, mais pour vous donner quelques chiffres, dans le Var, dans les Pyrénées Atlantiques, on était sur du plus 10, plus 15, plus 20% de fréquentation domestique. En revanche, c'est vrai, je vois le château de Versailles, le musée du Louvre, qui ont divisé leur fréquentation par cinq.

Voilà, à peu près, le tableau, une situation contrastée, des territoires qui ont bien marché et d'autres qui sont plus à la peine, on va continuer à s'occuper d'eux bien sûr.

Q - Oui parce qu'en même temps, on voit bien que c'est l'ensemble du secteur qui en a pâti. Il y avait un plan tourisme qui a été mis en oeuvre partiellement, mais faudra-t-il doubler, voire tripler la mise ? On sait qu'en ce moment, il y a le plan de relance, ce sera jeudi, en ce moment, on brasse des milliards, mais il n'en demeure pas moins que l'on peut se poser la question.

R - Ce qui est clair, et le Premier ministre l'a réaffirmé, le soutien se fera dans la durée. Je prends un exemple très concret : l'activité partielle venait à échéance fin septembre, d'ores et déjà, nous avons indiqué qu'elle se poursuivrait selon les mêmes modalités préférentielles jusqu'à la fin du mois de décembre 2020 parce que le secteur en a besoin. Nous ferons une évaluation en décembre, nous verrons ensuite ce qu'il convient de faire. Donc, vous le voyez, on est pragmatiques, on s'adapte à la réalité.

Je donnerai quelques exemples également qui sont concrets : le prêt garanti par l'Etat a remporté un franc succès auprès des acteurs du tourisme, je vous donne les derniers chiffres : nous en sommes à 9,24 milliards d'euros qui ont été attribués à des entreprises du secteur du tourisme, cela a bénéficié à pas loin de cent mille entreprises. Et de la même façon, si vous regardez les exonérations de cotisations sociales, ce n'est pas rien, il y en a pour 102 millions d'euros, c'est douze mille euros en moyenne par entreprise, donc cela représente quelque chose. L'Etat a fait paratonnerre pour prendre la foudre et éviter que ce soit les emplois et les entreprises qui soient touchés.

Je vous le dis, c'est vraiment mon souhait le plus ardent d'être aux côtés des professionnels, j'en ai rencontré un certain nombre aujourd'hui, vendredi, je réunis le comité de filières tourisme pour faire le bilan de la saison et voir les besoins économiques parce qu'on a besoin de préserver cette économie touristique qui pèse beaucoup plus que ce que les gens pensaient, je crois, et, de ce point de vue-là, la crise a été un révélateur.

Q - surtout en France. Du reste, je recevais Thierry Breton la semaine dernière, il disait qu'un sommet tourisme serait organisé en octobre au niveau européen peut-être. Quand même, vous avez donné des chiffres qui sont assez impressionnants, quasiment dix milliards, on voit que les chiffres sont forts, mais là, on va avoir le mois de septembre, on va avoir la fin de l'été, il y a souvent beaucoup de touristes. Là, les rues sont vides, que fait-on ?

R - Encore une fois, il y a plusieurs situations à distinguer. Paris, les métropoles, je plaide pour que l'on puisse mettre en place, peut-être, des contrats de relance des destinations pour pouvoir créer une offre minimale d'attractivité. Pour que les gens viennent, il y a besoin de montrer qu'un certain nombre d'hôtels sont ouverts, qu'un certain nombre d'événements vont se tenir.

Q - Aujourd'hui il y a la réouverture justement des principaux grands hôtels, palaces.

R - Exactement, et jusqu'à maintenant, c'est vrai que, dans certaines villes, tout le monde s'attendait un peu, les hôteliers attendaient l'événementiel, l'événementiel attendait les autorisations de l'Etat. L'Etat attendait de regarder la situation sanitaire. Il est donc important de pouvoir faire la relance de ces destinations métropolitaines en étant tous autour de la table, communiquer ensemble vis-à-vis de nos différents publics un même message pour réamorcer la dynamique.

Pour les autres territoires, je suis assez confiant dans le sens où nous allons tout faire, avec "Atout-France", pour essayer de provoquer un été indien, pour faire en sorte qu'un certain nombre de publics, comme les retraités qui ont différé leur voyage au printemps, pour cause de COVID, puissent peut-être partir à ce moment-là.

Je continue donc à me démultiplier, y compris dans les pays européens de proximité, parce que ces clientèles-là ont été au rendez-vous, les Belges, les Allemands, les Suisses, ils ont été là, et nous allons continuer à leur dire qu'ils sont les bienvenus en France.

Q - Oui, mais si on parle de Paris, il y a quand même quelqu'un qui scie votre branche, c'est le Premier ministre, parce que lorsqu'il met Paris et l'Ile-de-France en zone rouge, vous voyez les Suisses, les Belges, les Américains, tous, ils n'ont plus le droit de venir, à Paris. Comment voulez-vous relancer le tourisme français à Paris ?

R- On est bien d'accord, il y a une situation à Paris qui est un peu différente.

Q - Elle est catastrophique !

R - Que nous allons accompagner, c'est très clair. Les hôteliers et les restaurateurs le savent, nous continuerons à être présents avec toutes les aides qu'il faut, parce qu'il s'agit de préserver les emplois et les entreprises. On préfère, quelque part, subventionner ce chômage partiel, plutôt que d'avoir des talents et des compétences qui se retrouvent à pointer à pôle emploi. Je pense, donc, qu'il y a des mécanismes un peu intelligents à mettre en place de ce point de vue-là.

Q - Il n'en demeure pas moins, lorsque vous traversez Paris, à part les rues totalement vides, vous traversez Paris et vous voyez un nombre de restaurants fermés, qui ont mis la clef sous la porte !

R - Oui, cette situation-là, je l'ai bien en tête, avec les mairies et la région Ile-de-France etc. Je pense qu'avec Aéroports de Paris, on va avoir cette capacité à être au rendez-vous de la relance, la préparer, la penser, mais c'est vrai que c'est un moment où il faut encore serrer les dents. C'est pour cela que je dis, nous serons au rendez-vous des aides dans la durée parce qu'ils en ont besoin !

Je voyais, les Grands Magasins qui sont du côté d'Haussmann, on voit bien qu'ils dépendent aussi d'une clientèle internationale, ils sont d'ailleurs dans une zone touristique internationale, une ZTI, cela veut bien dire que ces gens-là ont besoin de trouver un appui, un accompagnement, et donc, je pousse aussi auprès de Bruno Le Maire un certain nombre de mesures pour aider spécifiquement ces acteurs.

Q - Mais cette relance, vous êtes d'accord avec moi, personne ne le sait, ce sera quatre mois, cinq mois, six mois, tant que Paris est en zone rouge, tant qu'il y aura encore cette épidémie, il n'y aura pas de relance ?

R - C'est pour cela que, les acteurs le savent, cela va prendre plusieurs mois. Et, en réalité, un certain nombre d'agences de voyage vous disent que c'est plutôt dans un an que la reprise va vraiment se faire pour eux.

Donc, on a là une situation qui peut s'assimiler pour certains à une sorte d'année blanche. Et qui dit année blanche dit aussi mesures exceptionnelles. Donc, on est dans le pragmatisme et l'adaptation permanente depuis le mois de mars. Ce que je veux dire, c'est lancer un message de réassurance : on ne laissera tomber personne et nous allons faire le maximum pour sauver les emplois, les entreprises.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, du reste, j'en parlerai avec Alexandre de Juniac, qui est le patron de l'association internationale du transport aérien -, j'ai énormément vu sur twitter, il y a énormément de réclamations sur les remboursements de billets, d'hôtel, les problèmes, " le médiateur du tourisme, je n'arrive pas le joindre "... C'est un véritable casse-tête.

R - Alors, là-dessus, deux choses : pour les personnes qui avaient pris un séjour, un forfait, etc., nous avons mis en place l'avoir qui permet à l'agence de proposer le report du voyage et, lorsque les conditions le permettent, le client peut effectuer ce voyage. Cela a bien fonctionné, il y a plus ou moins 750 millions d'euros qui ont déjà été, contractuellement, reportés entre clients et agences.

En revanche, il est vrai qu'un certain nombre de compagnies aériennes, dans un premier temps, n'ont pas forcément joué le jeu du remboursement. Parce que là, le droit communautaire est très clair : le remboursement doit se faire.

Q - Parce que, sinon - d'ailleurs, je vous le disais, j'en parlais avec Alexandre de Juniac -, lui-même a dit ici même : à la limite, on se met à genoux en disant "surtout, ne demandez pas le remboursement, sinon on est mort". Donc, vous vous demandez le remboursement, mais le ministre de l'industrie va dire "il ne faut pas demander le remboursement".

R - Je pense qu'aujourd'hui il faut peut-être réfléchir à un système, dans les mois à venir, pour mettre en place une garantie similaire à celle qui existe pour les séjours à forfaits. Parce qu'on a vu plusieurs compagnies qui ont déposé le bilan et ont planté leurs passagers qui n'ont plus que leurs yeux pour pleurer. Je pense qu'aujourd'hui, pour la confiance du consommateur, c'est dramatique.

Donc, il y a besoin de réfléchir à un système de garanties, comme il existe pour les voyages à forfait, pour sécuriser ! Et, on le voit, la réassurance doit être désormais sanitaire et financière, parce qu'un certain nombre de personnes - moi, j'ai également les mêmes courriels, on reçoit les mêmes courriels que vous, de personnes qui disent "moi, je n'ai pas été remboursé, etc.".

Q - Qu'est-ce que vous allez faire ? Vous allez faire une grande messe du médiateur du tourisme ?

R - La médiation du tourisme fonctionne. Par ailleurs,...

Q - Visiblement, il n'a pas suffisamment de moyens.

R - ...j'en profite puisque je suis à votre antenne pour le dire : les entreprises du voyage ont mis en place une commission avec des associations représentant les consommateurs pour prendre en compte tous ces litiges qui leur sont remontés. Donc, j'incite à aller sur le site internet des entreprises du voyage pour remplir le formulaire et la médiation du tourisme, après, va traiter ces dossiers.

Donc, des dispositifs ont été mis en place par les professionnels. Et les consommateurs, il faut qu'ils en soient informée, c'est pour cela que je profite de cette occasion.

Q - Juste un point sur les hôtels quand même. Parce qu'on voit que souvent on voit les grands hôtels qui appartiennent à de grandes chaînes, mais il y a plein d'hôtels qui appartiennent à des petits groupes. Qu'est-ce que vous comptez faire peut-être pour l'hôtellerie française ?

R - Alors, l'hôtellerie française, on travaille main dans la main avec l'UMIH, avec le GNI également. Ils sont parmi les premiers bénéficiaires des prêts garantis par l'Etat, je vous rappelais les montants, neuf milliards d'euros c'est considérable. Ils bénéficient également des exonérations de charges sociales.

Q - Oui, mais ils ne seront pas en capacité de rembourser...

R - Et, là aussi, ce qu'il faut voir, c'est que la situation à Paris et en Île-de-France est atypique, c'est très clair. On est avec des taux d'ouverture qui sont bas, avec des taux d'occupation qui sont bas.

En revanche, ailleurs, on l'a vu, l'hôtellerie économique est repartie, les voyageurs d'affaires sont en train, également, de reprendre leur activité. Donc, je dirais que, en régions, la situation est meilleure, et d'ailleurs, on l'a vu, sur la destination touristique, les hôtels ont bien fonctionné.

Donc, là aussi, je crois qu'on ne peut pas parler des hôtels en général, c'est du sur-mesure, et notre boulot, c'est ça, c'est de pouvoir apporter des réponses sur mesure à des problèmes qui sont très spécifiques.

Q - Dernière question. Vous avez été chez nos confrères " les grandes gueules " sur RMC et vous avez dit, sur les couples binationaux, que les laissez-passer allaient être en fin de semaine. Alors, là, on entame une nouvelle semaine. Est-ce que vous avez déjà eu, obtenu des laissez-passer pour des binationaux ?

R - Sur ce sujet-là, je ne suis pas satisfait de la façon dont les choses se passent, parce qu'on a mis en place une procédure, on a à peu près cinq cents dossiers qui nous ont été remontés par nos consulats, le ministère de l'intérieur en a examiné une bonne partie, maintenant nous attendons que la commission interministérielle de crise puisse délivrer ces laissez-passer. Et je plaide pour une procédure peut-être plus courte, plus ramassée parce que la CIC n'a pas forcément les moyens de traiter cela. Donc, je réfléchis à plaider auprès du Premier ministre une adaptation de la procédure pour, plus vite, donner des laissez-passer à des gens qui attendent depuis trop longtemps de pouvoir revoir leur conjoint.

Q - Depuis des mois. Merci beaucoup. On sait que vous êtes donc sur le feu. Merci d'avoir été avec nous, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat en charge du tourisme et des Français, justement, coincés à l'étranger. Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2020